Prudence (vertu)
La prudence (en grec ÏÏÏΜηÏÎčÏ [phronĂȘsis] ; en latin prudentia[n 1]) est un concept de la philosophie grecque qui a trouvĂ© sa dĂ©finition thĂ©orique la plus aboutie dans la philosophie d'Aristote. La phronĂȘsis est ensuite devenue un concept central de la philosophie morale et politique, et la premiĂšre des quatre vertus cardinales chez les ChrĂ©tiens.
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La prudence dans la philosophie grecque
La phronĂȘsis
Ătymologiquement, la phronĂȘsis (ÏÏÏΜηÏÎčÏ) dĂ©signe l'acte de penser[1]. Selon le philologue allemand Werner Jaeger (Paideia, 1933), c'est HĂ©raclite d'ĂphĂšse qui le premier a utilisĂ© le concept de prudence en philosophie, la mettant au mĂȘme rang que la sagesse (sophia, ÏÎżÏία.)[2]
Chez Platon
Selon Les Lois : « Dans l'ordre des biens divins, le premier est la prudence ; aprÚs vient la tempérance ; et du mélange de ces deux vertus et de la force naßt la justice, qui occupe la troisiÚme place ; la force est à la quatriÚme. Ces derniers biens méritent par leur nature la préférence sur les premiers ; et il est du devoir du législateur de la leur conserver[3]. »
Chez Aristote
La prudence est une vertu intellectuelle : c'est la disposition qui permet de délibérer sur ce qu'il convient de faire, en fonction de ce qui est jugé bon ou mauvais[4].
Chez Ăpicure
C'est de la prudence que proviennent toutes les autres vertus[5].
Chez les stoĂŻciens
DiogÚne Laërce mentionne que selon les stoïciens, « de la prudence viennent la maturité et le bon sens[6]. » Ils y voyaient une science, celle des choses à faire et à ne pas faire[4].
La prudence chez les chrétiens
Cicéron transmettra la notion de prudence dans la pensée chrétienne, spécialement chez saint Ambroise, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin[4].
Selon Thomas d'Aquin, la prudence est celle des vertus cardinales qui doit diriger les trois autres[4].
Selon saint Augustin, « la prudence est l'amour qui sépare avec sagacité ce qui lui est utile de ce qui est nuisible[7]. »
Spinoza et la prudence
La devise de Spinoza, inscrite sur son sceau de correspondance, est le mot latin Caute : mĂ©fie-toi, sois prudent. Plusieurs interprĂ©tations sur la signification de ce terme existent. Selon Robert Misrahi, c'est une recommandation au niveau de l'usage des concepts : Spinoza recommande de ne donner aux concepts qu'il emploie que le sens strict inscrit dans la dĂ©finition qu'il propose[8]. Pour d'autres, cette injonction Ă la prudence est rendue nĂ©cessaire du fait des menaces qui pĂšsent sur Spinoza : il est victime d'un attentat, et des attaques de thĂ©ologiens l'obligent Ă retarder sa publication de l'Ăthique[9].
Dans la Préface du Traité théologico-politique (1670), on trouve cet appel à la prudence :
"C'est pourquoi je dĂ©cidai sĂ©rieusement d'examiner Ă nouveau lâĂcriture d'une Ăąme pure et libre, de n'en rien affirmer et de n'en rien admettre comme constituant sa doctrine qui ne soit clairement Ă©noncĂ© par elle. Avec cette prĂ©caution, j'ai formĂ© une mĂ©thode pour interprĂ©ter les Livres saints" - TraitĂ© thĂ©ologico-politique, 1670, PrĂ©face, §10, trad. J. LagrĂ©e et P.-F. Moreau, Ćuvres, III, PUF, p. 69
Selon l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert
« Par rapport Ă soi, toute prudence Ă©tant pour arriver Ă une fin, il faut en chaque affaire nous proposer un but digne de notre soin. [...] En se proposant une fin telle que nous lâavons dite, il est encore plus important dâexaminer sâil est en notre pouvoir de lâatteindre. [...] La troisiĂšme rĂšgle de prudence est appliquer Ă lâavenir lâexpĂ©rience du passĂ© ; rien ne ressemble plus Ă ce qui se fera que ce qui sâest dĂ©jĂ fait. [...] Une quatriĂšme maxime est dâapporter tellement Ă ce quâon fait toute son application, quâen mĂȘme temps on reconnaisse quâavec cela on se peut tromper [...].
Les rĂšgles de prudence par rapport aux autres, sont principalement de ne sâentremettre des affaires dâautrui que le moins quâil est possible, [...] Ă moins quâun devoir Ă©vident ne lâexige, ou que nous nây soyons directement appelĂ©s par les intĂ©ressĂ©s[10]. »
â L'EncyclopĂ©die ou Dictionnaire raisonnĂ© des sciences, des arts et des mĂ©tiers, 1751.
La prudence aujourd'hui
Selon André Comte-Sponville : « Elle relÚve moins de la morale, pour les modernes, que de la psychologie, moins du devoir que du calcul. » On l'utilise dans le langage courant dans le sens de « précaution » pour éviter des dangers[4].
Bibliographie
Auteurs anciens
Ătudes modernes
- Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, PUF, Quadrige, Paris, 2004 (4e Ă©d.)
- Chantal Jacquet, Spinoza ou la prudence, Quintette, 2004
- Gil Delannoi, Ăloge de la prudence, Berg International, Paris, 1993
Notes et références
Notes
- Selon Cicéron prudentia vient de providere, qui signifie « prévoir » ou « pourvoir » (Des Lois, XXIII).
Références
- Cf. Gill Delannoy, Ăloge de la prudence, p.20, note 4.
- G. Delannoy, op. cit., p.20.
- Les Lois, Livre I, 631c-d.
- André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Seuil, , « La prudence ».
- Lettre à Ménécée, 132.
- Vie des philosophes illustres, livre VII, 126.
- De moribus catholicae Ecclesiae, Desclée, 1936, p. 62.
- Robert Misrahi, Ăthique, Ă©ditions de lâĂ©clat, (lire en ligne), p. 447.
- Anne-Lise Polo, La Nef Marrane : Essai Sur le Retour du JudaĂŻsme Aux Portes de L'Occident, PUQ, (lire en ligne), p. 100.
- Article « Prudence » de L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers.