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Orient-Express (roman)

Orient-Express est un roman de jeunesse de Graham Greene, publié en 1932 sous le titre original Stamboul Train (William Heinemann éditeur, Londres).

Orient-Express
Titre original
(en) Stamboul Train
Format
Langue
Auteur
Genre
Date de parution
Pays
Éditeur

Le titre Orient-Express (utilisé pour la traduction française) a été introduit au moment de la publication en 1933 aux États-Unis par Doubleday, Doran and Co, New-York. William Heinemann rééditera le roman sous son titre initial en 1974, assorti d’une préface par l’auteur.

Conçu pour être un bestseller, ce roman lança véritablement la carrière d’écrivain de Graham Greene, qui n’avait écrit jusque-là que des romans à tirage confidentiel, et sera ensuite adapté au cinéma[1].

Intrigue et personnages 

Le cĂ©lèbre train Orient-Express est le prĂ©texte de la rencontre, le temps d’un voyage entre Ostende et Constantinople (Istanbul) de divers protagonistes qui vont se croiser, puis se sĂ©parer, au besoin dans des configurations inattendues. Au premier abord, on pourrait penser qu’il s’agit d’un roman « ferroviaire Â» parmi tant d’autres, Ă  mi chemin entre le genre policier et le roman sentimental. Une analyse plus approfondie rĂ©vèle la vraie nature du livre, qui exprime l’angoisse de personnages confrontĂ©s Ă  la crise qui pèse sur le monde (nous sommes en 1932), Ă  leurs phantasmes, et Ă  leur propre destin. 

Les personnages principaux sont une danseuse de music-hall en route pour un engagement dans la capitale turque, Coral Musker, jeune fille sans le sou et dotĂ©e d’un solide opportunisme, un jeune nĂ©gociant en raisins secs voyageant pour affaires, Carleton Myatt, qui est obsĂ©dĂ© par ses origines juives, une journaliste anglaise, lesbienne et alcoolique, Miss Mabel Warren, un mystĂ©rieux professeur d’anglais, qui se fait appeler « Mr John Â», et est en rĂ©alitĂ© un chef communiste yougoslave en fuite, dont le vrai nom est le Docteur Czinner. Un voleur autrichien doublĂ© d’un meurtrier, Josef GrĂĽnlich, vient s’ajouter Ă  ce groupe, après avoir dĂ» quitter en catastrophe le lieu d’un cambriolage ratĂ© Ă  Vienne

Des personnages moins importants complètent la liste des voyageurs liĂ©s Ă  l’action : un Ă©crivain populaire de Londres, accoutumĂ© aux forts tirages, Quin Savory, une jeune femme ayant le statut indĂ©fini de demoiselle de compagnie, Janet Pardoe, un pasteur, M. Opie,  un couple d’anglais de la classe moyenne, les Peters. 

Carleton Myatt, infatuĂ© et fier de sa rĂ©ussite matĂ©rielle, qu’il affiche avec ostentation, prend pitiĂ© de Coral Musker, qui commence le voyage en troisième classe, et lui offre son compartiment de première. La jeune femme, bien qu’éprouvant de la rĂ©pugnance pour celui qu’elle estime ĂŞtre un parvenu aux manières maladroites, cède peu Ă  peu Ă  ses avances, tandis que Mabel Warren, qui est montĂ©e Ă  la dernière minute dans le train, après avoir accompagnĂ© son amie Janet, qui envisageait de la quitter, harcèle le Docteur Czinner, qu’elle a dĂ©masquĂ©,  pour obtenir de lui l’interview exclusive qui relancera sa carrière dĂ©clinante et, pense-t-elle, lui ramènera Janet.  Peu Ă  peu, l’intrigue sentimentale Ă  l’eau de rose, additionnĂ©e d’une dose d’ironie par l’étalage des ridicules de Miss Warren, cède le pas au drame. Le voleur viennois Joseph GrĂĽnlich en vient au meurtre pour se sortir d’une situation gĂŞnante, le Docteur Czinner, rongĂ© par le remords d’avoir abandonnĂ© ses compagnons de lutte,  tombe dans le piège qui lui est tendu Ă  la frontière Yougoslave après que l’imprudente Miss Warren l’ait dĂ©voilĂ©, et est condamnĂ© Ă  mort après un procès sommaire.

