Le Suivi Thérapeutique Pharmacologique (STP) (en anglais Therapeutic drug monitoring (TDM)), ou « suivi thérapeutique des médicaments », (ou encore « pharmacovigilance thérapeutique ») est une branche « clinique » de la chimie et surtout de la pharmacologie, spécialisée dans la détermination des taux sanguins de médicaments. Son intérêt est de permettre une surveillance précise des substances pharmacologiquement actives ayant un index thérapeutique étroit, c'est-à -dire des médicaments pour lesquels un sous-dosage ou surtout un sur-dosage peuvent s'avérer délétères[1]. Le STP vise à adapter les posologies d'un médicament pour un patient donné, sur la base de l'expérience clinique ou d'essais thérapeutiques ayant démontré son utilité chez tous les patients recevant ce médicament ou chez un sous-groupe d'entre eux. Un tel ajustement de posologie peut être effectué a priori, en référence à des données pharmacogénétiques, démographiques ou cliniques, ou a posteriori en référence à la mesure des taux circulants de médicaments (pharmacocinétique) ou de marqueurs biologiques des effets du traitement (pharmacodynamie)[2].
De nombreux paramètres sont à prendre en compte dans l'interprétation des taux circulants des médicaments : notamment le moment du prélèvement par rapport à l'heure d'administration de la dernière dose, la voie d'administration, la posologie actuelle, les conditions d'acheminement et de stockage de l'échantillon, la précision et l'exactitude de la technique de dosage, la validité reconnue des modèles pharmacocinétiques, la possibilité d'interactions médicamenteuses et finalement l'état clinique du patient, à ne pas négliger (à savoir ses comorbidités associées, ses fonctions rénales et hépatiques, sa tolérance envers le traitement etc.)[3].
Plusieurs professionnels de santé (médecins, pharmacologues cliniques, pharmaciens, infirmières, laborantins, etc.) sont impliqués dans le suivi thérapeutique pharmacologique, qui représente véritablement une prise en charge multi-disciplinaire. Toute erreur affectant un des maillons de la chaîne peut être délétère pour la surveillance du traitement et l'optimisation de sa posologie. Une bonne organisation des différentes étapes du processus est donc fondamentale[3].
Sommaire
- Suivi thérapeutique « prospectif » (A priori)
- Suivi thérapeutique « rétrospectif » (A posteriori)
- Particularités des médicaments nécessitant une surveillance biologique des taux sanguins circulants
- Comment se pratique le suivi thérapeutique pharmacologique ?
- Notes et références
- Liens externes
Suivi thérapeutique « prospectif » (A priori)
« Le suivi thérapeutique "prospectif" consiste à définir la posologie d'un médicament qui doit être administrée en début de traitement, en se basant sur les études cliniques disponibles et sur les relations pharmacocinétiques/pharmacodynamiques mises en évidence lors des essais thérapeutiques sur des populations déterminées. Ces connaissances aident à identifier d'éventuelles sous-populations de patients nécessitant une adaptation de posologie, selon leurs caractéristiques démographiques, leurs particularités cliniques, leurs paramètres biologiques, voire des facteurs pharmacogénétiques lorsqu'il en existe de pertinents. »
— Comité exécutif IATDMCT, Definition of TDM[2].
Suivi thérapeutique « rétrospectif » (A posteriori)
Le suivi thérapeutique « rétrospectif » correspond à la signification usuelle du STP en pratique médicale, qui fait essentiellement référence au réajustement de la posologie d'un médicament à la suite de la mesure de sa concentration circulante ou d'un marqueur biologique de son efficacité.
« Le STP "rétrospectif" :
- comprend une phase pré-analytique, une phase analytique et une phase post-analytique, chacune d'égale importance ;
- s’appuie le plus souvent sur une mesure précise, sensible et spécifique du médicament ou de ses dérivés actifs et/ou toxiques, sur un échantillon sanguin recueilli au moment approprié et dans des conditions adéquates ; la mesure peut aussi porter sur un ou plusieurs marqueurs biologiques d'efficacité ou de toxicité du traitement (concentrations circulantes de composés endogènes, activité enzymatique, expression génique, etc.) ;
- nécessite une interprétation soigneuse des résultats obtenus, à la lumière des conditions pré-analytiques, des informations cliniques sur le patient et de l'efficacité rapportée pour les posologies administrées ; cette interprétation peut se fonder sur une modélisation des relations pharmacocinétiques/pharmacodynamies du médicament ;
- peut tirer parti d'une modélisation pharmacocinétique/pharmacodynamie de population permettant d'élaborer des prédictions pharmacocinétique individuelles, faisant éventuellement intervenir des données pharmacogénétiques propres au patient.  »
— Comité exécutif IATDMCT, Definition of TDM[2].
Particularités des médicaments nécessitant une surveillance biologique des taux sanguins circulants
En pharmacothérapie, de nombreux médicaments sont utilisés sans surveillance de leur taux sanguin, le plus souvent parce que leur concentration peut varier de façon importante sans affecter l'effet clinique attendu du produit, ou que le simple suivi clinique de leur efficacité suffit à ajuster leur posologie. Néanmoins, pour un groupe restreint de substances pharmacologiquement actives, le suivi clinique se révèle insuffisant et une surveillance des taux circulants est souhaitable. Ce sont les médicaments pour lesquels des taux infra-thérapeutiques peuvent conduire non seulement à une inefficacité du traitement mais également à l'émergence de résistances, et des taux excessifs peuvent être toxiques et entraîner des lésions d'organes (exemples des thérapeutiques néphrotoxiques ou ototoxiques).
