Pouvoir de marché
Le pouvoir de marchĂ© correspond Ă l'aptitude dâune entreprise (ou dâun groupe dâentreprises) Ă relever et maintenir ses prix au-dessus du niveau de concurrence. L'entreprise, est dans ce cas, faiseuse de prix (price maker).
Lâexercice dâun pouvoir de marchĂ© (qualifiĂ©e Ă©galement de pouvoir de monopole) se traduit par une moindre production et une perte de bien-ĂȘtre Ă©conomique. Le pouvoir de marchĂ©, ses manifestations, les stratĂ©gies qui y conduisent, la maniĂšre de le contrĂŽler sont les questions centrales de lâĂ©conomie industrielle.
Ă titre d'exemple, au dĂ©but du 20e siĂšcle aux Ătats-Unis, « le pouvoir de marchĂ© de compagnies comme Swift, Standard Oil, American Tobacco, American Sugar Refining Company ou US Steel leur permettait d'augmenter les prix qu'elles facturaient pour les denrĂ©es alimentaires, l'acier, le tabac, le sucre ou le pĂ©trole. Aujourd'hui, l'enjeu ne se rĂ©duit pas au prix ». Au XXIe siĂšcle,
« les conséquences potentielles de pouvoir de marché que détiennent les nouveaux géants du numérique sont plus vastes et plus pernicieuses que tout ce qui a pu exister au début du 20e siÚcle[1] »
Selon un rapport accablant de la Chambre amĂ©ricaine des reprĂ©sentants a publiĂ© en octobre 2020 : « En contrĂŽlant lâaccĂšs aux marchĂ©s, ces gĂ©ants peuvent choisir les gagnants et les perdants dans toute notre Ă©conomie [...] Non seulement ils exercent un pouvoir Ă©norme, mais ils en abusent en facturant des frais exorbitants, en imposant des conditions contractuelles oppressives et en extrayant des donnĂ©es prĂ©cieuses des personnes et des entreprises qui comptent sur eux. » [2]
Efficacité sociale et le pouvoir de marché
Dans une relation dâĂ©change, lâefficacitĂ© devrait conduire Ă rĂ©aliser toutes les transactions qui gĂ©nĂšrent un surplus. Dans ce cas, il sâagit dâune situation dâĂ©change telle que la valeur du bien pour celui qui lâachĂšte est plus Ă©levĂ©e que le coĂ»t de production. Ainsi, lâefficacitĂ© sociale devrait conduire Ă produire et Ă©changer toutes les unitĂ©s telles que le coĂ»t marginal de production est infĂ©rieur ou Ă©gal au Ă la valeur du bien pour lâacheteur, son utilitĂ© marginale. Pour la derniĂšre unitĂ© Ă©changĂ©e, on obtiendrait la rĂšgle dâefficacitĂ© classique :
coût marginal de production = utilité marginale de consommation
Cette efficacitĂ© est atteinte dans une situation de concurrence pure et parfaite (CPP) oĂč l'entreprise est preneuse de prix (price taker) alors que ce nâest pas le cas en situation de monopole.
Dans une situation de concurrence, câestâĂ âdire une situation oĂč un acteur (entreprise ou consommateur) pris isolement nâa pas dâinfluence sur le prix, la rĂšgle dâallocation efficace est atteinte. En effet, chaque entreprise faisant face Ă un prix de marchĂ© va produire tant que la valeur privĂ©e de cette transaction est positive. Ainsi, elle produit (et vend) tant que son coĂ»t marginal est infĂ©rieur au prix. Vendre Ă un prix infĂ©rieur au coĂ»t de production correspond Ă renoncer Ă des occasions de gagner supplĂ©mentaires[3]. Vendre Ă un coĂ»t supĂ©rieur au prix correspond Ă une perte nette[3]. Du cĂŽtĂ© de la demande, les consommateurs achĂštent le bien tant que la valeur quâils accordent Ă une unitĂ© supplĂ©mentaire est supĂ©rieure Ă son prix. Acheter Ă un prix infĂ©rieur Ă l'utilitĂ© signifie une sous satisfaction er Ă un prix supĂ©rieur correspond Ă une perte nette d'utilitĂ©[3]. Ainsi, Ă lâĂ©quilibre, on obtient :
coût marginal de production =prix= utilité marginale de consommation
Dans le cas non concurrentiel (pour simplifier une entreprise en monopole sur un marchĂ©), cette entreprise fixe seule ses prix. Elle peut bien sĂ»r choisir un prix Ă©gal au coĂ»t marginal, et obtenir un profit net strictement positif grĂące Ă toutes les unitĂ©s infraâmarginales pour lesquelles le prix est supĂ©rieur au coĂ»t de production. Mais elle peut Ă©galement dĂ©cider dâaugmenter un peu son prix. Ce faisant, il est possible que la demande qui sâadresse Ă elle diminue mais sa marge sur les unitĂ©s vendues va augmenter. Câest donc un arbitrage entre quantitĂ© et marge que va devoir effectuer ce monopole. Ceci amĂšne le monopole Ă sâĂ©carter de la rĂšgle efficace (celle de la CPP) et Ă proposer un prix qui sâĂ©loigne du coĂ»t marginal[4].
