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Monsieur le Président

Monsieur le Président (El señor Presidente) est un roman écrit en espagnol de l'écrivain et diplomate guatémaltÚque, lauréat du prix Nobel de littérature, Miguel Ángel Asturias, publié en 1946.

Monsieur le Président
Auteur Miguel Ángel Asturias
Pays Drapeau du Guatemala Guatemala
Genre roman du dictateur
Version originale
Langue Espagnol
Titre El señor Presidente
Éditeur Costa-Amic
Lieu de parution Drapeau du Mexique Mexico
Date de parution 1946
Version française
Traducteur Georges Pillement
Francisca Garcias
Yves Malartic
Éditeur Bellenand
Lieu de parution Paris
Date de parution 1952
Nombre de pages 295

Grande référence de la littérature latino-américaine, ce roman brosse le portrait d'un dictateur sud-américain.

Traduit en français par Georges Pillement, Francisca Garcias et Yves Malartic, sous le titre Monsieur le Président dÚs 1952, le roman connaßt une nouvelle traduction signée Georges Pillement et Dorita Nouhaud en 1977.

En France, ce roman remporte le Prix du Meilleur livre Ă©tranger.

Contexte et publication

Monsieur le PrĂ©sident est publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1946. Asturias, nĂ© en 1899, a alors 47 ans. Mais pour trouver la source de Monsieur le PrĂ©sident, il faut remonter aux toutes premiĂšres annĂ©es de la vie de l'Ă©crivain. Les parents d’Asturias – son pĂšre est avocat et sa mĂšre institutrice – sont victimes de la persĂ©cution du rĂ©gime de Manuel JosĂ© Estrada Cabrera, arrivĂ© au pouvoir en 1898. Le jeune Asturias et sa famille se voient donc contraints de fuir la capitale en 1900[1].

De retour Ă  Guatemala Ciudad en 1907, Asturias termine ses Ă©tudes secondaires puis en 1917 s’inscrit Ă  la facultĂ© de droit. Publiant ses premiers textes dans le journal "El Estudiante" il participe alors activement avec d’autres Ă©tudiants Ă  la lutte contre la dictature de Cabrera qui est finalement renversĂ© en 1920. Le dictateur dĂ©chu refuse l’exil et dĂ©cide de se dĂ©fendre lui-mĂȘme contre les accusations qu’on lui porte. Asturias est prĂ©sent lors de son procĂšs, en tant que secrĂ©taire officiel, et peut ainsi observer le dictateur en chair et en os dans le box des accusĂ©s. Ses souvenirs lui serviront plus tard Ă  composer la figure du personnage central de son roman. Comme il le dit lui-mĂȘme :

« Je le voyais presque tous les jours Ă  la prison. Et je compris qu’il ne faisait aucun doute que des hommes comme lui exerçaient un pouvoir vraiment spĂ©cial sur les gens. En effet, tant qu'il serait derriĂšre les barreaux, les gens diraient : «Non, ce ne peut pas ĂȘtre Estrada Cabrera. Le vrai Estrada Cabrera s’est Ă©chappĂ©. C’est un pauvre vieillard qu’ils ont enfermĂ© ici »[2]. »

En 1922, Miguel Angel Asturias soutient sa thĂšse intitulĂ©e El problema social del indio dans laquelle il dĂ©nonce les souffrances et les injustices dont sont victimes les Indiens au Guatemala et qui lui vaut le titre d’avocat et de notaire. Cette prĂ©occupation pour la condition de l’indigĂ©nat se retrouvera dans Monsieur le PrĂ©sident, roman en grande partie rĂ©digĂ© suivant le point de vue du peuple. Mais malgrĂ© cet arriĂšre-plan social marquĂ©, Asturias prĂ©cise bien qu’il a Ă©crit Monsieur le PrĂ©sident « sans engagement social »[3] d’aucune sorte. Le roman ne se limite pas Ă  sa nation mais au contraire revendique une portĂ©e bien plus universelle.

