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PolynĂŽme de Hurwitz

Un polynĂŽme de Hurwitz, ainsi nommĂ© en l'honneur du mathĂ©maticien allemand Adolf Hurwitz, est un polynĂŽme d’une variable Ă  coefficients rĂ©els dont les racines sont toutes Ă  partie rĂ©elle strictement nĂ©gative. De tels polynĂŽmes jouent un rĂŽle important dans la thĂ©orie des Ă©quations diffĂ©rentielles linĂ©aires Ă  coefficients constants ainsi qu'en automatique, pour l’analyse de la stabilitĂ© des systĂšmes dynamiques. Le critĂšre de Routh-Hurwitz, dĂ©taillĂ© plus bas, permet de tester cette stabilitĂ©. Il a Ă©tĂ© obtenu indĂ©pendamment par le mathĂ©maticien anglais Edward Routh en 1875[1] et par Hurwitz en 1895[2] et a Ă©tĂ© amĂ©liorĂ© en 1914 par les mathĂ©maticiens français LiĂ©nard et Chipart dont le test de stabilitĂ© (Ă©galement dĂ©taillĂ© plus bas) est probablement le plus simple et le plus efficace[3]. L'intĂ©rĂȘt pour ces diffĂ©rents critĂšres a Ă©tĂ© relancĂ© dans les annĂ©es 1980 par le thĂ©orĂšme de Kharitonov (en). Le lecteur pourra trouver quelques Ă©lĂ©ments historiques aux articles Automatique et StabilitĂ© de Lyapunov. Le CritĂšre de Jury (en) est l'Ă©quivalent du critĂšre de Routh-Hurwitz pour les systĂšmes Ă  temps discret.

Propriétés

Considérons un polynÎme de degré à coefficients réels et ses racines réelles ou complexes (par couples de valeurs conjuguées dans ce cas). Les formes développée et factorisée sont les suivantes : .

Sans restreindre la généralité, supposons encore .

On montre aisément les propriétés suivantes :

  1. Les coefficients d’un polynîme de Hurwitz sont > 0.
  2. Si possĂšde une racine rĂ©elle ≄ 0, alors au moins un coefficient est ≀ 0.
  3. est de Hurwitz si et seulement si l’est Ă©galement.
  4. Pour n > 1, soit le polynÎme de degré n(n-1)/2 dont les racines sont les sommes deux à deux des racines de , soit les avec . Alors est de Hurwitz si et seulement si les coefficients de et de sont > 0[4].
  5. Si les coefficients de sont > 0, n’est pas nĂ©cessairement de Hurwitz.

Preuves

  1. Il suffit de développer la forme factorisée pour le montrer (en utilisant le coefficient de Newton).
  2. Il suffit de constater que .
  3. Au préalable, on vérifie que les coefficients de sont réels.
    • La nĂ©cessitĂ© se dĂ©duit de l’application de 1 pour et de sa preuve pour .
    • Pour la suffisance, on vĂ©rifie successivement Ă  l’aide de 2 : a) les racines rĂ©elles de sont < 0 ; b) si une racine complexe de est Ă  partie rĂ©elle ≄ 0, alors, en l’ajoutant Ă  sa conjuguĂ©e, possĂšde une racine rĂ©elle ≄ 0, ce qui est exclu.
  4. Un contre-exemple : et .

Conditions supplémentaires

En plus de satisfaire la propriĂ©tĂ© 1 ci-dessus sur la positivitĂ© des coefficients, d’autres conditions sont nĂ©cessaires pour assurer qu’un polynĂŽme est de Hurwitz :

  • : pas d'autre condition[5]
  • : ajouter
  • : ajouter qui s’écrit aussi
  • : ajouter plus d’une condition (cf tableaux de Routh ci-dessous).

Remarques :

  • La condition pour se retient aisĂ©ment par des considĂ©rations Ă©nergĂ©tiques (voir l'article filtre Ă©lectrique linĂ©aire).
  • La condition pour doit converger vers celle pour lorsque est quasi nul[6].

Cas général : le théorÚme de Routh-Hurwitz

CritĂšre de Routh

Ce tableau est une construction numérique basée sur les coefficients du polynÎme dont les éléments permettent de vérifier un critÚre donnant une condition nécessaire et suffisante pour que le polynÎme soit de Hurwitz.

Bien que le concept conserve toute sa pertinence, le critĂšre dĂ©crit ici a significativement perdu de son importance en pratique avec l’avĂšnement des moyens de calcul rapide : pour un polynĂŽme dont les coefficients sont connus, il est en effet prĂ©fĂ©rable de dĂ©terminer numĂ©riquement ses racines (car elles donnent des indications nuancĂ©es sur la stabilitĂ©), au lieu de mettre en Ɠuvre le critĂšre ne permettant que de trancher.

Pour un polynÎme de degré n, ce tableau est une matrice comportant n+1 lignes et au moins (n+1)/2 colonnes.

