Michel AttaleiatĂšs
Michel AttaleiatĂšs (en grec byzantin ÎÎčÏαΟλ ÎÏÏαλΔÎčÎŹÏηÏ), nĂ© vraisemblablement Ă Attaleia en Pamphylie vers 1022, est un haut fonctionnaire et historien byzantin prospĂšre qui servit sous les empereurs Michel VII Doukas et Romain IV DiogĂšne. Il consacra une bonne partie de ses revenus Ă la mise sur pied de diverses fondations charitables parmi lesquelles un monastĂšre Ă Constantinople, dont la rĂšgle donne de prĂ©cieuses informations sur le climat politique, Ă©conomique et social de lâĂ©poque. Son Ćuvre principale est lâHistoire dans laquelle il tente dâexpliquer le dĂ©clin militaire de Byzance. Il mourut vers 1080.
Biographie
Selon P. Gautier, AttaleiatĂšs serait nĂ© Ă Attaleia de Pamphylie (aujourdâhui Antalya en Turquie) au dĂ©but des annĂ©es 1020 et serait allĂ© poursuivre ses Ă©tudes de droit Ă Constantinople entre 1030 et 1040[1] ; dâautres auteurs comme Tsolakis et Kazhdan croient plutĂŽt quâil serait nĂ© Ă Constantinople[2] - [3].
Dâorigine modeste, il fit une carriĂšre comme sĂ©nateur et juge, avec un succĂšs qui lui vaut le titre de proedros (Ă peu prĂšs « prĂ©sident », pour le SĂ©nat). Ses annĂ©es de service dans la magistrature lui permirent dâamasser une petite fortune[N 1] et de lui valoir lâattention des empereurs Michel VII Doukas (1067-1078) et Romain IV DiogĂšne (1068-1071), ce qui lui permit d'accĂ©der aux plus hauts honneurs auxquels pouvait prĂ©tendre un fonctionnaire : patrikios [patrice ou patricien] et anthypatos [proconsul].
Entre 1072 et 1074, AttaleiatĂšs compila Ă la demande de lâempereur Michel VII un condensĂ© de lâĂ©volution du droit romain, intitulĂ© Ponema Nomikon, basĂ© sur les basilikas[N 2].
AttaleiatĂšs consacra une grande partie de sa fortune Ă la crĂ©ation dâune fondation Ă la fois charitable et monastique comprenant entre autres des terres et des habitations dont un xenodocheion[N 3] ou hospice Ă Rhaidestos sur la cĂŽte nord de la mer de Marmara, de mĂȘme quâun petit monastĂšre jouxtant lâĂ©glise du Christ Panoiktirmon Ă Constantinople. Dâune part, câĂ©tait lâassurance pour le fondateur que le service serait assurĂ© par des moines, dâautre part que le caractĂšre privĂ© de lâensemble permettrait de lĂ©guer cette fondation de maniĂšre indivise selon le droit de lâĂ©poque Ă son fils ThĂ©odore et Ă ses descendants. Le tout formait un oikos, ou demeure aristocratique incluant Ă la fois des propriĂ©tĂ©s urbaines et rurales, considĂ©rĂ©e Ă la fois sous son aspect humain (du maitre aux esclaves) et comme unitĂ© de production agricole ou artisanale[4].
LâintĂ©rĂȘt de cette fondation rĂ©side dans lâordonnance ou diataxis[N 4] rĂ©digĂ©e par AttaleiatĂšs en 1077 pour en rĂ©gir la conduite et qui donne de nombreuses informations sur la vie sociale, Ă©conomique, culturelle et religieuse Ă la fois Ă Constantinople et dans les provinces au XIe siĂšcle. De plus, elle nous renseigne sur la vie dâAttaleiatĂšs lui-mĂȘme, donnant un catalogue des livres, icĂŽnes et objets liturgiques disponibles au monastĂšre ainsi que sur les propriĂ©tĂ©s dâAttaleiatĂšs Ă Constantinople, Rhaidestos et SĂ©lymbria (aujourdâhui Silivri)[5].
