Michel Ier CĂ©rulaire
Michel Ier CĂ©rulaire (en grec : ÎÎčÏαΟλ Î' ÎηÏÎżÏ Î»ÎŹÏÎčÎżÏ; nĂ© Ă Constantinople vers 1000, mort le ) fut patriarche de Constantinople du au .
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Dâabord haut fonctionnaire, il fut impliquĂ© dans un complot contre Michel IV, qu'il entendait remplacer. ExilĂ© avec son frĂšre Ă Prinkipo (une des Iles des Princes) et dĂšs lors privĂ© de tout espoir de prendre le pouvoir, il dĂ©cida quâune carriĂšre ecclĂ©siastique lui permettrait un nouveau dĂ©part. Devenu moine et rappelĂ© dâexil, il gagna la faveur de Constantin IX Monomaque et fut choisi comme nouveau patriarche de Constantinople Ă la mort dâAlexis Studite. DĂšs son entrĂ©e en fonction il sâappliqua Ă uniformiser la pratique religieuse au sein de son patriarcat qui, depuis les conquĂȘtes du IXe siĂšcle, sâĂ©tait considĂ©rablement Ă©tendu non seulement en Asie mineure mais aussi en Europe oĂč son influence sâexerçait maintenant Ă©galement en Bulgarie, en Russie et en GĂ©orgie.
Cependant, en Italie byzantine, la souverainetĂ© de Constantinople Ă©tait sĂ©rieusement Ă©branlĂ©e par les conquĂȘtes lombardes, les territoires conquis passant sur le plan religieux de la juridiction de Constantinople Ă celle de Rome. RĂ©pliquant aux ordres de la papautĂ© de voir les Ă©glises de ces territoires se conformer aux rites latins, Michel CĂ©rulaire ordonna aux Ă©glises latines de Constantinople de se plier aux rites grecs, entrant en conflit avec le reprĂ©sentant impĂ©rial en Italie favorable Ă un accommodement avec Rome.
Dans la mĂȘme foulĂ©e, il fit Ă©crire par LĂ©on, archevĂȘque dâOhrid, une lettre destinĂ©e au pape et aux Ă©vĂȘques occidentaux condamnant certaines coutumes latines jugĂ©es non conformes Ă la doctrine orthodoxe. Cela occasionna une vive rĂ©ponse de Humbert, cardinal da Silva Candida, premier secrĂ©taire du pape et esprit aussi bouillant que Michel CĂ©rulaire. Le ton monta et le cardinal persuada le pape dâenvoyer une dĂ©lĂ©gation sous sa direction Ă Constantinople pour rappeler au patriarche la suprĂ©matie du pontife de Rome sur lâĂglise universelle.
ChoquĂ© par la froide rĂ©ception qui lâattendait chez le patriarche Ă Constantinople, le cardinal dĂ©posa le une bulle sur le maitre autel de Sainte-Sophie anathĂ©misant le patriarche et ses principaux collaborateurs. Ce sur quoi, le patriarche alla voir lâempereur qui, bien quâil prĂ©conisĂąt une politique amicale envers Rome, finit par autoriser le patriarche Ă faire de mĂȘme Ă lâendroit des lĂ©gats pontificaux.
Fort de cette victoire qui renforçait son influence non seulement face Ă lâempereur, mais aussi Ă lâĂ©gard de ses collĂšgues orientaux dâAntioche, dâAlexandrie et de JĂ©rusalem, Michel CĂ©rulaire tenta de plus en plus de sâimmiscer dans la gestion des affaires de lâĂtat. AprĂšs la mort de Constantin IX, ThĂ©odora, maintenant seule impĂ©ratrice, aurait voulu se dĂ©barrasser de son trop zĂ©lĂ© patriarche, mais son court rĂšgne et la prĂ©caritĂ© de sa position ne lui permit pas de mettre son projet Ă exĂ©cution.
