Paywall
Sur Internet, un paywall (anglicisme, litt. « mur de péage »), péage de lecture numérique[1] ou verrou d'accÚs payant[2] est une méthode de restriction d'accÚs à un contenu numérique dans le but d'amener le lecteur à souscrire un abonnement payant[3] - [4].
Les péages de lecture numérique les plus connus sont ceux des publications périodiques, tels les journaux et les magazines[5]. Le premier verrou serait celui mis en place par le Financial Times en 2002[6].
à partir du milieu des années 2010, plusieurs journaux ont mis en place des péages sur leurs sites Web pour augmenter leurs revenus aprÚs des années de déclin des revenus d'abonnement, des revenus publicitaires dans les versions papier et des revenus publicitaires dans les versions numériques (en partie en raison de l'utilisation de bloqueurs de publicité)[7].
Dans le milieu universitaire, les documents de recherche sont souvent assujettis à un péage et sont disponibles par l'entremise des bibliothÚques universitaires qui y sont abonnées[8] - [9].
Histoire
En 1996, le Wall Street Journal a mis en place et maintient depuis un pĂ©age de lecture numĂ©rique dur[10]. Le journal a continuĂ© Ă ĂȘtre largement lu, acquĂ©rant plus d'un million de lecteurs payants Ă la mi-2007[11], et 15 millions en [12].
En 2010, dans la foulée du Wall Street Journal, The Times de Londres a mis en place un péage dur ; une décision qui a été controversée, car, contrairement au Wall Street Journal, le Times est un site d'information générale et certains prétendaient que les lecteurs chercheraient de l'information gratuite ailleurs[13]. Le péage, ayant recruté 105 000 visiteurs payants, n'a été ni un échec ni un succÚs[14]. Par contraste, The Guardian a résisté à l'utilisation d'un péage, citant comme raisonnement « la croyance en un Internet ouvert » et « le souci de la communauté », une explication qui se trouve dans son article de bienvenue aux lecteurs de nouvelles en ligne qui, bloqués du site du Times, sont venus au Guardian pour obtenir gratuitement des nouvelles en ligne[15]. D'autres journaux, notamment le New York Times, ont oscillé entre la mise en place et la suppression de divers mécanismes de péage[16]. Comme les nouvelles en ligne demeurent un média relativement nouveau, certains maintiennent que l'expérimentation est la clé du succÚs pour maintenir les revenus tout en conservant la satisfaction des consommateurs de nouvelles[17].
Certaines mises en Ćuvre de pĂ©ages se sont avĂ©rĂ©es infructueuses et ont Ă©tĂ© abandonnĂ©es[18]. Parmi les experts qui sont sceptiques Ă l'Ă©gard du modĂšle de pĂ©age, mentionnons Arianna Huffington, qui a dĂ©clarĂ© que « le pĂ©age est de l'histoire ancienne » dans un article paru en 2009 dans The Guardian[19]. En 2010, le cofondateur de WikipĂ©dia, Jimmy Wales, a qualifiĂ© le pĂ©age du Times d'« expĂ©rience stupide »[20]. La prĂ©occupation majeure Ă©tait qu'avec un contenu aussi largement disponible gratuitement, les abonnĂ©s potentiels se tourneraient simplement vers d'autres sources pour leurs nouvelles[21]. Les effets nĂ©gatifs des mises en Ćuvre prĂ©cĂ©dentes comprenaient la diminution du trafic[22] et une mauvaise optimisation des moteurs de recherche[18].
