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Tchikumbi

Le Cikumbi, Tchikumbi ou Tchikoumbi en langue vili, ou encore Kikumbi en langue yombe est un rite ancestral d'initiation et de fécondité, marquant le passage de la jeune fille, de l'enfance à l'ùge nubile. Ce rituel pratiqué à l'origine par tous les peuples de la branche nord du Royaume du Kongo, ne l'est plus que par les Vili de la république du Congo, les yombe des deux Congo et les Woyo du Cabinda (enclave de l'Angola).

Jeune danseuse Loango

Mythe fondateur

Selon un mythe du peuple vili, le Maloango, souverain du Royaume de Loango voulut prendre femme. On lui prĂ©senta alors une fort belle jeune fille disposant de tous les atouts physiques de la fĂ©minitĂ© mais Ă  laquelle manquait, malheureusement, toutes les vertus d’une bonne Ă©pouse. À compter de ce jour, les dieux consultĂ©s dĂ©crĂ©tĂšrent que, dans le royaume, un rite d’initiation devrait ĂȘtre le passage obligĂ© de toute fille qui voulait devenir une Ă©pouse convenable. Ainsi naquit le tchikumbi, un rituel de prĂ©paration au mariage.

La vie sexuelle permet la perpétuation de l'espÚce et l'agrandissement du clan. Cependant, cet acte place l'homme et la femme dans un état sensible de diffusion et d'expansion de leur force vitale (phãdu) qui se caractérise par l'écoulement de substances telles que le sang (men: ga), le sperme (malumi) ou les sécrétions vaginales (budafi). Ainsi, tout individu ayant eu des rapports sexuels conjugaux ou non, ne doit pas approcher d'un tchibila (sanctuaire) ou toucher des instruments de magie sous peine de déclencher des catastrophes dans la région[1].

La fĂ©conditĂ© accordĂ©e Ă  la femme par les bakisi basi (esprits du terroir ou esprits telluriques) engendre en dĂ©but de grossesse, en contrepartie, une diminution de la " fĂ©conditĂ© " (rĂ©ussite) des entreprises Ă©conomiques de son mari (chasse, pĂȘche, commerce). Un rite doit donc ĂȘtre accompli par les deux conjoints afin de protĂ©ger leur prospĂ©ritĂ© Ă©conomique[1].

Initiation

Les cérémonies d'initiation et de fécondité du tchikumbi ont pour but d'intégrer les jeunes filles nubiles à la collectivité, de leur apprendre les us et coutumes de la société et comment tenir un foyer.

Elles se déroulent en trois étapes distinctes :

  • Tchikumbi tchimbwi:la (flux menstruel) ou pĂ©riode des premiĂšres rĂšgles pendant laquelle l'initiĂ©e dort Ă  mĂȘme le sol sur des nattes avec ses compagnes de claustration.
  • Kubwila tchikumbi (capture de la tchikumbi) pendant laquelle les parents paternels et maternels se rĂ©unissent pour assister Ă  la danse du Nlimba (danse Ă  l'occasion de laquelle la "Tchikoumbi" accomplit des prouesses acrobatiques) [2] et partager un repas.
  • Tchikumbi tchimbwala (intĂ©gration de la tchikumbi dans le village). Les compagnes de l'initiĂ©e (bana-bankama) dorment sur un lit surelevĂ© Ă  deux mĂštres du sol (linkama), en contrebas duquel se trouve un lit d'un mĂštre cinquante de hauteur (lidĂ©ka) dans lequel dort l'initiĂ©e

Claustration

Jeune fille loango - Extrait de planche de profils de type négro-africain datant de 1914
Tchikumbi (jeunes nubiles) vers 1900.

DĂšs les premiers signes de la pubertĂ©, la jeune fille est soumise Ă  la surveilance accrue des femmes de son entourage (mĂšre, sƓurs, tantes, voisines). Ces derniĂšres sont Ă  l'affĂ»t de son premier sang menstruel.

"Wakh tchikumbi yééeeh!..."

Exclamation lancée dans les maisons, pour signaler qu'une jeune fille va pouvoir effectuer ledit rituel.

