Théories sur l'origine de Christophe Colomb
Les origines génoises de Christophe Colomb sont reconnues par la plupart des historiens depuis la fin du XIXe siècle[1], et encore plus depuis la publication en 1931 de l'ensemble des documents d'archives disponibles dans le volume Cristoforo Colombo : Documenti e prove della sua appartenenza a Genova[2].
Cependant, quelques théories alternatives continuent de circuler, soutenues par certains historiens universitaires ou amateurs[3] sur une origine catalane, judéo-espagnole, portugaise ou corse du navigateur.
La controverse peut concerner trois points : le lieu de naissance de Christophe Colomb ; éventuellement son ascendance, voire son identité réelle.
Théorie sur l'origine génoise
Comme l'a écrit Samuel Eliot Morison dans sa biographie de Colomb : « (...) personne du vivant de l'Amiral ou pendant les trois siècles qui ont suivi sa mort n'a eu le moindre doute quant au lieu de sa naissance. Par la suite, des hypothèses audacieuses ont fait de lui un Castillan, un Catalan, un Corse, un Grec, un Arménien[4]. »
Théories sur une origine catalane
Origine barcelonaise
Cette théorie est soutenue par plusieurs historiens, notamment le Péruvien Luis Ulloa[5] a avancé en 1927 dans Christophe Colomb catalan. La vraie genèse de la découverte de l'Amérique[6] et les Américains Wilford R. Anderson, Estelle Irizarry et Frederick J. Pohl.
Elle a été soutenue récemment (2008) par Charles J. Merrill, diplômé de l'université Duke, professeur de langues européennes et d'études médiévales à l'université Mount St. Mary's aux États-Unis, spécialiste de littérature catalane médiévale. Lui et son équipe ont passé une année à étudier les origines de Christophe Colomb à Cerbère (Pyrénées-Orientales), à la frontière franco-espagnole.
Dans Colom of Catalonia: Origins of Christopher Columbus Revealed (Demers Books, 2008), il soutient que Christophe Colomb était catalan, issu d'une famille de Barcelone hostile à la Couronne d'Aragon, Comme Luis Ulloa, il pense que le navigateur est issu de la famille Columbus, adversaire de Jean II d'Aragon, père de Ferdinand le Catholique, au cours de la guerre civile catalane (1462-1472). Merrill affirme également que la langue maternelle de Colomb était le catalan.
Théories sur une origine judéo-espagnole
Une famille juive de Pontevedra
Selon certains historiens juifs[8], Christophe Colomb (Cristobal Colon) était le fils de Susanna Fontanarossa (ou Fontanarosa) et de Domingo Colon, de Pontevedra en Galice. En Espagne, le patronyme de « Colon » est porté par des juifs, certains déférés devant l’Inquisition.
Une famille judéo-espagnole réfugiée à Gênes
Le fait d'attribuer à Colomb une origine génoise n'empêche pas certains historiens d'envisager une origine judéo-espagnole plus ancienne[9].
Le premier a été Salvador de Madariaga en dans son livre Christophe Colomb publié en France en 1952. Selon lui, la famille Colomb serait une famille juive de Galice refugiée à Gênes après avoir fait partie des « nouveaux chrétiens » ou conversos, juifs convertis au christianisme, souvent soupçonnés d'avoir fait une fausse conversion[10].
Cette hypothèse s'appuie notamment sur des lettres et autres manuscrits qui contiendraient des caractères et des termes d'origine hébraïque qu'on retrouve dans le dialecte ladino[11].
La thèse de Simon Wiesenthal
Simon Wiesenthal, qui n'est pas seulement un « chasseur de nazis », a écrit un livre sur Christophe Colomb, Sails of Hope: The Secret Mission of Christopher Columbus (1973), qui part dans une autre direction : pour lui, le projet de Colomb est fondé sur son judaïsme. Il suppose que Colomb était un séfarade soucieux de cacher son judaïsme, et désireux de trouver un lieu de refuge pour ses coreligionnaires persécutés.