Coral Musker, qui Ă©tait Ă©tourdiment descendue du train pour discuter avec le Docteur Czinner avant son arrestation, est entraĂ®nĂ©e malgrĂ© elle dans ce drame, ainsi que Josef GrĂĽnlich. Au cours d’une tentative de fuite, Czinner meurt, et GrĂĽnlich parvient Ă  s’échapper en abusant C.Myatt, revenu en automobile Ă  la recherche de Carol Musker. La fin du livre voit Miss Warren , vĂ©ritable Deus ex machina, arracher Coral aux griffes de la police, et l’emmener Ă  Vienne, en s’imaginant mener la vie dont elle rĂŞve avec celle qu’elle voit comme une probable future compagne. Les autres personnages, rescapĂ©s de l’aventure, parviennent Ă  Constantinople, oĂą C. Myatt retrouve son univers familier, le monde des affaires, et règle Ă  son avantage Ă  la fois son problème professionnel (le rachat d’un concurrent, la mise Ă  l’écart d’un collaborateur fĂ©lon) et son problème sentimental (un mariage avec Janet Pardoe, qui se rĂ©vèle ĂŞtre juive par sa mère).  

Une des originalitĂ©s du livre est de prĂ©senter le train comme une micro sociĂ©tĂ©, traversĂ©e par des clivages qui structurent les mentalitĂ©s (le Juif/les « Gentils »[2], les passagers de première classe/ les passagers moins favorisĂ©s, les  passagers « en règle Â»/ les imposteurs cachĂ©s sous de fausses identitĂ©s, ou en fuite, etc). Ce condensĂ© des crises de l’époque- on n’en Ă©tait qu’au dĂ©but- donne une dimension dramatique Ă  l’œuvre en soulignant les tensions, cachĂ©es ou rĂ©vĂ©lĂ©es, qui menacent le groupe exposĂ© aux intempĂ©ries (le train est bloquĂ© par le temps hivernal) ou aux alĂ©as de la politique balkanique (la justice expĂ©ditive en gare de Subotica).

Place du livre dans l’œuvre de Graham Greene 

Bien que classé par son auteur lui-même dans la catégorie des romans de divertissement (dans la préface de l’édition de 1974[3]), et ne soutenant pas la comparaison avec les grands romans de la maturité (Greene avait 27 ans quand il l’a composé), cet ouvrage n’est pas dépourvu d’intérêt à plusieurs titres.

D’abord, si son intrigue est relativement conventionnelle et ne se différencie pas de celles d’autres œuvres ayant pour cadre le célèbre train, de l’aveu de son auteur (ce qu’il sous-entend dans la préface de l’édition de 1974), elle maintient une tension palpable, en entremêlant les malaises que ressentent des personnages frustrés à divers titres (les complexes de Mayatt par rapport à ses origines, la crainte de la pauvreté pour Coral Musker, la double quête, professionnelle et amoureuse, de Miss Warren, la peur, teintée de besoin de rachat, de Czinner), et en les maintenant dans un nœud de relations de plus en plus imbriquées malgré eux (Coral Musker se trouve entraînée contre son gré dans les suites de l’arrestation du Docteur Czinner).

Ensuite, cet ouvrage, qui peut ĂŞtre banal par certains cĂ´tĂ©s (le profil des personnages est souvent superficiel, et l’action prĂ©visible), se distingue par sa tĂ©mĂ©ritĂ© dans les sujets abordĂ©s, l’auteur ayant eu la hardiesse de traiter deux thèmes brĂ»lants (surtout si l’on songe Ă  la date de parution du livre) : le racisme et l’homosexualitĂ©.

Le malaise qui colle au personnage de Myatt est un des fils conducteurs du roman. Les prĂ©jugĂ©s antijuifs exprimĂ©s par plusieurs des protagonistes (Miss Warren, les Peters, les Yougoslaves de Subotica) ne font apparemment que reflĂ©ter les mentalitĂ©s frĂ©quentes Ă  l’époque[4]. Le personnage convenu du Juif, dĂ©crit comme riche, arrogant, rusĂ©[5], est conforme aux stĂ©rĂ©otypes rĂ©pandus dans de nombreuses couches de la sociĂ©tĂ© (anglaise, en la circonstance) de l’entre-deux-guerres. Le comportement maladroit de Myatt renforce les prĂ©jugĂ©s : il Ă©tale sa richesse, citant Ă  tout propos le prix des objets qu’il possède (sa bague), ou des services qu’il procure (le prix du billet qu’il offre Ă  Coral). Sa compassion, Ă©voluant en ce qu’il croit ĂŞtre de l’amour, est gâchĂ©e par ses erreurs, et sa relation avec Coral Musker est faussĂ©e dès le dĂ©but.  Le roman va cependant au-delĂ , en faisant de ce thème un des ressorts dramatiques de la sourde angoisse qui imprègne l’action.

