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Signes de piste

Signes de piste (en arabe : مŰčŰ§Ù„Ù… في Ű§Ù„Ű·Ű±ÙŠÙ‚, Ma'alim fi al-Tariq) est un essai politico-religieux de l'Ă©crivain islamiste Ă©gyptien Sayyid Qutb paru en 1964. Best-seller dans le monde arabe[1] et considĂ©rĂ© comme le brĂ©viaire des islamistes, il expose de maniĂšre synthĂ©tique la doctrine de Qutb.

Signes de piste
Titre original
(ar) مŰčŰ§Ù„Ù… في Ű§Ù„Ű·Ű±ÙŠÙ‚
Langue
Auteur
Sujet
Pensée musulmane (d)
Date de parution
Pays

Contexte

L'ouvrage est écrit en prison par Qutb, qui sera exécuté quelques années plus tard. Les circonstances de sa rédaction participent de l'aura de l'ouvrage et en font le testament d'un visionnaire martyre.

Intertexte

Signes de piste reprend 4 des 12 chapitres du commentaire exĂ©gĂ©tique de Qutb, À l'ombre du Coran.

Il reprend au thĂ©ologien du XIIe siĂšcle Ibn Taymiyya l'idĂ©e centrale que toute loi ne se prĂ©valant pas de la chariah doit ĂȘtre combattue, et tout souverain, mĂȘme musulman, s'appuyant sur une telle loi doit ĂȘtre combattu lui aussi.

L'influence du penseur islamiste pakistanais contemporain Sayyid Abul Ala Maududi est Ă©galement nettement visible, avec la reprise de deux concepts au moins :

  • al-'ubudiyya, ou adoration : c'est l'idĂ©e d'une maniĂšre d'attester de la divinitĂ©, non seulement par la priĂšre mais aussi par l'obĂ©issance.
  • al-hakimiyya ou souverainetĂ© exclusive de Dieu : c'est l'idĂ©e que tout pouvoir doit venir de Dieu. Cela exclut les pouvoirs laĂŻcs mais plus largement toutes les rĂšgles et lĂ©gislations qui ne se rattachent pas Ă  la chariah.

L'ouvrage apporte donc des nouveautĂ©s radicales dans son dualisme entre l'islam, le petit groupe de ceux qui obĂ©issent Ă  la souverainetĂ© exclusive de Dieu, et la jĂąhilĂźya (la pĂ©riode d'« ignorance » prĂ© islamique) qui inclut non seulement les peuples d'avant l'islam, mais aussi les peuples non musulmans, notamment occidentaux, et mĂȘme les peuples musulmans qui ne vivent pas intĂ©gralement sous la chariah.

RĂ©ception

Signes de piste reste un des best-seller de l'édition arabe durant un demi-siÚcle et gagne l'influence des classiques. Il est apprécié pour le nombre resserré de ses idées et sa vision synthétique presque mystique, ou critiqué pour les aspects monomaniaques et paranoïaques de ses développements, ou leur manque de logique.

En tout état de cause, de nombreux commentateurs en font un des textes fondateurs du djihadisme du XX-XXIe siÚcle. Henry Kissinger dans Word Order souligne ainsi que la maniÚre de délégitimer toute autorité qui ne soit pas strictement d'ordre théologique aboutit à armer intellectuellement des groupes antiétatiques et entretient la défiance des peuples arabes envers leurs dirigeants[2].

Le guide suprĂȘme des FrĂšres musulmans, Hassan al-Hudaybi (en), dont faisait partie Sayyid Qutb, mesure la dangerositĂ© des thĂšses dĂ©fendues dans l'ouvrage et Ă©crit Ă  partir de 1969 une Ɠuvre en rĂ©ponse, intitulĂ©e PrĂ©dicateurs, pas juges. Elle refuse d'assimiler le monde musulman contemporain Ă  la jĂąhilĂźya et en particulier Ă  dĂ©clarer le prĂ©sident Ă©gyptien Gamal Abdel Nasser sorti de l'islam; elle rĂ©fute de mĂȘme la notion d'al-hakimiyya, en soulignant qu'il n'en est pas fait mention dans le Coran[3]. Les FrĂšres musulmans devront toujours se dĂ©marquer des Qutbistes proposant une vision radicale de leur idĂ©e d'un État islamique.