L'apparition des premiÚres menstrues donne le départ de ce rite. Pendant cette période de claustration qui dure de quelques mois à deux ans, une matrone et son entourage, enseignent à la tchikumbi, les interdits et les obligations que la collectivité Vili attend d'elle en tant que membre à part entiÚre, future épouse et future mÚre[1]. La tchikumbi (vierge en cours d'initiation rituelle) est confinée dans une case avec des filles de son ùge, appelées les bana-bankama. Elle doit en sortir vierge, de peur de s'attirer les foudres de la collectivité et de jeter l'opprobre sur sa famille.

On lui enseigne la danse mais aussi les travaux mĂ©nagers, la vannerie, la connaissance des mythes relatifs Ă  la vie de l’Homme (cosmogonie) et surtout le respect des innombrables interdits appelĂ©s « Tchina ».

Le lendemain matin, une matrone vient réveiller la tchikumbi et ses accompagnatrices en tapant des mains et en entonnant le refrain :

" KwĂŁga lele mvulumunianu, KwĂŁga lele tchinumuka " (bis)

" Découvrez-là de son drap, elle dort encore, réveillez-là "

Lorsqu'une jeune fille entre en tchikumbi, c'est qu'un prétendant s'est manifesté ou alors, que les familles se sont mises d'accord pour unir un homme et une jeune fille de leurs familles respectives.

La durĂ©e de la claustration Ă©tait fonction de la rapiditĂ© avec laquelle, le fiancĂ© avait construit la case dans laquelle, il alliait accueillir sa future Ă©pouse. En plus d'Ă©quiper son logement, il fallait prĂ©parer la dot, les vĂȘtements, et les ustensiles de cuisine Ă  remettre Ă  la belle-famille. Cette capacitĂ© de rĂ©action Ă©tait le fait de notables bien Ă©tablis qui Ă©pousaient les jeunes filles au grand dam des jeunes gens, qui devaient patienter quelques annĂ©es plus tard, sauf s'ils Ă©taient issus de famille aisĂ©e[3].

Tchi-Kumbi-Jeune fille nubile et ses parures.

Les éléments de parure indispensables pour le cérémonial sont:

Bracelet en cuivre (monnaie d'échange, bijou porté sur les bras, jambes et orteils - Collection Tropenmuseum
  • Tukula : poudre Ă  base de racines de padouk (tchisesa ou sonukamini chez les Woyo de Yabi au Cabinda) pour embellir la peau. Elle s'obtient en Ă©crasant du sable de silice avec du kaolin entre deux plaques de padouk ou d'acajou.
  • Luandu (tapis) et N'kuala ou Luvubi (nattes ): serviront de couchettes Ă  la tchikumbi
  • Masani (singulier : lisani): grande et petite jupe de toile blanche imbibĂ©es d'huile de palme et de tukula
  • Mpufa: cache-seins ornĂ©s de boutons multicolores
  • Sindetchik' : diadĂšme ornĂ© de perles fines multicolores pour affermir le front
  • Milunga-mioko : bracelets de cuivre d'acier et de bronze couvrant les avant-bras du poignet Ă  la saignĂ©e du coude. Ils renforcent la soliditĂ© des bras notamment pour effectuer les travaux champĂȘtres
  • Milunga-malu : chevillĂšres ou bracelets dans les mĂȘmes matĂ©riaux que les prĂ©cĂ©dents et couvrant les jambes des chevilles Ă  la base des genoux. Ils consolident les jambes et la taille. Ces bracelets servaient Ă©galement de monnaie d'Ă©change.
  • Si-zimbu Makadadu : colliers de perles rouge qui affermissent le cou, dans l'optique du transport des objets de la vie quotidienne sur la tĂȘte
  • Missanga : ceinture de perles multicolores pour affermir les reins
  • Li-lasola : drap de toile de couleur blanche
  • La coupe de cheveux est coupĂ©e Ă  ras.

Tous les jours, la tchikumbi s'enduit systématiquement de tukula et se pare de tous les ornements cités plus haut. Elles s'occupent en tressant les femmes qui lui rendent visite, joue aux cartes, tisse des nattes et se détend en jouant un instrument de musique appelé tchiyenga[4].

La tchikumbi ne recevra l'autorisation de se laver qu'à l'issue de la claustration. Sa jupe de raphia (lisani) imprégnée de mwamb' (pulpe de noix de palme) n'est pas lavée. La poude de tukula tombée du corps de la jeune fille constitue un produit particuliÚrement efficace dans les opérations de sorcellerie. La nubile est de ce fait mise à l'abri de tout individu à la réputation de ndotchi (sorcier) plus ou moins établie.