Son Ćuvre majeure demeure lâHistoire, une description politique et militaire de lâĂ©volution de lâEmpire byzantin de 1034 Ă 1079. Cette prĂ©sentation vivante et crĂ©dible du dĂ©clin de lâempire Ă la fin de la dynastie macĂ©donienne permet Ă AttaleiatĂšs de traiter de diffĂ©rentes questions politiques, quoique de façon moins personnelle que son contemporain, Psellos[6]. LâHistoire se termine sur un long encomium[N 5] glorifiant lâempereur NicĂ©phore III BotaniatĂšs Ă qui lâensemble de lâĆuvre est dĂ©dicacĂ©e. Sur la foi de cet encomium et de sa dĂ©dicace, on a longtemps considĂ©rĂ© AttaleiatĂšs comme un partisan de cet empereur ĂągĂ© et peu compĂ©tent. Une lecture attentive du texte permet toutefois de distinguer sous les louanges conventionnelles des vertus impĂ©riales une grande admiration pour le jeune gĂ©nĂ©ral et futur empereur Alexis ComnĂšne que lâauteur considĂšre comme un sauveur potentiel de lâempire[7].
AttaleiatĂšs mourut probablement vers 1080, peu avant le dĂ©but de lâĂšre comĂ©nienne. Il ne put dĂšs lors refaire sa dĂ©dicace en lâhonneur du fondateur de la dynastie. Son fils et hĂ©ritier, ThĂ©odore, mourut dans les annĂ©es qui suivirent. Leurs corps ainsi que ceux des deux Ă©pouses dâAttaleiatĂšs, IrĂšne et Sophia, furent dĂ©posĂ©s dans lâĂ©glise de Saint-Georges-des-CyprĂšs dans le quartier sud-ouest de Constantinople, prĂšs du monastĂšre du Christ Panoiktirmon.
Ćuvre
Buts de lâhistorien
LâHistoire est un exposĂ© construit avec soin du dĂ©clin militaire de Byzance. Au cours de son analyse, lâauteur sâĂ©loigne frĂ©quemment des faits militaires et historiques de son Ă©poque pour intercaler des souvenirs de la gloire de la Rome rĂ©publicaine, les opposant Ă lâineptie de ses contemporains. Il ne sâagit toutefois ni dâune adulation romantique du passĂ©, ni de mettre en valeur son Ă©rudition[8] - [7]. Les allusions aux vertus civiques des hĂ©ros rĂ©publicains suggĂšrent plutĂŽt un dĂ©sir de voir naĂźtre une nouvelle forme de patriotisme permettant Ă lâempire de se sortir de la crise Ă laquelle il est confrontĂ©. Câest lâoccasion pour lâauteur de rĂ©flĂ©chir sur la situation trouble de son Ă©poque et de chercher par comparaison avec lâhistoire passĂ©e une façon de planifier un avenir incertain. LâHistoire montre ainsi AttaleiatĂšs comme un haut fonctionnaire engagĂ© et un conseiller impĂ©rial compĂ©tent[9]. Sa façon dâaborder lâhistoire en gĂ©nĂ©ral et lâhistoire contemporaine en particulier fait voir en AttaleiatĂšs un observateur ambitieux et un patriote lucide des dĂ©veloppements politiques de son temps, critique des carences de lâadministration byzantine et soucieux dâengager le dialogue avec ses contemporains sur lâĂ©volution du monde romain qui les entoure.
AttaleiatĂšs et la cause des Ă©vĂšnements
DĂšs les premiĂšres lignes de lâHistoire, AttaleiatĂšs explique Ă ses lecteurs quâil sâattardera Ă chercher les causes derriĂšre les diffĂ©rents Ă©vĂšnements historiques prĂ©sents dans son rĂ©cit : « Câest pourquoi, jâai Ă©crit un livre donnant un exposĂ© des faits qui ont marquĂ© notre Ă©poque au cours de guerres et de batailles, des victoires et des dĂ©faites, des hauts faits militaires et des Ă©checs, Ă quoi jâai ajoutĂ©, au meilleur de mes capacitĂ©s, pourquoi ceux-ci se sont dĂ©roulĂ©s de cette façon[10]. Cet Ă©noncĂ©, lâauteur sây tiendra tout au long de lâĆuvre. Dans la mesure du possible, AttaleiatĂšs donne une analyse historique de chaque Ă©vĂšnement, sâattachant chaque fois aux actions des hommes. Cet intĂ©rĂȘt pour la cause des choses sâĂ©tend Ă ses descriptions du monde naturel. Il dĂ©crit ainsi des phĂ©nomĂšnes naturels comme les tremblements de terre ou le tonnerre dâune façon que lâĂ©poque considĂ©rait comme scientifique. Ăcrivant cependant pour un public ancrĂ© dans la foi chrĂ©tienne, AttaleiatĂšs fait preuve de prudence et mentionne souvent le Dieu des chrĂ©tiens comme une force possible des phĂ©nomĂšnes historiques et naturels, minimisant ainsi le raisonnement historique ou scientifique. Une analyse attentive de lâHistoire montre que lâanalyse de lâhistorien penche du cĂŽtĂ© du raisonnement rationnel. En mĂȘme temps, lâinvocation de la force divine est souvent suffisamment vague pour Ă©voquer la notion de « fortune » plutĂŽt que le Dieu chrĂ©tien en tant que tel[11]. AttaleiatĂšs rejoint ainsi Michel Psellos, le philosophe qui a marquĂ© la scĂšne intellectuelle de Constantinople de sa curiositĂ© intellectuelle et de sa quĂȘte de la connaissance[12].
