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Organisation industrielle

L'organisation industrielle (ou économie industrielle ou Concurrence parfaite et industrial organization[1] en anglais) est la branche de la microéconomie qui étudie le fonctionnement des marchés et les comportements des entreprises sur ces marchés.

Organisation industrielle

Elle traite notamment des situations dans lesquelles les entreprises disposent d'un pouvoir de marché, ce que les économistes appellent la concurrence imparfaite.

Elle se rĂ©duit toutefois Ă  l'analyse de la concurrence imparfaite. Un de ses objectifs est d'Ă©valuer la performance des marchĂ©s en matiĂšre d'efficacitĂ© et de bien-ĂȘtre collectif. À cet Ă©gard, l'Ă©conomie industrielle comporte une dimension importante d'aide Ă  la dĂ©cision publique, pour tout ce qui touche Ă  la rĂ©gulation des marchĂ©s.

Objet d'Ă©tude

L’économie industrielle a pour objet l’étude de « l’organisation et du fonctionnement des entreprises et des marchĂ©s dans le monde rĂ©el » (MĂ©dan et al, 2000).

L'organisation industrielle tire l'essentiel de ses outils de la microéconomie et de la théorie des jeux.

Les questions posées par l'organisation industrielle visent à ouvrir un certain nombre de boßtes noires de la microéconomie néoclassique. Elle se demande ainsi

  • pourquoi il existe des entreprises (plutĂŽt qu'un monde de travailleurs indĂ©pendants) ?
  • pourquoi la taille et la structure varient en fonction des produits, des marchĂ©s et du temps ?
  • pourquoi la prĂ©diction du prix au coĂ»t marginal n'est que trĂšs rarement vĂ©rifiĂ©e ?

Dans ce cadre, l'organisation industrielle a absorbé l'étude des monopoles et des oligopoles, ainsi que la problématique schumpetérienne du lien entre la capacité d'extraire des profits et la capacité à supporter des dépenses liées à la recherche et à l'innovation. Elle s'interroge ainsi également sur les raisons de la diversité des biens et par voie de conséquence à la dynamique de l'innovation.

En 1988, Richard Schmalensee définit ainsi l'économie industrielle par trois thÚmes essentiels[2] :

  • L'Ă©tude des dĂ©terminants du comportement, de la taille, de l'Ă©chelle et de l'organisation des entreprises privĂ©es ;
  • La concurrence imparfaite, c'est-Ă -dire dans quelle mesure le fonctionnement et la performance du marchĂ© (en tant que moyen d'allocation des ressources entre agents) est affectĂ© lorsque les conditions de la concurrence pure et parfaite (CPP) ne sont pas respectĂ©es ? Ce thĂšme couvre en particulier les questions de choix de prix, de quantitĂ© et de capacitĂ©, ainsi que la concurrence hors-prix : sĂ©lection des produits, publicitĂ©, changement technique.
  • L'Ă©tude des politiques publiques concernant l'activitĂ© Ă©conomique, en particulier en matiĂšre de droit de la concurrence, de dĂ©rĂ©gulation, et de privatisations, ainsi que des politiques industrielles affectant le progrĂšs technique.

Concepts principaux

Le marché et les mécanismes de marché

Dans son ouvrage ThĂ©orie de l’organisation industrielle, Jean Tirole souligne la difficultĂ© empirique qu’il y a Ă  dĂ©finir un marchĂ© en Ă©crivant que « la notion de marchĂ© est loin d’ĂȘtre simple,
 [si] la dĂ©finition d’un marchĂ© ne saurait ĂȘtre trop Ă©troite, la dĂ©finition ne doit pas ĂȘtre [non plus] trop large. La « bonne » dĂ©finition dĂ©pend de l’usage qui en sera fait. Il n’y a pas de recette facile pour dĂ©finir un marchĂ© ». Au-delĂ  de cette plaisante rĂ©flexion, l’idĂ©e est de dĂ©crire une norme (que l’on pourrait prĂ©senter comme un idĂ©al-type au sens de Max Weber) pour examiner, ensuite, comment et pourquoi la rĂ©alitĂ© s’écarte de cette rĂ©fĂ©rence.

Au sens Ă©conomique, un marchĂ© est le lieu oĂč se rencontrent une offre et une demande, oĂč s’établissent des contrats (qui peuvent porter sur les quantitĂ©s, la qualitĂ© ou le prix) et oĂč se concluent des Ă©changes.