Alors que de nos jours, la virginité n'est plus primordiale, il y a quelques décennies, une jeune femme ne se mariait que si elle était vierge. Elle pouvait atteindre l'ùge de vingt-cinq ans avant de tomber enceinte[5].

Dans un pays trĂšs majoritairement urbain, ce rituel tend Ă  disparaĂźtre, notamment du fait de l’urbanisation galopante et des brassages culturels qui s’opĂšrent dans les grandes agglomĂ©rations[6].

Aujourd'hui, cette cérémonie a plus une valeur symbolique lors des mariages coutumiers, en mettant par exemple en valeur les atours traditionnels portés par la jeune mariée ou la mise en valeur de groupes folkloriques[7] - [8].

Case de la Tchikumbi

Autrefois, il s'agissait d'une cabane d'une seule piÚce, construite à l'écart de la maison familiale afin d'isoler l'initiée et d'éviter les désagréments du rituel (vacarme...).

Les Portugais en dĂ©couvrant cette pratique la qualifiĂšrent sous le vocable de "casa das tintas[9]"[10] (la maison des peintures), Ă  cause de la couleur rouge dont la case et les vĂȘtements des tchikumbi Ă©taient recouverts.

Les vili l'appelle " Nzo-kumbi " (maison de la tchikumbi).

Pour Tchicaya U Tam'si, le rouge est " le rappel de la couleur du sang, le signe de sa promotion parmi ses ainées, signe de noblesse aussi, qu'il ne faut pas découvrir à un homme "[11].

De nos jours, on réserve une piÚce dans l'habitation principale.

Arts

Peintures

  • L'artiste DoctrovĂ©e Bansimba nĂ©e en 1985 a peint les tableaux " Tchikumbi " et " Tchikumbi II" en 2017 (acrylique et encre sur toite; 73 X 61 cm, lors de l'exposition " La Matrone, Le Sud "[14] - [15] - [16]

Comédie musicale

" La malediction de la Tchikumbi " scenario et mise en scĂšne de Meiji U Tum'si (1998)[17] - [18].

Danse contemporaine

" Neuf couches de rouge, la tchikoumbi furiosa " (« la tchikoumbi vĂ©hĂ©mente, impĂ©tueuse, en folie ») du chorĂ©graphe congolais DeLaVallet Bidiefono, en collaboration avec les slameurs des collectifs Styl’oblique et Art plume (Auguste, Ariane 04,Jordan, Mascara, Djimi, Fredy et Gilles Douta). Ceux-ci ont Ă©crit des textes relatant la place de la femme aussi bien bĂąillonnĂ©e que marginalisĂ©e dans la sociĂ©tĂ©. C'est la danseuse Vesna Mbelani des groupes CAP Congo et Peutch qui a jouĂ© le rĂŽle de la Tchikumbi. Le trompettiste May’s Bantsimba a accompagnĂ© la vĂ©hĂ©mence de la danseuse[19].

Dans cette tragédie de style antique, adaptée à une considération contemporaine, les vingt artistes ont mis en avant le corps de la femme au nom de toutes les autres, dans un jeu de questions-réponses entre le personnage féminin et la communauté[20].

Anthropologie

Durant les missions photographiques des Forces françaises libres en Afrique, en 1942, à Massabé, de superbes photographies de tchikumbi ont été réalisées, grùce à la collaboration entre la photographe allemande Germaine Krull (1897-1985), Robert Carmet et Bernard Lefebvre dit « Ellebé »[21] - [22] - [23].

Roman

  • Victor Kokolo, L'Ă©cho de Tchikoumbi (Roman), Paris, Doxa Editeur Militant, coll. « La Librevilloise », , 121 p. (ISBN 978-2-917576-73-1)

Bibliographie

Vidéographie

Audiographie

Ces archives radiophoniques d'initiation de Bwanga ont été collectées par le couple de musicologues Henri et Eliane Barat-Pepper[24] entre le et le . Ce couple a également composé la musique de la messe de piroguiers de Sainte-Anne du Congo.