C’est en 1923, que l’on peut situer la genĂšse de Monsieur le PrĂ©sident. Dans son allocution Monsieur le prĂ©sident comme mythe Asturias affirme que le roman « n’a pas Ă©tĂ© Ă©crit en sept jours mais en sept ans »[4]. À la fin de l’annĂ©e 1923, le jeune Ă©crivain rĂ©dige un conte en vue d’un concours organisĂ© par une revue du Guatemala. Ce texte, non publiĂ©, s’intitule Los mendigos politĂ­cos (Les Mendiants politiques) et servira de point de dĂ©part au roman Ă  venir.

InstallĂ© Ă  Paris en 1924 oĂč il suit les cours de Georges Raynaud Ă  la Sorbonne, Asturias frĂ©quente les avant-gardes artistiques et littĂ©raires du moment. C'est dans ce contexte qu'il rĂ©dige l'essentiel de Monsieur le PrĂ©sident. Le rĂ©alisme magique qu'il dĂ©veloppe dans son roman sera notamment influencĂ© par les travaux des artistes surrĂ©alistes qu'il rencontre, comme AndrĂ© Breton, Benjamin PĂ©ret ou Tristan Tzara[5].

En , Asturias retourne au Guatemala mais il juge prĂ©fĂ©rable de ne pas emporter son manuscrit avec lui, car son pays est dĂ©sormais aux mains d’un autre dictateur Jorge Ubico Castañeda qui pourrait se reconnaĂźtre dans le personnage central du roman. Il confie un exemplaire intitulĂ© Tohil Ă  son ami et futur traducteur, Georges Pillement et en envoie un autre Ă  la ville de Mexico oĂč le roman paraĂźtra en premier, publiĂ© par les Éditions Costa Amic en 1946. À la fin du manuscrit figurent les dates : « Paris, et ». Mais treize ans plus tard, revenant sur la trajectoire crĂ©ative de son Ɠuvre et estimant que la nouvelle Les Mendiants politiques, en constituait le point de dĂ©part, Asturias rajoute avant la publication du roman une troisiĂšme date juste avant les deux autres : « Guatemala, ». On peut noter que, mĂȘme si deux Ă©pisodes centraux de Monsieur le PrĂ©sident, le chapitre XII « Camila » et l’« Épilogue », ont Ă©tĂ© rĂ©visĂ©s aprĂšs 1932 – difficile en revanche de dĂ©terminer Ă  quel moment prĂ©cisĂ©ment – Asturias ne mentionne sur le manuscrit aucune date postĂ©rieure Ă  1932 comme moment crĂ©atif dĂ©cisif de son roman [6]. Comme le rĂ©sume GĂ©rald Martin « le roman est pour ainsi dire un texte parisien, avec un prologue et un Ă©pilogue guatĂ©maltĂšques »[7].

Structure narrative

Monsieur le PrĂ©sident est constituĂ© de trois parties et d’un Ă©pilogue. Les deux premiĂšres parties retracent des Ă©vĂšnements se dĂ©roulant de maniĂšre suivie au cours d’une mĂȘme semaine : la premiĂšre partie s’intitule « 21, 22, » et la seconde « 24, 25, 26, ». La troisiĂšme partie, quant Ă  elle, s’inscrit dans un temps plus long et est intitulĂ©e explicitement : « Des semaines, des mois, des annĂ©es
 »

PremiĂšre partie

Le roman dĂ©bute dans la capitale, au pied de la cathĂ©drale, oĂč les mendiants se rĂ©unissent Ă  la Porte du Seigneur pour passer la nuit. L’un d’entre eux, surnommĂ© le Pantin, est victime de crises de folie Ă  chaque fois qu’il entend parler de sa dĂ©funte mĂšre et les autres mendiants s’amusent Ă  le harceler Ă  ce sujet. Ce soir lĂ , alors qu’il est assoupi, un des fidĂšles du PrĂ©sident, le colonel JosĂ© Parrales Sonriente, s’approche du Pantin et lui crie : « MĂšre ! ». Le mendiant, rĂ©veillĂ© en sursaut se jette alors sur le colonel et le tue.