Les pĂ©ages sont devenus controversĂ©s, les protagonistes se disputant sur l'efficacitĂ© des pĂ©ages Ă gĂ©nĂ©rer des revenus et sur leurs effets nĂ©gatifs sur les mĂ©dias. Parmi les critiques des pĂ©ages, on compte de nombreux hommes d'affaires, des universitaires comme le professeur Jay Rosen, des journalistes comme Howard Owens (en) et l'analyste des mĂ©dias Matthew Ingram de Gigaom. Parmi ceux qui y voient un potentiel, on compte l'investisseur Warren Buffett, l'ancien Ă©diteur du Wall Street Journal Gordon Crovitz (en) et le magnat des mĂ©dias Rupert Murdoch. Certains ont changĂ© d'avis sur les pĂ©ages. Felix Salmon (en), de Reuters, Ă©tait au dĂ©part un sceptique, mais il a par la suite exprimĂ© l'opinion que les pĂ©ages pouvaient ĂȘtre efficaces[23]. Un thĂ©oricien des mĂ©dias de l'UniversitĂ© de New York, Clay Shirky, Ă©tait au dĂ©part sceptique quant aux pĂ©ages, mais en , il a Ă©crit : « Les journaux devraient se tourner vers leurs lecteurs les plus fidĂšles pour obtenir des revenus, par le biais d'un service d'abonnement numĂ©rique comme le New York Times »[24] - [25]. Les pĂ©ages modifient rapidement le journalisme, avec un impact sur sa pratique et son modĂšle d'affaires, et sur l'accĂšs Ă l'information sur Internet.
Types de péage
Trois modÚles de péage ont émergé :
- les péages durs qui n'autorisent aucun contenu gratuit et incitent l'utilisateur à payer immédiatement pour lire, écouter ou regarder le contenu ;
- les péages souples ou péages mesurés qui autorisent un certain nombre d'articles gratuits auxquels un lecteur peut accéder sur une période de temps, permettant une plus grande flexibilité dans ce que les utilisateurs peuvent regarder sans s'abonner[26]
- les péages combinés qui permettent un accÚs gratuit à certains contenus, tout en conservant les contenus de qualité derriÚre le péage[27].
PĂ©ages durs
Le péage dur, tel qu'utilisé par le Times, exige un abonnement payant avant de pouvoir accéder à son contenu en ligne. Un péage de ce type est considéré comme l'option la plus risquée pour le fournisseur de contenu[27]. On estime qu'un site Web perdra 90 % de son lectorat en ligne et de ses revenus publicitaires pour les récupérer ensuite grùce à sa capacité à produire un contenu en ligne suffisamment attrayant pour attirer des abonnés[27]. Les sites de nouvelles avec des péages durs peuvent réussir s'ils :
- fournissent une valeur ajoutée à leur contenu ;
- ciblent un public de niche ;
- dominent déjà leur propre marché[27].
De nombreux experts dénoncent le péage dur en raison de sa rigidité, estimant qu'il agit comme un élément dissuasif majeur pour les utilisateurs. Le blogueur financier Felix Salmon (en) a écrit que lorsqu'on rencontre un péage dur, on s'en va tout simplement et on est déçu de son expérience[28]. Jimmy Wales, cofondateur de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, a fait valoir que l'utilisation d'un péage dur diminue l'influence d'un site. Il a déclaré qu'en mettant en place un péage dur, le Times s'est rendu non pertinent[20]. Bien que le Times ait potentiellement augmenté ses revenus, il a diminué son trafic de 60 %[13].
PĂ©ages souples
Le péage souple est mieux incarné par le modÚle de comptage. Ce modÚle permet aux utilisateurs de consulter un certain nombre d'articles avant de bloquer un utilisateur qui n'a pas un abonnement payant[27]. Le Financial Times permet aux utilisateurs d'accéder à 10 articles[27].
En , le New York Times a mis en place un péage souple qui permettait aux utilisateurs de consulter 20 articles gratuitement par mois[7]. En , le New York Times a réduit le nombre d'articles gratuits à 10 par mois[29]. Le péage souple du journal a été défini comme étant non seulement souple, mais aussi poreux[28], car il permet également d'accéder à tout lien affiché sur un site de média social, et jusqu'à 25 articles gratuits par jour s'ils sont accédés au moyen d'un moteur de recherche[30]. Cette façon de faire permet au journal de « retenir le trafic des utilisateurs légers », ce qui lui permet de maintenir un nombre élevé de visiteurs, tout en recevant des revenus d'abonnement des utilisateurs lourds[31]. Ce modÚle a permis au New York Times d'attirer 224 000 abonnés au cours des trois premiers mois[7]. Alors que certains ont proclamé le succÚs du New York Times aprÚs l'annonce d'un bénéfice au troisiÚme trimestre de 2011, d'autres ont noté que l'augmentation du bénéfice est éphémÚre et largement basée sur une combinaison de coupures et de vente d'actifs[32]. Bien que le péage souple permet de générer des revenus pour le journal tout en maintenant l'accÚs à l'information pour le public, la rentabilité du modÚle n'a pas encore été prouvée.