Les éléments des deux premiÚres lignes sont directement issues des coefficients, alors que les éléments des suivantes se déterminent par des calculs de déterminants :

  • La 1re ligne du tableau, indexĂ©e par , comporte les coefficients , , 
 soit
  • La 2e ligne du tableau, indexĂ©e par , comporte les coefficients , , 
 soit
  • Pour la ligne i, indexĂ©e par , les Ă©lĂ©ments satisfont la relation rĂ©currente suivante :

Lorsque cette relation fait référence à des éléments qui sont hors de la matrice (j trop grand), ces derniers sont remplacés par 0.

Ce procédé conduit au tableau suivant :

Tableau de Routh



 


 
 


CritĂšre de Routh — En supposant ici encore que , le polynĂŽme est de Hurwitz si et seulement si les n+1 Ă©lĂ©ments de la premiĂšre colonne sont tous > 0.

Remarque : Concernant les unitĂ©s physiques dans le cas d’un systĂšme dynamique, celles de sont oĂč est le temps. Partant de dont l’unitĂ© est , chaque Ă©lĂ©ment de la matrice est d’unitĂ© homogĂšne, ce qui permet un contrĂŽle sur le traitement numĂ©rique. L’unitĂ© de Ă©tant , on perd ainsi :

  • deux unitĂ©s en progressant d’une colonne,
  • une unitĂ© en progressant d’une ligne.

Si l’un des Ă©lĂ©ments en premiĂšre colonne est nul (), le calcul des est impossible et le cas est dit « singulier ». C'est par exemple le cas du polynĂŽme

qui a deux paires de racines complexes conjuguées, l'une à partie réelle positive, l'autre à partie réelle négative. Le critÚre de Routh est une conséquence du théorÚme de Routh ci-dessous:

ThĂ©orĂšme de Routh — Si le cas est non singulier (), n'a pas de racines imaginaires et le nombre de ses racines appartenant au demi-plan droit est Ă©gal Ă  oĂč dĂ©signe le nombre de changements de signe dans la suite finie entre parenthĂšses.

Remarque sur les singularités (1)

Une singularitĂ© oĂč les sont non nuls est dite du « premier type ». On peut contourner ce type de singularitĂ© en remplaçant l'Ă©galitĂ© par oĂč est une quantitĂ© « infiniment petite », puis en continuant les calculs (« mĂ©thode du de Routh »). S'il n'y a que des singularitĂ©s de ce type, n'a pas de racines imaginaires et l'Ă©noncĂ© ci-dessus du thĂ©orĂšme de Routh reste valable. La singularitĂ© du polynĂŽme est de ce type.

Le cas d'une singularité du « second type », c'est-à-dire qui n'est pas du premier type, est plus complexe. Une telle singularité se caractérise par le fait que toute une ligne de est nulle. C'est le cas du polynÎme

qui a une racine réelle , 2 paires de racines complexes à partie réelle , et 2 paires de racines complexes à partie réelle . C'est également le cas du polynÎme

qui a 2 racines complexes conjuguées à partie réelle , 2 racines complexes conjuguées à partie réelle , et les deux racines imaginaires pures .

CritĂšre de Hurwitz

Les coefficients du polynĂŽme permettent de dĂ©finir une matrice explicitĂ©e dans l’article sur les dĂ©terminants de Hurwitz.

Considérons le polynÎme

oĂč l'on suppose sans perte de gĂ©nĂ©ralitĂ©. Dans certains ouvrages, plutĂŽt que la matrice de Hurwitz associĂ©e Ă  ce polynĂŽme, on considĂšre (de maniĂšre Ă©quivalente) sa transposĂ©e donnĂ©e par

que l'on construit colonne par colonne en notant la particularité des diagonales. Le critÚre de Hurwitz peut s'énoncer comme suit :

Critùre de Hurwitz — Le polynîme est de Hurwitz si et seulement si les n mineurs principaux

sont tous .

On a de plus le résultat suivant :

Lemme — Soit les Ă©lĂ©ments de la premiĂšre colonne du tableau de Routh de . Alors

.

En utilisant le théorÚme de Routh, on en déduit le

ThĂ©orĂšme de Routh-Hurwitz — Un cas est singulier si, et seulement si un de ces mineurs principaux est nul. Dans un cas non singulier, il n'y a pas de racines imaginaires pures et le nombre de racines Ă  partie rĂ©elle est Ă©gal Ă 

.

oĂč dĂ©signe le nombre de changements de signe dans la suite finie entre parenthĂšses. Les cas singuliers du premier type sont ceux pour lesquels un seul des est nul. Ces cas peuvent ĂȘtre traitĂ©s en adaptant la « mĂ©thode du » de Routh.

La matrice de Hurwitz, ou de maniĂšre Ă©quivalente la matrice , est plus simple Ă  dĂ©terminer que le tableau de Routh. Dans certains cas, nĂ©anmoins, le calcul des mineurs nĂ©cessiterait plus d'opĂ©rations, inconvĂ©nient qui pourrait ĂȘtre palliĂ© par le critĂšre ci-dessous :

CritÚre de Liénard et Chipart

CritĂšre de LiĂ©nard et Chipart — Soit le polynĂŽme ci-dessus oĂč . (i) L'une quelconque des deux conditions ci-dessous est nĂ©cessaire et suffisante pour que soit un polynĂŽme de Hurwitz:

(1)

(2) .

