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Nakaz

Les Instructions adressĂ©es par Sa MajestĂ© l'impĂ©ratrice de toutes les Russies Ă©tablies pour travailler Ă  l'exĂ©cution d'un projet d'un nouveau code de lois, plus connu sous le nom de Nakaz (en russe : НаĐșĐ°Đ· ĐșĐŸĐŒĐžŃŃĐžĐž ĐŸ ŃĐŸŃŃ‚Đ°ĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐž ĐżŃ€ĐŸĐ”Đșта ĐœĐŸĐČĐŸĐłĐŸ ŃƒĐ»ĐŸĐ¶Đ”ĐœĐžŃ) est un traitĂ© de philosophie politique par Catherine II de Russie, Ă©ditĂ© en 1767.

Instructions de l'impératrice à la commission appelée à rédiger le nouveau code de lois, traduction en français du 1769.
La premiĂšre page du Nakaz

Catherine II, nĂ©e Ă  Stettin, sous le nom de Sophie Auguste Friedrike, princesse d’Anhalt-Zerbst, arrive en Russie en fĂ©vrier 1744. Elle Ă©pouse, en aoĂ»t 1745, le neveu de l’impĂ©ratrice, Elisabeth PĂ©trovna, le grand-duc Piotr Fedorovitch, Pierre III, qui hĂ©rite de la couronne russe en dĂ©cembre 1761. La princesse devient alors Catherine AlexeĂŻevna. Elle devient, par la suite, l’impĂ©ratrice Catherine II lorsqu’elle dĂ©trĂŽne son Ă©poux.

Ce traitĂ©, rĂ©digĂ© par Catherine II, est imaginĂ© dans « l’objectif » d’une rĂ©organisation du droit et de la justice dans l’Empire de Russie. Il a pour but de guider les dĂ©libĂ©rations d’une assemblĂ©e connue sous le nom de « Grande Commission LĂ©gislative »[1].

Le Nakaz se compose de 526 articles regroupĂ©s en 20 chapitres, deux autres chapitres portant sur la police et l’économie sont publiĂ©s sĂ©parĂ©ment en 1768[2]. RĂ©digĂ© en français, puis traduit en russe et en allemand. Le Nakaz rassemble de nombreux modĂšles juridiques tels que le droit hĂ©braĂŻque, le droit romain, le droit français ou encore le droit anglais[3]. La version russe de ce texte, qui est la seule version officielle, s’appuie sur le document signĂ© et scellĂ© par l’impĂ©ratrice, conservĂ© aux Archives d’actes anciens Ă  Moscou. L’Instruction de Catherine II est influencĂ©e par diffĂ©rents courants tels que celui des LumiĂšres mais Ă©galement le courant physiocratique. Ces diffĂ©rentes inspirations nourrissent la rĂ©daction de Catherine II qui souhaite, Ă  travers ce traitĂ©, promouvoir les valeurs d’ordre public, de progrĂšs matĂ©riel et d’éducation afin d’ancrer son pays plus durablement Ă  l’Europe Occidentale.

Un traité éclairé ?

Dans son Instruction, l’impĂ©ratrice prĂ©sente ses thĂ©ories politiques inspirĂ©es de Montesquieu et Beccaria Ă  l’intention de la commission des lois de son pays, rĂ©unie en 1767 dans le but de remplacer le code des lois moscovite par un texte plus moderne.

En effet, lors de sa rĂ©daction, Catherine II s’inspire trĂšs largement de ces deux auteurs. Sur les 526 articles que contient le Nakaz, 294 reprennent textuellement De l’Eprit des lois de Montesquieu et 108 l’ouvrage de Beccaria[4]. Catherine II avoue d’ailleurs, lors de sa correspondance avec d’Alembert avoir « pillĂ© le prĂ©sident de Montesquieu sans le nommer [
]. Son livre est mon brĂ©viaire »[5].