Péages combinés
Une stratégie de péage combinée consiste à permettre un accÚs gratuit à certains contenus, tout en conservant les contenus de qualité derriÚre le péage. Une telle stratégie conduit souvent à la création de deux catégories d'information : une information générale disponible gratuitement (souvent créée par des journalistes moins expérimentés) et un contenu avec plus de valeur ajoutée (souvent créé par les journalistes le plus expérimentés)[27]. Ce type de péage remet en question l'égalitarisme du média d'information en ligne. Selon le théoricien de la politique et des médias Robert A. Hackett (en), « la presse commerciale des années 1800, le premier média de masse du monde moderne, est née avec une profonde promesse démocratique : présenter l'information sans crainte ni faveur, la rendre accessible à tous et favoriser une rationalité publique fondée sur l'égalité d'accÚs aux faits pertinents »[33].
Le Boston Globe a mis en Ćuvre une version de cette stratĂ©gie en en lançant un deuxiĂšme site Web, BostonGlobe.com, pour offrir uniquement le contenu du journal derriĂšre un pĂ©age dur, Ă l'exception de la plupart des contenus sportifs, qui sont restĂ©s ouverts pour faire concurrence aux autres sites Web sportifs locaux. BostonGlobe.com fonctionne parallĂšlement au site d'information prĂ©existant, le Boston.com, qui contient dĂ©sormais, avec un dĂ©lai, une quantitĂ© limitĂ©e de contenu provenant du site payant, mais qui met davantage l'accent sur les actualitĂ©s communautaires. Le rĂ©dacteur en chef du Boston Globe, Martin Baron, a dĂ©crit les sites comme « deux sites diffĂ©rents pour deux types de lecteurs diffĂ©rents - certains comprennent que le journalisme doit ĂȘtre financĂ© et payĂ©. D'autres ne veulent tout simplement pas payer. Nous avons un site pour eux. »[34]. En , le site comptait plus de 60 000 abonnĂ©s payants. Ă ce moment-lĂ , le Globe a annoncĂ© qu'il remplacerait le pĂ©age dur par un pĂ©age souple permettant aux utilisateurs de lire 10 articles sans frais sur une pĂ©riode de 30 jours. Le rĂ©dacteur en chef du Boston Globe, Brian McGrory (en), Ă©tait d'avis que la possibilitĂ© d'Ă©chantillonner le contenu de qualitĂ© supĂ©rieure du site encouragerait un plus grand nombre de personnes Ă s'abonner au service. En mĂȘme temps, M. McGrory a annoncĂ© son intention de donner Ă Boston.com une orientation Ă©ditoriale distincte, avec une « voix plus prĂ©cise qui exprime mieux les sensibilitĂ©s de Boston », tout en faisant migrer d'autres contenus des rĂ©dacteurs du Boston Globe, comme les blogues du Boston.com vers le site Web du journal, mais en les gardant en libre accĂšs[35].
Contournement des péages
Certains pĂ©ages peuvent ĂȘtre contournĂ©s en utilisant la navigation privĂ©e, en utilisant des sites pirates (Sci-Hub, Library Genesis), en installant des extensions[36] sur certains navigateurs Web tels que Google Chrome[37]
RĂ©ception
Industrie
L'accueil rĂ©servĂ© par les professionnels de l'industrie Ă la mise en Ćuvre des pĂ©ages a Ă©tĂ© mitigĂ©. La plupart des discussions sur les pĂ©ages sont axĂ©es sur leur succĂšs ou leur Ă©chec en tant que modĂšles d'affaires et nĂ©gligent leurs implications Ă©thiques pour le maintien d'un public informĂ©. Dans le dĂ©bat sur les pĂ©ages, certains considĂšrent la mise en Ćuvre d'un pĂ©age comme une stratĂ©gie Ă courte vue - une stratĂ©gie qui peut aider Ă augmenter les revenus Ă court terme, mais pas une stratĂ©gie qui favorisera la croissance future de l'industrie des journaux[16]. Cependant, en ce qui concerne le pĂ©age dur en particulier, il semble y avoir un consensus dans l'industrie selon lequel les effets nĂ©gatifs (perte de lectorat) l'emportent sur les revenus potentiels, Ă moins que le journal ne cible un public de niche[27] - [38].