À l'inverse, les notions d'hakimiyya, de djihad et de JĂąhilĂźya de Qutb inspirent l'opposition au shah d'Iran en tant que monarque sorti de l'islam, puis la rĂ©volution islamique iranienne : Navvab Safavi, mort lui aussi en prison pour ses thĂ©ories tendances conspiratives, est le chaĂźnon intermĂ©diaire entre Sayyid Qutb et le concept de velayat-e faqih de Khomeini. Signes de piste est d'ailleurs traduit par l'actuel guide de la RĂ©volution, Ali Khamenei avant la rĂ©volution de 1979.

Résumé

Voici la progression du propos de Qutb, chapitre par chapitre[4]:

Introduction

L’ñge d’or occidental, pĂ©riode d’invention scientifique et de prospĂ©ritĂ© matĂ©rielle, prend fin par manque de perspective spirituelle. La pĂ©riode actuelle est marquĂ©e par la Jahiliyyah, l’ignorance des ordres divins : l’homme veut dominer seul et en cela crĂ©e un systĂšme d’oppression (communiste ou capitaliste-impĂ©rialiste) gĂ©nĂ©ralisĂ©. C’est donc Ă  l’islam comme rĂ©gĂ©nĂ©rateur spirituel de prendre le relais, d’autant plus qu’il ne s’oppose pas Ă  la prospĂ©ritĂ© matĂ©rielle. Sa renaissance doit prendre une forme concrĂšte, et plus prĂ©cisĂ©ment la forme d’une nation. Or il faut Ă  cette renaissance une avant-garde, dont le livre sera le manuel.

1. La génération unique du Coran

Autour de Mohammed, une concentration inouie dans l’histoire d’hommes exceptionnels s’est levĂ©e. Ce qui fait leur caractĂšre exceptionnel est leur rapport au Coran, alors leur seul livre, alors qu’aprĂšs les Musulmans vont mĂȘler des sources juives, persanes, romaines, chrĂ©tiennes. De fait, nous sommes depuis retournĂ©e Ă  une pĂ©riode de Jahiliyyah. Il faut donc retourner au texte du Coran, et le prendre comme des instructions et non comme une Ɠuvre culturelle ou intellectuelle.

2. La nature de la méthode du Coran

Pendant la pĂ©riode mecquoise, Mohammed n’impose pas l’islam par la force ou en s’alliant la noblesse, car il ne veut pas Ă©tablir une oppression politique sous une nouvelle forme. Il ce commence pas un mouvement nationaliste ou rĂ©formiste, ou une rĂ©volution Ă©conomique : non, il s’en tient Ă  un message spirituel – il n’y a de dieu que dieu, c’est-Ă -dire que tous les aspects de la vie doivent ĂȘtre soumis Ă  Dieu– et permet une Ă©lĂ©vation morale exceptionnelle. Ce qui est premier est donc le rapport spirituel (de soumission) Ă  Dieu, et le corpus de prĂ©ceptes moraux et lĂ©gislatifs ne vient qu’aprĂšs, en consĂ©quence logique de cette place centrale du spirituel dans la vie du musulman. A noter que ce message spirituel qui fait l’essentiel du coran mecquois n’est pas un traitĂ© de thĂ©ologie pure donnĂ© en un bloc, mais des recommandations distillĂ©es peu Ă  peu Ă  une communautĂ© spirituelle d’humains – les Musulmans. Le retour au fondement spirituel de l’Islam va Ă  l’encontre de la tendance actuelle Ă  chercher une modernisation des interprĂ©tations et de la jurisprudence (Fiqh) qui fait croire que rajouter quelques chapitres de jurisprudence est le meilleur moyen de faire renaĂźtre l’islam.

3. Les caractéristiques de la société islamique et la méthode correcte pour la former

La sociĂ©tĂ© islamique s’est formĂ©e autour d’un meneur, Mohammed, et comme une sociĂ©tĂ© organisĂ©e de purs face Ă  une sociĂ©tĂ© organisĂ©e de Jahiliyyah, c’est-Ă -dire une sociĂ©tĂ© organisant l’exploitation des hommes par d’autres groupes, avec ses propres valeurs qui ne sont pas divines (l’impĂ©rialisme britannique : appĂ©tit de gain ; le communisme : idĂ©e que l’homme est rĂ©duit Ă  un ventre) et qu’elle est prĂȘte Ă  dĂ©fendre contre tout ce qui la menace.

