RĂ©my Vuibert
Rémy Vuibert, parfois orthographié Wuibert ou Wibert (Rethel, vers 1607? - Moulins, ), est un peintre français.
Biographie
Jeunesse et formations
La date de sa naissance reste hypothétique. Si aujourd'hui l'idée d'une naissance en 1600 semble être abandonnée, on peut penser à une naissance vers 1606 à Troyes, selon l'Abecedario de Pierre-Jean Mariette, ou vers 1607[1], voire à une date encore plus tardive, allant jusqu'à proposer, dans un cas extrême, la date de 1615. Les années 1620 sont pour lui une période de formation, dont on sait peu de choses. Il pourrait avoir fréquenté un atelier troyen ou parisien, comme celui de Georges Lallemant[2]. Il est l'élève de Simon Vouet à Rome, peut-être entre 1624 et 1627, même si ces dates semblent aujourd'hui peu probables[3]. Plus vraisemblablement, il serait entré dans l'atelier de Simon Vouet en 1632, où il aurait rencontré Dufresnoy et Mignard, et aurait séjourné à Rome à partir de 1635 aux côtés de ce dernier.
SĂ©jour romain (1635 - 1637)
Il arrive à Rome en 1635, où il fait la connaissance de Nicolas Poussin. Il exécute alors plusieurs gravures d'après des œuvres de Raphaël. Ainsi, il laisse 18 eaux fortes réalisées en 1635, dont quatre compositions issues du plafond de la chambre de la signature au Vatican (Le jugement de Salomon, Adam et Eve, Apollon et Marsyas, et La providence gouvernant le monde) ainsi que 14 figures allégoriques d'après les décors de la salle de Constantin (Prudentia, Innocentia, Moderatio, Evangelium, Fortitudo, Sapientia, Aeternitas, Aeclesia, Charitas, Paupertas, Comitas, Iustitia, Fides, et Pax)[4]. Il copie également Le martyre de Saint André du Dominiquin, dans la droite ligne des aspirations de Poussin, et laisse une eau-forte faite en 1640 d'après un dessin réalisé à Rome[5]. On lui attribue également une série sur L'histoire de Diane, qui aurait été réalisée d'après des œuvres du Dominiquin, et représentant Latone et ses enfants, Diane et Actéon, Diane et Endymion, Pan et Diane, et le Sacrifice d'Iphigénie[6]. Il étudie également les œuvres de Guido Reni, dont il grave L'Archange Saint Michel terrassant le démon en 1636, et copie peut-être des compositions de Zampieri. Vers 1636-1637, il peint un Jugement de Salomon, acquis par le marquis de Giustiniani et gravé par la suite par Agricola sous le nom de Poussin[7].
Retour en France: La grande galerie du Louvre (1637 - 1643)
Il quitte l'Italie en 1637, et rentre en France en passant par Rethel, où il offre une huile sur toile, Les miracles de Saint Pierre à Jérusalem (Rethel, église Saint-Nicolas) à l'hôtel-Dieu[8]. Cette œuvre a la particularité de combiner, avec une seule représentation de saint Pierre, plusieurs de ses miracles, par la multiplication des personnages évoquant chacun un miracle du saint. Vuibert est à Paris dès l'automne 1638, et il est attesté dans cette ville le , étant présent au baptême de sa fille Jeanne en l'église Saint-Nicolas-des-Champs[9]. Durant les premières années de son retour en France, Vuibert s'attache à graver plusieurs de ses compositions, notamment de ses œuvres romaines, afin de se faire connaître et de percer dans un Paris ou règne la concurrence[10]. C'est à cette époque que sont gravés Les miracles de Saint Pierre à Jérusalem[11], Repos pendant la fuite en Égypte, Présentation de Jésus au temple, Naissance d'Adonis, Moïse trouvé sur le Nil. Il apparaît cependant que ces gravures reproduisent des travaux isolés, ne correspondant pas à des séries décoratives[10]. Sylvain Kerspern propose d'attribuer deux tableaux, aujourd'hui conservés à Lagny-sur-Marne, et qui reprennent les thèmes de ces gravures, au pinceau de Vuibert : La Pentecôte (Lagny-sur-Marne, église Saint-Pierre), même si cette œuvre est signée Mouron[10], et La Présentation au temple (Lagny-sur-Marne, Musée Gatien-Bonnet).