Certains restent optimistes quant Ă l'utilisation de pĂ©ages pour aider Ă augmenter les revenus des journaux en difficultĂ©. Cependant, ceux qui croient que la mise en Ćuvre des pĂ©ages rĂ©ussira ne cessent de mentionner diverses conditions nĂ©cessaires Ă leur succĂšs. W. R. Mitchell (en) affirme que pour qu'un pĂ©age apporte de nouveaux revenus et ne dissuade pas les lecteurs actuels, les journaux doivent « investir dans des systĂšmes souples, exploiter l'expertise de leurs journalistes dans des crĂ©neaux et, surtout, offrir aux lecteurs un contenu dont ils percevront la valeur[17].
Le rapport annuel 2011 State of the News Media's (Ătat des nouveaux mĂ©dias) affirme que « pour survivre financiĂšrement, les sites d'information doivent non seulement rendre leur publicitĂ© plus intelligente, mais ils doivent aussi trouver un moyen de faire payer le contenu et d'inventer de nouvelles sources de revenus autres que l'affichage de la publicitĂ© et les abonnements »[39]. MĂȘme ceux qui ne croient pas au succĂšs des pĂ©ages reconnaissent que, pour survivre, les journaux doivent gĂ©nĂ©rer un contenu plus attrayant avec une valeur ajoutĂ©e, et rechercher de nouvelles sources de revenus[16].
Les partisans du pĂ©age estiment que celui-ci est essentiel pour permettre aux petites publications de se maintenir Ă flot. Ils soutiennent que, puisque 90 % des recettes publicitaires sont concentrĂ©es chez les 50 plus grands Ă©diteurs, les petites exploitations ne peuvent pas dĂ©pendre du modĂšle traditionnel de contenu gratuit soutenu par la publicitĂ© comme le font les grands sites[40]. De nombreux dĂ©fenseurs du pĂ©age affirment Ă©galement que les gens sont plus que prĂȘts Ă payer un petit prix pour un contenu de qualitĂ©. Dans un blogue de pour VentureBeat, Malcolm CasSelle (en) de MediaPass a dĂ©clarĂ© que la monĂ©tisation deviendrait « une sorte de prophĂ©tie autorĂ©alisatrice : les gens [vont] payer pour le contenu, et cet argent servira Ă rendre le contenu global encore meilleur »[41].
En , la News Media Alliance (en) a publié son rapport sur les revenus de l'industrie pour 2012, qui indiquait que les revenus de diffusion avaient augmenté de 5 % pour les quotidiens, ce qui en faisait la premiÚre année de croissance de revenus en dix ans. Les revenus de circulation des journaux numériques seulement avaient augmenté de 275 % ; les revenus de circulation des journaux imprimés et numériques regroupés avaient augmenté de 499 %. ParallÚlement à la tendance à regrouper les produits imprimés et en ligne dans des abonnements d'accÚs combinés, les revenus de tirage des produits imprimés seulement avaient diminué de 14 %. Cette nouvelle corrobore la croyance croissante que les abonnements numériques seront la clé de la survie à long terme des journaux[42] - [43].
En , une Ă©tude de le Reuters Institute for the Study of Journalism (en) de l'UniversitĂ© d'Oxford a montrĂ© qu'en dĂ©pit des controverses entourant les pĂ©ages, ceux-ci Ă©taient en hausse en Europe et aux Ătats-Unis. Selon l'Ă©tude de Felix Simon et Lucas Graves, plus des deux tiers des principaux journaux (69 %) dans l'Union europĂ©enne et aux Ătats-Unis exploitaient une sorte de pĂ©age en 2019, une tendance qui a augmentĂ© depuis 2017 selon les chercheurs, les Ătats-Unis ayant vu une augmentation de 60 % Ă 76 %[44] - [45].