Wiesenthal pense notamment que l'idée de Colomb de naviguer vers l'ouest pour atteindre les Indes était moins le résultat des théories géographiques de l'époque que de sa foi dans certains textes bibliques, en particulier le Livre d'Isaïe, dont il cite à plusieurs reprises deux versets : « Car les îles espèrent en moi, Et les navires de Tarsis sont en tête, Pour ramener de loin tes enfants, Avec leur argent et leur or. » (60:9) et « Car je vais créer de nouveaux cieux Et une nouvelle terre » (65:17). Selon Wiesenthal, Colomb a estimé que ses voyages avaient confirmé ces prophéties.
On peut aussi citer le livre plus récent de Sarah Leibovici, Christophe Colomb juif : défense et illustration[12].
Cependant, le fait qu'il était un homme cultivé peut expliquer ses connaissances relatives à la religion juive.
Théories sur une origine portugaise
Son point de vue : Colomb = Salvador Fernandez Zarco
Selon Augusto Mascarenhas Barreto[13] Christophe Colomb aurait été Salvador Fernandes Zarco, noble illégitime natif de la ville de Cuba au Portugal, et petit-fils de João Gonçalves Zarco, ancien navigateur portugais découvreur de l'archipel de Madère. Il aurait été un espion au service du roi portugais Jean II, dans une mission ayant pour objectif de détourner les Espagnols de leur recherche d'un passage vers l'Inde.
Colomb serait une forme latinisée de son nom d'espion. Dans sa signature hiératique, est lisible « Xpo Ferens ». Xpõ signifiant Christ en grec et Ferens porté en latin, donc « le porteur de Christ »). Il associe la référence de « Christ » à son propre nom (le Christ est venu au monde comme un messie ou un sauveur, salvador en portugais). De même, l'expression Ferens issue de son sigle s'associe également à Fernandes et à son monogramme le plus utilisé où les lettres S, F et Z sont discernées (pour Salvador Fernandes Zarco).
Cette théorie a été reprise par le cinéaste Manoel de Oliveira dans son film Cristóvão Colombo - O Enigma (Christophe Colomb, l'énigme) en 2008. Elle a également inspiré le journaliste et écrivain José Rodrigues dos Santos pour son livre O codex 632.
Critique
Deux critiques de ce livre ont été publiées dans la littérature scientifique :
« Like so many others, Barreto claims to have penetrated the mist that surrounds Columbus. Like so many others, he has found it easy to pluck a détail from here and a détail from there in support of his thesis. As with so many others, this tendentiously Autolycan methodology can only remain inadéquate to the task of fashioning a Columbus to taste[14]. »
« Comme tant d'autres, Barreto affirme avoir découvert les mystères qui entourent Colomb. Comme tant d'autres, il a trouvé commode de picorer des détails ici et là pour appuyer sa théorie. Et comme tant d'autres, cette méthodologie « Grandgousier » ne peut qu'être qu'inadéquate pour déguster un « mets » aussi délicat que Colomb. »
« This book is filled with unconventional speculation and circumstantial evidence. The author has a vivid imagination. Reading this book is somewhat like reading an espionage novel: if you do not take it seriously, it makes the book fun to read[15]. »
« Ce livre est rempli de spéculations non conventionnelles et de preuves circonstancielles. L'auteur a une imagination fertile. La lecture de ce livre tient un peu de la lecture d'un roman d’espionnage : si vous ne le prenez pas au sérieux, le livre est amusant à lire. »
Dès la sortie du livre de Barreto, Luis de Albuquerque[16] (1917-1992), qui a été directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, a dressé la liste, dans le chapitre X de son livre Dúvidas e Certezas na História dos Descobrimentos Portugueses, de toutes les théories connues concernant l'origine portugaise de Christophe Colomb, utilisées par Mascarenhas Barreto pour écrire en une dizaine de mois sa compilation de textes sur les pseudo origines portugaises de Colomb.