L'arrivée de Nicolas Poussin à Paris le , marque le début pour Vuibert d'une carrière décorative assez prolifique, même si peu de témoignage nous sont parvenus. C'est aussi pour Vuibert une première marche vers la reconnaissance. En effet, au début des années 1640, Rémy Vuibert n'est pas encore considéré comme le grand suiveur de Poussin, et ses tableaux ne suscitent pas autant d'enthousiasme que ceux des autres grands peintres parisiens. Il ne figure d'ailleurs pas dans la liste des excellents peintres en toutes les parties de la peinture de Sébastien de Saint-Aignan. Les retrouvailles avec Poussin vont changer radicalement l'art de Vuibert, jusque dans le support de travail: Poussin fait abandonner à Vuibert la peinture de retable et de chevalets à l'huile pour la grande fresque décorative[12], aspect de l'œuvre de Vuibert le plus connu aujourd'hui. Ce tournant s'exprime dans le projet des décors de la Grande galerie du palais du Louvre, que Poussin est chargé d'exécuter. L'artiste reçoit l'aide de plusieurs artistes, dont Vuibert, que Poussin a appelé en 1641 avec Lemaire. L'amitié qu'entretient Vuibert avec Poussin semble avoir été vive, Poussin le nommant dans ses lettres comme son "cher monsieur Rémy"[13]. Il n'est pas impossible que Vuibert figure parmi le premier cercle d'amis de Poussin pendant le premier séjour de celui-ci à Rome. Lors du départ de Poussin en 1642, ce dernier lui confie le chantier du Louvre le [12]. C'est pendant cette période que Vuibert est nommé "peintre ordinaire du roi", et reçoit un logement aux Tuileries[14].
La période des décors (1643 - 1652)
L'année 1643 marque la fin de cette première période de reconnaissance. La mort de Louis XIII, suivant celle de Richelieu, amène à l'interruption de la campagne de décors de la Grande galerie, qui est stoppée au niveau de la dixième travée. La suite de la vie de Vuibert est moins bien connue, mais il semble poursuivre dans la lancée des décors de fresques (c'est du moins les seuls témoignages éventuels de cette période). La documentation étudiée depuis les années 1950 a permis de reconstituer son parcours d'une manière fragmentaire, même si, selon les mots de Jacques Thuillier, il suffit que réapparaisse un témoin pour que tout un ensemble vienne bientôt se regrouper autour de lui[15].
On peut ainsi déterminer plusieurs campagnes de travaux à Paris et aux alentours, attribuables avec plus ou moins de certitude à Vuibert. Les premiers grands travaux faisant suite à ceux de la galerie du Louvre ont gardé Vuibert à Paris plusieurs années (peut-être jusqu'en 1645). On peut ainsi noter les décors de la grande salle de la maison de Louis Hesselin vers 1644-1645, aux côtés de Blanchard[16], ainsi que les décors du dôme d'un escalier de l'hôtel de La Vrillière vers 1645, orné d'une construction périphérique en perspective accentuée[17].
Vuibert s'éloigne de Paris en 1646-1647, époque à laquelle il réalise deux grandes campagnes de décors de fresques au château de Tanlay. Il orne ainsi l'extrémité méridionale de la Grande galerie du premier étage d'un décor en grisaille, qui a subsisté malgré un incendie survenu en 1761. Un dessin à la plume, encre, lavis bruns et rehauts blancs, exécuté vers 1646 et conservé aujourd'hui au Museum of Art de l'Université de Princeton, dont la signature a été découverte en 1979[18], montre un projet de décor similaire aux ornements existants. Il poursuit les décors grâce à un marché passé le , payé 6 500 livres[18], pour les murs et le plafond du grand vestibule bas (aujourd'hui disparus). Enfin, un nouveau marché passé en mars 1647 et payé 4 500 livres[19], lui permet de décorer cinq autres vestibules du château.
Il est de retour à Paris au printemps 1648, et devient le parrain du fils de Pierre Buirette le de la même année. C'est à cette époque qu'est signé un marché concernant la "voûte d'une chambre de l'appartement d'hiver du cardinal", pour des décors de "peintures et dorures", payés 950 livres. Vuibert y travaille toute la seconde moitié de l'année 1648[20]. La bibliothèque nationale de Turin conserve notamment une étude de plafond, qui pourrait être de la main de Vuibert[21], exécutée en rapport avec ces décors.
Il semblerait alors que Vuibert soit resté à Paris jusqu'en 1650, et qu'il soit notamment l'auteur, pendant les années 1649-1650, de fresques décoratives de l'hôtel d'Avaux (actuel musée d'art et d'histoire du Judaïsme), que des restaurations menées en 1998 ont permis de révéler[22], notamment dans l'ancienne salle à manger. Une esquisse au crayon noir et rouge, réalisée vers 1650 pour le dôme du grand escalier de l'hôtel d'Avaux, est conservée au Nationalmuseum de Stockholm.
Une autre intervention de Vuibert, plus hypothétique cette fois, concerne les décors du château de Pont-sur-Seine, réalisés vers 1649, et représentant des scènes tirées de Métamorphoses d'Ovide. Une description faite vers 1774 attribuait ces décors à Lesueur[23]. Cependant, il n'est pas impossible que Vuibert ait travaillé à leur réalisation. En effet, le thème des Métamorphoses ne lui est pas inconnu: largement exploité par son ami Poussin, il est très à la mode dans le Paris des années 1640[24].
