Meurtres et disparitions de femmes autochtones aux États-Unis
La question des meurtres et disparitions de femmes autochtones, qui renvoie à un phénomène de société d'abord relevé au Canada, se pose également aux États-Unis. Confrontée à la sur-représentation des Amérindiennes parmi les femmes victimes d'enlèvement ou de meurtre, la résolution des enquêtes criminelles se heurte en outre, aux États-Unis, à la complexité du partage des juridictions sur le territoire et dans le voisinage des réserves. Depuis 2015, le mouvement de protestation contre le sort des femmes autochtones disparues ou assassinées, ou des femmes et filles autochtones disparues ou assassinées, également désigné par les sigles anglais MMIW (pour Missing and Murdered Indigenous Women) ou MMIWG (Missing and Murdered Indigenous Women and Girls), s'est étendu 'aux États-Unis. La prise de conscience de la situation a suscité des mesures politiques, au niveau fédéral comme dans les États impliqués.
Situation
Dans certaines régions des États-Unis, les Amérindiennes ont dix fois plus de chances que la moyenne des femmes d'être victimes de crimes violents. Les réserves, en particulier, sont confrontées à de nombreux cas de femmes disparues ou dont les corps sont retrouvés sur leur territoire ou à proximité ; mais, du fait notamment de la complexité de leur statut, les crimes y restent souvent non élucidés[1] - [2] : par exemple, chez les Sioux Lakota, quatre cas sur cinq n'ont jamais été résolus[3].
Dans la plupart des cas où il est identifié, l'auteur du crime ne vient pas de la population autochtone ; il se recrute souvent parmi les travailleurs qui résident temporairement dans les réserves ou à leur voisinage, comme ceux des champs pétrolifères du Dakota du Nord. Le boom pétrolier de la fracturation hydraulique s'est accompagné d'une augmentation des meurtres et disparitions de femmes autochtones[4] - [5] - [6].
La complexité de la répartition des compétences policières et judiciaires à l'intérieur et autour des réserves complique la résolution des affaires. Alors qu'à l'extérieur des réserves opèrent les forces de police dépendant de l'État fédéré ou du comté, l'intérieur relève de la police tribale ou fédérale. En règle générale, les polices de l’État ou du comté ne sont pas responsables des réserves et ne peuvent y intervenir qu’à la demande de la police tribale. Toutefois, dans les États de Californie, du Minnesota, du Wisconsin, de l'Oregon et du Nebraska, la police de l'État peut intervenir de sa propre initiative sur ces terres : c'est le résultat de l'application d'une loi de 1953 qui permet des transferts de responsabilité du gouvernement fédéral aux États[7] - [8]. Mais ailleurs, même mal équipées et en sous-effectifs, les forces de police tribales hésitent à demander l'aide de l'extérieur, car les tribus tiennent à leur souveraineté. C'est particulièrement le cas pour les grandes réserves situées dans le Dakota du Sud, le Dakota du Nord, le Wyoming, le Montana, l'État de Washington, l'Idaho, l'Arizona et le Nouveau-Mexique[9].
En 2018, sur 5712 cas recensés par l'Urban Indian Health Institute (UIHI) de Seattle, seuls 118 ont été instruits par le FBI, alors que la loi sur les crimes majeurs en confère la responsabilité aux autorités fédérales. Une enquête publiée la même année indique que 84,3 % des femmes autochtones interrogées ont subi des violences physiques et que 56 % ont été abusées sexuellement[10] - [11]. Les capacités d'action des tribus sont limitées, puisque les tribunaux fédéraux, plutôt que les tribunaux tribaux, ont compétence sur les crimes majeurs. Ce n'est que depuis la loi de ré-autorisation sur la violence contre les femmes, signée par le président Barack Obama le 7 mars 2013, que les tribunaux tribaux peuvent traiter de tels cas[12]. Mais la loi a expiré en 2018 et doit encore être prorogée.