Lecteurs
La rĂ©action gĂ©nĂ©rale des utilisateurs Ă la mise en Ćuvre des pĂ©ages a Ă©tĂ© mesurĂ©e par un certain nombre d'Ă©tudes qui analysent les habitudes de lecture des nouvelles en ligne. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e en 2011 par le Canadian Media Research Consortium (en) intitulĂ©e Canadian Consumers Unwilling to Pay for News Online, identifie la rĂ©action des Canadiens aux pĂ©ages. Sondant 1 700 Canadiens, l'Ă©tude a rĂ©vĂ©lĂ© que 92 % des participants qui lisent les nouvelles en ligne rechercheraient une solution de rechange gratuite plutĂŽt que de payer pour leur site prĂ©fĂ©rĂ© (par rapport Ă 82 % des AmĂ©ricains[46]), alors que 81 % ont dĂ©clarĂ© qu'ils ne paieraient absolument pas pour leur site de nouvelles en ligne prĂ©fĂ©rĂ©[47]. Compte tenu de la mauvaise rĂ©ception des pĂ©ages par les participants, l'Ă©tude se termine par une dĂ©claration similaire Ă celle des experts en mĂ©dias, affirmant qu'Ă l'exception des journaux bien en vue comme le Wall Street Journal et le Times, les Ă©diteurs feraient mieux de chercher ailleurs des solutions de revenus[38].
Implications Ă©thiques
Détérioration de la sphÚre publique en ligne
Robert A. Hackett (en), soutient qu'un « forum sur Internet [...] peut fonctionner comme une sphÚre publique spécialisée ou à plus petite échelle »[48]. Dans le passé, Internet a été un endroit idéal pour que le grand public se réunisse et discute d'enjeux associés aux nouvelles[49] - une activité rendue possible d'abord par le libre accÚs aux nouvelles en ligne, et ensuite par la possibilité de les commenter, créant ainsi un forum. L'érection d'un péage restreint la communication ouverte des gens entre eux en limitant la capacité de lire les nouvelles et de partager les commentaires en ligne.
Le pĂ©age rĂ©duit l'Ă©galitĂ© d'accĂšs, en dissuadant ceux qui ne veulent pas payer et en bloquant ceux qui ne peuvent pas se joindre Ă la discussion en ligne. La restriction Ă l'Ă©galitĂ© d'accĂšs a Ă©tĂ© portĂ©e Ă un nouvel extrĂȘme lorsque le journal britannique The Independent a placĂ© un pĂ©age uniquement sur les lecteurs Ă©trangers en [50].
Les médias d'information en ligne ont la capacité avérée de créer une connexion mondiale au-delà de la portée typique d'une sphÚre publique. Dans Democratizing Global Media, Hackett et le théoricien des communications mondiales Yuezhi Zhao (en) décrivent comment une nouvelle « vague de démocratisation des médias survient à l'Úre de l'Internet qui a facilité la création de réseaux transnationaux de la société civile de et pour la communication démocratique »[51]. En plaçant un péage sur ses lecteurs internationaux, The Independent entrave la croissance et la qualité démocratique de la sphÚre publique créée par Internet.
L'utilisation de pĂ©ages a Ă©galement fait l'objet de nombreuses plaintes de la part de lecteurs de nouvelles en ligne concernant l'incapacitĂ© de partager un abonnement en ligne comme on le fait d'un journal imprimĂ© traditionnel. Alors qu'un journal imprimĂ© peut ĂȘtre partagĂ© entre amis et famille, l'Ă©thique derriĂšre le partage d'un abonnement en ligne est moins claire, car il n'y a pas d'objet physique impliquĂ©. Le chroniqueur Ă©thicien du New York Times, Ariel Kaminer, abordant la question du partage d'un abonnement en ligne, dĂ©clare que « le partage avec votre conjoint ou votre jeune enfant est une chose ; le partage avec des amis ou des membres de la famille qui vivent ailleurs en est une autre »[52]. Les commentaires des lecteurs qui suivent l'article de Kaminer portent sur la dichotomie entre le paiement d'un article imprimĂ© et le paiement d'un abonnement en ligne[52]. La facilitĂ© d'accĂšs d'un journal imprimĂ© signifie que plus de personnes peuvent lire un seul exemplaire, et que tous ceux qui lisent le journal peuvent envoyer une lettre Ă l'Ă©diteur sans avoir Ă s'inscrire ou Ă payer un abonnement. Ainsi, l'utilisation d'un pĂ©age ferme la communication tant dans le domaine personnel qu'en ligne. Cette opinion n'est pas seulement celle des lecteurs de nouvelles en ligne, mais aussi celle des rĂ©dacteurs d'opinion. Jimmy Wales a dĂ©clarĂ© qu'il « prĂ©fĂšre Ă©crire un article d'opinion lĂ oĂč il sera lu » et que « mettre des articles d'opinion derriĂšre un pĂ©age n'a aucun sens »[20]. Sans un accĂšs facile Ă la fois pour lire et pour partager des idĂ©es et des opinions, la plate-forme d'information en ligne perd une caractĂ©ristique essentielle de l'Ă©change dĂ©mocratique.
