Normalisation en Tchécoslovaquie
En République socialiste tchécoslovaque, le terme de normalisation (en tchèque : normalizace ; en slovaque : normalizácia) décrit la période qui suit le Printemps de Prague et s'étend jusqu'à la Révolution de velours (soit entre 1968 et 1989) et la reprise en main de l'appareil politique et économique par la ligne conservatrice du Parti communiste tchécoslovaque.
L'utilisation du terme « normalisation » caractéristique des néologismes de la langue de bois du régime communiste provient du protocole de Moscou en date du . Ce que la normalisation recouvre, c'est un « retour à la normale » ou à la « norme communiste » de laquelle la société tchécoslovaque avait dévié lors du socialisme à visage humain.
Chronologie de la normalisation
Le protocole de Moscou qui met un point final au Printemps de Prague affirme en date du :
« Les reprĂ©sentants tchĂ©coslovaques, dans ce document, affirment leur rĂ©solution Ă atteindre la normalisation des relations dans notre pays sur une base marxiste-lĂ©niniste, renouveler le rĂ´le du Parti et restaurer l'autoritĂ© de l'État fondĂ©e sur les classes ouvrières, Ă©liminer les organisations contre-rĂ©volutionnaires de la vie politique et renforcer les relations internationales entre la RĂ©publique socialiste tchĂ©coslovaque, l'Union soviĂ©tique et ses alliĂ©s socialistes. (…) Les rĂ©sultats globalement positifs des nĂ©gociations de Moscou sont, pour la partie tchĂ©coslovaque, le fait des camarades LudvĂk Svoboda, Gustav Husák, Vasil BiÄľak entre autres camarades qui adopte un point de vue de classe clair et net sur une base internationaliste. »
Première phase : élimination de Dubček
Du jusqu'en avril 1969, l'influence du premier secrétaire du comité central du parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček, est progressivement affaiblie et sous son « règne » commencent les premières « purges » (čistky en tchèque). Le , lors du plenum du comité central du PCT, Gustáv Husák est élu premier secrétaire.
Seconde phase : « cadrage » et purges
Sont alors supprimĂ©s tous les mouvements qui avaient, Ă un titre ou un autre, jouĂ© un rĂ´le de soutien dans le cadre du Printemps de Prague, citons le mouvement scout Junák, le mouvement sportif de la jeunesse (Sokol), le club des anciens prisonniers politiques, (K-231), le club des engagĂ©s non alignĂ©s (Klub angaĹľovanĂ˝ch nestranĂkĹŻ), entre autres organisations culturelles et sportives, qui - la politique Ă©tant interdite et monopole du Parti communiste - jouent alors un rĂ´le de courroie de transmission des opinions.
Sont également annulées les « réformes de midi » prises en janvier 1968 dans le cadre du Printemps de Prague et, tant au sein de la Sécurité d'État, de l'armée, des syndicats une grande purge est entreprise. Le tchèque s'enrichit d'un néologisme : Kádrovánà (« cadrage ») pour décrire l'examen fouillé et soupçonneux du passé politique de tous les cadres ou futurs cadres du Parti, procédé qui ne disparaitra qu'avec la Normalisation.
En , le Comité central du PCT commence la purge des cadres du parti pour éliminer les membres qui ne sont pas loyaux au processus de « normalisation ». Outre l'ancien secrétaire général, Alexander Dubček, ce sont trois-cent-vingt-mille membres du parti qui sont rayés de ses rangs, souvent renvoyés de leur emploi et rattachés à des tâches subalternes et humiliantes. On estime à 350000 le nombre de travailleurs ainsi « repositionnés ». Un exemple parmi d'autres, Bohumil Hrabal devient alors pilonneur de livres, expérience qui lui inspire son chef-d'œuvre Une trop bruyante solitude (1976).
Troisième phase : années de plomb
Les 11 et , le plénum du Comité central du PCT valide un document-clé, les Leçons d'un mouvement de crise (Poučenà z krizového vývoje) qui sera en quelque sorte la « bible » sur la manière de comprendre ce qui s'est passé avec le Printemps de Prague et sa fin du point de vue marxiste-léniniste.
L'équivalent communiste des années de plomb commence. La censure est renforcée. L'accès aux études supérieures est barré pour beaucoup de jeunes tchécoslovaques pour des raisons de « cadrage ». Beaucoup sont contraints à l’exil. Ceux qui restent sont contraints à une double vie - officielle et privée.
La répression policière s'abat sur la population et la Sécurité d'État adopte toute une série de méthodes de coercition pour maintenir une atmosphère de crainte et de soumission. Si quelques exemples d'actions terroristes et d'assassinats politiques mis-en-scène comme des suicides sont à déplorer (comme celui du prêtre Přemysl Coufal), le régime est beaucoup moins sanglant que dans les années 1950, avec les procès de Prague.
La Normalisation a profondément influencé la société tchécoslovaque, instaurant un marxisme-léninisme pur et dur. Aussi, quand Mikhaïl Gorbatchev met en place sa politique de la glasnost et de la perestroïka à partir de 1985 pour renouveler l’appareil du parti et l'économie russe, l'appareil d'État tchécoslovaque, prisonnier, en quelque sorte des Leçons d'un mouvement de crise, se montre incapable de quelque réforme que ce soit. Dans les années 1980, la Sněmovna approuve une « loi matraque » (pendrekový zákon) qui permet une répression plus aisée des manifestations.
RĂ©sistance Ă la normalisation
Pour protester contre le processus de normalisation, les Ă©tudiants Jan Palach () et Jan ZajĂc () Ă Prague ainsi qu’EvĹľen Plocek () Ă Jihlava s'immolent par le feu.
Le , à l'occasion du premier anniversaire de l'invasion du pays par les armées du pacte de Varsovie une manifestation de masse a lieu à Prague ; elle est sévèrement réprimée par la police. La vitrine de la compagnie aérienne Aeroflot, place Venceslas, est alors brisée. Une théorie du complot affirme qu'il s'agit là d'un acte de provocation des services secrets pour justifier l'intervention de la police et la répression qui s'est ensuivie.
En 1977, des dissidents fondent l'association de la Charte 77. Ils rappellent publiquement au gouvernement son engagement concernant le respect des Droits de l'homme signĂ© en 1975 Ă la ConfĂ©rence d'Helsinki. En , une pĂ©tition intitulĂ©e DĂ©claration de la Charte 77, commence Ă circuler et Ă ĂŞtre signĂ©e par des personnalitĂ©s du monde des arts, des citoyens lambda, des professeurs d'université… laquelle exige du gouvernement de respecter ses engagements publiĂ©s au Journal Officiel (SbĂrka ZákonĹŻ) en . Les quelques centaines de signataires sont alors emprisonnĂ©s, parfois persĂ©cutĂ©s, par le rĂ©gime communiste.
La dissidence est soutenue par les Tchécoslovaques en exil, partis après 1948 et le Coup de Prague ou 1968 et le Printemps de Prague, et qui sont actifs au sein des médias étrangers comme Radio Free Europe, Voice of America, la BBC ou Radio Vatican et autres. Le régime tente de brouiller ces émissions mais ses moyens techniques et financiers sont limités. Il tente d'empoisonner les collaborateurs de Radio Free Europe à l’atropine et, le , de faire exploser une bombe (en utilisant pour ce faire les services secrets roumains) dans les locaux de la rédaction tchécoslovaque de RFE.
Dans le cadre des éditions samizdat, maintes publications non officielles sont imprimées et distribuées en dépit des risques encourus par leurs auteurs, leurs éditeurs et leurs lecteurs.