Michel CĂ©rulaire prit part au complot qui devait mettre un terme au rĂšgne de Michel VI, successeur de ThĂ©odora, et porter au pouvoir Isaac ComnĂšne. Les relations entre les deux hommes, dâabord cordiales, se dĂ©tĂ©riorĂšrent rapidement, le patriarche se posant de plus en plus comme lâĂ©gal de lâempereur dont il se mit Ă chausser les bottines de pourpre. Fort du soutien de lâarmĂ©e, Isaac rĂ©agit promptement et, connaissant la popularitĂ© du patriarche auprĂšs de la population, le fit arrĂȘter et exiler dans lâile de Marmara, convoquant au mĂȘme moment un synode visant Ă le destituer sous prĂ©texte dâhĂ©rĂ©sie, blasphĂšme et autres turpitudes. Michel CĂ©rulaire rĂ©sista jusquâau bout aux pressions pour quâil se dĂ©mette de ses fonctions, mais mourut le avant que le procĂšs nâait lieu.
De la naissance Ă 1054
Michel Cérulaire naquit à Constantinople entre 1005 et 1010 dans une famille sénatoriale.
De sa jeunesse on sait seulement quâil dĂ©buta une carriĂšre dans la fonction publique quâil poursuivit jusquâen 1040, lorsquâil fut impliquĂ© dans un complot contre Michel IV (r. 1034 â 1041)[1]. Il fut dĂ©couvert et exilĂ© avec son frĂšre aux Iles des Princes. Mais alors que son frĂšre se suicida, Michel dĂ©cida dâentrer dans les ordres oĂč il ambitionna immĂ©diatement de devenir patriarche [2] - [3].
Il fut rappelĂ© dâexil par Michel V (r. dĂ©c. 1041 â ) et gagna par la suite la faveur de Constantin IX Monomaque (r. 1042 â 1055), comploteur comme lui[N 1]. Il fut bientĂŽt promu Ă la dignitĂ© de « syncelle »[4] - [5], homme de confiance et gĂ©nĂ©ralement successeur du patriarche, jouissant d'une position Ă©levĂ©e dans la haute administration de lâĂtat; selon le Kletorologion de 899, le syncelle venait en troisiĂšme position de la hiĂ©rarchie de lâĂtat et son titulaire Ă©tait considĂ©rĂ© comme un membre du SĂ©nat[6].
Lorsque le patriarche Alexis Studite mourut en 1043, lâempereur le choisit comme nouveau patriarche de Constantinople et il fut intronisĂ© le de la mĂȘme annĂ©e. DĂšs le dĂ©but il consacra toutes ses Ă©nergies Ă exalter le prestige et le pouvoir du patriarcat byzantin [7]. Si ses notions de thĂ©ologie et dâhistoire ecclĂ©siastique Ă©taient plutĂŽt faibles, il avait gardĂ© de son premier emploi les qualitĂ©s dâadministrateur capable et Ă©nergique[8]. Peu portĂ© Ă tolĂ©rer la diversitĂ©, il se mit immĂ©diatement en devoir dâunifier la pratique religieuse Ă lâintĂ©rieur de son patriarcat, en particulier dans la principautĂ© dâArmĂ©nie jusque-lĂ indĂ©pendante, mais depuis peu annexĂ©e Ă lâEmpire. Les ArmĂ©niens avaient rejetĂ© les canons du concile de ChalcĂ©doine et Ă©taient considĂ©rĂ©s de ce fait comme hĂ©rĂ©tiques, mais ils se distinguaient des Grecs plus par leurs usages dont certains Ă©taient semblables aux Latins, que par leur croyances dogmatiques. Ils commençaient ainsi le CarĂȘme Ă une date diffĂ©rente des orthodoxes, utilisaient comme les Latins du pain sans levain pour la communion et Ă©taient favorables au jeĂ»ne du samedi[9]. Par ailleurs, les conquĂȘtes du IXe siĂšcle avaient Ă©tendu considĂ©rablement le champ dâaction du patriarcat de Constantinople. En plus de lâArmĂ©nie, la Russie, la Bulgarie, et la GĂ©orgie Ă©taient maintenant sous son autoritĂ©[10].
