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Princess Augusta

La Princess Augusta est un navire dont on connaĂ®t deux voyages (1736 et 1738) de Rotterdam vers Philadelphie via Cowes dans l'Ă®le de Wight. Les passagers qu'il transporte, majoritairement de langue allemande, sont supposĂ©s venir du Palatinat et sont appelĂ©s « Palatines Â» par les autoritĂ©s anglaises de la colonie de Pennsylvanie[1].

Le voyage de 1736 amène deux des leaders au mystĂ©rieux Ephrata Cloister (en), un « monastère Â» Ă  fortes tendances Ă©sotĂ©riques. Les autres voyageurs ont des destins religieux très divers, marquĂ©s par un grand dĂ©sir de libertĂ© individuelle.

Le voyage de 1738 se termine tragiquement par un naufrage au large de l'île américaine de Block Island près de New York. La Princess Augusta devient un vaisseau fantôme célèbre aux États-Unis. Elle inspire maintes légendes, ainsi qu'un poème de John Greenleaf Whittier[2] intitulé The Palatine[3].

Les « Palatines Â» de Pennsylvanie

Localisation de Niederdorf, le village de Durs Thommen, qui raconte le voyage
Localisation de Riggisberg, village de Benedict Yuchli

Contexte historique

La Pennsylvanie est fondée par William Penn en 1681 dans le but d'y accueillir des quakers, puis d'en faire un havre de paix pour tous les dissidents religieux.

Ceci attire, en particulier, une importante immigration de personnes que les autoritĂ©s de cette colonie anglaise appellent « Palatines Â», ces personnes Ă©tant supposĂ©es venir du Palatinat. On les appelle aussi Pennsylvania Dutch (en abrĂ©gĂ© : pennadutch).

En réalité, beaucoup sont des Suisses, Anabaptistes ou Piétistes. Persécutés par les églises officielles de leur pays, ils cherchent des terres d'accueil depuis longtemps. En particulier, quand la Guerre de Trente Ans (1618-1648) eut quasiment dépeuplé l'Alsace et le Palatinat, certaines familles suisses trouvèrent là des seigneurs heureux de les laisser s'installer pour repeupler leurs terres. D'où une population très mobile de clans familiaux ayant des branches en Suisse, en Alsace, en Allemagne, et, bientôt, en Pennsylvanie ; les diverses branches du clan restent en contact par delà les frontières et les générations, et constituent une importante filière de migrations.

Cette population est majoritairement de langue allemande, mais peut entraîner avec elle des voisins alsaciens ou vosgiens parlant français ; tel est le cas, sur la Princess Augusta, d'un groupe venu du Ban de la Roche (petite région aujourd'hui dans le Bas-Rhin) et même d'un groupe de catholiques de Saulxures, ce qui témoigne d'un début de migrations à motifs économiques.

La liste de passagers de la Princess Augusta est la providence des gĂ©nĂ©alogistes, grâce au soin qu'a pris le capitaine de noter les âges en plus des noms, et Ă©galement au fait que certaines familles francophones se distinguaient aisĂ©ment dans ce milieu globalement germanophone. Il fut donc possible d'identifier formellement un tiers environ des passagers du navire, de tracer leurs origines en France et en Suisse et de suivre leurs descendants en AmĂ©rique[4]. Une chance supplĂ©mentaire : deux des passagers, Durs Thommen et Benedict Yuchli, entrèrent au Ephrata Cloister (dont le leader charismatique est Conrad Beissel) et figurent dans les chroniques de ce « monastère Â».

Plusieurs groupes se distinguent. Une partie au moins des voyageurs a voyagé en groupe, comme le montre le récit de Durs Thommen[5], qui décrit le tragique voyage de plusieurs bateaux sur le Rhin, voyage préparatoire qui provoqua plus de morts que la traversée maritime.

Deux leaders se distinguent, entourés chacun de parents, cousins et voisins : Durs Thommen, de Niederdorf dans le canton de Bâle, et Benedict Yuchli, de Riggisberg, paroisse de Thunnen, Canton de Berne. Cette relative diversité d'origine devrait en faire deux inconnus l'un à l'autre, mais les deux ont la même destination : dès leur arrivée en Pennsylvanie, ils entrent au Ephrata Cloister, un lieu assez mystérieux, d'apparence monacale mais aux penchants très ésotériques. Ils n'y entraînent que leurs très proches familles. Les autres passagers ont des destins religieux très divers, mais marqués par une grande volonté d'autonomie individuelle. Par exemple, on en voit qui adhèrent à des sectes qui n'existaient pas dans leurs pays d'origine, comme ce Peter Binckley qui adhère à l'Église Morave et y rédige un récit de sa vie[6]. Ou cette famille Caquelin, des Français du Ban de la Roche, qui rejoignent les disciples de l'Allemand Alexander Mack, les German Baptist Brethren familièrement appelés Dunkards (plongeurs) en raison de leur pratique du baptême par immersion. Il s'agit en principe d'une église conservatrice qui n'accepte que le Nouveau Testament mais le prend à la lettre.

Cependant, les relations avec le Ephrata Cloister sont ambigües, le Cloister réussissant à attirer un groupe important de disciples après la mort d'Alexander Mack. D'une façon générale, dans cette Amérique des premiers jours, les personnalités sont affirmées, les individus peu enclins à se soumettre à d'autres et les frontières des sectes et églises toujours mouvantes.

Do you speak Pennadutch ?

Quelques éléments de vocabulaire :

  • Pennsylvania Dutch : les immigrĂ©s de langue allemande se disaient « deutsh Â», ce qui devint « dutch Â» en anglais local, alors qu'en anglais acadĂ©mique « dutch Â» veut dire « hollandais Â»
  • Pennsylvania German est une expression qui se veut plus correcte que Pennsylvania Dutch, mais qui ne l'est pas ; les immigrĂ©s dont il s'agit pouvaient venir de l'Allemagne actuelle, mais aussi de Suisse et d'Alsace ; l'Allemagne n'ayant trouvĂ© son unitĂ© politique qu'en 1870, il est anachronique de vouloir user trop tĂ´t d'un vocabulaire se rĂ©fĂ©rant aux nationalitĂ©s d'aujourd'hui ; quant Ă  la langue, chacun parlait le patois de son village, et il y avait des zones de transition entre l'allemand et le hollandais
  • Pennadutch est un terme d'affection pour « Pennsylvania Dutch Â»
  • Plain Pennsylvania Dutch : expression dĂ©signant les sectes dans lesquelles les hommes portent la barbe et oĂą tous portent des vĂŞtements « simples Â» en tissu tissĂ© Ă  la maison ; en anglais, plain est Ă  double sens ; appliquĂ© Ă  une femme, le mot peut aussi signifier (de façon se voulant pas trop brutale) qu'elle est plutĂ´t laide ; contraire : « gay Pennsylvania Dutch Â»
  • Gay Pennsylvania Dutch : ce n'est pas un homosexuel, mais une « Church person Â» (voir ce mot) ; l'intention est cependant la mĂŞme dans les deux cas : faire savoir qu'on est le contraire d'une « plain person Â», et qu'on ne se laissera pas imposer une « plain life Â», au double sens du terme, par le prĂ©dicateur dissident local
  • Church people : littĂ©ralement, il s'agit de personnes qui vont Ă  l'Ă©glise le dimanche (en AmĂ©rique, sauf très rares exceptions, tout le monde y va) mais sous-entendu : pas plus ; les « Church people Â» se tiennent Ă  l'Ă©cart des sectes et n'entendent pas que la religion tienne trop de place dans leur vie.

Le paysage religieux

Le paysage religieux de la Pennsylvanie d'alors est, comme aujourd'hui, marquĂ© par une mosaĂŻque de « plain sects Â» (sectes se caractĂ©risant par un habillement plain, simple, austère, constituĂ© de vĂŞtements de tissu sombre tissĂ©s Ă  la maison), mais ce ne sont pas les mĂŞmes qu'aujourd'hui.

  • Les quakers, fondateurs du pays, sont toujours prĂ©sents mais de plus en plus diluĂ©s, et ils perdent en influence. D'origine anglaise, ils ont assez peu de contacts avec les immigrĂ©s « pennadutch Â».
  • Les sectes conservatrices ne sont pas seules sur le terrain ; la plus reprĂ©sentĂ©e Ă  l'Ă©poque de la Princess Augusta est celle des Dunkards d'Alexander Mack.
  • L'Ă©sotĂ©risme est une composante visible et quantitativement non nĂ©gligeable du paysage religieux. Ses racines remontent Ă  la RĂ©forme radicale. Il peut se prĂ©valoir de grands ancĂŞtres comme Jakob Böhme ou Kaspar Schwenkfeld von Ossig. Il montre une grande capacitĂ© de rĂ©sistance, voire de rĂ©surrection. Dès 1694, Kelpius et ses compagnons sont arrivĂ©s sur le « Sarah Maria Hopewell ». Dans l'AmĂ©rique de l'Ă©poque de la Princess Augusta, nous trouvons ainsi des disciples de Schwenkfeld, de Johannes Kelpius, d'autres encore, sans oublier le Ephrata Cloister. L'information circule vite. Ainsi, le Ephrata Cloister, en 1735 encore, n'est pas beaucoup plus qu'un groupe de cabanes d'ermites, mais malgrĂ© cela, en 1736, la Princess Augusta amène Durs Thommen et Benedict Yuchli qui le rejoignent aussitĂ´t.
  • Les Mennonites sont d'abord des Mennonites hollandais, de mentalitĂ© urbaine et peu, voire pas du tout rĂ©fractaires Ă  la modernitĂ©. Ă€ titre d'exemple : William Rittenhouse, premier pasteur mennonite de Germantown, est un pilier de la vie intellectuelle locale et fonde la première fabrique de papiers des futurs États-Unis en 1690.
  • La branche Amish, très conservatrice, est peu ou pas reprĂ©sentĂ©e en 1736. Ce n'est qu'en 1740 qu'une communautĂ© identifiable, le Northkill Settlement s'Ă©tablira dans le ComtĂ© de Berks.
  • Les Ă©glises protestantes classiques (calviniste et luthĂ©rienne) sont appelĂ©es gay, par opposition aux plain sects supposĂ©es tristes. Les fidèles ne leur manqueraient pas, ce sont plutĂ´t les pasteurs et les bâtiments ecclĂ©siaux qui manquent car les filières migratoires sont affaire de plain sects. Ces Ă©glises tendent Ă  fusionner spontanĂ©ment, Ă  partager leurs locaux, et les fidèles se rendent Ă  celle qu'ils ont la chance de trouver sans se demander si elle est calviniste ou luthĂ©rienne.
  • L' Ă©glise morave, rĂ©formĂ©e par le Comte de Zinzendorf et organisĂ©e sur place de main de maĂ®tre par Spangenberg, jouit d'un grand prestige, attire la bonne sociĂ©tĂ©, et voudrait tenir le milieu entre les Ă©glises classiques et les plain sects.
  • Les catholiques sont discrets ; ils sont mal vus, suspects de sympathies pro-françaises pendant la Guerre de Sept Ans qui oppose l'Angleterre aux Français et aux Indiens ; le destin des descendants des sept familles de Saulxure (suivre le lien plus loin vers leur site et suivre ensuite les liens donnĂ©s par ce site) permet de suivre le destin d'une partie de cette communautĂ© ; les sept familles catholiques de Saulxures restent en grande partie groupĂ©es aux lieuxdits Pigeon Hill, près de Beaver Creek, et Pleasant Valley, aujourd'hui Buchanan Valley ; ces familles s'allient entre elles sur plusieurs gĂ©nĂ©rations, et s'allient aussi Ă  des catholiques d'origine Ă©cossaise et irlandaise. Leur jeune voisine, Mary Jemison est enlevĂ©e en 1758 lors d'une attaque indienne et fait sa vie parmi les Indiens.

L'encadrement de cette population par les Jésuites permet aux plus déterminés de rester catholiques au fil du temps ; les autres, au fil des mariages mixtes, fusionnent avec la population protestante dans le contexte d'un paysage religieux où la ligne de clivage principale ne passe pas entre protestants et catholiques mais entre plain et gay.

Les relations entre plain (minorités et sectes) et gay (églises classiques) sont portées au rouge durant la Guerre de Sept Ans. Les plain, généralement non-violents, refusent de se battre et accusent les gay de provoquer le conflit en s'installant illégalement sur des terres indiennes ; les gay répondent qu'ils n'ont pas le choix et qu'il est bien facile, quand on est confortablement installé dans les terres les plus anciennement anglaises (c'est souvent le cas, les implantations plain étant en général les plus anciennes), d'abandonner à leur sort ceux qui tentent de survivre sur la ligne de front ; ces tensions se produisent dans le cas d'un contexte politique marqué par la présence de forces qui songent déjà à la conquête de l'ouest, comme la Ohio Company de George Washington.

Le navire

La Princess Augusta a transporté des voyageurs de Rotterdam en direction de Philadelphie via Cowes.

On n'a pas de détail sur le type du navire, mais, étant donné qu'elle est appelée ship en anglais, on peut penser qu'il s'agissait d'un navire vraiment conçu pour traverser l'Atlantique, en principe un trois-mâts (cette précision ne va pas de soi, car il arrivait que l'aventure soit tentée sur de simples pinque ou de simples bélandres[7], comme l'attestent les mots anglais pink ou billander parfois accolés au nom de navires comme le billander Oliver.

Deux voyages de la Princess Augusta sont documentés : celui de 1736 (probablement le premier) et celui de 1738 (le dernier). La logique voudrait qu'il y ait eu aussi un voyage en 1737, mais on n'en a aucune trace. Un quatrième voyage est improbable, car il n'était possible de traverser l'Atlantique que l'été.

Le voyage de 1736

Le Rhin aux environs de Mannheim

Le voyage

Mannheim en 1735, entre Rhin et Neckar
Cowes, dans l'île de Wight

L'année 1736 est aussi celle où la princesse Augusta de Saxe-Gotha-Altenbourg devient princesse de Galles. Il est donc permis de penser que le navire a été nommé d'après elle pour célébrer l'événement, et qu'il s'agit donc de son premier voyage.

Durs Thommen, originaire de Niederdorf dans le canton de Bâle, a laissé un récit du voyage sur la Princess Augusta. Il s’agit d’une lettre du adressée à une personne, le Révérend Annoni, qui semble être un responsable religieux.

Le voyage de Durs comprend une détention de cinq semaines, probablement à l'occasion de l'escale à Cowes ; les autorités anglaises auront sans doute procédé à des contrôles.

Les voyageurs dorment sur le Rhin pendant deux semaines.

Durant ce voyage, la ville de Mannheim (Bade Würtemberg) — important port fluvial au confluent du Rhin et du Neckar — paraît avoir joué un rôle important, car Durs fait allusion aux « Mannheim skippers » ; sans qu’il soit très explicite, on comprend que les « Mannheim skippers » les ont fait voyager sur le Rhin dans des bateaux côte à côte, ce qui confirme l’impression, au moins pour une partie des passagers, d’un voyage groupé ayant nécessité un véritable « train de navires » ; ce voyage sur le Rhin génère une importante mortalité par maladie signalée par Durs Thommen : 19 morts dans le bateau où se trouve Durs; plus une femme et sept enfants morts dans le bateau d’à côté, pour ne rien dire des bateaux qui étaient hors de sa vue ; en mer, les choses se passeront mieux : le capitaine Merchant fait état de trois morts « seulement ».

Durant la traversée, le bateau eut toujours du vent contraire sauf pendant 8 jours.