En Ă©conomie industrielle, il convient aussi, pour rester pertinent, de dĂ©finir « l’étendu d’un produit », c’est-Ă -dire ses caractĂ©ristiques qui font que les biens entre eux ne sont pas parfaitement substituables mais similaires. Par exemple dĂ©finir, selon les cas, si une chemise et un tee-shirt sont similaires (ce sera alors le mĂȘme marchĂ©) ou s’il faut considĂ©rer deux marchĂ©s distincts.

En pratique, il faut s’intĂ©resser Ă  l’organisation de la production qui va influer sur la nature du marchĂ©. En raison des spĂ©cificitĂ©s sectorielles, il s’agit aussi souvent d’adopter une approche au cas par cas pour Ă©tudier la concurrence. L’organisation industrielle s’intĂ©resse donc Ă  des Ă©quilibres partiels et non Ă  l’équilibre gĂ©nĂ©ral, cher aux macroĂ©conomistes.

Les intervenants sur le marché

L’économie industrielle s’intĂ©resse aux interactions entre les diffĂ©rents acteurs du marchĂ© (i.e., entreprises, consommateurs et l'Etat).

L'entreprise

Selon Jean Tirole, « une entreprise doit ĂȘtre capable de produire (ou vendre) plus efficacement que ne le pourraient ses parties constituantes en agissant sĂ©parĂ©ment ». Une entreprise doit optimiser en permanence pour maximiser son profit (ou minimiser ses pertes), mettre en Ɠuvre diffĂ©rentes combinaisons d’activitĂ©, s’adapter Ă  son environnement. Ce comportement peut l’amener Ă  rechercher un pouvoir de marchĂ© allant jusqu’au monopole, par l'Ă©limination progressive de ses concurrents, ou Ă  profiter des interactions avec les autres producteurs pour s’inscrire dans un oligopole. Le profit Ă©tant dĂ©fini comme l’écart entre le chiffre d’affaires et les coĂ»ts engagĂ©s (fixes et variables), sa maximisation suppose de minimiser les coĂ»ts sous la contrainte de la fonction de production (pour vendre, il faut produire un bien ou un service). La fonction de coĂ»t d’une entreprise est la donnĂ©e clĂ© de l’économie industrielle.

L'entreprise comme processus de production

Dans l'analyse microéconomique traditionnelle, ou standard, l'entreprise est abordée au travers de ses caractéristiques techniques. Elle est une organisation dont le but est de produire certains biens ou services. Pour produire ces biens, elle combine des facteurs de production, tels que la force de travail, le capital matériel (locaux, machines, etc.) et immatériel (savoir-faire, connaissance, etc.), des matiÚres premiÚres ou des biens intermédiaires. Les contraintes techniques de l'entreprise sont représentées par une fonction de production qui détermine les niveaux de production accessibles pour différentes combinaisons des facteurs de production.

L'entreprise comme organisation

L'entreprise remplit deux fonctions.

  • Elle est une instance de coordination du processus de production. Dans La Richesse des nations (1776), Adam Smith prĂ©sente la firme moderne comme une rĂ©ponse Ă  la complexitĂ© croissante des activitĂ©s, en particulier Ă  la division du travail.
  • Elle repartit la valeur crĂ©Ă©e entre les parties impliquĂ©es dans le processus, ainsi que les risques liĂ©s aux alĂ©as de la production.

Cependant, cela n'explique pas la forme particuliĂšre d'organisation qu'est la firme et pourquoi ces deux fonctions doivent ĂȘtre remplies au sein de celle-ci. Comme le souligne Ronald Coase dĂšs 1937, la nature fondamentale des Ă©changes qui s'opĂšrent au sein d'une entreprise n'est pas diffĂ©rente de celle des Ă©changes qui s'opĂšrent sur les marchĂ©s. Telle entreprise peut faire effectuer la mĂȘme opĂ©ration en interne ou, en externe, en faisant appel Ă  un sous-traitant. Seul le mode de transaction change. Selon Coase, la question est donc de comprendre pourquoi tel type d'Ă©change se fait au sein d'une entreprise, et tel autre sur les marchĂ©s. Il fonde alors son approche sur le fait que tout Ă©change implique des coĂ»ts de transaction (principalement des coĂ»ts de recherche du meilleur partenaire et de nĂ©gociation des contrats), L'Ă©change se fera au sein d'une entreprise si le coĂ»t de transaction (i.e., en externe) de cette opĂ©ration est moins Ă©levĂ© dans l'entreprise que sur le marchĂ©.

Les travaux de Coase ont eu une profonde influence sur l'analyse moderne de l'entreprise, telle qu'elle apparaßt, dÚs le milieu des années 1970, en particulier dans les travaux d'Oliver Williamson qui a cherché à définir la nature de ces coûts de transaction.