Place dâAttaleiatĂšs dans la tradition intellectuelle byzantine
QuoiquâAttaleiatĂšs soit surtout Ă©tudiĂ© pour les informations prĂ©cieuses de ses travaux historiques ainsi que pour celles quâil donne de la vie quotidienne contenues dans la Diataxis, on doit mettre son Ćuvre dans le contexte de la fermentation intellectuelle qui agita le XIe siĂšcle. Alexander Kazhdan voit en lui un intellectuel plutĂŽt conservateur alignĂ© sur le cercle de Michel CĂ©rulaire[13] - [14]. Il vaudrait peut-ĂȘtre mieux toutefois le considĂ©rer comme faisant partie du monde fascinant des Michel Psellos, Jean Mavropous, des Xiphilinos (moine et patriarche) ainsi que de SymĂ©on Seth.
Notes et références
Notes
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Michael Attaleiates » (voir la liste des auteurs).
- AttaleiatĂšs fait lui-mĂȘme lâhistorique de ses acquisitions dans la Diataxis.
- De ÏÎŹ ÎČαÏÎčλÎčÎșÎŹ ou lois impĂ©riales, terme utilisĂ© pour dĂ©signer une collection de lois divisĂ©es en 60 livres entreprise sous Basile Ier et terminĂ©e sous LĂ©on VI.
- Un xenodocheion (en grec : ÎŸÎ”ÎœÎżÎŽÏÎ”ÎŻÎżÎœ) Ă©tait une maison destinĂ©e Ă accueillir les voyageurs, les pauvres et les malades oĂč logement et nourriture Ă©taient fournis gratuitement dans un esprit de charitĂ© chrĂ©tienne ; Kazhdan 1991, vol. 3, « Xenodocheion », p. 2208.
- Datant au moins du Xe siÚcle, les diataxis sont des livres contenant diverses rubriques sur la façon de conduire correctement les différents offices religieux.
- Mot latin venant du grec áŒÎłÎșÏÎŒÎčÎżÎœ et dĂ©signant un texte Ă©crit pour louanger quelquâun ou quelque chose.
Références
- Gautier 1981, p. 12.
- Tsolakis 1965, p. 5-7.
- Kazhdan 1994, p. 58.
- Kazhdan 1991, vol. 3, « oikos », p. 1517.
- Kazhdan 1991, vol. 1, « Attaleiates, Michael », p. 229.
- Krallis 2006, p. 167-191.
- Krallis 2012, p. 213-228.
- Krallis 2009, p. 35-53.
- Krallis 2012, p. 134-141.
- AttaleiatĂšs 2012, p. 7.
- Kaldellis 2007, p. 1-22.
- Krallis 2012, p. 105-112, 171-212.
- Kazhdan 1994, p. 23-86.
- Pour une opinion différente, voir Krallis 2009, p. 169-190.
Bibliographie
Sources primaires
- Wladimir Brunet de Presle: Michaelis Attaliotae Historia. Opus a Wladimiro Bruneto de Presle, Instituti Gallici socio, inventum, descriptum, correctum recognovit Immanuel Bekker. Bonn, 1853 (Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae), (lecture en ligne)
- (en) Michel AttaleiatĂšs (trad. Anthony Kaldellis et Dimitris Krallis), The History, Cambridge, Harvard University Press, .