En vue de la terre, un nouveau pilote monte Ă  bord, et les voyageurs croient que c’est gagnĂ©, d’autant plus que le vent s’est enfin dĂ©cidĂ© Ă  souffler de l’arrière et que le bateau avance vigoureusement. Mais le pilote s’inquiète, et Ă  juste titre. Il fait jeter l’ancre. Quand il la fait lever Ă  nouveau, le navire avance de dix mètres (30 pieds) Ă  peine avant de heurter un rocher. On croit le navire dĂ©chirĂ© en son milieu. Des cris d’angoisse s’élèvent et, lĂ , nous dit Durs Thommen, « on peut voir qui a la foi et qui ne l’a pas Â».

Le fleuve Delaware, accessible aux bateaux de mer jusqu'Ă  Philadelphie
La Pennsylvania Gazette, qui annonçait les arrivées des navires

Le capitaine lance des signaux de détresse, le navire repart vers la haute mer, et Durs Thommen croit bien qu’il ne reverra jamais la terre.

Ensuite, il donne des conseils :

  • Aux Ă©ventuels futurs voyageurs, il conseille de se munir de nourriture : beurre, lard, pommes sĂ©chĂ©es, prunes, farine, vin, brandy, pain sĂ©chĂ©, thĂ© et sucre.
  • Ă€ ceux qui ont quelque fortune, il conseille de ne pas entreprendre le voyage, plus onĂ©reux et pĂ©rilleux que cela ne vaut.

Quant aux personnes sans fortune, il hésite sur les conseils à leur donner. Il lui semble que ceux qui ne peuvent payer leur passage trouvent aisément quelqu’un qui les « rachètera » en échange de quelques années de travail. Il a entendu parler de personnes ainsi « rachetées » qui, une fois terminées leurs années de travail gratuit, ont connu la prospérité. Mais il doute, il signale qu’il n’a pas encore, dans le Nouveau Monde, d’amis qu’il connaisse assez pour leur faire confiance. Il craint de donner de mauvaises informations et remet à une lettre ultérieure la communication de renseignements plus détaillés.

La Princess Augusta, dont l’arrivée est relatée par la Pennsylvania Gazette du , accoste un mardi avec 304 Palatines à son bord. Elle a vu la mort de trois passagers, auxquels il faut ajouter, le jour même où elle débarque, la noyade d’un certain Thomas Shepperd, qui n’est pas sur les listes de passagers ; peut-être est-ce un membre de l’équipage.

Ceux qui n'ont pas les moyens de payer leur passage échapperont au moins en partie à la forme de servage appelée indenture qui les menaçait : Benjamin Shoemaker a avancé le prix de passages (il en réclame le remboursement en 1739 dans une annonce parue dans la Pennsylvania Gazette) ; une certaine aide peut également être attendue du Ephrata Cloister dont le leader charismatique, Conrad Beissel, ancien boulanger, reste généreux de son pain et fier de sa qualité.

Quelques destins

Le destin de plusieurs des voyageurs est connu par les chroniques du Ephrata Cloister ou par les recherches généalogiques des descendants. Sans recherche de l'exhaustivité, on notera :