Payer pour rester informé
L'utilisation d'un pĂ©age pour empĂȘcher les individus d'accĂ©der Ă des informations en ligne sans paiement soulĂšve de nombreuses questions Ă©thiques. Selon M. Hackett, les mĂ©dias « ne fournissent dĂ©jĂ pas aux citoyens un accĂšs facile Ă l'information civique pertinente »[53]. La mise en place de pĂ©ages sur des contenus d'actualitĂ© auparavant gratuits accentue cet Ă©chec par une rĂ©tention intentionnelle. Hackett cite « les mĂ©canismes culturels et Ă©conomiques gĂ©nĂ©raux, tels que la marchandisation de l'information et la dĂ©pendance des mĂ©dias commerciaux Ă l'Ă©gard des recettes publicitaires » comme Ă©tant deux des plus grandes influences sur la performance des mĂ©dias. Selon Hackett, ces mĂ©canismes culturels et Ă©conomiques « gĂ©nĂšrent des violations de la norme dĂ©mocratique d'Ă©galitĂ© »[54]. La mise en Ćuvre d'un pĂ©age lie intimement les deux mĂ©canismes citĂ©s par Hackett, car le pĂ©age commercialise le contenu des nouvelles pour gĂ©nĂ©rer des revenus Ă la fois des lecteurs et de la diffusion accrue des annonces du papier imprimĂ©. Le rĂ©sultat de ces mĂ©canismes, comme l'a dĂ©clarĂ© Hackett, est un obstacle à « l'Ă©galitĂ© d'accĂšs aux faits d'actualitĂ© pertinents »[33].
La marchandisation de l'information - la transformation des nouvelles en un produit qui doit ĂȘtre achetĂ© - restreint le principe fondateur Ă©galitaire du journal. Katherine Travers, journaliste du blogue de la rĂ©daction, aborde cette question dans un article sur l'avenir du Washington Post et demande si l'abonnement numĂ©rique est aussi permis que le fait de faire payer de temps en temps quelques dollars pour un exemplaire papier[55]. Bien que des frais d'abonnement soient depuis longtemps rattachĂ©s aux journaux imprimĂ©s, toutes les autres formes de nouvelles ont traditionnellement Ă©tĂ© gratuites[56].
Le Daily Mail du Royaume-Uni soutient que les revenus tirés de l'impression sont uniques parce que « les gens paient pour la commodité de l'imprimé en reconnaissance du coût spécial de production et de livraison d'un produit tangible et parce qu'ils l'achÚtent en entier »[56]. Les nouvelles en ligne, en comparaison, ont existé en tant que moyen de diffusion libre.
Jeff Sonderman, membre de Poynter Institute for Media Studies (en), dĂ©crit la tension Ă©thique crĂ©Ă©e par un pĂ©age. Il explique que « la tension sous-jacente est que les journaux agissent simultanĂ©ment comme des entreprises et comme des serviteurs de l'intĂ©rĂȘt public ». En tant qu'entreprises Ă but lucratif, ils ont le droit (et mĂȘme le devoir) de faire de l'argent pour les actionnaires ou les propriĂ©taires privĂ©s. Mais la plupart prĂ©tendent aussi avoir un pacte social, dans lequel ils protĂšgent l'intĂ©rĂȘt public et aident toute leur communautĂ© Ă façonner et Ă comprendre ses valeurs communes[57]. En mettant en place un pĂ©age avant d'expĂ©rimenter d'autres initiatives d'augmentation des revenus, un journal fait passer le profit avant le public.