Les critères désignant un médicament comme candidat à des dosages sanguins et à un suivi thérapeutique pharmacologique sont les suivants :
- l'existence de relations pharmacodynamiques bien caractérisées entre les taux sanguins circulants du médicament et ses effets pharmacologiques ou toxiques,
- l'existence d'une variabilité pharmacocinétique importante entre les patients, faisant qu'une posologie standard peut occasionner des concentrations très différentes d'un patient à l'autre (alors que la cinétique du médicament chez un patient donné reste relativement stable),
- une fenêtre thérapeutique étroite, interdisant de recourir à des doses très élevées pour s'assurer d'une efficacité chez tous les patients,
- une incapacité du seul suivi clinique à permettre l'optimisation de la posologie
- une durée habituellement prolongée et une importance médicale du traitement justifiant des efforts d'optimisation posologique,
- la survenue de problèmes d'adhésion thérapeutique auxquels le STP serait susceptible de remédier.
Cette surveillance des taux sanguins circulants peut également servir à mettre en évidence des empoisonnements médicamenteux.
Exemples de médicaments largement reconnus pour bénéficier d'un suivi thérapeutique :
- Antibiotiques de la classe des Aminosides (gentamicine, amikacine)
- Antiépileptiques (carbamazépine, phénytoïne, acide valproïque, lamotrigine)
- Thymorégulateurs (citrate de lithium)
- Antipsychotiques (clozapine)
- Digitaliques (digoxine)
Le STP est de plus en plus régulièrement proposé pour de nouvelles classes de médicaments, comme divers antibiotiques, les anticancéreux ciblés, les agents biologiques anti-TNF, les antifongiques, les antirétroviraux utilisés contre le VIH, les médicaments psychiatriques etc.
Comment se pratique le suivi thérapeutique pharmacologique ?
Pour les médicaments couramment mesurés dans le sang, les laboratoires d'analyses médicales disposent de méthodes largement automatisées, telles que les dosages immuno-enzymatiques ou la polarisation de fluorescence. Pour la plupart des autres médicaments, il est possible de développer des méthodes de dosage spécifiques par chromatographie liquide ou gazeuse couplée à une détection par spectrométrie de masse. Cependant, le STP ne se résume pas à l'utilisation d'une méthode analytique sensible, précise et efficiente pour mesurer un médicament; il implique aussi de fournir au médecin demandeur une interprétation clinique adéquate du résultat, fondée sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles.
Les étapes à suivre pour interpréter un résultat de taux sanguin de médicament sont les suivantes :[4]
- On détermine tout d'abord si la concentration observée est comprise dans les « valeurs normales » attendues sous la posologie administrée, compte tenu des caractéristiques individuelles du patient. On se réfère pour cela aux données d'études pharmacocinétiques de population disponibles pour le médicament en question.
- On évalue ensuite si le profil de concentration du patient concerné est proche de la « cible d'exposition » associée au meilleur rapport entre probabilité de succès thérapeutique et risque de toxicité. On se fonde ici sur les données de pharmacodynamie décrivant les relations dose-concentration-réponse dans la population des patients traités.
- Si le taux mesuré chez le patient s'avère plausible mais qu'il est éloigné de la cible souhaitée, on détermine enfin comment ajuster la posologie du médicament afin de rapprocher sa courbe de concentration d'une exposition optimale. Plusieurs stratégies sont applicables, allant de la simple règle de trois à des calculs complexes reposant sur l'inférence bayésienne à partir de données pharmacocinétiques de population, qui nécessitent des outils informatiques dédiés.[5]
Dans l'idéal, l'utilité clinique d'un STP devrait être confirmée par des travaux de médecine fondée sur les preuves, reposant sur des essais cliniques bien conçus. Pratiquement toutefois, bien peu de dosages de médicaments ont fait l'objet d'une évaluation clinique formelle, et le développement du STP repose encore largement sur l'empirisme éclairé.
Cependant, on voit apparaître des techniques miniaturisées amenant toutes sortes de tests biologiques au site de prise en charge médicale (point-of-care tests). Certains de ces développements concernent la mesure de concentrations médicamenteuses et pourraient favoriser l'expansion du STP dans les structures de soins ambulatoires.[6]
Notes et références
- Marshall WJ, Bangert SK. Clinical Chemistry, 6th Edition. Edinburgh, London: Mosby Elsevier. 2008. (ISBNÂ 978-0723434559)
- IATDMCT Executive Committee. "Definition of TDM", 2004, accessed July 18, 2011.
- Burton ME, Shaw LM, Schentag JJ, Evans, WE. Applied Pharmacokinetics & Pharmacodynamics, 4th Edition. Baltimore, Philadelphia: Lippincott Williams & Wilkins. 2006. (ISBNÂ 978-0781744317)
- Buclin T, Thoma Y, Widmer N, André P, Guidi M, Csajka C, Decosterd LA, « The Steps to Therapeutic Drug Monitoring: A Structured Approach Illustrated With Imatinib », Frontiers in Pharmacology, vol. 11, no 3,‎ , p. 177 (PMID 32194413, PMCID 7062864, DOI 10.3389/fphar.2020.00177)
- Fuchs A, Csajka C, Thoma Y, Buclin T, Widmer N, « Benchmarking therapeutic drug monitoring software: a review of available computer tools », Clinical Pharmacokinetics, vol. 52, no 1,‎ , p. 9–22 (PMID 23196713, DOI 10.1007/s40262-012-0020-y)
- Meneghello A, Tartaggia S, Alvau MD, Polo F, Toffoli G, « Biosensing technologies for therapeutic drug monitoring », Current Medical Chemistry, vol. 25, no 34,‎ , p. 4354–77 (PMID 28724346, DOI 10.2174/0929867324666170720101736)
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Therapeutic drug monitoring » (voir la liste des auteurs).