  • Durs Thommen finit ses jours au Ephrata Cloister
  • Benedict Yuchli, bien connu des chroniques du « cloĂ®tre Â», est un membre assez remuant ; qualifiĂ© de « very rich young Swiss » par le Chronicon Ephratense, il finance la construction du bâtiment appelĂ© « Sion », l’un des premiers et l’un des plus mystĂ©rieux aussi, car Sion est aussi le nom d’une « fraternitĂ© » (un sous ensemble de la communautĂ© du Ephrata cloister ») rĂ©putĂ©e proches des frères Eckerling, qui disputent le pouvoir Ă  Conrad Beissel ; les Eckerling sont considĂ©rĂ©s comme particulièrement proches de la mouvance mystique et rosicrucienne qui reprĂ©sente un des Ă©lĂ©ments essentiels du « Cloister » ; Yuchli quitte le « cloister » pour vivre une vie de famille Ă  Philadelphie, fuir l’étroitesse de la vie conventuelle et prĂ©server le reste de sa fortune, il racontait avec amusement que, pour qu’on laisse partir, il avait fait croire qu’il voulait aller chercher en Suisse de l’argent qu’il y avait encore pour le donner au « cloister »... ; il meurt prĂ©maturĂ©ment en Ă  Philadelphie, Ă  l’âge de 33 ans
  • SĂ©bastien Caquelin, 50 ans lors de la traversĂ©e, est peut-ĂŞtre en mesure de nous donner les raisons du dĂ©part de sa famille ; en effet, sauf homonymie complète (nom et prĂ©nom), il fait partie du petit groupe qui se rĂ©unit au Ban de la Roche autour du pasteur piĂ©tiste LĂ©opold-Georges Pelletier, groupe dont les mĂ©saventures sont relatĂ©es en ces termes par une de ses nièces : « Ce fut particulièrement dans notre heureuse famille que Dieu fit germer les bonnes semences qui nous furent donnĂ©es par son valet M. Peletier. Il se forma alors, et dĂ©jĂ  auparavant, et du temps mĂŞme du ministère de M. Peletier dans le pays, de saintes rĂ©unions dans la paroisse ; elles Ă©taient composĂ©es de vĂ©ritables fidèles. Ma grand-mère racontait que ces rĂ©unions se tenaient ordinairement chez son oncle SĂ©bastien et chez sa tante, dans une maison du Beaulieu Ă  Waldersbach. mais Satan mit tout l'Enfer en mouvement contre ces rĂ©unions, et fit que l'on se moqua de tous ceux qui les frĂ©quentaient ; ensuite, on les calomnia. Un bourgeois de Waldersbach tira un coup de fusil au travers de la vitre chez cette tante et la balle vint friser la tĂŞte de son mari dans le lit et perça la paroi ... On n'osa plus se rassembler, et on fit des rĂ©unions privĂ©es chacun chez soi ... » (sources : livres de Denis Leypold et alii et LoĂŻc Chalmel citĂ©s en bibliographie) ; SĂ©bastien Caquelin semble donc avoir fait partie plus jeune de ce groupe de piĂ©tistes qui reçut des coups de fusil, cela expliquerait son envie de partir
  • Les membres de la famille Caquelin rejoignent majoritairement l'Ă©glise « Dunkard Â» ; le nom fait souche et foisonne sous des formes telles que Gockley, Cocklin, Gagaley, considĂ©rĂ©es aujourd'hui comme typiquement amĂ©ricaines ; la fille, Sara, semble particulièrement proche des autoritĂ©s de son Ă©glise, puisqu'elle Ă©pouse David Brecht, qui vient de Schriessheim en Allemagne, le mĂŞme village qu'Alexander Mack ; le couple vit Ă  Bern Township ; Ă  proximitĂ©, se trouve le Northkill Settlement (Amish) ; en 1757, Bern Twp subit une sĂ©vère attaque indienne, dans laquelle sont tuĂ©s plusieurs membres de la famille Hochstettler, des voisins Amish ; David Brecht passe une annonce dans la Pennsylvania Gazette du 2 aout 1775 pour rĂ©cupĂ©rer son esclave noir nommĂ© Joe, qui s'est enfui
  • Peter Binckley (Bingelli en Suisse, Pinckele au Ban de la Roche), nĂ© Ă  Guggisberg dans le district de Schwarzenburg et ayant vĂ©cu au Ban de la Roche, adhère Ă  l'Église Morave et lui reste fidèle toute sa vie
  • Jean François Ory, qui avait huit ans lors du voyage de la Princess Augusta, participe cĂ´tĂ© anglais Ă  la bataille de Fort Duquesne en tant que captain of pack horses (chevaux de bât) ; sa fille Eve se conduisit avec hĂ©roĂŻsme lors d'une attaque indienne sur le fort de Hanna's town en 1778, et participa pleinement Ă  sa dĂ©fense

Le voyage de 1738

La Princess Augusta Ă©choue le sur l'Ă®le de Block Island, près de New York, oĂą une plaque rappelle la tragĂ©die par ses simples mots : « Palatine graves, 1738 Â». Les membres de l'Ă©quipage sont interrogĂ©s et, d'après Michael Bell (article en ligne plus loin) leurs dĂ©positions sont retrouvĂ©es en 1925. Avant cela, et mĂŞme après, les lĂ©gendes ont fleuri.