L’une des prioritĂ©s de Catherine II est la rĂ©organisation de la justice et du droit en Russie, elle commence donc, dans son Instruction, par prĂ©senter les lois comme des garantes de la libertĂ© et de la sĂ»retĂ© de tous les citoyens : « L'Ă©galitĂ© parmi les citoyens consiste, en ce qu'ils soient tous tenus d'observer les mĂȘmes loix »[6]. Sa rĂ©flexion sur la justice se poursuit notamment Ă  travers la division des dĂ©lits en quatre classes : ceux contraires Ă  la religion, ceux contraires aux mƓurs, ceux allant Ă  l’encontre du repos et de la tranquillitĂ© publique et enfin ceux rĂ©alisĂ©s Ă  l’encontre de la sĂ»retĂ© des citoyens[7]. Cette division est empruntĂ©e Ă  Montesquieu qui l’expose dans De l’Esprit des lois[8].

Catherine II insiste Ă©galement sur l’importance du rapport entre le dĂ©lit effectuĂ© et la peine prononcĂ©e : « C'est le triomphe de la libertĂ© civile , lorsque les loix infligent Ă  ceux qui les violent , des punitions qui dĂ©coulent de la nature mĂȘme du dĂ©lit. Car la punition n'a rien alors d'arbitraire , puisqu'elle ne dĂ©pend point du caprice du lĂ©gislateur , mais qu'elle est une suite de la nature mĂȘme de l'action ; ce n'est donc pas l'homme qui fait violence Ă  l'homme quand on le punit , ce sont ses propres actions »[9]. À travers cette mesure, Catherine II souhaite Ă©carter la notion d’arbitraire, la justice ne doit plus ĂȘtre un instrument dans les mains du lĂ©gislateur mais au contraire permettre d’instaurer l’égalitĂ© entre les citoyens. Elle reprend ici encore une fois les paroles de Montesquieu qui Ă©voque cette notion dans un chapitre intitulĂ© « De la juste proportion des peines avec le crime »[10]extrait de De l’Esprit des lois.

Ce texte proclame donc l'Ă©galitĂ© de tous les hommes devant la loi mais dĂ©sapprouve Ă©galement la peine de mort et la torture[11], anticipant en cela certains sujets abordĂ©s ultĂ©rieurement par la Constitution des États-Unis d'AmĂ©rique et la Constitution polonaise. Effectivement, Catherine II, dans son Nakaz, Ă©voque l’utilitĂ© de la peine capitale. Sur ce sujet elle rejoint trĂšs largement la pensĂ©e de Beccaria dans son TraitĂ© des dĂ©lits et des peines publiĂ© en 1764, soit tout juste trois ans avant la publication du traitĂ© de Catherine II. La peine de mort est donc jugĂ©e inutile par Beccaria et par consĂ©quent par l’ImpĂ©ratrice, ce ne serait pas l’importance de l’intensitĂ© d’une peine qui marquerait plus durablement les esprits mais plutĂŽt le caractĂšre modĂ©rĂ© mais nĂ©anmoins rĂ©pĂ©titif de celle-ci[12].

À travers son Instruction, Catherine II tente une rĂ©elle rĂ©organisation de la justice au sein de son Empire, elle se positionne en faveur d’une justice plus humaine conformĂ©ment aux principes de quelques esprits Ă©clairĂ©s tels que Montesquieu et Beccaria. NĂ©anmoins malgrĂ© cette volontĂ© d’enraciner en Russie certaines idĂ©es et concepts des LumiĂšres, Catherine II souhaite une chose avant tout, lĂ©gitimer l’usurpation de son pouvoir par la loi revue et corrigĂ©e afin d’assurer la prĂ©servation de son autocratie.

L'Ă©chec du Nakaz

Catherine II, Ă  travers la politique qu’elle prĂŽne dans son Instruction, souhaite justifier l’usage et la nĂ©cessitĂ© de l’autocratie, autrement dit le systĂšme politique dans lequel le pouvoir est dĂ©tenu par une seule personne et qui l’exerce en maĂźtre absolu[13]. MalgrĂ© des idĂ©es progressistes pour l’époque notamment dans l’Empire de Russie, Catherine II tente Ă  travers la publication de son Nakaz de justifier le caractĂšre absolu de son pouvoir tout en laissant de cĂŽtĂ© des notions clĂ©s telles que le servage. La diffusion de ce traitĂ© connaĂźt un succĂšs mitigĂ© en Europe, s’il est applaudi par plusieurs esprits Ă©claires, ce n’est pas le cas de tous, il est Ă©galement interdit dans plusieurs pays.