Par la suite, les autres mendiants sont interrogĂ©s et torturĂ©s pour qu’ils avouent que c’est le gĂ©nĂ©ral Eusebio Canales, qui faisait autrefois partie de l’entourage du prĂ©sident ainsi que l’homme de loi Abel Carvajal qui sont responsables du meurtre du Colonel. En effet, pour le Juge Ă  qui les mendiants soutiennent que le Pantin est coupable, il est impossible qu’un idiot soit responsable. Pendant ce temps, le PrĂ©sident ordonne Ă  Miguel Visage d’Ange, qui est son homme de confiance, d’aider le gĂ©nĂ©ral Canales Ă  s’enfuir avant qu’il ne soit arrĂȘtĂ© au matin, pour le meurtre de Sonriente. Le PrĂ©sident, que l’on suppose ĂȘtre Ă  l’origine de ces fausses accusations, souhaite que Canales prenne la fuite car ce serait ainsi la preuve irrĂ©futable de sa culpabilitĂ©.

Au cafĂ© « Le Tous-Tep » dont la gĂ©rante est une femme appelĂ©e la Serpente, Visage d’Ange rencontre Lucio VĂĄsquez, un policier Ă  qui il explique qu’il va enlever Camila, la fille du gĂ©nĂ©ral Canales, ceci afin de couvrir la fuite de ce dernier. Plus tard dans la soirĂ©e, Vasquez rencontre son ami Genaro Rodas et alors qu’ils sortent d’un bar, ils aperçoivent le Pantin, Ă  la porte du Seigneur. Vasquez tue le Pantin, qu’on accuse d’avoir la rage. Genaro Rodas, choquĂ© par ce qu’il vient de voir, rentre chez lui et raconte tout Ă  sa femme, Fedina, y compris l’intention de la police d’arrĂȘter Canales au petit matin.

En pleine nuit, avec la complicitĂ© de Vasquez, Visage d’Ange se rend chez Canales, enlĂšve Camila et la ramĂšne au « Tous-Tep » pendant que Canales s’enfuit et que la police alertĂ©e pille la maison.

DeuxiĂšme partie

Au petit matin, Fedina Rodas se prĂ©cipite Ă  la demeure de Canales afin de le prĂ©venir de son arrestation imminente pour le meurtre du colonel Sonriente. Elle arrive malheureusement trop tard et est arrĂȘtĂ©e par le prĂ©sident du tribunal, comme complice de la fuite de Canales. Fedina est torturĂ©e pour qu’elle avoue l’endroit oĂč se cache le gĂ©nĂ©ral, ce qu’elle ignore. Les soldats lui font « tripoter de la chaux vive »[8] puis lui donnent son bĂ©bĂ© qui, ne pouvant se nourrir Ă  son sein Ă  cause du goĂ»t Ăącre de la chaux, finit par mourir d’inanition dans ses bras. De retour au « Tous-Tep », Visage d’Ange se rend auprĂšs de Camila. Il essaie de la faire hĂ©berger chez ses oncles et tantes mais tous refusent, craignant de perdre leurs amis et d’ĂȘtre associĂ©s « Ă  la fille d’un ennemi de Monsieur le PrĂ©sident »[9]. Visage d’Ange se sent partagĂ© entre son attirance physique pour Camila et son dĂ©sir de faire le bien dans un pays gouvernĂ© par la terreur.

Camila est malade et sa santĂ© s’aggrave de jours en jours. Visage d’Ange en est informĂ© et se rend sur le champ au « Tout-Tep » pour la voir. Finalement libĂ©rĂ©e, Fedina, qui n’est plus que l’ombre d’elle-mĂȘme est achetĂ©e par une maison close « Le Doux Enchantement » mais lorsqu’on dĂ©couvre qu’elle garde son bĂ©bĂ© mort, serrĂ© contre sa poitrine, on la juge folle et l’envoie plutĂŽt dans un hĂŽpital.

Visage d’Ange rencontre au « Doux Enchantement » le commandant Farfan, un homme du PrĂ©sident et l’informe que sa vie est menacĂ©e car un ordre a Ă©tĂ© donnĂ© de l’exĂ©cuter. Visage d’Ange qui a « si souvent envoyĂ© d’autres Ă  la mort » agit pour la premiĂšre fois de la sorte en poussant « un homme vers la vie. »[10]. Ce soudain changement de comportement s’explique par l’espoir que Dieu le rĂ©compensera de cette bonne action, en sauvant Camila de la mort. Le dernier chapitre de la deuxiĂšme partie, montre le GĂ©nĂ©ral Canales en fuite, qui arrive dans un village oĂč il est secouru par un Indien et trois sƓurs cĂ©libataires qui l’hĂ©bergent puis l’aident Ă  passer la frontiĂšre.