Au-delĂ  des coĂ»ts directs (la nĂ©gociation des Ă©changes par exemple), cette notion de coĂ»ts englobe tous les facteurs qui limitent les parties dans leur capacitĂ© d'amĂ©liorer l'efficacitĂ© des Ă©changes. Une des sources d'inefficacitĂ©, mise en avant par Herbert Simon (1976), provient des limites aux capacitĂ©s cognitives des individus, la rationalitĂ© limitĂ©e (par opposition Ă  la rationalitĂ© illimitĂ©e chĂšre aux Ă©conomistes) des acteurs. Une deuxiĂšme limitation provient de ce que Williamson appelle l'opportunisme des acteurs. Une entreprise est une organisation mettant en prĂ©sence des individus aux intĂ©rĂȘts multiples et parfois contradictoires. Les objectifs des cadres dirigeants (managers, en anglais), des propriĂ©taires et des employĂ©s sont diffĂ©rents. Dans un tel contexte, les divers acteurs ne sont enclins Ă  rĂ©vĂ©ler l'information dont ils disposent et Ă  agir dans le sens de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral que si cela sert leur objectif propre. La bonne marche de la coopĂ©ration nĂ©cessite la mise en place de mĂ©canismes visant Ă  limiter les comportements opportunistes, c'est-Ă -dire Ă  fournir de bonnes incitations. Et cela induit nĂ©cessairement une certaine perte d'efficacitĂ©.

Le systĂšme de prix constitue le mĂ©canisme utilisĂ© par le marchĂ© tandis que l'entreprise se fonde sur une forme d'organisation plus hiĂ©rarchisĂ©e. À cet Ă©gard, la firme est vue comme un ensemble de contrats liant les parties dans le but de mettre en place la production.

Le consommateur

La fonction de demande reflĂšte le comportement du consommateur qui, en tenant compte de sa contrainte budgĂ©taire, maximise son utilitĂ©. Ce comportement a un effet sur le prix d’équilibre et donc sur le chiffre d’affaires de l’entreprise. La fonction de demande est dĂ©terminĂ©e par un « prix de rĂ©serve » au-dessus duquel le consommateur a dĂ©cidĂ© qu’il n’achĂšterait pas. Si ce prix est proposĂ©, le consommateur A achĂšte ; si le prix est infĂ©rieur A et B, qui a un « prix de rĂ©serve » infĂ©rieur, achĂštent et A voit sa satisfaction (son bien-ĂȘtre) augmenter. Plus le prix est bas, plus nombreux et contents sont les consommateurs. Le « surplus social » augmente.

Les pouvoirs publics

En économie industrielle, les pouvoirs publics mettent en place des politiques de rÚglementation ou de régulation pour corriger les imperfections de marché.

Les sources de pouvoirs de marché

L'organisation industrielle étudie le pouvoir de marché des entreprises qui peut découler des différentes structures de marché et des interventions publiques mises en oeuvre pour limiter la capacité des entreprises à abuser de leur pouvoir de marché.

Les Ă©conomies d'Ă©chelle

Dans une premiÚre approche, la taille et le nombre d'entreprises dans un secteur d'activité reflÚtent l'ampleur des économies d'échelle, terme utilisé pour indiquer le lien entre le niveau global de la production d'une entreprise et son coût unitaire (coût total rapporté au volume de la production). On dit qu'il y a des économies d'échelle si le coût unitaire baisse lorsque la production totale augmente. Dans ce cas, il est plus efficace de concentrer la production sur un nombre restreint d'entreprises que de la répartir entre de nombreuses entreprises produisant peu, puisque ainsi on réduit la dépense par unité produite.

Les barriÚres technologiques à l'entrée

Tout dĂ©marrage d'une nouvelle activitĂ© industrielle nĂ©cessite des dĂ©penses initiales spĂ©cifiques : recherche et dĂ©veloppement, mise en place des capacitĂ©s de production et du circuit de distribution, information des consommateurs et construction d'une image de marque. Le concept de coĂ»ts d'entrĂ©e regroupe ces dĂ©penses. À la diffĂ©rence des coĂ»ts fixes, les coĂ»ts d'entrĂ©e ne sont engagĂ©s qu'une fois. Lorsqu'elle envisage d'entrer sur un marchĂ©, une entreprise doit Ă©valuer si les perspectives de profit futur justifient l'engagement de ces coĂ»ts. Cela signifie que si les coĂ»ts d'entrĂ©e sont Ă©levĂ©s, il y aura peu d'entreprises actives sur le marchĂ©.