Cette politique dâunification visa Ă©galement les Latins qui avaient leurs propres Ă©glises Ă Constantinople. Michel CĂ©rulaire Ă©prouvait un mĂ©pris profond Ă lâendroit de Rome et de la papautĂ© dont la souverainetĂ© sur ses Ătats Ă©tait aussi sĂ©rieusement menacĂ©e au sud de lâItalie par lâarrivĂ©e des Normands que celle de Byzance. Conduits par Robert Guiscard et son frĂšre TancrĂšde de la famille des Hauteville, ils avaient envahi lâApulie et la Calabre, les Pouilles et la Sicile [11]. BientĂŽt seules quelques villes cĂŽtiĂšres dont Bari demeurĂšrent aux mains des Byzantins. Pour faire face au danger, lâempereur byzantin avait confiĂ© le commandement des troupes impĂ©riales dâItalie Ă un noble lombard du nom dâArgyros, fils dâun Apulien appelĂ© Melo qui en 1020 sâĂ©tait rĂ©voltĂ© contre Byzance. En tant que Latin, Argyros Ă©tait plutĂŽt favorable Ă une alliance avec Rome. RappelĂ© Ă Constantinople en 1046, il entra bien vite en conflit avec le patriarche qui le priva plusieurs fois de la communion en raison du pain azyme employĂ© en Occident pour les hosties[11] - [12].
Ă Rome, la situation en 1046 Ă©tait tellement chaotique que lâempereur germanique Henri III avait dĂ» descendre rĂ©gler la situation alors que trois papes se disputaient le pouvoir. Lâempereur avait installĂ© sur le trĂŽne de Saint-Pierre un Lorrain Ă©nergique, Bruno Ă©vĂȘque de Toul, qui avait pris le nom de LĂ©on IX et Ă©tait bien dĂ©cidĂ© Ă rĂ©former lâĂglise dâOccident. Pour ce faire, il devait rĂ©tablir lâautoritĂ© du pape sur lâĂglise et uniformiser la pratique religieuse[13].
Or, les territoires byzantins occupĂ©s par les Normands latins passaient automatiquement sous lâautoritĂ© ecclĂ©siastique de Rome et le pape ne tenait pas Ă ce quâils retournassent sous celle de Byzance. Aussi ordonna-t-il que leurs Ă©glises de rite byzantin se conforment aux usages latins. RĂ©pondant du tac au tac, le patriarche ordonna que les Ă©glises latines de Constantinople adoptent les usages grecs[14]. Sur leur refus, il les fit fermer vers la fin de lâannĂ©e 1052[15]. Ce faisant il contrecarrait la politique de lâempereur Constantin IX qui avait ratifiĂ© lâalliance politique et militaire entre Argyros et LĂ©on IX [2].
Dans cette foulĂ©e, le patriarche demanda Ă lâarchevĂȘque dâOhrid, primat de lâĂglise bulgare, dâĂ©crire une lettre Ă lâĂ©vĂȘque de lâĂ©glise grecque de Tranie en Apulie pour que celui-ci la transmette au pape et aux Ă©vĂȘques latins, lettre contenant une violente critique de lâusage des azymes, du jeĂ»ne du samedi et dâautres usages rĂ©els ou supposĂ©s des Latins[16]. Cette lettre arriva en Italie alors quâArgyros avait Ă©tĂ© battu par les Normands en et que le pape avait Ă©tĂ© amenĂ© en captivitĂ© Ă Civitate aprĂšs la dĂ©faite de son armĂ©e. Les Normands avaient toutefois autorisĂ© le premier secrĂ©taire du Saint-SiĂšge, Humbert cardinal de Silva Candida, aussi connu comme Humbert de Moyenmoutier (son abbaye dâorigine), Ă demeurer au service du pape. Ătant passĂ© Ă Tranie, il reçut la lettre de LĂ©on dâOhrid. Ne maitrisant pas trĂšs bien le grec, il en fit une traduction hĂątive dont on retenait surtout le ton agressif. Le pape en fut dâautant plus indignĂ© quâil croyait ĂȘtre en termes amicaux avec lâempereur byzantin. Deux rĂ©ponses furent prĂ©parĂ©es par Humbert, lâune destinĂ©e Ă lâĂ©vĂȘque dâOhrid et Ă Michel, « Ă©vĂȘque » de Constantinople qui rĂ©affirmait la suprĂ©matie de lâĂglise romaine en se basant sur la « Donation de Constantin », lâautre (dont on ignore le destinataire) Ă©tait une apologie des usages latins[17]. Le pape trouva sans doute le ton de son secrĂ©taire un peu abrupt, car les lettres ne furent pas envoyĂ©es immĂ©diatement[18].