4. Le jihad au nom de Dieu

Face Ă  des orientalistes perfides accusant l’islam d’ĂȘtre une religion violente, des savants musulmans - Mohammed Abduh est visĂ©[3] - ont cru bon de donner au mot jihad un sens restreint de guerre, et plus particuliĂšrement de guerre dĂ©fensive (du domaine de l’islam, rĂ©duit Ă  la PĂ©ninsule arabique). Or le jihad est plutĂŽt une guerre de libĂ©ration de tout homme (sur tous les hommes et autoritĂ©s qui veulent le soumettre, ou sur ses propres dĂ©sirs) : en effet, l’homme ne peut se soumettre qu’à Dieu et non Ă  des pouvoirs qui se fondent sur d’autres principes.

5. La ilaha illa Allah – le mode de vie de l’islam

"Il n’y a pas d’autres dieux que Dieu". Ce mode de vie s’oppose Ă  toutes les sociĂ©tĂ©s jahili, cad Ă  toutes les sociĂ©tĂ©s actuelles : 1) aux communistes, qui vivent comme des animaux (manger, dormir, copuler) 2) aux cultures polythĂ©istes comme l’Inde mais aussi 3) aux Juifs et aux chrĂ©tiens qui ont mĂ©langĂ© le divin avec du non-divin et Ă©tablit des lois qui ne sont pas la loi de Dieu (la chariah) 4) aux sociĂ©tĂ©s musulmanes mĂȘmes, car aujourd'hui elles ne vivent pas soumises Ă  Dieu.

6. La loi universelle

L’homme, dans l’islam, peut trouver sa place juste dans la crĂ©ation et obĂ©ir Ă  la loi universelle, qui ordonnance tout le crĂ©Ă©.

7. L’islam est la rĂ©elle civilisation

La civilisation est un concept occidental. Mais en fait, tous les groupements humains sont arriĂ©rĂ©s , seul l’Islam est civilisĂ©, car ses valeurs sont vraiment humaines puisque personne n’y est l’esclave d’un autre homme (mais de Dieu lui-mĂȘme). Il trouve un dĂ©veloppement humain dans la famille : les femmes s’en occupent, plutĂŽt que des tĂąches jahili comme de sĂ©duire et de flirter, ou de travailler dans une entreprise. L’homosexualitĂ© ou l’adultĂšre des pays occidentaux est un signe d’animalisation, donc d’arriĂ©ration par rapport Ă  un idĂ©al de civilisation humaine.

La sociĂ©tĂ© islamique n’est pas soumises aux lois de l’histoire : son origine et sa formation ne peuvent s’expliquer en termes marxistes (degrĂ© d’industrialisation) mais par et pour la volontĂ© de Dieu seul. Elle a un dĂ©veloppement de croissance organique, oĂč l’individu et le tout de la communautĂ© croissent ensemble, Ă  tout moment de l’histoire : Par exemple, quand les Musulmans ont pĂ©nĂ©trĂ© en Afrique noire, ils ont apportĂ© la civilisation en vĂȘtant les Africains nus et en leur faisant dĂ©couvrir la joie du travail et la recherche des ressources.

8. Le concept et la culture islamiques

Adoration, croyance et souverainetĂ©, trois attitudes face aux lois qui doivent ĂȘtre tournĂ©es vers Dieu. La Charia doit ĂȘtre entendue dans un sens trĂšs extensif comme lois naturelles et surnaturelles, mais aussi lois politiques, sociales, Ă©conomiques et encore lois morales, us et coutumes. Dans l’art, l’artiste ne fait que figurer les lois de la nature rĂ©gies par Dieu. Dans la culture, dire que la culture est l’hĂ©ritage commun de l’humanitĂ© est possible mais dangereux : souvent les Juifs manipulent cette notion de culture pour mener Ă  bien leurs projets diaboliques (tenir l’humanitĂ© par l’usure, notamment). Dans les sciences abstraites – « chimie, physique, biologie, astronomie mĂ©decine, industrie, agriculture, administration (limitĂ©e Ă  ses aspects techniques), technologie, sciences militaires » - il est permis Ă  un musulman d’apprendre d’un non-musulman car ces sciences ne sont pas liĂ©es Ă  la charia. Dans les cas limites (science de l’origine de la vie, question de l’évolution et du darwinisme), il faut se fier seulement Ă  un musulman pieux. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la science occidentale, basĂ©e sur la mĂ©thode expĂ©rimentale, vient d’Andalous, et prouve la vigueur de l’Islam qui a hĂ©las ensuite connu une pĂ©riode d’éclipse. TransplantĂ©e en occident, elle s’est dĂ©tachĂ©e de l’Église et de Dieu, et a mĂȘme dĂ©sormais des intentions athĂ©es, et vise en particulier Ă  dĂ©truire l’islam.