Une autre difficulté provient du statut particulier, dans les zones dites tribales, des terres collectives hors-réserve. Tout comme celles des réserves, ces terres ne sont pas soumises à l'État dans lequel elles sont situées[13] - [14] : elles relèvent directement du gouvernement fédéral, comme Puerto Rico, Guam, les Samoa américaines ou le district de Columbia. Le patchwork qu'elles constituent dans certaines régions des États-Unis en rend l'administration très problématique, en particulier dans le domaine de la sécurité et de l'ordre public, car il est souvent difficile de déterminer l'autorité compétente. Ainsi, la réserve de Rosebud, dans le Dakota du Sud, est entièrement inscrite dans les limites du comté de Todd, mais la tribu des Sicango Lakota Oyate possède aussi des terres dans les comtés de Tripp, de Lyman, de Mellette et de Gregory, qui relèvent également de la police tribale[15].
L'affaire États-Unis contre Medearis illustre les effets de cette complexité. Le 13 janvier 2002, Cody Cheyenne Medearis, recherché pour l'enlèvement et le viol de Sherri Lynn Whiting, une femme de la réserve de Rosebud, a été arrêté par la police des Sicango Lakota Oyate à proximité de Wood, dans le comté de Mellette. Cependant, le terrain sur lequel il a été appréhendé, celui d'une station-service, s'est avéré situé plusieurs mètres en dehors du territoire tribal : son arrestation par la police tribale était de ce fait illégale[16].
Protestations et mesures politiques
#MMIW est un hashtag apparu sur les réseaux sociaux en novembre 2015[1]. La protestation contre le sort des femmes autochtones disparues ou assassinées est liée notamment au mouvement d'opposition rencontré par l'oléoduc Dakota Access[4], militants et chefs tribaux imputant les crimes aux employés des compagnies pétrolières[5] - [6].
En 2018, le Congrès américain a adopté la loi Savanna, du nom de Savanna LaFontaine-Greywind, une Amérindienne de 22 ans dont le corps avait été retrouvé en 2017 dans une rivière du Dakota du Nord[17]. Cette loi impose l'enregistrement des cas de femmes autochtones disparues ou assassinées dans une base de données. En outre, les forces de police tribale doivent recevoir des fonds et des moyens de formation supplémentaires, tandis que le FBI devrait être plus actif[18] - [19].
Le 26 novembre 2019, à la suite du témoignage apporté le 11 septembre par Charles Addington, du Bureau des affaires indiennes, devant une commission du Congrès américain[20], le président Donald Trump a mis en place un groupe de travail pour résoudre le problème des MMIW[21]. Des États comme le Minnesota[22], le Dakota du Sud [23], le Dakota du Nord [24] ou le Montana [25] ont également mis en place des groupes de travail dédiés. Donald Trump a fait du 5 mai la « journée de sensibilisation MMIW »[26] - [27] et le problème est reconnu dans le pays comme une crise nationale[28] - [29].
Dans la culture
- Wind River, thriller de Taylor Sheridan[30].
- Alaska Daily, série TV, 2022.
Notes et références
- (en) Carolyn Smith-Morris, « Addressing the Epidemic of Missing & Murdered Indigenous Women and Girls », sur www.culturalsurvival.org, (consulté le )
- (en) « The Tragedy of Missing and Murdered Indigenous Women (MMIW) », sur www.powwows.com, (consulté le )
- (en) Arlo Iron Cloud, « MMIW Day of action », sur Lakota Country Times, (consulté le ) : « 411 cases representing women and girls from 41 tribal nations, who went missing from 142 locations, 59 percent of which are on reservation or rural areas. 10 percent of these cases occurred in counties where the Keystone XL pipeline is proposed to be built. Four in 5 cases in these counties remain unsolved with no charges laid. »
- (en) Arielle Zionts, « Feds comes to Rapid City to listen to local leaders on MMIW », sur Rapid City Journal Media Group : « Data and reporting show that the oil boom in North Dakota and Montana was associated with an increase in violent crime, often on reservations and against women. »
- (en) Indigenous Environment Network, « Native Leaders Bring Attention to Impact of Fossil Fuel Industry on Missing and Murdered Indigenous Women and Girls », sur www.ienearth.org (consulté le )
- (en) Lailani Upham, « Oil booms, so does violence », sur Char-Koosta News
- (en) Ada Pecos Melton et Jerry Gardner, « Public Law 280: Issues and Concerns for Victims of Crime in Indian Country », sur www.tribal-institute.org (consulté le )
- (en) United States Department of Justice, United States Attorney's Office, District of Minnesota, « Frequently Asked Questions about Public Law 83-280 », sur www.justice.gov, (consulté le )