TroisiĂšme partie

Une Ă©tudiante, un sacristain et l’avocat Abel Carvajal, sont enfermĂ©s en prison Ă  l’intĂ©rieur d’une mĂȘme cellule et se racontent comment ils sont arrivĂ©s lĂ . Pendant ce temps, la femme de Carvajal, dĂ©sespĂ©rĂ©e, se rend chez le PrĂ©sident et d’autres personnages influents comme le PrĂ©sident du Tribunal pour implorer la grĂące pour son Ă©poux mais tous refusent de la recevoir. À l’issue d’un procĂšs expĂ©ditif, accablĂ© par de faux tĂ©moins – comme le dit le Juge « Pas d’histoires ; ici il n’y a pas de pelle, ni d’appel, inutile de reculer pour mieux sauter ! » Carvajal est sans surprise condamnĂ© Ă  ĂȘtre fusillĂ©.

Le Ticher, professeur d’anglais versĂ© dans le spiritisme et les sciences occultes, dit Ă  Visage d’Ange que s’il aime vraiment Camila, celle-ci pourra peut-ĂȘtre ĂȘtre sauvĂ©e par le sacrement du mariage. Le mĂȘme jour « Camila et Visage d’Ange [s’épousent] au seuil de l’Inconnu. »[11]. Le miracle survient car Camila recouvre la santĂ© mais une mauvaise nouvelle leur est apportĂ©e : le GĂ©nĂ©ral Canales, qui prĂ©parait une rĂ©volution, est mort en lisant dans le journal que le PrĂ©sident de la RĂ©publique avait Ă©tĂ© tĂ©moin au mariage de sa fille. Cette information Ă©tait bien sĂ»r totalement fausse.

Le PrĂ©sident se prĂ©pare Ă  ĂȘtre rĂ©Ă©lu. La dĂ©couverte de son affiche de campagne suscite la liesse des clients d’un cafĂ©. Pendant ce temps, le PrĂ©sident confie Ă  Visage d’Ange une mission diplomatique Ă  l’étranger. Le favori souhaite profiter de cette occasion pour fuir dĂ©finitivement le rĂ©gime. Il dit Ă  Camila qu’elle pourra ensuite le rejoindre aux États-Unis sous le prĂ©texte qu’il est trĂšs malade. Le couple se sĂ©pare mais juste avant d’embarquer pour New York, Visage d’Ange est arrĂȘtĂ© par le commandant Farfan, sur ordre du PrĂ©sident. Le favori en disgrĂące est molestĂ© puis jetĂ© en prison pendant qu’un imposteur prend sa place sur le navire en partance.

Camila, enceinte, guette anxieusement des lettres de son Ă©poux. Elle envoie des tĂ©lĂ©grammes au PrĂ©sident, sans rĂ©ponse. Ayant fini par perdre tout espoir, elle dĂ©mĂ©nage Ă  la campagne avec son fils qu’elle appelle Miguel, comme son pĂšre. Pendant ce temps, Visage d’Ange est devenu le prisonnier sans nom, dans la cellule 17. Il pense constamment Ă  Camila et c’est cet espoir qui le maintient en vie. Mais un jour, un gardien de prison lui dĂ©livre une fausse information selon laquelle, Camila serait devenue la fiancĂ©e de Monsieur le PrĂ©sident, pour se venger de son mari qui l’aurait abandonnĂ©e. Visage d’Ange en meurt aussitĂŽt de chagrin.