Dans lâintervalle, deux autres lettres arrivĂšrent de Constantinople datĂ©es de : la premiĂšre signĂ©e par lâempereur prĂ©conisait en termes chaleureux une alliance politique; la deuxiĂšme signĂ©e par le patriarche promettait de faire inscrire le nom du pape sur les diptyques (liste des noms des personnages pour lesquels on priait lors des offices) de lâempire[N 2] pourvu que le sien soit inscrit sur ceux de Rome. CâĂ©tait revendiquer non seulement lâautocĂ©phalie de lâĂglise de Constantinople, mais Ă©galement lâĂ©galitĂ© complĂšte entre le pape et le patriarche byzantin, le patriarche sâadressant au pape non pas comme Ă son « pĂšre » suivant la coutume, mais Ă son « frĂšre ». De plus, il se dĂ©signait lui-mĂȘme comme « patriarche ĆcumĂ©nique » ce qui fut traduit par le secrĂ©tariat de LĂ©on par « universel », alors quâil sâagissait dâun terme assez vague utilisĂ© par Constantinople pour dĂ©signer « lâempire »[19] - [20].
LâanathĂšme rĂ©ciproque de 1054
Si Michel CĂ©rulaire dĂ©testait les Latins, Humbert de Silva Candida dĂ©testait les Grecs avec la mĂȘme passion. Homme dâĂ©rudition et de grande piĂ©tĂ©, il avait le caractĂšre emportĂ© et privilĂ©giait la mĂ©thode forte. Aussi dĂ©cida-t-il le pape LĂ©on dont la santĂ© dĂ©clinait rapidement, Ă envoyer des lĂ©gats Ă Constantinople porteurs de deux lettres, lâune adressĂ©e Ă lâempereur, lâautre au patriarche. Celle destinĂ©e Ă lâempereur menaçait celui-ci de sanctions sâil ne ramenait pas son patriarche Ă raison, celle destinĂ©e au patriarche rĂ©affirmait la suprĂ©matie papale, dĂ©niait Ă Michel CĂ©rulaire le droit de se proclamer « ĆcumĂ©nique » et mettait en doute la validitĂ© de sa nomination en plus de rĂ©futer ses critiques des usages latins[21] - [22].
Les trois lĂ©gats choisis Ă©taient le cardinal Humbert lui-mĂȘme, FrĂ©dĂ©ric de Lorraine chancelier du Saint-SiĂšge, et Pierre archevĂȘque dâAmalfi, ville vassale de lâempire dont la population Ă©tait majoritairement grecque. ArrivĂ©s Ă Constantinople, ils allĂšrent dâabord chez le patriarche, mais sâestimant offensĂ©s par le protocole utilisĂ©, se contentĂšrent de jeter Ă ses pieds la lettre du pape. Les Byzantins remarquĂšrent immĂ©diatement que les sceaux de la lettre avaient Ă©tĂ© brisĂ©s et que le ton de celle-ci Ă©tait bien loin du ton courtois et de lâesprit Ă©levĂ© qui Ă©tait, selon Jean de Trani, celui de LĂ©on IX. CĂ©rulaire en dĂ©duisit immĂ©diatement que le cardinal Humbert avait probablement montrĂ© la lettre Ă son ennemi, Argyros, lors dâune escale en Apulie et que le texte avait alors Ă©tĂ© altĂ©rĂ©. Quelques jours aprĂšs lâarrivĂ©e des lĂ©gats, le , le pape mourut. Son successeur, Victor II, nommĂ© par lâempereur germanique, nâarriva Ă Rome quâen . Techniquement, le mandat des lĂ©gats expirait avec la mort de celui qui les avait mandatĂ©s et ils auraient dĂ» rentrer Ă Rome attendre les instructions de son successeur[23] - [24].