9. La nationalitĂ© d’un musulman et sa croyance

La seule nationalitĂ© du musulman, sa seule patrie, c’est le dar-al-Islam, oĂč l’islam est dominant et oĂč la chariah est mise en place. Les liens de sang, mĂȘme de famille, et de race, s’ils conduisent Ă  la jahiliyyah, ne doivent plus primer pour un musulman.

10. Changements Ă  long terme

Il faut convertir les gens Ă  l’islam. Pour cela, il faut montrer la radicalitĂ© de l’islam, et ne pas essayer de mĂ©nager un Ă©quilibre entre jahiliyyah et islam, car cela est impossible. Il est inutile de dĂ©fendre l’islam en essayant de le faire rentrer dans les cadres de la jahiliyyah : ces dĂ©fenseurs de l’islam salissent l’islam. Il faut au contraire montrer combien la jahiliyyah est indigne. Voici les exemples pris durant mon sĂ©jour aux États-Unis : la TrinitĂ©, le PĂ©chĂ© originel, le Sacrifice et la RĂ©demption, le capitalisme, l’usure, la libertĂ© individuelle, la dĂ©bauche, l’animalitĂ©. Il faut montrer la voix droite de l’islam et les gens, honteux, y viendront.

11. La foi triomphante

Quand bien mĂȘme l’ennemi est tout puissant et opulent, le musulman ne doit pas douter,

12. C’est la voie

Car Dieu est avec lui, et le triomphe de la foi adviendra.

Bibliographie

  • Gilles Kepel, Le ProphĂšte et le pharaon, 1984
  • Olivier CarrĂ©, « Le combat-pour-Dieu et l'État islamique chez Sayyid Qotb, l'inspirateur du radicalisme islamique actuel », Revue française de science politique, 33e annĂ©e, no 4, 1983. p. 680-705
  • Olivier CarrĂ©, Mystique et politique, le Coran des islamistes, Lecture du Coran par Sayyid Qutb, FrĂšre musulman radical (1906-1966), Paris, Cerf, 2004.

Références

  1. "one of the most influential works in Arabic of the last half century", The Age of Sacred Terror, Daniel Benjamin and Steven Simon, New York : Random House, 2002, p.63
  2. “The religious scholar and Muslim Brotherhood ideologist Sayyid Qutb articulated perhaps the most learned and influential version of this view. In 1964, while imprisoned on charges of participating in a plot to assassinate Egyptian President Nasser, Qutb wrote Milestones, a declaration of war against the existing world order that became a foundational text of modern Islamism. In Qutb’s view, Islam was a universal system offering the only true form of freedom: freedom from governance by other men, man-made doctrines, or “low associations based on race and color, language and country, regional and national interests” (that is, all other modern forms of governance and loyalty and some of the building blocks of Westphalian order). Islam’s modern mission, in Qutb’s view, was to overthrow them all and replace them with what he took to be a literal, eventually global implementation of the Quran. The culmination of this process would be “the achievement of the freedom of man on earth—of all mankind throughout the earth.” This would complete the process begun by the initial wave of Islamic expansion in the seventh and eighth centuries, “which is then to be carried throughout the earth to the whole of mankind, as the object of this religion is all humanity and its sphere of action is the whole earth.” Like all utopian projects, this one would require extreme measures to implement. These Qutb assigned to an ideologically pure vanguard, who would reject the governments and societies prevailing in the region—all of which Qutb branded “unIslamic and illegal”—and seize the initiative in bringing about the new order.”
  3. Astrid Colonna Walewski, "Sayyed Qutb", 28/06/2012
  4. Les titres de chapitres sont une traduction de la version anglaise
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