Les barriÚres réglementaires à l'entrée

L'intervention des pouvoirs publics peut aussi freiner l'entrĂ©e sur un marchĂ© en bloquant par des barriĂšres Ă  l'entrĂ©e les nouveaux entrants ou les produits substituables au sens de M. Porter. Ces barriĂšres peuvent ĂȘtre tarifaires (impĂŽts et taxes, droits de douane) ou non tarifaires (quotas, normes). Dans ce cas, elle a un coĂ»t social (prix Ă©levĂ©s, qualitĂ© insuffisante, etc.) qu'il convient de mettre en balance avec les justifications de l'intervention, qu'elles soient d'ordre Ă©conomique, social, juridique ou prudentiel.

Les structures de marché

Le monopole

Voir monopole pour l'article détaillé.

L'oligopole

Les oligopoles s’observent en pratique dans de nombreux secteurs d’activitĂ© comme la construction automobile ou l’industrie du tabac.

Dans la plupart des cas, un oligopole est non-coopĂ©ratif et chaque entreprise prend ses dĂ©cisions (sur le prix ou sur les quantitĂ©s) en fonction de ce qu’elle suppose ĂȘtre le comportement des autres membres de l’oligopole. En langage Ă©conomique, il s’agit de faire des hypothĂšses sur la fonction de rĂ©action des concurrents. Cette Ă©tape vient s’ajouter Ă  la connaissance de la fonction de demande des consommateurs.

Voir oligopole pour l'article détaillé.

Les stratégies de préservation et d'extension du pouvoir de marché

La différenciation des produits

Les biens offerts sur un mĂȘme marchĂ© sont rarement homogĂšnes, rigoureusement interchangeables. Leurs diffĂ©rences rĂ©sultent d'une politique de production dĂ©libĂ©rĂ©e. Les offreurs souhaitent souvent se distinguer les uns des autres pour capter une clientĂšle, la fidĂ©liser. Et les concurrents vantent leurs produits en matiĂšre de qualitĂ© et de performances d'utilisation pour conquĂ©rir et dĂ©fendre des micro-monopoles.

La différenciation du bien est verticale si, à prix égal, les acheteurs adressent unanimement leurs demandes au bien de qualité présumée supérieure. La qualité du bien est, en ce cas, synonyme d'excellence. La différenciation est horizontale si, à prix égal, les acheteurs se répartissent entre les différentes versions du produit, en fonction de leurs qualités respectives et des goûts personnels des consommateurs. Dans ce cas, la qualité définit une étroite conformité aux attentes de la clientÚle visée[3].

Les barriÚres stratégiques à l'entrée

Lorsqu'il existe des barriĂšres technologiques Ă  l'entrĂ©e, les firmes en place sur un marchĂ© peuvent en plus dĂ©velopper des stratĂ©gies industrielles qui dissuadent les concurrents en puissance de venir sur le marchĂ©. Puisqu'une entreprise n'entre sur un marchĂ© que si elle anticipe des profits suffisants pour compenser ses coĂ»ts d'entrĂ©e, toute stratĂ©gie qui permet de rĂ©duire les profits futurs des concurrents permet de barrer l'entrĂ©e. Dans ce contexte, on dit que la firme en place met en place des barriĂšres stratĂ©giques Ă  l'entrĂ©e. Ces stratĂ©gies soulĂšvent deux difficultĂ©s : elles doivent d'abord ĂȘtre crĂ©dibles, et elles ne doivent pas ĂȘtre trop coĂ»teuses (pour la firme en place).

La prédation

On parle de comportement de prĂ©dation lorsqu'une entreprise « agresse » des concurrents afin de les Ă©vincer du marchĂ© ou tout au moins de les fragiliser pour accroĂźtre son pouvoir de marchĂ©. Les stratĂ©gies de surinvestissement dĂ©jĂ  discutĂ©es peuvent ĂȘtre adoptĂ©es dans ce but. Une alternative consiste Ă  baisser fortement ses prix de façon Ă  diminuer la rentabilitĂ© des concurrents.

Les relations verticales entre entreprises

Les relations verticales entre entreprises fait Ă©galement l'objet de travaux en Ă©conomie industrielle. Le problĂšme de double marginalisation est une illustration.