Ils nâen firent rien et se rendirent ensuite chez lâempereur qui, lui, les reçut avec la plus grande courtoisie. Se sentant en confiance, ils dĂ©cidĂšrent de rendre publics les textes quâils avaient apportĂ©s. Ceux-ci provoquĂšrent une rĂ©action immĂ©diate dans les hautes sphĂšres religieuses et un moine du monastĂšre du Stoudion prĂ©para une rĂ©plique immĂ©diate dĂ©fendant les usages grecs et critiquant ceux des Latins ajoutant aux critiques habituelles le cĂ©libat des prĂȘtres et la cĂ©lĂ©bration dâune messe ordinaire pendant le CarĂȘme. Le cardinal da Silva perdit alors tout sang-froid et rĂ©digea un mĂ©moire en termes violents, voire orduriers Ă lâendroit du moine, renouvelant ses critiques des coutumes grecques[25] - [26].
Michel CĂ©rulaire continuait Ă ignorer la prĂ©sence des lĂ©gats. Le , alors que dĂ©butait lâoffice de lâaprĂšs-midi, le cardinal Humbert et ses deux collĂšgues dĂ©posĂšrent sur le maitre autel de Sainte-Sophie une bulle excommuniant le patriarche, lâĂ©vĂȘque dâOhrid, le chancelier patriarcal Michel Constantin et leurs acolytes. OutrĂ©, le patriarche se rendit chez lâempereur, lequel venait justement de prendre congĂ© des lĂ©gats, lui apportant une traduction de la bulle. Se mĂ©fiant de CĂ©rulaire, lâempereur se fit dâabord confirmer lâexactitude du texte avant dâordonner aux lĂ©gats de revenir, ce quâils se gardĂšrent bien de faire. Pendant ce temps, le patriarche avait rendu le texte de lâexcommunication public et sâĂ©tait ralliĂ© la population de Constantinople fondamentalement hostile aux lĂ©gats parce que venant de Rome et Ă lâempereur qui les avait reçus avec une telle courtoisie. Le , le Grand Tribunal du Patriarche fit jeter lâanathĂšme contre la bulle pontificale et bruler tous les exemplaires sauf un qui fut dĂ©posĂ© aux archives. Ce nâest quâaprĂšs que lâempereur eut fait arrĂȘter le fils et le gendre dâArgyros et fouettĂ© lâinterprĂšte qui avait fait traduire la bulle en grec que lâĂ©meute sâapaisa[27] - [28] - [24].
HostilitĂ© entre le patriarche et lâempereur
Cet Ă©pisode marquait une grande victoire pour le patriarche qui avait lâappui du clergĂ© et de la population; mais il constituait aussi une dĂ©faite pour lâempereur et sa politique de rapprochement avec Rome[29]. DĂšs lors les relations, dĂ©jĂ froides, ne pouvaient que se tendre entre les deux hommes.
Peu aprĂšs le dĂ©part des lĂ©gats circula Ă Constantinople un pamphlet intitulĂ© « Contre les Francs » reprochant aux Latins vingt-huit pratiques dont certaines Ă©taient authentiques, dâautres imaginaires, et qui visait surtout en sâadressant aux gens peu instruits, Ă renforcer la position du patriarche face Ă un empereur censĂ© ĂȘtre favorable aux Latins[30]. Michel CĂ©rulaire profita Ă©galement de lâĂ©pisode pour sâassurer du soutien de ses collĂšgues dâOrient. La paix relative existant entre lâEmpire byzantin et le califat fatimide permettaient la reprise dâun dialogue plus frĂ©quent entre les quatre patriarches dâOrient[10]. Dans une lettre au patriarche dâAntioche, il fit un rĂ©cit tendancieux des Ă©vĂšnements puisquâil laissait entendre que toute lâĂglise orthodoxe avait Ă©tĂ© excommuniĂ©e. Il la complĂ©ta par la suite en dressant une longue liste des pratiques quâil reprochait aux Latins, y ajoutant cette fois la querelle doctrinale du Filioque[31].