Manuel da Silva Rosa : Colomb = Segismundo Henriques, fils de Ladislas III
Manuel da Silva Rosa (pt) dans son livre O Mistério Colombo Revelado (en français Le mystère Colomb révélé) a montré que cette théorie n'avait aucune base documentée et a proposé que Colomb était le prince Segismundo Henriques, né sur l'île de Madère et fils du roi Ladislas III. Selon l'historien portugais, le roi polonais ne serait pas mort à la bataille de Varna et se serait réfugié sur cette île après sa défaite contre les Ottomans[17].
Théories sur une origine corse
On peut noter qu'au XVe siècle, la Corse était une dépendance de Gênes.
Calvi
Une hypothèse corse, précisément calvaise, apparaît à travers le lieu touristique de la « maison natale de Christophe Colomb » à Calvi[18]. Cette naissance calvaise est par exemple signalée sur une page concernant la Balagne[19].
Un livre publié en 2021[20] démontre qu'il s'agit d'une affabulation qui a prospéré à la fin du XIXe siècle à partir d'une rumeur locale, mais qui circule encore aujourd'hui.
Le Niolu
Une autre hypothèse corse se trouve dans un livre de Victor Geronimi[21], Christophe Colomb Corse du Niolu 1445-1506 (2017)[22], qui affirme que, historiquement et génétiquement, il ne peut être ni génois ni catalan, ni majorquin ni calvais, mais que, par la toponymie, la tradition orale et l'histoire du chroniqueur Giovanni Della Grossa, il est originaire de la contrée du Sia qu'il du quitter en 1459. C'est là en effet que se situe la forêt de Culombu et valle Ruje (rojo ou rubra) dont il a pris le nom en s'exilant telle une adresse du fait de circonstances dramatiques. C'est aussi démontré par ses différentes signatures avec l'apostrophe : « Cristophor' Colon » pour indiquer sa provenance géographique, lieu méconnu à l'époque. Ce sont des dépaissaces des bergers de Calacuccia des yeronimus a la tour du rujulacciu et dont il indiquait avec sa signature. iI était du Niolu, allié au Leca de Cinarca pro-aragonais en guerre contre le Génois Antonio Spinola qui détruisit le Sia et la forêt de Culombu pour en faire la Balagne, comme on l'a appelée par la suite.
Bibliographie
Travaux généraux
- (it) Carlo Cuneo, Memorie sopra l'antico debito pubblico: Mutui, compere e Banca di S. Giorgio in Genova, Gênes, Imprimerie Sordo Muti, 1842, disponible en ligne
- (en) Michele Fratianni, Did Genoa and Venice kick a financial revolution in the quattrocento?, .
Sur Christophe Colomb
- Marianne Mahn-Lot, Christophe Colomb, Seuil, 1960
- Samuel Eliot Morison, Christophe Colomb, Amiral de la Mer océane, Neuilly-sur-Seine, Saint-Clair, 1974.
- Jacques Heers, Christophe Colomb, Hachette, 1981
- (en) Eric James Steele, Unmasking Columbus, 2006.
Gênes
- Cristoforo Colombo : Documenti e prove della sua appartenenza a Genova, 1931
- « Gênes va-t-elle perdre le plus illustre de ses fils ? », Géo, septembre 2022 [notamment aperçu des recherches ADN sur la famille Colomb]
Ascendance juive
- Salvador de Madariaga, Christophe Colomb, Paris, Calmann-Lévy, 1952, (ISBN 978-2-266-04727-2)
- Sarah Leibovici, Christophe Colomb juif : défense et illustration, Paris, Maisonneuve, 1986. Postface de Shmuel Trigano.
(en) Simon Wiesenthal,Sails of Hope: The Secret Mission of Christopher Columbus, New York, Macmillan, 1973
Catalogne
- Charles J. Merrill, Colom of Catalonia: Origins of Christopher Columbus Revealed, Demers Books, 2008
- Gérard Garrigue, Christophe Colomb le Catalan, Confluences, 1992.