C'est à la toute fin de sa vie que Rémy Vuibert signe son œuvre la plus célèbre, et sans doute la plus aboutie, autant que l'on puisse en juger des travaux précédents. C'est en mars 1650 qu'est passé un marché chargeant Vuibert de réaliser le décor du plafond du chœur des religieuses de la chapelle de la Visitation de Moulins, représentant L'Assomption de la Vierge. Vuibert commence par peindre sur toiles en 1651, à Paris. Il est d'ailleurs présent dans la capitale le , au baptême d'une fille du peintre Jean Nocret (dont il devient le parrain), à Saint-Germain-l'Auxerrois[25]. Il amène ensuite ses toiles à Moulins et les fixe sur un support de bois, peints en grisaille[26]. Ces compositions, qui consacrent Vuibert comme maître des décors en perspective accentuée, ont été restaurées en 2008.
Il meurt prématurément en septembre 1652 à Moulins. Il est enterré le dans l'église Saint-Pierre de Moulins[27]. Son testament, daté du , a récemment été retrouvé[28].
Vuibert, le peintre classique
Vuibert apparaît comme un peintre éminemment classique, suiveur du style de Poussin, et peintre caractéristique de l'atticisme parisien. On conserve peu d'œuvres de sa main, si ce n'est les Scènes de la vie de la vierge au plafond du chœur des religieuses du couvent de la Visitation de Moulins, qui est la seule réalisation que l'on peut lui attribuer avec certitude. Son œuvre est également connue par quelques gravures, notamment de la Guérison d'un possédé (1639) et la Présentation au Temple (1640). D'autres tableaux lui sont attribués, comme Lucrèce se donnant la mort (Troyes, musée des Beaux-Arts).
Références
- Jacques Thuillier, Vouet, cat.expo, Paris, Grand Palais, 1990, p.47.
- Mignot 2007, p. 38
- Jacques Bousquet, « Documents sur le séjour de Simon Vouet à Rome », in Mélanges d'Archéologie et d'Histoire, publiés par l'École française de Rome, 1952, p.287.
- Mignot 2007, p. 23
- Thuillier 1958, p. 24
- Alexandre-Pierre-François Robert-Dumesnil, Le peintre graveur français, 1856, Paris, t.II, n°21-25.
- Jacques Thuillier, Tout l'œuvre peint de Poussin, Flammarion, Paris, 1974, n°R20.
- Mignot 2007, p. 24-25
- Acte de baptême de Jeanne Vuibert, du 6 février 1639, BNF, ficher Laborde.
- Mignot 2007, p. 25
- Thuillier 1958, note 25 et pl.21a
- Mignot 2007, p. 26
- Nicolas Poussin, Lettres et propos sur l'art, Paris, Hermann, 1989, p.87.
- Doris Wild, « Nicolas Poussin et la décoration de la grande galerie du Louvre », in La revue du Louvre et des Musées de France, 1966, n°2, p.77-84.
- Thuillier 1958, p. 22-23
- Mignot 2007, p. 26-27
- Mignot 2007, p. 27
- Mignot 2007, p. 28
- Mignot 2007, p. 29
- Mignot 2007, p. 30
- Mignot 2007, p. 31
- Mignot 2007, p. 32
- Mignot 2007, p. 32-33
- Mignot 2007, p. 33
- Thuillier 1958, note 33
- Mignot 2007, p. 34
- Mignot 2007, p. 40
- Hervé Grandsart, Une chapelle sortie de l'oubli à Moulins, in Connaissance des arts, hors série, n°417, p.53
Voir aussi
Bibliographie
- Jacques Thuillier, « Pour un peintre oublié : Rémy Vuibert », Paragone, no 97,‎ , p. 22-41
- Claude Mignot, « Pour un grand peintre retrouvé : Rémy Vuibert », Revue de l'art, no 155,‎ , p. 21-44.
- Dominique Jacquot, « Le "Chaînon manquant" retrouvé : le Jugement de Salomon de Rémy Vuibert », Revue de l'art, n°155, 2007, pp.45-50.
- Jacqueline Constantin-Martin, Assomption et iconographie mariale: le décor peint de Rémy Vuibert au couvent de la visitation de Moulins, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Paul Barillon, Université de Clermont-Ferrand, 2006.
- Bertrand Jestaz, « Rémy Vuibert, Project for painted decoration for the gallerie of the Château de Tanlay », Record of the Art Museum, Princeton University, vol.42, I, 1983, p.38.
- Hermann Voss, « Neues zum Werk von Remy Vuibert », Zeitschrift für Kunstgeschichte, 24, 2, 1961, p.177-183.