- (en) Arielle Zionts, « Feds comes to Rapid City to listen to local leaders on MMIW », sur Rapid City Journal Media Group : « He said tribes need more money for police officers, courts and lawyers to improve public safety and tackle drug use — changes that could help prevent murders and disappearances and make people want to invest in economic development on reservations. »
- (en) Noelle Phillips, « MMIW Resource Guide », sur Lakota People's Law Project, (consulté le )
- (en) Sarah Mearhoff, « Thousands of Native women victimized in Plains, report shows », sur The Billings Gazette
- (en) Indian Law Resource Center, « Ending Violence Against Native Women », sur indianlaw.org (consulté le )
- (en) United States Department of the Interior, Indian Affairs, « Frequently Asked Questions », sur www.bia.gov (consulté le ) : « Because the Constitution vested the Legislative Branch with plenary power over Indian Affairs, states have no authority over tribal governments unless expressly authorized by Congress. While federally recognized tribes generally are not subordinate to states, they can have a government-to-government relationship with these other sovereigns, as well. »
- (en) United States Department of the Interior, Indian Affairs, « Frequently Asked Questions », sur www.bia.gov (consulté le ) : « Federal Indian reservations are generally exempt from state jurisdiction, including taxation, except when Congress specifically authorizes such jurisdiction. »
- (en) Collaborative Research Center for American Indian Health, « Sicangu Oyate Rosebud Sioux Tribe Community Profile » [PDF], sur crcaih.org, (consulté le )
- (en) US District Court for the District of South Dakota, « United States v. Medearis, 236 F. Supp. 2d 977 (D.S.D. 2002) », sur Justia Law, (consulté le )
- (en) « New South Dakota law focuses on missing indigenous women », sur News Center 1, (consulté le ) : « Savanna’s Act — named for 22-year-old Savanna LaFontaine-Greywind, whose body was found in a North Dakota river in 2017 »
- (en) Heidi Heitkamp, « S.1942 - 115th Congress (2017-2018): Savanna's Act », sur www.congress.gov, (consulté le )
- (en) Arielle Zionts, « Feds comes to Rapid City to listen to local leaders on MMIW », sur Rapid City Journal Media Group : « Federal government officials visited Rapid City this week to learn how they can help local tribal, health and public safety leaders address the crisis of missing and murdered indigenous women (MMIW), men and children. »
- (en) United States Department of the Interior, Office of Congressional and Legislative Affairs, « MMIW Crisis: Reviewing the Trump Administration’s Approach to the Missing and Murdered Indigenous Women (MMIW) Crisis », sur www.doi.gov, (consulté le )
- (en) Executive Office of the President, « Establishing the Task Force on Missing and Murdered American Indians and Alaska Natives », sur Federal Register, (consulté le )
- (en) Minnesota Department of Public Safety, Office of Justice Programs, « Missing and Murdered Indigenous Women Task Force », sur dps.mn.gov, (consulté le )
- (en) « New South Dakota law focuses on missing indigenous women », sur News Center 1, (consulté le )
- (en) « North Dakota state rep Ruth Buffalo introduces bills to improve state's response to MMIW », sur Bluestem Prairie, (consulté le )
- (en) Phoebe Tollefson, « Girl's death, MMIW march prompt creation of missing persons task force in Big Horn County », sur The Billings Gazette
- (en) Heather Benson, « MMIW Day of Awareness: May 5 », sur SDPB, (consulté le )
- (en) Arielle Zionts, « Feds comes to Rapid City to listen to local leaders on MMIW », sur Rapid City Journal Media Group : « President Donald Trump declared May 5 Missing and Murdered American Indians and Alaska Natives Awareness Day. »
- (en) Alleen Brown, « Indigenous Women Have Been Disappearing for Generations. Politicians Are Finally Starting to Notice. », sur The Intercept, (consulté le )
- (en) « We Tell Your Stories », sur Yakima Herald-Republic : « During remarks in the Oval Office, Trump said the statistics involving missing and murdered Native women are sobering and heartbreaking. He said one study showed that Native American women in some tribal communities are 10 times more likely to be murdered than the average American. »
- (en) Anna Klassen, « The True Story Behind 'Wind River' Is This Hidden Injustice Against Native American Women », sur Bustle, (consulté le )
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- (en) #MMIW sur Instagram.
- (en) « Murdered and Disappeared Native Women » sur Native Women’s Society of the Great Plains.