Mesure du pouvoir de marché
On peut donner une définition économique précise de la puissance sur le marché, mais il est difficile de la mesurer concrÚtement.
En matiĂšre de concurrence, le pouvoir de marchĂ© est dĂ©terminĂ© Ă lâaide dâune analyse structurelle du marchĂ©, notamment du calcul des parts de marchĂ©, qui oblige Ă examiner sâil existe dâautres producteurs des mĂȘmes produits ou de produits substituables (substituabilitĂ©). Lâanalyse dâun pouvoir de marchĂ© doit Ă©galement apprĂ©cier les barriĂšres Ă lâentrĂ©e ou Ă lâexpansion (BarriĂšres Ă lâentrĂ©e) et le degrĂ© dâinnovation. Elle peut par ailleurs faire intervenir des critĂšres qualitatifs, tels que les ressources financiĂšres, lâintĂ©gration verticale ou la gamme de produits de lâentreprise concernĂ©e[5].
- Lâune des mĂ©thodes proposĂ©es est lâindice (ou critĂšre) de Lerner, qui permet de calculer de combien le prix dĂ©passe le coĂ»t marginal. Cette diffĂ©rence peut-ĂȘtre exprimĂ©e en pourcentage du prix fait par le monopole.
- Cependant, comme il est difficile de mesurer en pratique le coût marginal, une alternative consiste à effectuer ce calcul par rapport au coût variable moyen.
- Une autre solution consiste Ă mesurer lâĂ©lasticitĂ© de la demande par rapport au prix pour lâentreprise, puisque cette Ă©lasticitĂ© est liĂ©e Ă la marge prix-coĂ»t (bĂ©nĂ©ficiaire) de lâentreprise et Ă sa capacitĂ© Ă relever ses prix. Le calcul de cette Ă©lasticitĂ© pose nĂ©anmoins de nombreux problĂšmes. Lâexercice effectif ou potentiel dâune puissance sur le marchĂ© permet de savoir si lâon se trouve en prĂ©sence dâatteintes substantielles Ă la concurrence ou si de telles atteintes risquent de se produire.
Aux Ătats-Unis et au Canada, les autoritĂ©s compĂ©tentes chargĂ©es des fusions procĂšdent Ă cet Ă©gard de la maniĂšre suivante : elles examinent si, aprĂšs fusion, les entreprises concernĂ©es pourront relever durablement leurs prix au-delĂ dâun certain seuil (par exemple 5 ou 10 pour cent, le chiffre variant selon le cas) sans provoquer lâentrĂ©e de nouvelles firmes ou la production de substituts. Cette capacitĂ© de majoration des prix est dĂ©terminĂ©e au moyen dâune analyse dĂ©taillĂ©e de la structure quantitative et qualitative du marchĂ© et des paramĂštres de comportement des entreprises[5].
Notes et références
- Joseph E. Stiglitz, Peuple, Pouvoir&Profits, le capitalisme à l'heure de l'exaspération sociale, Les liens qui libÚrent, octobre 2020, page 161
- « Comment le monde veut réduire le pouvoir des géants du Web », La Libre Belgique, (consulté le )
- Jean-Pierre Delas, Ăconomie contemporaine, Faits, concepts, thĂ©ories, Paris, Ellipses, , 751 p. (ISBN 978-2-7298-3611-5), p. 52
- Bruno Jullien et Wilfried SandâZantman, « LA REGULATION DES MONOPOLES », IDEI report,â (lire en ligne)
- European Commission et OECD, « Pouvoir de marché - Concurrences », sur concurrences.com (consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- Joseph E. Stiglitz, Peuple, Pouvoir&Profits, le capitalisme à l'heure de l'exaspération sociale, Les liens qui libÚrent, , (ISBN 9791020909121)