(ii) Dans le cas non singulier, le nombre de racines de à partie réelle est égal à

.

(avec la notation déjà utilisée).

(iii) Dans un cas singulier du premier type, si l'une des suites finies ci-dessus ne prend pas la valeur 0, et si désigne cette suite, le nombre de racines de à partie réelle est égal .

En conséquence, si les mineurs principaux d'ordre pair de la matrice de Hurwitz (ou, de maniÚre équivalente, de ) sont tous , ceux d'ordre impair le sont aussi et réciproquement. Par ailleurs, si les sont tous et l'une des suites finies ci-dessus ne prend pas la valeur 0 (suite notée ), le nombre de racines à partie réelle de est nécessairement pair.

Remarque sur les singularités (2)

  • Le critĂšre de LiĂ©nard et Chipart fait « disparaĂźtre » les singularitĂ©s du premier type, sans qu'il soit nĂ©cessaire de recourir Ă  la « mĂ©thode du » de Routh. Si par exemple
,

on vérifie facilement que . Donc et le nombre de racines de à partie réelle est .

  • En revanche, les singularitĂ©s du second type subsistent. Parmi celles-ci, on rencontre celles pour lesquelles le polynĂŽme a des racines imaginaires (voir Gantmacher 1966, Chap. XV, §§ 4, 8). Soit par exemple
.

avec . On a , et l'on a donc une singularité du second type. On peut raisonner de la maniÚre suivante : si l'on remplace z par , on constate, en négligeant les termes en , que cette fois est du signe de , et que est du signe de . On en déduit donc que le polynÎme a pour racines et deux complexes imaginaires purs conjugués. On vérifie du reste que .

Néanmoins, il existe des polynÎmes qui n'ont pas de racines imaginaires et qui présentent une singularité du second type (bien entendu, ces polynÎmes ne sont pas de Hurwitz). C'est par exemple le cas du polynÎme

qui a pour racines , et des racines complexes conjuguées et .

  • On peut dĂ©terminer le nombre de racines Ă  partie rĂ©elle positive d'un polynĂŽme quelconque (par exemple celui qui prĂ©cĂšde) grĂące Ă  un « tableau de Routh Ă©tendu », sans recourir Ă  la « mĂ©thode du » ni Ă  aucun artifice de ce type[7].

Application aux équations différentielles

ConsidĂ©rons l’équation diffĂ©rentielle linĂ©aire Ă  coefficients constants suivante :

On dit que le point d'Ă©quilibre 0 est exponentiellement stable si, pour des conditions initiales quelconques, la solution converge exponentiellement vers 0 lorsque t tend vers l’infini.

Soit le polynĂŽme caractĂ©ristique de cette Ă©quation. D'aprĂšs un thĂ©orĂšme classique[8], la solution est une combinaison de termes du type oĂč les sont les racines distinctes de et les sont des entiers prenant toutes les valeurs entre 1 et l'ordre de multiplicitĂ© de la racine . On en dĂ©duit la

Condition nĂ©cessaire et suffisante de stabilitĂ© exponentielle — Le point d'Ă©quilibre 0 est exponentiellement stable si et seulement si est un polynĂŽme de Hurwitz.

Notes

  1. Routh 1877
  2. Hurwitz 1895
  3. Gantmacher 1966, Chap. XV.
  4. La dĂ©termination des coefficients de sans connaĂźtre les racines de peut ĂȘtre obtenue au moyen des relations entre coefficients et racines, mais reste un problĂšme non trivial.
  5. Avec , c’est une Ă©vidence pour un physicien habituĂ© au circuit RLC.
  6. Par contre, il faut connaßtre la situation de deux oscillateurs couplés avec injection de puissance pour retrouver l'inéquation .
  7. Benidir et Picinbono 1990
  8. N. Bourbaki, Fonctions d'une variable réelle, Hermann, 1976, n°IV.2.8.

Bibliographie

  • Messaoud Benidir et Michel Barret, StabilitĂ© des filtres et des systĂšmes linĂ©aires, Dunod, , 256 p. (ISBN 978-2-10-004432-0)
  • (en) Messaoud Benidir et Bernard Picinbono, « Extended Table for Eliminating the Singularities in Routh’s Array », IEEE Trans. on Automat. Control, vol. 35, no 2,‎ , p. 218-221
  • Felix Gantmacher, ThĂ©orie des matrices, tome 2, Dunod, (ISBN 978-2-87647-035-4)
  • (de) Adolf Hurwitz, « Bedingungen, unter welchen eine Gleichung nur Wurzeln mit negativen reellen Teilen besitzt », Mathematische Annalen, vol. 46,‎ , p. 273–285 (lire en ligne)
  • LiĂ©nard et Chipart, « Sur le signe de la partie rĂ©elle des racines d'une Ă©quation algĂ©brique », J. Math. Pures et AppliquĂ©es, vol. 10, no 6,‎ , p. 391-346 (lire en ligne)
  • (en) Edward Routh, A treatise on the stability of a given state of motion, MacMillan, (lire en ligne)

Voir aussi

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