L’appartenance communautaire est décrite comme une fatalité, en quelque sorte prémonitoire (nous sommes en 1932, et le pire est à venir), mais aussi comme un cocon où Myatt, une fois revenu dans un univers qui lui est plus familier, peut se ressourcer, en trouvant à la fois le succès en affaires, et le bonheur en amour.

La mise en scène d’une journaliste lesbienne est aussi hardie pour l’époque, quand bien mĂŞme elle est dĂ©peinte comme un personnage ridicule et passablement odieux (sa jalousie maladive, ses mĂ©thodes professionnelles contestables- elle n’hĂ©site pas Ă  se livrer au chantage, ni Ă  fracturer les bagages de « Mr John Â»- son penchant alcoolique). Bien qu’affleurant en divers chapitres (Miss Warren se sentant abandonnĂ©e par Janet, entreprend de faire des avances discrètes Ă  Coral, puis l’enlève dans une sortie inattendue), le sujet est moins achevĂ© que le prĂ©cĂ©dent, et n’est abordĂ© qu’en demi-teinte : le personnage de Janet Pardoe, la « demoiselle de compagnie Â» de Miss Warren, est d’ailleurs Ă  la limite de l’imposture quand elle dĂ©clare Ă  l’écrivain Savory, qui lui fait la cour après sa rupture avec la journaliste, qu’il n’y a eu entre elles « que des baisers Â»[6]. Aller au-delĂ  en 1932 n’était sans doute pas possible pour un ouvrage n’entrant pas dans la catĂ©gorie des livres Ă©rotiques…

Controverse autour du roman 

Un romancier populaire, J.B. Priestley, s’étant reconnu dans le personnage de l’écrivain Quin Savory, a menacĂ© Graham Greene d’un procès en diffamation. Le roman a dĂ» ĂŞtre en partie rĂ©Ă©crit (aux frais de l’auteur) pour parer cette menace, et Graham Greene s’en est justifiĂ© en ces termes dans la prĂ©face de l’édition de 1974 : « Dans le cas en question, M. J.B. Priestley Ă©tait, je n’en doute pas, convaincu que ce jeune Ă©crivain, pour ainsi dire inconnu, l’attaquait. Il agissait en toute bonne foi Â»[7]. Cette dernière allusion est en rapport avec le dĂ©veloppement en Grande-Bretagne dans ces annĂ©es lĂ  d’une vĂ©ritable industrie du chantage Ă  la diffamation envers les Ă©crivains, alimentĂ©e par des officines spĂ©cialisĂ©es, ce que rappelle Graham Greene dans la mĂŞme prĂ©face. 

Adaptation au cinĂ©ma et Ă  la tĂ©lĂ©vision 

Une adaptation cinĂ©matographique intitulĂ©e Orient-Express a Ă©tĂ© tournĂ©e en 1934 sous la direction de Paul Martin, avec Heather Angel dans le rĂ´le de Coral Musker. 

Une version tĂ©lĂ©visĂ©e a Ă©tĂ© tournĂ©e en 1962 pour la BBC.  

Notes et références

  1. (en) The Works of Graham Greene : A reader’s bibliography and guide, par Mike Hill et Jon Wise, Bloomsbury Publishing, 2012.
  2. Les Non Juifs, dans le Nouveau Testament.
  3. Page 11 de l’édition chez 10/18 Domaine étranger, Robert Laffont, Paris, 1979. Les autres citations renvoient au même ouvrage.
  4. Ceci a valu de nombreuses critiques à G. Greene après la parution du livre, de la part de lecteurs prenant au premier degré les remarques à connotation antisémite visant le personnage de C. Myatt (Hill et Wise, ouvrage cité, page 18).
  5. Quand il ne tente pas de séduire Coral, il médite le mauvais coup qu’il va réserver à son agent d’Istanbul, qu’il soupçonne de déloyauté.
  6. Pages 137-138 de l’édition 10/18, citée.
  7. Idem, page 13.

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