Denis Diderot, notamment, commente l'ouvrage de l'ImpĂ©ratrice dans ses Observations sur le Nakaz (1774) Ă  la suite des nombreux entretiens avec l'ImpĂ©ratrice. Il trouve les propositions de Catherine II trop frileuses, pas assez abouties. Lors de la publication du Nakaz tous les contemporains de l’ImpĂ©ratrice attendent beaucoup de la Russie et des perspectives de dĂ©veloppement que semble annoncer Catherine II[14]. Cependant, dĂšs 1772 la dĂ©ception est grande pour Diderot qui dĂ©plore le fait que l’ImpĂ©ratrice ne renonce pas au despotisme[15].


Une fois la rĂ©daction du Nakaz terminĂ©e, la Grande Commission lĂ©gislative, composĂ©e de dĂ©putĂ©s du SĂ©nat, des diffĂ©rents  collĂšges et  des chancelleries,  et  de reprĂ©sentants  de  tous les  gouvernements,  districts et  villes,  se rassemble afin  d’étudier le Nakaz et de le  complĂ©ter  dans le but d’élaborer  un texte  de  lois durable  et  valable pour  tous[16]. Cependant cette tĂąche complĂštement utopique ne parvient pas Ă  son terme, en effet, il est impossible d’appliquer de nombreux principes philosophiques français Ă  l’Empire russe. La Commission est un Ă©chec, l’ImpĂ©ratrice dĂ©cide donc de mettre fin Ă  cette entreprise et c’est en 1768 que l’opportunitĂ© se prĂ©sente avec le dĂ©but de la guerre avec la Turquie. Le Grande Commission est donc dissoute aprĂšs 203 sĂ©ances et 18 mois de travaux[17].

Références

  1. Anne Pinot et Christophe Reveillard, Russie d'hier et d'aujourd'hui : perceptions croisées, Paris, SPM, , p. 108
  2. Isabel de Madariaga, La Russie au temps de la Grande Catherine, s.l, Fayard, , p. 174
  3. Thérence Carvalho, La physiocratie dans l'Europe des LumiÚres. Circulation et réception d'un modÚle de réforme de l'ordre juridique et social, Paris, Mare & Martin, , p. 428
  4. Isabel de Madariaga, La Russie au temps de la Grande Catherine, s.l, Fayard, , p. 175
  5. Thérence Carvalho, La physiocratie dans l'Europe des LumiÚres. Circulation et réception d'un modÚle de réforme de l'ordre juridique et social, Paris, Mare & Martin, , p. 404
  6. Catherine II, Instruction de sa Majesté impériale Catherine II pour la commission chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois, Saint-Pétersbourg, , p. 146
  7. Catherine II, Instruction de sa MajestĂ© impĂ©riale Catherine II pour la commission chargĂ©e de dresser le projet d’un nouveau code de lois, Saint-PĂ©tersbourg, , p. 146
  8. Montesquieu, De l'Esprit des lois, Paris, s.n, , p. 173
  9. Catherine II, Instruction de sa MajestĂ© impĂ©riale Catherine II pour la commission chargĂ©e de dresser le projet d’un nouveau code de lois, Saint-PĂ©tersbourg, s.n, , p. 26
  10. Montesquieu, De l'Esprit des lois, Paris, s.n, , p. 87-88
  11. Texte intégral (en russe)
  12. Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines, A. Philadelphie, s.n, , p. 62
  13. Catherine II, Instruction de sa MajestĂ© impĂ©riale Catherine II pour la commission chargĂ©e de dresser le projet d’un nouveau code de lois, Saint-PĂ©tersbourg, s.n, , p. 8
  14. Bernard Herencia, « Le sĂ©jour du physiocrate Lemercier de La RiviĂšre en Russie. 1767-1768 », Dix-huitiĂšme siĂšcle,‎ , p. 630
  15. Bernard Herencia, « Le sĂ©jour du physiocrate Lemercier de La RiviĂšre en Russie. 1767-1768 », Dix-huitiĂšme siĂšcle,‎ , p. 646
  16. Francine-Dominique Liechtenhan, Catherine II. Le courage triomphant, s.l, Perrin, , p. 117-118
  17. Anna Moretti, Catherine II : Entre Mythe et Réalité, s.l, Ellipses, , p. 163-164
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