Portugal
- Augusto Mascarenhas Barreto, Le Portugais Christophe Colomb, agent secret du roi Dom João II, Lisbonne, Referendo, 1988, 600 p.
- Luis de Albuquerque, Dúvidas e Certezas na História dos Descobrimentos Portugueses, 2 volumes, Lisbonne, Vega, 1990-1991
- Manuel da Silva Rosa, O Mistério Colombo Revelado
Corse
- Nicolas Balutet, Christophe Colomb et la Corse. La « possibilité d'une île » ?, Paris, Classiques Garnier, 2021.
- Victor Geronimi, Christophe Colomb Corse du Niolu 1445-1506, Bravone, Victor Geronimi, 2017
Autres
- Roger Duprat, Christophe Colomb était français. Essai sur l'identité du découvreur, Paris, Godefroy de Bouillon, 1997, 150p. Notice BNF.
Notes et références
- Jacques Heers, Christophe Colomb, p. 21-23.
- Mise au point au début de Marianne Mahn-Lot, Christophe Colomb, Seuil, 1960, p. 3-8.
- « Christopher Columbus continues to fascinate and beguile. For the Quincentenary, scores of works have appeared-some representing real advances, others restoking cold fires, still others (the majority) using Columbus as a avatar for a variety of presentist purposes. In ail this, some issues have shown themselves to be time-less-and deathless. One is his nationality; well over a dozen places have been suggested over the years, including Denmark, England, and America. No amount of Columbus' own testimony, contemporary opinion, or documentary evidence has managed to bring closure to this issue. » (en) David Henige, The Hispanic American Historical Review, Vol. 73, No. 3. (Aug., 1993), p. 505-506.
- Samuel Eliot Morison, Christophe Colomb, Amiral de la Mer océane, 1974, p. 19.
- (ca) « Cecolom », sur Cecolom (consulté le ).
- Paris, Maisonneuve, 1927 (cf. Notice BNF et
- http://www.vilaweb.cat/media/attach/vwedts/presencia/colom.pdf
- Tina Levitan, Jews in American Life, New York, 1969, p. 5 ; Cecil Roth, Personalities and Events in Jewish History, Philadelphie, 1953, p. 192-211.
- Henry Méchoulan, Les Juifs du silence au Siècle d'or espagnol, éd. Albin Michel, 2003
- Cf. la page limpieza de sangre. En Espagne à cette époque, même des juifs convertis continuaient à être persécutés et étaient contraints de quitter leur pays ; d'autres conversos continuaient de pratiquer le judaïsme en secret
- Estelle Irizarry, The DNA of the Writings of Columbus, San Juan de Puerto Rico, Ediciones Puerto, 2009.
- Paris, Maisonneuve & Larose, 1986. Postface de Schmuel Trigano.
- Augusto Mascarenhas Barreto, Le Portugais Christophe Colomb, agent secret du roi Dom João II, édition Referendo, Lisbonne, 1988 (600 pages)
- (en) David Henige, The Hispanic American Historical Review, Vol. 73, n° 3. août 1993, pp. 505-506
- (en) Delno C. West, The American Historical Review, Vol. 98, No. 5. (Dec., 1993), p. 1590
- Luís Guilherme Mendonça de Albuquerque
- (en) Fiona Govan, « Christopher Columbus 'was son of Polish king’ », sur telegraph.co.uk,
- « Pas touche aux origines de Christophe Colomb », sur Corse-Matin,
- La citadelle de Calvi
- Balutet, Nicolas, « Christophe Colomb et la Corse. La "possibilité d'une île"? », (consulté le )
- Selon le SUDOC, Victor Geronimi est né en 1947 et n'est l'auteur que de ce livre ; voir aussi : Article dans Mediapart.
- Cet ouvrage, répertorié par le SUDOC (), se trouve à la BU de Corte.