Références

  1. Frank Hagenbucher-Sacripanti, Les fondements spirituels du pouvoir au royaume de Loango : RĂ©publique du Congo, Paris, ORSTOM, (lire en ligne), p. 34-36
  2. Emmanuel Vangu Vangu, SexualitĂ©, initiations et Ă©tapes du mariage en Afrique : Au cƓur des rites et des symboles, Éditions Publibook, , 234 p. (ISBN 978-2-7483-8601-1, lire en ligne), p. 132-135
  3. « L'or des femmes - Continents Noirs - Gallimard », sur www.gallimard.fr, (consulté le )
  4. Joseph Tchiamas, Coutumes,Traditions et Proverbes Vili, Paris, Books On Demand, , 132 p. (ISBN 978-2-322-01524-5, EAN 9782322015245)
  5. Catherine Sabinot, Dynamique des savoirs et des savoir-faire dans uncontexte pluriculturel. Étude comparative des activitĂ©s littorales au Gabon, Paris, Museum national d’histoire naturelle - MNHN, coll. « Anthropologie sociale et ethnologie », (lire en ligne), p. 58
  6. Hugues Prosper Mabonzo, « Chorégraphie : DeLaVallet Bidiefono raconte la Tchikoumbi à travers la danse contemporaine | adiac-congo.com : toute l'actualité du Bassin du Congo », sur www.adiac-congo.com, (consulté le )
  7. Lucie Prisca Condhet N’Zinga, « Tradition : LaurĂ©ate Mberi Mbini s'engage Ă  promouvoir le Tchikumbi », sur www.adiac-congo.com : toute l'actualitĂ© du Bassin du Congo, (consultĂ© le )
  8. « Les écoles de danse du Kouilou », sur Congopage, (consulté le )
  9. (en) Phyliis M. Martin, Catholic Women of Congo Brazzaville : Mothers ans Sisters in trouble times, Bloomington (Ind.), Indiana University Press - Bloomington & Indianapolis, , 263 p. (ISBN 978-0-253-35281-1), p. 34-36
  10. (pt) Emily Sumbo, « Tchikumbi, casa de tinta », Revista Cabinda,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  11. Tchicaya U Tam' Si (prĂ©f. Henri Lopes, postface Boniface Mongo-Mboussa), La trilogie romanesque. Les cancrelats, Les mĂ©duses, Les phalĂšnes : ƒuvres complĂštes, II, Paris, Gallimard, coll. « Continents Noirs », , 976 p.
  12. « Tradition : une confĂ©rence s’est tenue sur le Tchikoumbi dans la capitale Ă©conomique | Congo Actuel », sur congoactuel.com, (consultĂ© le )
  13. Par Hugues Prosper Mabonzo, « Congo-Brazzaville: Vernissage - Le Tchikumbi au bout du pinceau de Trigo Piula », sur allAfrica.fr, (consulté le )
  14. (en) « Doctrovée Bansimbwa | Tchikumbi II (2017) | Available for Sale | Artsy », sur www.artsy.net (consulté le )
  15. (nl) « Doctrovée Bansimba: Tchikumbi », sur SBK (consulté le )
  16. Job Olivier Ikama, « DoctrovĂ©e Bansimba : synthĂšse d’une « insoutenable lĂ©gĂšretĂ© de l’ĂȘtre » et d’une poĂ©sie de la « pesanteur » de la vie. », sur parenthesedelart, (consultĂ© le )
  17. « Nigercultures | Meiji U Tum'si », sur www.nigercultures.net (consulté le )
  18. « Théatre et Formationsartistiques », sur Meiji U Tum'Si, Liele site offic (consulté le )
  19. RĂ©gina Sambou et Émeraude Kouka, « Danse contemporaine: Neuf couches de rouge/ La tchikoumbi furiosa », sur @friCulturelle, (consultĂ© le )
  20. Bruno Okokana, « Danse contemporaine : Le spectacle « La Tchikoumbi » plus qu’épatant | adiac-congo.com : toute l'actualitĂ© du Bassin du Congo », sur adiac-congo.com, (consultĂ© le )
  21. « Rite Tchikumbi : Danse d’une jeune fille Bavili (Loango) Ă  la recherche d’un mari – Librairie Le Pas Sage », (consultĂ© le )
  22. « ANOM Images », sur anom.archivesnationales.culture.gouv.fr, (consulté le )
  23. (en) « Tchikumbi Rite: Ankles trimmed with bracelets – Librairie Le Pas Sage », (consultĂ© le )
  24. « Éliane Barat », sur data.bnf.fr (consultĂ© le )
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