- LâHistoire fut originellement publiĂ©e par Immanuel Bekker dans le Corpus Script. Byz. (Bonn, 1853). Une nouvelle Ă©dition en grec avec traduction en espagnol fut publiĂ©e par I. PĂ©rez MartĂn, Miguel Ataliates, Historia (Nueva Roma 15), Madrid, 2002.
- P. Gautier, « La Diataxis de Michel Attaliate », REB, no 39,â . Une traduction en anglais a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par Alice-Mary Talbot dans (en) John P. Thomas et Angela Constantinides Hero, Byzantine Monastic Foundation Documents, Washington DC, Dumbarton Oaks, .
- Pour le manuel juridique dâAttaleiatĂšs, voir Ponema Nomikon, Ă©d. Ioannes Zepos et Panagiotis Zepos dans Jus graecoromanum, AthĂšnes, Georgios Phexis and son, 1931, 7 : 411-97.
Sources secondaires
- (it) Carlotta Amande, « LâEncomio di Niceforo Botaniate nella storia di Attaliate: modelli, fonti, suggestini letterarie », Serta Historica antiqua, no 2,â , p. 265-286.
- (it) Lia Raffaella Cresci, « Anticipazione e possibilitĂ : moduli interpretative della Storia di Michele Attaliata, Storia e tradizione culturale a Bisanzio fra XI eXII secolo », Atti della prima Giornata di Studi Bizantini sotto il patrocinio della Associazione Italiana di Studi Bizantini, Naples,â .
- (it) Lia Raffaella Cresci, « Cadenze narrative e interpretazione critica nell' opera storica di Michele Attaliate », REB, no 49,â , p. 197-218.
- (en) John Haldon, « The Krites tou Stratopedou: a new office for a new situation? », Travaux et mĂ©moires, Paris, no 14,â , p. 279-286.
- (en) Anthony Kaldellis, « A Byzantine Argument for the Equivalence of All Religions: Michael Attaleiates on Ancient and Modern Romans », International Journal of the Classical Tradition, no 14,â , p. 1-22.
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
- (en) Alexander P. Kazhdan, « The Social Views of Michael Attaleiates », dans Alexander P. Kazhdan (dir.), Studies on Byzantine Litterature of the Eleventh and Twelfth Centuries, , p. 23-86.
- (en) Dimitris Krallis, Michael Attaleiates and the Politics of Imperial Decline in Eleventh Century Byzantium, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, .
- (en) Dimitris Krallis, « Democraticâ Action in Eleventh-Century Byzantium: Michael Attaleiatesâ âRepublicanismâ in Context », Viator, no 40.2,â , p. 35-53.
- (en) Dimitris Krallis, « Sacred Emperor, Holy Patriarch: A New Reading of the Clash between Emperor Isaakios I Komnenos and Patriarch Michael Keroularios in Attaleiatesâ History », Byzantinoslavica, no 67,â , p. 169-190.
- (en) Dimitris Krallis, « Michael Attaleiates as a Reader of Psellos », dans Ch. Barber (dir.), Reading Michael Psellos, Leiden, , p. 167-191.
- Paul Lemerle, « La Diataxis de Michel Attaleiate », dans Paul Lemerle (dir.), Cinq études sur le XIe siÚcle byzantin, Paris, , p. 65-112.
- (en) Athanasios Markopoulos, « The portrayal of the male figure in Michael Attaleiates », dans Vasiliki N. Vlysidou (dir.), The Empire in Crisis (?): Byzantium in the 11th century (1025-1081), AthÚnes, , p. 215-230.
- (de) Euxodos Tsolakis, « Aus dem Leben des Michael Attaleiates (Seine Heimatstadt, sein Geburts- und Todesjahr) », Byzantinische Zeitschrift, no 58,â , p. 3-10.
- (en) Antonios Vratimos, « Was Michael Attaleiates present at the battle of Mantzikert? », Byzantinische Zeitschrift, no 105.2,â , p. 829-839.
- (en) Speros Vryonis, « Michael Psellus, Michael Attaleiates: the blinding of Romanus IV at Kotyaion, 29 June 1072 and his death on Proti, 4 August 1072 », dans J. Chrysostomides, Jonathan Harris, Eirene Harvalia-Crook et Judith Herrin (dir.), Porphyrogenita: essays on the history and literature of Byzantium and the Latin East in honour of Julian Chrysostomides, Aldershot, , p. 3-14.