La théorie de la réglementation et la théorie des contrats incitatifs

Les rĂ©gulateurs cherchent Ă  contrĂŽler le comportement des firmes disposant d’un pouvoir de marchĂ© (monopoles, monopoles naturels, oligopoles). Il s’agit d’aligner l’objectif de la firme et l’intĂ©rĂȘt collectif. La tĂąche est rendue dĂ©licate du fait de l’asymĂ©trie d’information entre rĂ©gulateur et rĂ©gulĂ©, lequel par essence connaĂźt mieux sa propre situation (fonction de coĂ»ts, technologie utilisable pour abaisser les coĂ»ts, effort de rĂ©duction des coĂ»ts
) que le rĂ©gulateur. C’est une information privĂ©e qu’il n’a pas toujours intĂ©rĂȘt Ă  rĂ©vĂ©ler[4].

Laffont et Tirole (1986) ont construit un modĂšle qui montre que le problĂšme peut ĂȘtre rĂ©solu par l’offre d’un menu de contrats. En choisissant un contrat, le rĂ©gulĂ© rĂ©vĂšle son information privĂ©e (auto rĂ©vĂ©lation). Dans la rĂ©alitĂ© cela se concrĂ©tise Ă  l’occasion de processus de nĂ©gociation entre rĂ©gulateur et rĂ©gulĂ© (gĂ©nĂ©ralement pas explicitement par un menu de contrats). AprĂšs avoir rappelĂ© la nature et les consĂ©quences essentielles de l’asymĂ©trie d’information, on examinera la logique qui prĂ©side Ă  l’offre d’un menu de contrats pour enfin prĂ©senter briĂšvement les principes du modĂšle fondamental de Laffont et Tirole.

Les relations Ă©tudiĂ©es supposent un dĂ©ficit informationnel chez l'autoritĂ© (le principal). GĂ©nĂ©ralement, l'opĂ©rateur (l'agent) dispose d'une connaissance privĂ©e de la technologie utilisĂ©e, de l'Ă©tat des coĂ»ts d'exploitation ou de la demande du marchĂ©. La nouvelle thĂ©orie de la rĂ©gulation propose donc de considĂ©rer systĂ©matiquement les rapports entre rĂ©gulateur et opĂ©rateur Ă  travers le cadre normatif principal-agent. S'inspirant des techniques de la conception de mĂ©canismes, cette approche Ă©labore les mĂ©canismes rĂ©gulateurs optimaux et requiert pour cela une dĂ©finition prĂ©cise des objectifs de l'autoritĂ© et de la firme et une prise en compte rigoureuse des contraintes Ă©conomiques et informationnelles. Les contraintes informationnelles constituent l'enjeu majeur de cette thĂ©orie. Leur existence gĂȘne le contrĂŽle de l'autoritĂ© et empĂȘche celle-ci de mettre en place la politique rĂ©glementaire qui s'avĂšre ĂȘtre la meilleure pour la sociĂ©tĂ©.

DĂ©veloppement de l'Ă©conomie industrielle et influences pratiques

Historique

L’économie industrielle est le fruit d’une longue tradition, initiĂ©e par des ingĂ©nieurs Ă©conomistes français, dont Cournot et Dupuit sont les grands noms. Elle s’est ensuite tournĂ©e vers les politiques publiques, avec l’entrĂ©e en vigueur du Sherman Act aux Etats-Unis et la construction du droit de la concurrence.

L'Ă©conomie industrielle s'est imposĂ©e en tant que discipline Ă  partir des annĂ©es 1940, sous l'impulsion d'Ă©conomistes tels qu'Edward Mason et Joe Bain. Ce courant initial, baptisĂ© Tradition de Harvard, a adoptĂ© une approche descriptive, et sa fameuse « Structure-Conduct-Performance » qui conforte et affine l’intervention publique dans l’organisation des marchĂ©s[2] - [5]. On l'oppose gĂ©nĂ©ralement Ă  la Tradition de Chicago, plus thĂ©orique et non- interventionniste. Cette derniĂšre adopte une approche sceptique critiquant l’absence de fondement thĂ©orique de l’économie industrielle, mais qui, rĂ©ticente face Ă  la rĂ©gulation en gĂ©nĂ©ral, n’a pas dĂ©veloppĂ© d’autres doctrines en la matiĂšre.

En effet, avant les annĂ©es 1980, pour l’économiste, une entreprise Ă©tait, de fait, une boĂźte noire (qui permet de transformer divers entrants en produit final et dont la fonction de coĂ»t permet d’établir un prix de vente). La portĂ©e des Ă©tudes systĂ©matiques Ă©tait de ce fait limitĂ©e : il est possible de constater une corrĂ©lation entre, par exemple, le taux de concentration d’une industrie et les profits rĂ©alisĂ©s par les entreprises du secteur sans saisir les causalitĂ©s Ă  l’Ɠuvre. Les conclusions qui pouvaient ĂȘtre tirĂ©es de telles Ă©tudes Ă©taient souvent rudimentaires (lutter contre les cartels, casser les monopoles) et sans vĂ©ritable dimension prospective, ce qui rĂ©duisait leur efficacitĂ©.