Contre-stratégies
Bien qu'il y ait eu peu de couverture et de discussion sur les implications Ă©thiques des pĂ©ages concernant l'obligation des journaux de maintenir un public gĂ©nĂ©ralement informĂ©, il y a deux cas importants oĂč les entreprises ont supprimĂ© la restriction Ă la couverture des nouvelles en ligne. Le premier est la suppression des pĂ©ages en cas de nouvelles importantes (nouvelles couvrant des urgences nationales ou locales). Le second est l'application First Click Free de Google, que les fournisseurs de nouvelles peuvent mettre en Ćuvre s'ils souhaitent rendre les nouvelles d'intĂ©rĂȘt accessibles aux lecteurs, indĂ©pendamment d'un pĂ©age.
Désactivation du péage
Certains journaux ont retirĂ© leurs pĂ©ages bloquant le contenu couvrant des urgences. Lorsque l'ouragan Irene a frappĂ© la cĂŽte est des Ătats-Unis en , le New York Times a dĂ©clarĂ© que toute la couverture de la tempĂȘte serait gratuite[58]. Le rĂ©dacteur en chef adjoint du New York Times, Jeff Roberts, a dĂ©clarĂ© « Nous sommes conscients de nos obligations envers notre public et le grand public quand un Ă©vĂ©nement a un impact direct sur une si grande partie de la population »[57]. Dans son article traitant de la suppression du pĂ©age, M. Soderman fĂ©licite le New York Times pour son action, dĂ©clarant que, bien qu'un Ă©diteur « s'engage Ă utiliser un pĂ©age comme meilleure stratĂ©gie commerciale pour son entreprise de presse, il peut y avoir des reportages ou des sujets qui ont une telle importance et urgence qu'il est irresponsable de les refuser aux non-abonnĂ©s »[57].
Nouvelles initiatives en matiĂšre de revenus
Compte tenu de l'opinion gĂ©nĂ©rale selon laquelle, indĂ©pendamment du succĂšs des pĂ©ages, de nouvelles sources de revenus sont nĂ©cessaires pour assurer la rĂ©ussite financiĂšre des journaux, il est important de mentionner les nouvelles initiatives commerciales. Selon Bill Mitchell, expert en mĂ©dias du Poynter Institute, pour qu'un pĂ©age gĂ©nĂšre des revenus durables, les journaux doivent crĂ©er une nouvelle valeur - une plus grande qualitĂ©, une innovation, etc. - dans leur contenu en ligne qui mĂ©rite d'ĂȘtre payĂ©, ce qui n'Ă©tait pas le cas du contenu gratuit auparavant[17].
En plus d'ériger des péages, les journaux exploitent de plus en plus des produits d'information sur tablettes et appareils mobiles, mais leur rentabilité reste peu concluante[59] - [60].
Certains journaux ont également ciblé des créneaux, comme le Mail Online du Daily Mail au Royaume-Uni[56].
Une autre stratĂ©gie, lancĂ©e par le New York Times, consiste Ă crĂ©er de nouveaux revenus en regroupant des anciens contenus dans des livres Ă©lectroniques et des offres spĂ©ciales, afin de crĂ©er un produit attrayant pour les lecteurs. L'attrait de ces ouvrages n'est pas seulement le sujet, mais aussi les auteurs et l'Ă©tendue de la couverture. Selon le journaliste Mathew Ingram, les journaux peuvent profiter de ces offres spĂ©ciales de deux façons, d'abord en tirant parti de l'ancien contenu lorsqu'un nouvel intĂ©rĂȘt se manifeste, comme un anniversaire ou un Ă©vĂ©nement important, et ensuite en crĂ©ant des forfaits d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Le New York Times, par exemple, a crĂ©Ă© des forfaits sur le baseball, le golf et la rĂ©volution numĂ©rique[61].
API comme source de revenus
Une API (application programming interface ; en français, interface de programmation d'applications) ouverte fait du site de nouvelles en ligne « une plate-forme de données et d'informations qui peut générer de la valeur d'une autre maniÚre » pour l'entreprise[16]. L'ouverture de leur API met les données d'un journal à la disposition de sources extérieures, ce qui permet aux développeurs et autres services d'utiliser le contenu d'un journal contre rémunération[62]. The Guardian, en accord avec sa « croyance en un Internet ouvert »[15], a expérimenté l'utilisation d'API[16]. The Guardian a créé une plate-forme ouverte qui fonctionne sur un systÚme à trois niveaux :
- niveau de base : le contenu est gratuit pour quiconque pour des utilisations personnelles et non commerciales[63] ;
- niveau commercial : des licences sont disponibles pour que les développeurs puissent utiliser le contenu de l'API s'ils acceptent de conserver la publicité associée ;
- niveau sur mesure : des développeurs peuvent s'associer avec le journal, en utilisant des données spécifiques pour créer un service ou une application, dont les revenus seront partagés[62].