Épilogue

La Porte du Seigneur est en ruines alors que dĂ©file un cordon de prisonniers. Le montreur de marionnettes qui habite lĂ , a perdu la raison et chante Ă  tue-tĂȘte dans la rue. Des « morceaux de paperasse officielles – dĂ©sormais inutiles –» s’envolent dans le vent. Le roman s’achĂšve avec une touche d’espoir, avec l’image de la mĂšre de l’étudiant, lisant le rosaire et concluant par un « Kyrie Eleison
 »

Analyse

Si l’on observe la structure narrative, on constate que le dictateur en tant que personnage agissant, n’occupe qu’un rĂŽle trĂšs rĂ©duit dans le roman. Il est en revanche l’éminence grise, le pouvoir supĂ©rieur dont les diffĂ©rentes dĂ©cisions (fausses accusations contre Canales, mission confiĂ©e Ă  Visage d’Ange qui aboutit Ă  sa rencontre avec Camila, enfin disgrĂące finale du favori) constituent les principaux ressorts de l’action. Asturias adopte un point de vue qui fut le sien en tant qu’enfant et adolescent ayant grandi en dictature. Dans son roman, il fait voir la dictature avec les yeux de ceux qui la subissent. Cela explique notamment pourquoi le personnage du dictateur n’apparaĂźt quasiment jamais dans la narration ce qui ne l’empĂȘche pas d’ĂȘtre prĂ©sent partout, grĂące Ă  la propagande et aux hommes qui font appliquer sa politique de terreur. Cette mise Ă  distance a pour effet de transformer progressivement le prĂ©sident en une figure supĂ©rieure et mythique, d’autant plus puissante qu’invisible.

Asturias multiplie les points de vue dans le roman mais ne se confronte jamais directement Ă  celui du dictateur. Le lecteur ne sait presque rien de son parcours et n’a pas accĂšs Ă  ses pensĂ©es. Le dictateur n’a pas de nom, pas plus que le pays qu’il gouverne. Il n’a aucune richesse psychologique et se rĂ©duit en quelque sorte Ă  la fonction contenue dans son titre « Monsieur le PrĂ©sident », par lequel il est en permanence dĂ©signĂ©. Bien que le personnage s’inspire du dictateur rĂ©el Estrada Cabrera, Asturias prend de la distance et offre moins la description d’un dictateur en particulier que de la dictature en gĂ©nĂ©ral. C’est avant tout l’entreprise de mythification Ă  l’Ɠuvre en dictature qui est mise en lumiĂšre, la politique de propagande et les effets sur le peuple qui finit par se convaincre de la nature surnaturelle de son chef, annihilant par lĂ  mĂȘme toute vellĂ©itĂ© de rĂ©bellion. En effet, Ă  quoi bon lutter contre un ĂȘtre d’une nature supĂ©rieure ? La dictature se construit sur le modĂšle de la religion, c'est-Ă -dire sur une absence ; les dieux doivent ĂȘtre invisibles pour provoquer la ferveur. C’est la distance et le mystĂšre qui en dĂ©coule, qui permet de donner naissance aux divinitĂ©s et aux prophĂštes.

Le style du roman, ce qu’Asturias appelle son « rĂ©alisme magique », vient renforcer cette impression surnaturelle. Le dictateur se transforme, devient une figure fantasmĂ©e et fantasmatique. L’effacement de l’homme permet la naissance du mythe : le dictateur se fait demi-dieu, surhomme ou encore sorcier capable de commander aux Ă©lĂ©ments. Au point culminant du roman, le PrĂ©sident est mĂȘme identifiĂ© Ă  Tohil, le Dieu sanguinaire du panthĂ©on maya, Ă©tablissant ainsi un lien entre le prĂ©sent et le passĂ© lĂ©gendaire de l’AmĂ©rique prĂ©colombienne. Asturias avoue lui-mĂȘme que le mythe est l’une des façons les plus efficaces de reprĂ©senter le dictateur. Ce dernier est selon ses propres mots :

« Un homme-mythe, un ĂȘtre supĂ©rieur [
] qui remplit les fonctions du chef tribal dans les sociĂ©tĂ©s primitives, investi de pouvoirs sacrĂ©s, invisible comme Dieu ; cependant moins il apparaĂźt dans sa corporĂ©itĂ©, plus il devient mythologique[12]. »

Le pays oĂč sĂ©vit la dictature est lui-mĂȘme baignĂ© de cette lumiĂšre surnaturelle. La ville aussi bien que la campagne sont des espaces mystĂ©rieux et oniriques, aux frontiĂšres confuses. Il est impossible de fuir la dictature qui se prĂ©sente comme un univers clos, vivant en autarcie. Ce qui se passe dans le reste du monde est sans importance ou plutĂŽt sans prise aucune sur la vie des habitants. La dictature devient un long rĂȘve interminable dont la mort est le seul rĂ©veil possible.