C'est avec les avancĂ©es en thĂ©orie des jeux et thĂ©orie de l'information, au dĂ©but des annĂ©es 1980, que l'Ă©conomie industrielle se dote d'outils pour modĂ©liser les comportements complexes des entreprises. Cela donna naissance Ă  une littĂ©rature trĂšs majoritairement thĂ©orique[2]. Cette approche permet de tenir compte des asymĂ©tries d’information et de comprendre de quelle façon un changement de rĂšglementation peut les corriger. La comparaison d'un texte de rĂ©fĂ©rence des annĂ©es 1970, Industrial Market Structure and Economic Performance de F. Michael Scherer, et du texte de Jean Tirole, ThĂ©orie de l'organisation industrielle (1988), montre cette Ă©volution sensible, due Ă  l'irruption de la thĂ©orie des jeux. La thĂ©orie de l’organisation industrielle a permis de passer du constat comportementaliste statique (telle industrie se trouve dans telle situation) Ă  une approche cognitive de l’entreprise (relations avec les concurrents, politique de recherche et dĂ©veloppement, diffĂ©renciation des produits). La comprĂ©hension des choix stratĂ©giques (passĂ©s et futurs) permet de mieux spĂ©cifier les caractĂ©ristiques particuliĂšres du secteur et de rendre ainsi la rĂ©glementation plus efficace (ouverture Ă  la concurrence, rĂ©gulations de firmes dominantes).

En permettant, toujours Ă  travers des modĂšles, ces Ă©tudes rigoureuses des interactions stratĂ©giques permettent Ă  l’économiste d'apporter des conseils plus pertinents (Ă  l’entreprise pour son organisation ou Ă  l’Etat pour la rĂšglementation) qui seront adaptĂ©s Ă  une industrie spĂ©cifique.

L’économie industrielle — et plus encore l’économie de l’innovation — ne se sont dĂ©veloppĂ©es que tardivement en France, par rapport Ă  l’émergence de l’industrial organization aux États-Unis. Il faut en effet attendre les annĂ©es 1970 pour que les premiers manuels soient publiĂ©s en français et que cet enseignement ne soit introduit dans le cursus de licence ou maĂźtrise de sciences Ă©conomiques des universitĂ©s. L'Ă©cole d'Ă©conomie de Toulouse a contribuĂ© fortement Ă  cette discipline.

AprÚs un développement important de la théorie, la discipline semble maintenant s'orienter vers une phase de travaux plus appliqués (empirical industrial organization)[6].

DĂ©finitions

L'organisation industrielle étudie les comportements stratégiques entre acteurs économiques, et donc n'entre pas dans le cadre de la concurrence pure et parfaite (CPP). Ce champ est parfois nommé "concurrence imparfaite". Ces deux dénominations correspondent aux titres des versions française et anglaise de l'ouvrage de Jean Tirole, Concurrence imparfaite, Economica, Paris, 1986 et Industrial Organization, MIT press 1988, qui constituent le point de départ de ce champ en France.

Par ailleurs, l'utilisation d"industrielle" dans la dĂ©nomination de cette discipline peut ĂȘtre trompeuse. Elle n'est pas spĂ©cifique Ă  l'industrie et concerne tous les acteurs et secteurs Ă©conomiques dont celui des services. Cela provient du fait qu'en anglais, le terme "industry" dĂ©signe plutĂŽt un secteur ou une filiĂšre qu'une structure proprement industrielle (au sens du secteur industriel, secondaire, transformatif par opposition aux secteurs primaire - extractif - et tertiaire - services). En particulier, l'Ă©tude Ă©conomique du fonctionnement d'une industrie se rapproche plutĂŽt de la recherche opĂ©rationnelle, de l'ingĂ©nierie de production et de la logistique que de l'Ă©conomie industrielle.