En 1738, tard dans l’automne, trop tard semble-t-il, la Princess Augusta quitte Rotterdam, destination Philadelphie, avec à son bord 400 Palatins. L'eau polluée d'un tonneau provoque une mauvaise fièvre qui décime la moitié de l'équipage, dont le capitaine. C'est un nouveau capitaine, Andrew Brook, inexpérimenté semble-t-il, à qui échoit la tâche de mener le navire à bon port. La Princess Augusta devient alors un navire maudit : elle se perd, l'équipage rackette les passagers, tous se battent contre tous. Elle arrive en vue de New York, et tente de naviguer entre les îles de Rhode Island, Block Island et Long Island, alors qu’une tempête de neige fait rage en ce mois de décembre. Le navire n’arrive pas à se sortir du groupe d’îles, qui fonctionne comme un piège. Il perd une planche de neuf pieds en dessous de la ligne de flottaison. L’eau s’engouffre. Il est jeté contre les rochers et commence à se briser.

Le capitaine Brook ordonne d’abandonner le navire. Seules 115 personnes réussissent à nager jusqu’à la côte dans la tempête de neige. Dans les jours qui suivent, il y en a encore qui meurent. Seules 90 personnes peuvent quitter Block Island en vie quelques jours après. Certains continuent vers la Pennsylvanie.

Les insulaires de Block Island racontent encore l’histoire d’une passagère nommée Kate, qui aurait été sauvée par un esclave noir du fermier Simon Ray, et qui l’aurait épousé. Ce n’est là que l’une parmi d’autres des légendes sur ce naufrage. Récemment, Elizabeth Zuckermann, journaliste de l’Associated Press a fait paraître une dépêche faisant le tour de la question (référence dans les sources).

La légende du vaisseau fantôme

La Princess Augusta, parfois appelée aussi The Palatine d'après le poème de John Greenleaf Whittier, est le vaisseau fantôme favori des habitants de l’île. Il paraît qu’il hante ses eaux et qu’on peut le voir en feu entre Noël et jour de l'An, ou bien avant une tempête. Certains habitants ont vu aussi de mystérieuses lumières qu’ils appellent Palatine Lights.

D’après le folkloriste Michael Bell, on note deux sortes de légendes très différentes : celles racontées par les habitants de l’île mettent l’accent sur la méchanceté du capitaine du navire, qui aurait racketté les passagers, et celles sur la charité des îliens qui les auraient secourus.

À l’inverse, sur le continent, des légendes présentent les îliens comme des naufrageurs. Parmi ceux qui ont présenté les habitants de Block Island de façon négative, le plus célèbre est le poète du XIXe siècle John Greenleaf Whittier. Celui-ci a écrit un poème intitulé The Palatine, publié dans The Atlantic Monthly en 1867. Il y décrit l’assaut du malheureux navire par les naufrageurs, et ensuite les apparitions du navire fantôme en feu certaines nuits sans lune.

Peu flattés par cette version, les îliens en racontent volontiers d’autres, très différentes les unes des autres. Il y en a une, par exemple, dans laquelle la Princess Augusta est renflouée et continue sa route vers la Pennsylvanie.

Pour réfuter la légende des îliens naufrageurs, ceux-ci ont élaboré leurs propres versions de l'histoire, dans laquelle ils portent secours aux passagers. Lors du naufrage, les habitants auraient sauvé tous les passagers, sauf une femme oubliée à bord que l’on entendit longtemps crier dans les flammes.