RĂ©ception de l’Ɠuvre

PubliĂ© pour la premiĂšre fois au Mexique en 1946, par les Ă©ditions Costa Amic et diffusĂ© au Guatemala, Monsieur le PrĂ©sident reçoit dĂšs le dĂ©part un accueil enthousiaste du public et des critiques. Les Ă©crivains et intellectuels de gauche saluent tout particuliĂšrement ses innovations stylistiques et son engagement social et politique – bien qu’Asturias se soit toujours dĂ©fendu d’avoir Ă©crit un roman social. Toutefois, certains ont pu reprocher Ă  Asturias d’avoir Ă©tĂ© trop largement influencĂ© par le modernisme europĂ©en, ce qui, selon d’autres est au contraire une qualitĂ© qui a permis d’insuffler un renouveau dans les lettres latino-amĂ©ricaines[13].

La rĂ©ception est chaleureuse partout ailleurs en AmĂ©rique latine. Traduit dans de nombreuses langues, le roman connaĂźt par la suite un succĂšs international. En 1952, il est rĂ©compensĂ© en France par le prix du meilleur livre Ă©tranger. Tous s’accordent pour reconnaĂźtre son avant-gardisme et ses prouesses stylistiques. Le succĂšs des traductions en langue française et anglaise est d’ailleurs assez exceptionnel pour ĂȘtre notĂ©, Ă  une Ă©poque oĂč la littĂ©rature hispano-amĂ©ricaine est peu diffusĂ©e en dehors des pays hispanophones et vient prĂ©figurer le « boom » qu’elle connaĂźtra dans les annĂ©es 1960.

En 1967, la consĂ©cration survient lorsque Asturias est couronnĂ© par le prix Nobel de littĂ©rature pour l’ensemble de son Ɠuvre. Dans son discours, il confie que la littĂ©rature doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e Ă  la fois comme un « tĂ©moignage » et un « instrument de lutte ». Il insiste plus particuliĂšrement sur la possibilitĂ© de crĂ©er un nouveau genre en AmĂ©rique latine, basĂ© sur l’hĂ©ritage indigĂšne prĂ©sent dans ces pays. Ce nouveau style serait capable de vĂ©hiculer l’espoir et la lumiĂšre dans « les tĂ©nĂšbres qui nous menacent actuellement ». Ce serait « l’affirmation de l’optimisme de ces Ă©crivains qui ont dĂ©fiĂ© l’Inquisition, ouvrant une brĂšche dans la conscience des gens pour permettre l’arrivĂ©e des LibĂ©rateurs »[14].

Le Comité Nobel, de son cÎté, évoque Monsieur le Président en ces termes :

« Cette grandiose et tragique satire, raille le prototype du dictateur latino-amĂ©ricain qui est apparu dans plusieurs pays au dĂ©but du siĂšcle et qui a depuis continuĂ© Ă  rĂ©apparaĂźtre, sa prĂ©sence Ă©tant maintenue par la mĂ©canique de la tyrannie qui, pour le commun des mortels, fait de chaque jour un enfer. La vigueur passionnĂ©e avec laquelle Asturias Ă©voque la terreur et la dĂ©fiance qui empoisonnent l’atmosphĂšre sociale de l’époque, fait de son travail Ă  la fois un dĂ©fi et un acte esthĂ©tique inestimable[15]. »

Éditions

Édition originale
  • El señor Presidente, Mexico, Costa-Amic, 1946
Éditions françaises
  • Monsieur le PrĂ©sident, traduit par Georges Pillement, Francisca Garcias et Yves Malartic, Paris, Bellenand, 1952 ; rĂ©Ă©dition, Paris, Le Club français du livre, 1953 ; rĂ©Ă©dition, Paris, LGF, coll. « Le Livre de poche » no 2503, 1968 ; rĂ©Ă©dition dans une nouvelle traduction de Georges Pillement et Dorita Nouhaud, Paris, Albin Michel, coll. « Les grandes traductions », 1977 (ISBN 2-226-00420-3) ; rĂ©Ă©dition, Paris, Flammarion, coll. « Garnier-Flammarion » no 455, 1987 (ISBN 2-08-070455-9)