Industrial organization versus Industrial Dynamics

L’économie industrielle se diffuse en France selon deux principales orientations correspondant aux deux voies suivies par la discipline:

  • Un premier courant prolonge l’approche amĂ©ricaine oĂč l’économie industrielle reste centrĂ©e sur les questions des structures de marchĂ© et sur l’évaluation de leur efficacitĂ© en matiĂšre d’allocation des ressources. L’Institut d’économie industrielle (IDEI) Ă  Toulouse constitue le fleuron de cette dĂ©marche, grĂące Ă  l’implication de deux universitaires français, Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole, qui feront le lien entre leurs deux attaches : l’une au Massachusetts Institute of Technology (Boston) aux États-Unis et l’autre Ă  Toulouse, oĂč ils vont crĂ©er l'un des meilleurs pĂŽles europĂ©ens en matiĂšre de recherches et de formation de docteurs dans le champ de l’industrial organization, connu aujourd’hui sous le nom de Toulouse School of Economics (TSE). Pour une grande part, l’économie industrielle concerne la microĂ©conomie en situation d’information imparfaite.
  • Un deuxiĂšme courant, prenant appui sur les diffĂ©rentes approches structuralistes trĂšs prĂ©sentes parmi les Ă©conomistes français et parmi certains gestionnaires travaillant sur la firme, va dĂ©velopper une approche de l’économie industrielle plus orientĂ©e vers la question productive que sur celle du marchĂ©. Prenant appui sur une association, l’Association pour le dĂ©veloppement d’études sur la firme et l’industrie (ADEFI, association aujourd’hui en sommeil) et sur une revue scientifique (la Revue d’économie industrielle), proposant des outils de politique industrielle (notamment les politiques de filiĂšre des annĂ©es 1980) et, plus tard, sur une Ă©cole d’étĂ© (l’école mĂ©diterranĂ©enne d’économie industrielle, CargĂšse), l’étude des systĂšmes productifs devient centrale dans ces travaux. La publication du volumineux TraitĂ© d’économie industrielle en 1988 constitue le point d’orgue de cette dĂ©marche.

Ces travaux s’efforcent de fĂ©dĂ©rer un ensemble d’équipes dispersĂ©es (Paris, Nice, Strasbourg, Grenoble, Montpellier, Lyon, Bordeaux). Par opposition au courant prĂ©cĂ©dent, ces analyses entendent se concentrer sur les processus de crĂ©ation des ressources en les replaçant dans un cadre contextuel large : stratĂ©gies des acteurs, analyses organisationnelles des firmes, prise en compte des technologies et de leurs modifications mais aussi place centrale des Institutions dont l’État. La montĂ©e des questionnements scientifiques associĂ©s aux diffĂ©rentes formes de l’informatisation de la sociĂ©tĂ© va rĂ©actualiser l’analyse de l’innovation, longtemps nĂ©gligĂ©e, comme le propose Jean-Luc Gaffard (1990).

Quand Bo Carlsson (1987, 1992) proposera d’opposer l’Industrial Organization (IO) centrĂ© sur la question de l’allocation des ressources existantes Ă  l’Industrial Dynamics (ID) orientĂ© vers la crĂ©ation de ressources et l’innovation technologique, le second courant se revendiquera clairement du champ de la Dynamique industrielle (Arena, 1990). Ce dernier se dĂ©cline cependant dans des approches hĂ©tĂ©rodoxes diversifiĂ©es (Ă©volutionnisme, rĂ©gulationisme, institutionalisme, etc.) et veut s’opposer Ă  la « nouvelle Ă©conomie industrielle ».

En français, il est assez classique de reprendre cette opposition en proposant les termes d'organisation industrielle et d'économie des organisations.

Une discipline irriguant la science Ă©conomique

Les annĂ©es 1980 et dĂ©but des 1990 correspondent Ă  l’ñge d’or de l’économie industrielle et de l’innovation, dans la diversitĂ© des approches dĂ©veloppĂ©es. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi elle va Ă  cette Ă©poque prendre une position dominante dans l’ensemble du champ de la science Ă©conomique et participer Ă  son renouvellement.

  • PremiĂšrement, elle est productrice de concepts novateurs et de nouvelles approches (Ă©conomie de l’innovation, thĂ©orie des coĂ»ts de transaction, thĂ©orie des marchĂ©s parfaitement disputables, Ă©conomie de la connaissance, etc.).
  • DeuxiĂšmement, elle est en prise avec les problĂšmes auxquels sont alors confrontĂ©es les Ă©conomies en matiĂšre de concurrence par l’innovation ou de reconversion industrielle (retour Ă  Schumpeter et dĂ©veloppement de l’évolutionnisme) : il s’agit de problĂšmes productifs.
  • TroisiĂšmement, la crise du keynĂ©sianisme a laissĂ© la place libre aux approches nĂ©oclassiques en macro-Ă©conomie et les courants hĂ©tĂ©rodoxes ont trouvĂ© dans la mĂ©so-Ă©conomie un espace et des outils pour penser dans leur propre champ (jusqu’au retour de l’institutionnalisme).

