SĹ“urs Mirabal
Les sĹ“urs Mirabal, Patria, Minerva et MarĂa Teresa, sont hĂ©roĂŻnes et martyres de la lutte contre le dictateur Rafael Trujillo, qui dirige la RĂ©publique dominicaine de 1930 Ă 1961. On les surnommait aussi les sĹ“urs « Mariposas » (Papillons).
Introduction
Filles de Mercedes Reyes Camilo dite « Chea » et d'Enrique Mirabal, de riches commerçants dominicains, elles sont nĂ©es Ă Ojo de Agua, dans la commune de Salcedo, qui appartenait alors Ă la province d'Espaillat. Patria Mercedes, l'aĂ®nĂ©e, est nĂ©e le , peu de temps avant que les troupes interventionnistes des États-Unis ne quittent le pays, la seconde fut baptisĂ©e MarĂa Argentina Minerva, nĂ©e le , et la troisième, Antonia MarĂa Teresa, a vu le jour le .
Elles ont effectuĂ© leurs Ă©tudes primaires Ă Ojo de Agua. Plus tard, en 1938, Patria, Minerva et leur seconde sĹ“ur, BĂ©lgica Adela dite « DedĂ© » (nĂ©e le , dĂ©cĂ©dĂ©e le ), sont parties Ă©tudier au collège de la Inmaculada ConcepciĂłn, Ă La Vega. MarĂa Teresa âgĂ©e d'Ă peine trois ans, resta Ă la maison. Des quatre sĹ“urs, Minerva (comme en tĂ©moignent ceux qui l'ont connue dès l'enfance) avait une intelligence prodigieuse et une sensibilitĂ© spirituelle remarquable. Elle dĂ©vorait les livres sur la littĂ©rature et la poĂ©sie et sur son temps libre, s'exerçait Ă la peinture. Les quatre sĹ“urs Mirabal Ă©taient très belles, mais la beautĂ© de Minerva Ă©tait lĂ©gendaire. Dans le collège oĂą elle Ă©tudia, et oĂą elle fut diplĂ´mĂ©e avec des notes excellentes en 1946, elle prit part Ă diverses Ĺ“uvres théâtrales ainsi qu'Ă d'autres activitĂ©s culturelles oĂą elle se plaisait Ă prendre la parole. Elle deviendra la première femme Doctorante en droit du pays en 1957[1].
Le tournant de leur destin
En , Minerva et ses parents sont invités par les autorités provinciales à une fête à Santiago, au Palais du Gouvernement, en l'honneur du dictateur Trujillo. C'est le début d'un tournant tragique pour toute la famille : Trujillo est attiré par la beauté de Minerva Mirabal[2]. À ce moment, elle fréquentait déjà un jeune dirigeant communiste du nom de Pericles Franco, un des fondateurs du Parti socialiste populaire, incarcéré plusieurs fois pour raisons politiques, et avec lequel elle entretenait une amitié tellement intime que beaucoup soupçonnaient que la relation était plus qu'amicale. Peu de temps après que Trujillo a posé ses yeux sur Minerva, la famille Mirabal reçoit de nouveau, vers la mi-août, une autre invitation du gouvernement, à l'inauguration de l'hôtel Montaña, à Jarabacoa. À cette occasion le dictateur et son fils, Ramfis, dansent avec Minerva. Trujillo lui manifeste alors son attirance, conduite qui déplaît fortement à la jeune fille.
Le , Trujillo organise une nouvelle fête à laquelle il invite à nouveau la famille Mirabal, la fête devant se dérouler à Villa Borinquen, maison de campagne du tyran située dans les alentours de San Cristóbal. L'invitation est apportée à la famille, par le Gouverneur de Moca en personne, Antonio De La Maza et le Sénateur de la province, Juan B. Rojas, signal clair de l'intérêt que portait Trujillo à Minerva. La mère de celle-ci s'oppose à ce qu'elle s'y rende, mais après avoir examiné les implications d'un tel refus, la famille décide d'y aller en groupe : la mère, le père et outre Patria, Minerva et Dedé, les conjoints respectifs de la première et de la troisième, Pedro González et Jaime Fernández. Nouvelle tentative de Trujillo et nouveau refus de Minerva, qui demande cette fois-ci de laisser aussi tranquille le jeune Pericles Franco, demande qui ennuya profondément le dictateur. Mais le pire est que, après cet incident, la famille tout entière s'enfuit précipitamment, déclenchant inexorablement la colère du dictateur, qui vit en cet acte une attitude irrévérencieuse envers sa personne.