Notes et références

  1. [« Dans la capitale, il n’était pas facile pour un avocat et une institutrice, qui ayant perdu leur travail Ă  cause du gouvernement Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des personnes indĂ©sirables par Estrada Cabrera (Monsieur le PrĂ©sident), de trouver une occupation quelconque. C’est pour cela, qu’à la demande du grand-pĂšre maternel, ils partirent Ă  Baja Verapaz oĂč ils s’établirent parmi la population de Salama et se lancĂšrent dans le commerce. »] in (Auto)biografĂ­a rĂ©digĂ© en 1963 Ă  la troisiĂšme personne par Asturias lui-mĂȘme. Ce texte est reproduit en appendice dans La narrativa di Miguel Ángel Asturias de Giuseppe Bellini, Istituto Editoriale Cisalpino, Milan, Varese, 1966
  2. Gérald Martin, El Señor Presidente (édition critique), université du Costa Rica, 2000, p.493
  3. Lorenz, Gunter W. (1994). « Miguel Ángel Asturias et Gunter W. Lorenz (interview de 1970) », in Hispanic Literature Criticism. Jelena Krstovic (ed.), Détroit: Gale Research, p. 159
  4. El Senor Presidente como mito, allocution d'Asturias sur sa propre Ɠuvre, soutenue en 1965 Ă  la FacultĂ© des langues de l’universitĂ© Bocconi. Elle est reproduite Ă  la fin de l’ouvrage de Giuseppe Bellini, La narrativa di Miguel Angel Asturias, op. cit.
  5. GĂ©rald Martin,op. cit.,p. 36
  6. Gérald Martin, « Introduction », El Señor Presidente (édition critique), université du Costa Rica, 2000, p. 37
  7. GĂ©rald Martin, ibid., p. 48
  8. Monsieur le Président, GF, p.146
  9. ibid., p. 132
  10. ibid., p. 214
  11. ibid., p. 257
  12. Miguel Angel Asturias "El Senor presidente como mito", op. cit.
  13. Dante Liano, « RecepciĂłn de la obra de Miguel Ángel Asturias en Guatemala », in Gerald Martin (sous la direction de) El Señor Presidente (Ă©dition critique), p. 613–629.
  14. Miguel Angel Asturias, « Discours de Stockholm, 12 décembre 1967 », in nobelprize.org. http://nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1967/asturias-lecture.html.
  15. Anders Österling, « Discours de prĂ©sentation pour le prix Nobel de littĂ©rature 1967 », in nobelprize.org : http://nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1967/press.html.

Bibliographie

  • Miguel Ángel Asturias, El Señor Presidente (ISBN 8437615178 et 9788437615172).
  • Miguel Ángel Asturias, Monsieur Le PrĂ©sident, Ă©dition de Thomas Gomez, traduit de l’espagnol par Georges Pillement et Dorita Nouhaud, Paris, GF Flammarion, 1987, 349 p.
  • Bellini Giuseppe, La narrativa di Miguel Angel Asturias, Istuto Editoriale Cisalpino, Milan, Varese, 1966
  • James Brown, « A topology of dread: spatial oppositions in El Señor Presidente » Romanische-Forshungen, 98, 3-4,1986, p. 341-352
  • Enrique Carracciolo, « El lenguaje de El Señor Presidente » in Revista de la Universidad de Mexico, 22 :12, 1968, p. 5-6
  • GĂ©rald Martin, (sous la direction de) El Señor Presidente, edicion del centenario, universitĂ© du Costa Rica, 2000, 1088 p.
  • Alfred Melon, « Le caudillisme dans El Señor Presidente de M.A. Asturias » in Caudillos, caciques et dictateurs dans le roman hispano-amĂ©ricain, Paris, Éditions hispaniques, 1970, p. 155-169.
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