Les approches initiĂ©es dans le champ de l’économie industrielle et de l’innovation vont trouver des applications dans de nouveaux champs disciplinaires qu’ils vont contribuer Ă  renouveler : Ă©conomie bancaire, nouvelle Ă©conomie internationale, l’économie spatiale et, plus tard, l’économie gĂ©ographique, l’économie du dĂ©veloppement, etc. On peut mĂȘme parler d’une banalisation tant aujourd’hui il est communĂ©ment admis que la rivalitĂ© concurrentielle ou l’avantage compĂ©titif (ou concurrentiel cher Ă  Michael Porter) passe par l’aptitude des firmes et des Ă©conomies Ă  innover.

Une discipline avec une influence pratique importante

L'économie industrielle reste aussi trÚs proche de la pratique par son influence sur la conduite de la politique de la concurrence et sur celle de la politique de réglementation des monopoles.

Notes et références

  1. Selon le titre d'un livre de Joe Bain considéré par l'American Economic Association comme le pÚre de l'Industrial Organisation Economics moderne.
  2. Schmalensee, "Industrial Economics: An Overview", The Economic Journal, 1988.
  3. EncyclopÊdia Universalis, « CONCURRENCE, économie », sur EncyclopÊdia Universalis (consulté le )
  4. Bruno Jullien et Wilfried Sand‐Zantman, « LA REGULATION DES MONOPOLES », IDEI report,‎ (lire en ligne)
  5. (en) George Stiglitz, The Organization of Industry, Irwin, , cité par Schmalensee (1988).
  6. Liran Einav et Jonathan D Levin, « Empirical Industrial Organization: A Progress Report », National Bureau of Economic Research, National Bureau of Economic Research, no 15786,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )

Bibliographie

  • Bruno JULLIEN, « ÉCONOMIE INDUSTRIELLE », dans EncyclopĂŠdia Universalis (lire en ligne)
  • Jean Tirole (trad. de l'anglais), ThĂ©orie de l'organisation industrielle, Paris, Economica, , 419 p. (ISBN 2-7178-2218-6 et 2-7178-2217-8)
    Ouvrage de référence demandant une familiarité avec la théorie des jeux et la microéconomie de base.
  • Yves Morvan, Fondements d'Ă©conomie industrielle, Paris, Economica,
  • (en) Luis Cabral, Introduction to industrial organization, MIT Press, , 354 p. (ISBN 0-262-03286-4, lire en ligne)
    Manuel d'introduction, plus basique et plus récent que l'ouvrage de Jean Tirole.
  • Les trois volumes du Handbook of Industrial Organization constituent la rĂ©fĂ©rence de ce champ Ă  un niveau recherche (M1 et au-delĂ ).
    • (en) Handbook of Industrial Organization, vol. 1, Amsterdam/London/New York etc., Elsevier Science Pub. Co., coll. « Handbooks of Economics », , 947 p. (ISBN 0-444-70434-5)
    • (en) Handbook of Industrial Organization, vol. 2, Elsevier Science Pub. Co., coll. « Handbooks of Economics », , 1555 p. (ISBN 0-444-70435-3)
    • (en) Handbook of Industrial Organization, vol. 3, Elsevier Science Pub. Co., coll. « Handbooks of Economics », , 2440 p. (ISBN 978-0-444-82435-6 et 0-444-82435-9, lire en ligne)
  • (en) Richard Schmalensee, « Industrial Economics: An Overview », The Economic Journal, vol. 98, no 392,‎ , p. 643 - 681 (ISSN 0013-0133, rĂ©sumĂ©)
    Revue de littérature des principaux thÚmes de l'économie industrielle.
  • Carlsson B., 1987, Reflections on industrial dynamics: the challenges ahead, International Journal of Industrial Organization, 5(2)
  • Carlsson B., 1992, Industrial Dynamics: A Framework for Analysis of Industrial Transformation. Revue d’économie industrielle, no.61, 7-32.
  • Arena R., 1990, La dynamique industrielle : tradition et renouveau, Revue d’économie industrielle, no.53, 5-17.
  • Arena R., de Bandt, J., Benzoni L., Romani P.M. (coord.), 1988, TraitĂ© d’économie industrielle, Economica, Paris. *
  • Gaffard J.L., 1990, Économie industrielle et de l’innovation. PrĂ©cis Dalloz, Paris
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