Paradoxes de Zénon
Les paradoxes de Zénon forment un ensemble de paradoxes imaginés par Zénon d'Élée pour soutenir la doctrine de Parménide, selon laquelle toute évidence des sens est fallacieuse, et le mouvement est impossible.
Plusieurs des huit paradoxes de Zénon ont traversé le temps (rapportés par Aristote dans la Physique et par Simplicius dans un commentaire à ce sujet). Certains ont été considérés, même dans des périodes antiques, comme faciles à réfuter.
Les paradoxes de Zénon représentaient un problème important pour les philosophes antiques et médiévaux, qui n'ont trouvé aucune solution satisfaisante jusqu'au XVIIe siècle, avec le développement en mathématiques de résultats sur les suites infinies et de l'analyse.
Paradoxes de Zénon d'Élée
Pluralité des grandeurs
Si la pluralité existe, elle doit être à la fois infiniment petite et infiniment grande : infiniment petite parce que ses parties doivent être indivisibles et donc sans grandeur ; infiniment grande, parce que toute partie sera séparée d'une autre par une autre, cette dernière par une autre troisième, cette dernière de la première et de la deuxième par une quatrième et une cinquième, et ainsi indéfiniment.
Pluralité numérique
Si la pluralité existe, elle doit être à la fois finie et infinie en nombre : numériquement finie, parce qu'il y a autant de choses qu'il y en a, ni plus ni moins ; numériquement infinie, parce que deux choses sont séparées par une troisième, celle-ci est séparée de la première par une quatrième, de la deuxième par une cinquième, et ainsi indéfiniment.
Achille et la tortue
Dans le paradoxe d'Achille et de la tortue, il est dit qu'un jour, le héros grec Achille a disputé une course à pied avec le lent reptile. Comme Achille était réputé être un coureur très rapide, il avait accordé gracieusement à la tortue une avance de cent mètres. Zénon affirme alors que le rapide Achille n'a jamais pu rattraper la tortue. « En effet, supposons pour simplifier le raisonnement que chaque concurrent court à vitesse constante, l'un très rapidement, et l'autre très lentement ; au bout d'un certain temps, Achille aura comblé ses cent mètres de retard et atteint le point de départ de la tortue ; mais pendant ce temps, la tortue aura parcouru une certaine distance, certes beaucoup plus courte, mais non nulle, disons un mètre. Cela demandera alors à Achille un temps supplémentaire pour parcourir cette distance, pendant lequel la tortue avancera encore plus loin ; et puis une autre durée avant d'atteindre ce troisième point, alors que la tortue aura encore progressé. Ainsi, toutes les fois où Achille atteint l'endroit où la tortue se trouvait, elle se retrouve encore plus loin. Par conséquent, le rapide Achille n'a jamais pu et ne pourra jamais rattraper la tortue ».
« Depuis le Ve siècle av. J.-C., écrivent Philippe Boulanger et Alain Cohen dans Le Trésor des Paradoxes (Éd. Belin, 2007), ce paradoxe du mouvement a stimulé les réflexions des mathématiciens, entre autres Galilée, Cauchy, Cantor, Carroll et Russell ». Pour Bergson, « Les philosophes l'ont réfuté de bien des manières et si différentes que chacune de ces réfutations enlève aux autres le droit de se croire définitives ».
En analyse moderne, le paradoxe est résolu en utilisant le fait qu'une série infinie de nombres strictement positifs peut converger vers un résultat fini[2].
Boisseau
Si un boisseau de blé fait du bruit en tombant, il doit en être de même de chaque grain de blé, et même de chaque partie d'un grain.
Pluralité de lieux
Si tout ce qui est, est dans un lieu, ce lieu même doit être dans un autre lieu, et ainsi indéfiniment.
Paradoxe de la dichotomie
Zénon se tient à huit mètres d'un arbre, tenant une pierre. Il lance sa pierre dans la direction de l'arbre. Avant que le caillou puisse atteindre l'arbre, il doit traverser la première moitié des huit mètres. Il faut un certain temps, non nul, à cette pierre pour se déplacer sur cette distance. Ensuite, il lui reste encore quatre mètres à parcourir, dont elle accomplit d'abord la moitié, deux mètres, ce qui lui prend un certain temps. Puis la pierre avance d'un mètre de plus, progresse après d'un demi-mètre et encore d'un quart, et ainsi de suite ad infinitum et à chaque fois avec un temps non nul. Zénon en conclut que la pierre ne pourra pas frapper l'arbre, puisqu'il faudrait pour cela que soit franchie effectivement une série infinie d'étapes, ce qui est impossible. Le paradoxe se résout en soutenant que le mouvement est continu ; le fait qu'il soit divisible à l'infini ne le rend pas impossible pour autant. De plus, en analyse moderne, le paradoxe est résolu en utilisant fondamentalement le fait qu'une somme infinie de nombres strictement positifs peut converger vers un résultat fini.
Flèche en vol
Dans le paradoxe de la flèche, nous imaginons une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise. Si l'instant est trop court, alors la flèche n'a pas le temps de se déplacer et reste au repos pendant cet instant. Maintenant, pendant les instants suivants, elle va rester immobile pour la même raison. Si le temps est une succession d'instants et que chaque instant est un moment où le temps est arrêté, le temps n'existe donc pas. La flèche est donc toujours immobile à chaque instant et ne peut pas se déplacer : le mouvement est donc impossible.
Autres interprétations
Plusieurs philosophes, dont Descartes (lettre à Clerselier, juin ou ; à Mersenne ), Kant, Hume, Hegel, Bergson, ont proposé d'autres solutions à ces paradoxes. Une solution plus simple, d'abord proposée par Leucippe et Démocrite, contemporains de Zénon, est de nier que l'espace soit divisible à l'infini.
Une autre interprétation consiste à se rendre compte que lorsqu'on divise l'espace, on divise aussi proportionnellement le temps de parcours et que, finalement, la vitesse reste inchangée.
Notes et références
- Grandjean, Martin (2014) Henri Bergson et les paradoxes de Zénon : Achille battu par la tortue ?
- Voir notamment dans cet article une formulation moderne et mathématique, accessible, des paradoxes de Zénon, et des solutions mathématiques qui en ont été proposées : Jean-Pierre Ramis, « Les séries divergentes », Pour la science N° 350, (lire en ligne, consulté le ).