Un certain Livermore va même jusqu'à nier le naufrage ; il nous explique que le navire, passant à Block Island, y débarqua une passagère nommée Dutch Kattern, accusée de sorcellerie, et reprit la route sans elle. La prétendue sorcière aurait ensuite fait sa vie à Block Island mais, révoltée par son abandon, elle se serait vengée en imagination en ayant des visions du bateau en feu et en les colportant largement.

Comme vaisseau fantĂ´me, la Princess Augusta est assez connue. On en trouve plusieurs mentions sur internet[8] - [9] - [10].

Notes et références

  1. (en) Palatine immigration ships sur archaeolineages.com (consulté le 22 juin 2008)
  2. en:John Greenleaf Whittier
  3. (en) L'œuvre de John Greenleaf Whittier sur Questia (consulté le 22/06/2008)
  4. Liste des passagers de la Princess Augusta en 1736
  5. RĂ©cit en anglais du voyage par Durs Thommen
  6. Autobiographie en anglais du voyageur Peter BINGELLI/PINCKELE/BINCKLEY
  7. bélandres (péniches)
  8. (en) Legend of 18th-century ship still haunts Block Island sur Boston.com (consulté le 22 juin 2008)
  9. (en) Ghost Ship Legends grows off R.I coast sur Unexplained-mysteries.com (consulté le 22 juin /2008)
  10. (en) Legend Of Fiery Ghostly Ship Haunts Rhode Island Coast sur perdurabo10.tripod.com (consulté le 22 juin 2008)

Annexes

Sources et bibliographie

  • Liste des passagers de la Princess Augusta : Pennsylvania German Pioneers, A Publication of the Original Lists of Arrivals In the Port of Philadelphia From 1727 to 1808, by Ralph Beaver Strassburger, LL.D., President of the Pennsylvania German Society, and Edited by William John Hinke, PH.D., D.D, In Three Volumes, Volume 1, 1727 - 1775, published by Pennsylvania German Society, Norristown, Pennsylvania, 1934 : pages 162 Ă  167
  • La lettre de Durs Thommen, a Ă©tĂ© publiĂ©e dans On The Power of Pietism par Leo Schelbert, PhD, in Historic Scaefferstown Record, Vol. 17, Issues No. 3 & 4
  • Memoir of Brother Peter Binkley, traduit de l'allemand vers l'anglais par le Dr Adelaide Fries, 1934, Southern Moravian Archives, Winston Salem, North Carolina
  • Legend of 18th-century ship still haunts Block Island By Elizabeth Zuckerman, Associated Press | December 20, 2004, Boston.com
  • The Legend of the Palatine, Michael Bell
  • Sur le Ephrata Cloister, la source primaire est constituĂ©e par le Chronicon Ephratense, chroniques du monastère rĂ©digĂ©es par les frères « en temps rĂ©el Â» ; ce document est largement citĂ© dans les anciens ouvrages dont de larges extraits sont mis en ligne sur le site Horseshoe (voir liens externes)
  • Pennsylvania Gazette du : Benjamin Shoemaker passe une annonce pour demander que des passagers de diffĂ©rents navires, dont la Princess Augusta, dont il a avancĂ© le prix du passage, pensent Ă  le rembourser.
  • Denis Leypold, Solange Hisler, Pierre Moll, Eva Braun, Jean FrĂ©dĂ©ric, Oberlin au Ban de la Roche, Association du MusĂ©e Oberlin, 1991.
  • LoĂŻc Chalmel, Oberlin, le pasteur des lumières, Ă©ditions la NuĂ©e Bleue, 2006

Articles connexes

Les conditions de vie à bord des navires traversant l'Atlantique, ainsi que les conditions de vente des indenture servants, ont été décrites par un passager du Osgood.

Certaines versions des légendes autour de la Princess Augusta comme vaisseau fantôme, par exemple celles qui parlent d'un navire en feu, rappellent celles du vaisseau fantôme de la baie des Chaleurs ; les folkloristes s'interesseront sans doute à la comparaison.

Liens externes

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