Quelques jours plus tard, Enrique Mirabal, qui sur le conseil du gouverneur de Moca, avait envoyĂ© un tĂ©lĂ©gramme d'excuse Ă Trujillo, est arrĂŞtĂ© et conduit en prison. Un peu plus tard, Minerva est arrĂŞtĂ©e ainsi que plusieurs de ses amies : Enma RodrĂguez, Violeta MartĂnez et Brunilda Soñé. Les prisonnières sont interrogĂ©es pendant plusieurs semaines sur les supposĂ©es relations de Minerva avec des membres du Parti Socialiste Populaire, et particulièrement, avec le dirigeant communiste Pericles Franco. Ă€ partir de ce moment, la famille Mirabal, mais surtout Minerva et son entourage, sont sous Ă©troite surveillance, et Trujillo est informĂ© en permanence de toutes ses activitĂ©s. Le père est soumis Ă des humiliations graves et Ă des incarcĂ©rations et brutalitĂ©s menant Ă la fragilisation de son cĹ“ur, puis son dĂ©cès[3].
Naissance du mouvement antitrujillista
Minerva, en vacances Ă Jarabacoa en 1954, rencontre Manuel Aurelio Tavares Justo dit « Manolo », Ă©tudiant de droit, qu'elle Ă©pouse en novembre de l'annĂ©e suivante, malgrĂ© les pressions de Trujillo. Sa sĹ“ur MarĂa Teresa Ă©pouse Leandro Guzmán, un Ă©tudiant de la mĂŞme universitĂ©.
Le climat social de la fin des années 1950 était particulier en l'Amérique latine, à la suite des chutes successives :
- du dictateur colombien Gustavo Rojas Pinilla en 1957 ;
- du général vénézuélien Marcos Pérez Jiménez en 1958 ;
- puis du dictateur cubain Fulgencio Batista, après le triomphe révolutionnaire des forces rebelles de Fidel Castro.
Ces renversements ont ouvert les vannes de la démocratie dans ces pays, et levé l'espoir de changements profonds sur tout le continent.
La RĂ©publique dominicaine n'a pas Ă©chappĂ© Ă cette rĂ©alitĂ©. Et il n'est pas accidentel qu'en janvier 1959 lors d'une rĂ©union familiale dans la rĂ©sidence de Guido D'Alessandro, neveu de Manolo, on trouvât aussi Minerva, MarĂa Teresa, Leandro Guzmán et d'autres, passant en revue la situation politique dans les CaraĂŻbes, et très particulièrement la situation cubaine après le triomphe de Castro, l'hĂ©roĂŻne examina pour la première fois la possibilitĂ© d'organiser un mouvement pour Ă©vincer Trujillo du pouvoir.
D'autre part, l'expĂ©dition armĂ©e du 14 juin en provenance de Cuba, Ă©crasĂ©e par la dictature, influença profondĂ©ment la conscience de la jeunesse dominicaine, Ă tel point que le nouveau mouvement politique antitrujillista choisit de s'appeler "Mouvement du ". Son assemblĂ©e constitutive Ă Mao le , dans l'hacienda de Conrado Bogaert, regroupa des dĂ©lĂ©guĂ©s de nombreux pays, mais seulement deux femmes : Minerva et Dulce MarĂa Tejada GĂłmez. Minerva participa activement en intervenant Ă plusieurs occasions. Pour prĂ©sider le Mouvement du 14-Juin, furent choisis : Manolo Tavares Justo, prĂ©sident, Pipe Faxas, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral et l'ingĂ©nieur Leandro Guzmán, comme trĂ©sorier.
Fin du Mouvement du 14-Juin
Mais quelques jours après le succès de l'Assemblée de Mao, les membres du Mouvement du 14-Juin furent quasi tous dénoncés aux services secrets du tyran Trujillo. L'action des agents répressifs fut immédiate. À la fin de ce même mois de janvier, plus d'une centaine de membres avaient été arrêtés et emprisonnés, subissant des tortures incroyables en prison où beaucoup perdirent la vie. En plus de Minerva, furent saisies simultanément d'autres femmes dont Tomasina Cabral, Fe Violette Gélinotte, Miriam Morales et Asela Morel.
Il est important de signaler que la majorité des personnes arrêtées étaient de la bourgeoisie, dont certaines des familles avaient des liens très étroits avec Trujillo et ses proches, ce qui créa un climat de tension nationale suprêmement défavorable au gouvernement. Ainsi, même l'Église catholique, après avoir soutenu le tyran pendant une trentaine d'années mais sentant le vent tourner, se mit à le dénoncer publiquement et condamna son action, au moyen d'une lettre pastorale. Une telle situation obligea, apparemment, Trujillo à remettre en liberté les femmes détenues, le , et le mois suivant, des dizaines de jeunes hommes qui avaient été emprisonnés sous de simples soupçons. Toutefois, Tavares Justo, Leandro Guzmán, Pedro González (qui avait épousé Patria Mercedes Mirabal auparavant), et les autres dirigeants d'importance du mouvement, restèrent emprisonnés.