Maintenant convaincu de sa supĂ©rioritĂ©, il nâhĂ©sita pas Ă confondre les sphĂšres dâautoritĂ© du patriarche et de lâempereur en se chaussant par exemple de bottines de couleur pourpre, couleur rĂ©servĂ©e au seul empereur[32]. Dans lâacte dâaccusation quâil rĂ©digera plus tard contre CĂ©rulaire, Psellos ira jusquâĂ dire : « CĂ©rulaire se mit Ă distribuer les charges⊠sâattribuant Ă lui-mĂȘme le pouvoir impĂ©rial dans sa plĂ©nitude; il ne lui manquait plus que de se faire appeler empereur[33] » et « perdant toute espĂšce de honte, il a rĂ©uni la royautĂ© et le sacerdoce [34].
Quelques mois aprĂšs le tragique Ă©pisode de 1054, Constantin IX Monomaque mourut le .
Le pouvoir revint alors Ă la derniĂšre survivante de la dynastie macĂ©donienne, ThĂ©odora PorphyrogĂ©nĂšte (seule impĂ©ratrice â 31 aout 1056), fille de Constantin VIII. Le patriarche voulut peut-ĂȘtre alors lui donner un Ă©poux de son choix suivant la tradition des princes-Ă©poux ou adoptĂ©s en vigueur depuis la mort de Basile II; celle-ci toutefois, instruite de lâexpĂ©rience de sa sĆur ZoĂ©, dĂ©cida dâassumer seule la direction de lâempire[35]. Le patriarche, ne pouvant accepter quâune femme tienne les rĂȘnes du gouvernement ne manqua pas de faire savoir son mĂ©contentement Ă haute voix, ce qui lui valut lâinimitiĂ© de lâimpĂ©ratrice qui « lâeĂ»t dĂ©posĂ© du patriarcat si de longues annĂ©es de vie mortelle lui avaient Ă©tĂ© accordĂ©es[36] ».
Malheureusement pour lâempire, lâimpĂ©ratrice sâentoura de conseillers qui dĂ©firent systĂ©matiquement ce quâavait fait Constantin IX, engageant celui-ci dans de nouveaux conflits y compris avec le califat fatimide dont dĂ©pendait CĂ©rulaire pour maintenir les relations avec ses collĂšgues orientaux[29]. Cette inimitiĂ© fut peut-ĂȘtre une des causes de son implication dans un procĂšs visant deux moines thaumaturges de Chio et dâune voyante quâils appuyaient. CĂ©rulaire qui, comme beaucoup dâhommes de son temps (y compris Psellos qui Ă©tait devenu moine peu avant la mort de Constantin IX [37]) sâintĂ©ressait Ă lâastrologie, appuyait et protĂ©geait ceux-ci [38] - [39]. TombĂ© en disgrĂące, le patriarche vit le retour Ă Constantinople de son ennemi jurĂ©, Argyros, qui reçut lâappui de la souveraine pour sa politique de rapprochement avec lâOccident et lâempereur germanique Henri III[40] - [31].
Le successeur de ThĂ©odora fut un sĂ©nateur ĂągĂ©, haut fonctionnaire sâoccupant des finances militaires, Michel VI Bringas, dit le Stratiotikos (litt : le militaire) (1056-1057) que Michel CĂ©rulaire dut couronner, non sans avoir toutefois tentĂ© de faire sentir son pouvoir en sâassurant que celui-ci avait bien Ă©tĂ© choisi par ThĂ©odora et non par ses conseillers[41]. Sâil refusa de sâassocier Ă la tentative de coup dâĂtat fomentĂ©e par un cousin ou neveu de Constantin IX du nom de ThĂ©odose, faisant fermer devant celui-ci les portes de Sainte-Sophie oĂč le comploteur malchanceux cherchait Ă se rĂ©fugier[42], il nâhĂ©sita pas Ă comploter contre Michel VI avec Isaac ComnĂšne (r. 1757 â 1759) et Catacalon Cecaumenos, deux gĂ©nĂ©raux publiquement humiliĂ©s par Michel VI au cours de la semaine sainte.