Alors qu'une API ouverte est considĂ©rĂ©e comme un pari tout comme un pĂ©age, le journaliste Matthew Ingram note que l'utilisation d'une API ouverte vise à « profiter de l'Ă©change ouvert d'informations et d'autres aspects du monde des mĂ©dias en ligne, alors que le pĂ©age est une tentative de crĂ©er le genre de pĂ©nurie artificielle d'informations dont les journaux bĂ©nĂ©ficiaient auparavant »[16]. Une API ouverte permet de garder le contenu des actualitĂ©s gratuit pour le public tandis que le journal tire profit de la qualitĂ© et de l'utilitĂ© de ses donnĂ©es pour d'autres entreprises. La stratĂ©gie de l'API ouverte peut ĂȘtre saluĂ©e, car elle soulage la salle de rĂ©daction de la pression qu'elle subit pour rechercher et explorer en permanence de nouveaux moyens de gĂ©nĂ©rer des revenus. Au contraire, la stratĂ©gie de l'API ouverte repose sur l'intĂ©rĂȘt et les idĂ©es de ceux qui se trouvent en dehors de la salle de rĂ©daction, pour qui le contenu et les donnĂ©es du site sont attrayants[62].
Initiatives de péages abandonnées
Le New York Times - TimesSelect (en)
Le programme original d'abonnement en ligne, TimesSelect (en), a été mis en place en 2005 dans le but de créer une nouvelle source de revenus. TimesSelect facturait 49,95 $ par année, ou 7,95 $ par mois, pour l'accÚs en ligne aux archives du journal. En 2007, les abonnements payants rapportaient 10 millions de dollars, mais les projections de croissance étaient faibles par rapport à la croissance de la publicité en ligne[18]. En 2007, le New York Times a abandonné le péage pour ses archives postérieures à 1980. Les articles en format PDF d'avant 1980 sont toujours derriÚre un péage, mais un résumé de la plupart des articles est disponible gratuitement[64].
The Atlantic
à l'origine, le contenu en ligne n'était disponible que pour les abonnés à la version imprimée. Cela a changé en 2008 sous la supervision de James Bennet, rédacteur en chef, dans le but de donner une nouvelle image au magazine en le transformant en une entreprise multiplateforme[18]. Le , The Atlantic a réintroduit un péage mou qui permet aux lecteurs de consulter cinq articles gratuitement chaque mois, en exigeant un abonnement pour consulter les articles par la suite[65].
Johnston Press (en)
En , l'éditeur régional britannique de plus de 300 titres a installé des péages sur les sites Web de six journaux locaux, dont la Carrick Gazette et la Whitby Gazette (en). Le modÚle a été abandonné en ; la croissance des abonnés payants au cours de la période de quatre mois aurait été faible[18].
Ogden Newspapers (en)
Tout au long de l'annĂ©e 2014, les quotidiens d'Ogden Newspapers (en) ont Ă©tĂ© placĂ©s derriĂšre un pĂ©age. Le systĂšme affichait le titre et le premier paragraphe des articles. Les abonnĂ©s payants avaient accĂšs Ă une Ă©dition Ă©lectronique des journaux ainsi qu'aux publications via des applications pour tĂ©lĂ©phones intelligents et tablettes[66]. Les journaux ont commencĂ© Ă supprimer leurs pĂ©ages en , en mĂȘme temps qu'ils lançaient des sites Web remaniĂ©s, adaptĂ©s aux tĂ©lĂ©phones et aux tablettes[67].
Références
- [PDF] Commission dâenrichissement de la langue française, « Vocabulaire de la culture : Ă©dition, mĂ©dias et mode (liste de termes, expressions et dĂ©finitions adoptĂ©s) », Journal officiel de la RĂ©publique française no 0145 du [lire en ligne].
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