Mais ensuite, la dictature bascula dans une phase répressive générale proche de la folie (en ces jours Trujillo ordonna l'assassinat de Rómulo Betancourt, Président du Venezuela). En , l'Organisation des États américains (OEA), en réunion de Chanceliers, à San José au Costa Rica, condamna le gouvernement dominicain à des sanctions économiques, pour la tentative d'assassinat du président du Venezuela. En même temps, il fut décidé qu'une commission de cet organisme international visiterait la République dominicaine pour établir un rapport sur la situation du pays.
Assassinat des SĹ“urs Mirabal
Lors des visites hebdomadaires à leurs maris respectifs, Manolo et Leandro, à la prison de Puerto Plata, les sœurs Mirabal évoquèrent le fait que des bruits circulaient, à Salcedo, sur la possibilité qu'elles pourraient être les victimes d'un « accident de la route », un classique qu'utilisait le régime quand il ordonnait la disparition d'un adversaire important, avec l'intention de dissimuler le crime. Ce qui préoccupa fortement les dirigeants du Mouvement du 14-Juin, et Manolo suggéra alors que cessent les voyages, et qu'elles restent à Puerto Plata, pour éviter de transiter par la route.
Mais cette recommandation arriva trop tard. L'assassinat des sĹ“urs Mirabal avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© ordonnĂ© et les exĂ©cuteurs se trouvaient dĂ©jĂ Ă Puerto Plata : CirĂaco de la Rosa, RamĂłn Emilio Rojas Lora, Alfonso Cruz Valerio et Emilio Estraba Malleta, tous membres du Servicio de Inteligencia Militar de Trujillo. Le dernier, Emilio, d'origine cubaine, avait rendu les mĂŞmes services Ă la dictature de Batista.
Le , Patria, Minerva et MarĂa Tereza Mirabal quittèrent Puerto Plata Ă bord d'une jeep, en direction de leur maison, mais elles furent arrĂŞtĂ©es par un autre vĂ©hicule Ă coups de rafales de balles. AmenĂ©es loin de la route, dans un endroit discret, elles furent assassinĂ©es Ă la machette. Leur chauffeur, Rufino de La Cruz, perdit lui aussi la vie. Leurs cadavres furent replacĂ©s dans la jeep qui les transportait, pour ĂŞtre ensuite jetĂ©s du haut d'un prĂ©cipice qui bordait la route[4].
De nos jours
- Un musée en leur mémoire est situé à Ojo de Agua, Salcedo.
- Un billet de 200 pesos imprimé et distribué depuis 2007 porte l'effigie des trois sœurs assassinées.
- Un téléfilm a été réalisé en 2001, In the Time of the Butterflies par Mariano Barroso basé sur la biographie de Julia Alvarez, avec entre autres Salma Hayek et Edward James Olmos.
- Le , par sa résolution 54/134, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé le Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et a invité les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales à organiser ce jour-là des activités conçues pour sensibiliser l'opinion au problème. Les militants en faveur des droits des femmes ont choisi en 1981 la date du comme journée de lutte contre la violence, en mémoire des trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines brutalement assassinées sur les ordres du chef de l'État, Rafael Trujillo[5].
Bibliographie
Essais et biographies
- Julia Alvarez, Au Temps des papillons (éd. Métailié, traduit de l'anglais par Daniel Lemoine).
- Elena Favilli, Francesca Cavallo, Jessica Shapiro (trad). Histoire du soir pour filles rebelles. 100 destins de femmes extraordinaires.Les Arènes, 2019 - (ISBN 978-2-35204-678-3). p.146.
- Ludivine Tomasso et Jean Albert, Le 25 novembre, non Ă la violence contre les femmes, (lire en ligne)
- « Las Mariposas », dans Pénélope Bagieu, Culottées 1 - Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent, Gallimard, (ISBN 9782070601387) (bande dessinée)
Romans
- Élise Fontenaille, Les trois sœurs et le dictateur[6], collection DoAdo, Rouergue, 2013 - roman jeunesse
Notes et références
- Pénélope Bagieu, Culottées : des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent. 1 (ISBN 978-2-07-060138-7 et 2-07-060138-2, OCLC 960192089, lire en ligne)
- Lise Joannes, « Las Mariposas / Les sœurs Mirabal », sur 4.ac-nancy-metz.fr (consulté le )
- Swali Guillemant, « Las Mariposas : les sœurs Mirabal qui luttèrent contre la dictature », sur cultea.fr, (consulté le )
- « Les sœurs Mirabal, opposantes à la dictature », sur histoireparlesfemmes.com, (consulté le )
- Malika El Kettani, « Les sœurs Mirabal et la violence à l’égard des femmes », Le courrier de l'Atlas : l'actualité du Maghreb en Europe,‎ (lire en ligne, consulté le )
- « Interviews des lauréats du Prix NRP 2014-2015 », sur nrp-college.nathan.fr (consulté le )
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Le 25 novembre non Ă la violence contre les femmes
- (en + es) The Mirabal Sisters
- (en) In the Time of the Butterflies sur l’Internet Movie Database