Le , Isaac Ă©tait proclamĂ© empereur dans son domaine de Paphlagonie. Sâensuivit une longue marche vers Constantinople et de difficiles tractations entre Michel VI et Isaac qui furent interrompues lorsque lâempereur fut dĂ©posĂ© par une rĂ©volution de palais menĂ©e par quelques sĂ©nateurs et le patriarche. Michel VI dut aller se rĂ©fugier Ă Sainte-Sophie oĂč, suivant les conseils de CĂ©rulaire, il dĂ©cida de renoncer au trĂŽne pour se faire moine [43] - [44] - [45].
Le patriarche fut rĂ©compensĂ© pour sa participation au coup dâĂtat en recevant seule autoritĂ© pour tout ce qui touchait le personnel et les finances de Sainte-Sophie, domaine rĂ©servĂ© jusque-lĂ Ă lâempereur, pendant que ses neveux qui avaient participĂ© au complot recevaient des positions importantes dans lâadministration [46] - [47] - [48].
Les relations entre le patriarche et lâempereur ne tardĂšrent toutefois pas Ă se dĂ©tĂ©riorer. Faisant face Ă un dĂ©ficit dĂ©sastreux, Isaac dut, pour payer les armĂ©es, rĂ©voquer des exemptions de taxes consenties par Constantin IX et Michel VI Ă des monastĂšres et Ă©glises, allant jusquâĂ exproprier certaines propriĂ©tĂ©s ecclĂ©siastiques en sâappuyant sur une loi datant de NicĂ©phore II Phocas[49] - [50] - [48]. Ceci provoqua lâire du patriarche qui se plaignit ouvertement de ce traitement et menaça de faire tomber lâempereur de la mĂȘme maniĂšre quâil lâavait portĂ© au pouvoir[51] - [52]. Câest Ă ce moment quâil commença Ă porter les bottines de pourpre rĂ©servĂ©es Ă lâempereur, voulant sans doute affirmer comme le pape commençait Ă le faire Ă Rome que le pouvoir spirituel Ă©tait Ă©gal, sinon supĂ©rieur au pouvoir impĂ©rial[51].
Mais Isaac Ă©tait dâune autre trempe que ses prĂ©dĂ©cesseurs et pouvait compter sur le soutien inconditionnel de lâarmĂ©e. Le , alors que le patriarche visitait une Ă©glise hors des murs de la citĂ©, Isaac le fit arrĂȘter par la garde varĂšgue qui lui Ă©tait totalement dĂ©vouĂ©e et le fit mener au Prokonnesos dans lâile de Marmara oĂč il fut tenu en garde Ă vue[53]. Lâempereur fit pression sur Michel CĂ©rulaire pour lâamener Ă se dĂ©mettre de ses fonctions : sans rĂ©sultat. De guerre lasse, lâempereur convoqua un synode, quelque part en Thrace donc loin de la capitale et des foules qui auraient pu apporter leur appui au patriarche. Psellos, qui avait eu dans le passĂ© maille Ă partir avec le patriarche et qui Ă©tait maintenant moine, fut chargĂ© de la poursuite qui accuserait CĂ©rulaire dâhĂ©rĂ©sie, de blasphĂšme et de vice. Toutefois, Michel CĂ©rulaire mourut le avant que le procĂšs ne se tienne. Lâempereur dĂ©signa alors Constantin LeikoudĂšs comme son successeur[54] - [51] - [52] - [53].
En apparence, lâempereur sortait victorieux de ce conflit. Cependant, la population de Constantinople laissa Ă©clater sa colĂšre lorsquâelle apprit lâarrestation et le dĂ©cĂšs de son patriarche vĂ©nĂ©rĂ©. Des rĂ©voltes sâensuivirent et mĂȘme si Isaac rĂ©ussit Ă reprendre le contrĂŽle de la situation, il ne put jamais retrouver la popularitĂ© qui lâavait portĂ© sur le trĂŽne, son pouvoir ne sâappuyant que sur lâarmĂ©e. Un peu plus dâune annĂ©e aprĂšs son avĂšnement, lâĂglise, la bureaucratie civile et la population unissaient leurs forces contre lui. Lâinfatigable Ă©nergie quâil avait dĂ©ployĂ©e au cours de ces mois le quitta et il tomba malade au cours dâune chasse hors de Constantinople. Le , il nommait Constantin Doukas comme son successeur et, quittant la vie publique, se retirait au monastĂšre du Stoudion[55] - [56].
Bibliographie
Sources primaires
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Notes et références
Notes
- Compromis dans un complot sous le rĂšgne de Michel IV, Constantin Monomaque avait Ă©tĂ© exilĂ© par Jean l'Orphanotrophe dans l'Ăźle de MytilĂšne. Michel CĂ©rulaire partageait avec Constantin la haine de Jean lâOrphanotrophe.
- Le nom des papes avait cessĂ© dâĂȘtre inscrit sur les diptyques en 1009, les nĂ©gociations qui eurent lieu en 1024 Ă ce sujet ne permirent pas de reprendre la coutume.
Références
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- Bréhier 1969, p. 216.
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- Bury (1911), pp. 116â117
- Likoudis (2014) para 6.
- Runciman 2005, p. 43-44.
- Runciman 2005, p. 44.
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- LĂ©on IX, lettres 19 et 29, (dans) Migne, Patrologia Latina, vol. CXLIII, coll. 758 et 764
- LĂ©on dâOhrid, « Epistola ad Ioannem Episcopum Tranensem », (dans) Migne, P.G., vol. CXX, coll. 836 et sq.
- Leon IX, « Epistola C ad Michaelem Constantinopolitanum », (dans) Migne, P.L., vol. CXLIII, col. 744-769; Adversus Graecorum Calumnias, ibid, col. 931-973
- Runciman 2005, p. 45-46.}
- Connue par la rĂ©ponse du pape : Acta et scripta quae de controversiis ecclesiae graecae et latinae⊠III, 85-89, ainsi que par la lettre de CĂ©rulaire Ă Piere dâAntioche (dans) Migne, P.G. vol. CXX, coll. 781-796).
- Runciman 2005, p. 46.
- Les deux lettres sont reproduites dans Migne, P.L. vol. CXLIII, col. 773-781.
- Runciman 2005, p. 46-47.
- Runciman 2005, p. 47-48.
- Bréhier 1969, p. 218.
- Migne, P.L., vol. CXLIII, col. 973-983; P.G., vol. CXX, col. 1012-1022; ainsi que sa réponse Contra Nicetam, dans P.L. vol. CXLIII, col. 983-985.
- Runciman 2005, p. 48.
- Acta et Scripta, 152 et 166-167
- Runciman 2005, p. 50.
- Bréhier 1969.
- Texte reproduit dans Hergenröther, Monumenta Graeca ad Photium Pertinentia, pp. 62-71.
- Runciman 2005, p. 53.
- SkylitzÚs Continué p. 105
- Psellos, Scripta Minora I, p. 284
- Psellos, ibid., p. 314; il faut ici se souvenir que non seulement Psellos dĂ©testait CĂ©rulaire, mais quâil faisait dans ce procĂšs office de procureur de la couronne.
- Psellos, Chronographie, VI (Théodora), 2; Discours et correspondance, IV, 357-358
- Psellos, Chronographie, VI (Théodora), 17)
- Psellos, Chronographie, VI (Théodora) 10-13]
- Psellos, Un discours inédit de Psellos, 4-10
- Bréhier 1899, p. 220-222.
- Bréhier 1969, p. 220.
- Norwich (1994) pp. 326-327
- Norwich (1994) p. 327
- Norwich (1994) p. 332
- Sur la rĂ©volte dâIsaac ComnĂšne et ses causes, voir Psellos, Chronographie, VII, 3-9; sur le rĂŽle du patriarche, VII, 10; sur la dĂ©position de Michel VI, VII 36-37, 43
- Kaldellis 2017, p. 218-219.
- Kaldellis 2017, p. 220.
- Kaldellis et Krallis 2012, p. 109.
- Norwich (1994) p. 333
- Treadgold (1997),p. 599
- Kaldellis 2017, p. 220-221.
- Kaldellis 2017, p. 221.
- Kazdhan (1991) "Michael I Keroularios" , vol. II, p. 1361
- Norwich (1994) p. 334
- Psellos, Chronographie, VI, 65-66
- Kaldellis 2017, p. 223.
- Sewter (1953), pp. 256â257
Voir aussi
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