Meurtre de Farkhunda Malikzada
Farkhunda Malikzada[1] (en persan : Ù۱۟ÙŰŻÙ) est une femme afghane assassinĂ©e en public Ă l'Ăąge de 27 ans par une foule Ă Kaboul le [2]. LynchĂ©e Ă la suite d'accusations mensongĂšres de blasphĂšme[3], son assassinat, diffusĂ© sur les rĂ©seaux sociaux Ă travers plusieurs vidĂ©os[4] et photos[5], a provoquĂ© de nombreuses rĂ©actions nationales et internationales, et attirĂ© l'attention sur les droits des femmes en Afghanistan.
DĂ©roulement des faits
Farkhunda, musulmane pratiquante, venait d'obtenir un diplĂŽme en sciences islamiques et s'apprĂȘtait Ă occuper un poste d'enseignement[6]. Elle venait de se disputer avec un mollah auto-proclamĂ© du nom de Zainuddin (en rĂ©alitĂ© un gardien[7]) devant la mosquĂ©e Shah-Do Shamshira, car il y vendait aux femmes des talismans, qu'elle considĂ©rait comme des objets de superstitions et contraires Ă l'Islam. Alors qu'elle fustigeait les visiteuses devant la mosquĂ©e pour leur ignorance, Zainuddin et Mohammad Omran, un diseur de bonne aventure, retournĂšrent l'accusation en prĂ©tendant qu'elle Ă©tait une infidĂšle[8].
La foule, masculine, s'est assemblĂ©e dans les rues autour de Farkhunda quand les accusateurs ont commencĂ© Ă hurler, Ă©nonçant ses crimes prĂ©sumĂ©s au public. Ils prĂ©tendirent qu'elle avait brĂ»lĂ© des pages du Coran, et pour cette raison, ils dĂ©clarĂšrent qu'elle devait en payer de sa vie. La foule a attrapĂ© Farkhunda, l'a jetĂ©e au sol et piĂ©tinĂ©e. Devant l'urgence de la situation, les forces de police ont tentĂ© de la retirer de la foule en la faisant monter sur le toit d'un magasin[9]. FrappĂ©e Ă rĂ©pĂ©tition par un assaillant muni d'un gros bĂąton, Farkhunda a perdu l'Ă©quilibre et est retombĂ©e parmi la foule, qui la frappa brutalement, provoquant son Ă©vanouissement. La foule l'a alors tirĂ©e dans la rue, oĂč une voiture lui a roulĂ© dessus, la traĂźnant sur 300 pieds. Elle fut ensuite brĂ»lĂ©e et son corps fut jetĂ© dans les eaux du Kaboul[10], sous les yeux d'une police prĂ©tendument passive[11].
Un enquĂȘteur officiel a dĂ©clarĂ© par la suite qu'il n'y avait aucune preuve que Farkhunda ait profanĂ© le Coran[12].
RĂ©actions
RĂ©action publique en Afghanistan
Immédiatement aprÚs la mort de Farkhunda, plusieurs personnalités officielles ont exprimé leur approbation de l'assassinat sur Facebook. Par exemple, le porte-parole officiel de la police de Kaboul, Hashmat Stanekzai, a écrit que « comme d'autres infidÚles, Farkhunda pensait que ce genre d'action et d'insulte lui apporterait la citoyenneté américaine ou européenne. » Le sous-ministre pour la culture et l'information, Simin Ghazal Hasanzada, a également approuvé l'exécution d'une femme « travaillant pour les infidÚles ». Zalmai Zabuli, le chef de la commission d'examen des plaintes de la chambre haute du parlement, a posté une photo de Farkhunda avec ce message : « Ceci est la personne horrible et détestée qui a été punie par nos compatriotes musulmans pour son action. Ce faisant, ils ont prouvé à leurs maßtres que les Afghans ne veulent que l'Islam et ne peuvent pas tolérer l'impérialisme, l'apostasie et les espions »[13].
AprĂšs la rĂ©vĂ©lation de l'innocence de Farkhunda, la rĂ©action publique en Afghanistan a tournĂ© au choc et Ă la colĂšre. Des centaines de manifestants sont descendus dans les rues de Kaboul le pour protester contre sa mort brutale. Ils ont fait une marche partant du lieu de l'attaque jusqu'Ă l'endroit oĂč Farkhunda fut jetĂ©e dans la riviĂšre. Plusieurs manifestantes ont portĂ© des masques reprĂ©sentant le visage ensanglantĂ© de Farkhunda, tandis que d'autres ont condamnĂ© le gouvernement pour son Ă©chec Ă apporter la sĂ©curitĂ© en Afghanistan. Shukria Barakzai, dĂ©putĂ©e au parlement afghan pour la province de Kaboul et militante de longue date pour les droits des femmes, a rapportĂ© Ă Al Jazeera que l'assassinat de Farkhunda avait incitĂ© la ville et le reste du pays Ă se pencher sur les droits des femmes[10]. Roshan Siren, ancienne membre du parlement, a dĂ©clarĂ© que le meurtre met en relief les violences commises contre les femmes dans le pays et est devenu un point de ralliement pour une plus jeune gĂ©nĂ©ration de femmes menant campagne pour « la protection et le progrĂšs des femmes »[14].
Manifestations
Le , des centaines de femmes ont protesté contre l'attaque, demandant que le gouvernement poursuive les responsables de la mort de Farkhunda[12]. La manifestation fut organisée par le parti solidaire d'Afghanistan et des habitants de Kaboul[15]. La mort de Farkhunda est devenu un point de ralliement des activistes pour les droits des femmes en Afghanistan[16]. Le , des milliers de personnes ont protesté contre l'attaque devant le ministÚre de la justice afghan à Kaboul[17].
RĂ©ponse officielle en Afghanistan
Le prĂ©sident afghan Ashraf Ghani a ordonnĂ© une enquĂȘte de l'incident et condamnĂ© cet « acte d'extrĂȘme violence » dans une dĂ©claration publiĂ©e par son bureau[18], qualifiant l'assassinat d'« odieux »[12]. Il a ajoutĂ© que la mort de Farkhunda rĂ©vĂšle que la police afghane Ă©tait trop concentrĂ©e sur l'insurrection talibane dans le pays et pas assez sur la surveillance policiĂšre locale[11].
Neuf hommes identifiĂ©s dans la vidĂ©o du meurtre de Farkhunda circulant sur les rĂ©seaux sociaux ont Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©s[19]. Le ministĂšre de l'intĂ©rieur a rapportĂ© plus tard que 28 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es et 13 officiers de police suspendus au cours de l'enquĂȘte. Hashmat Stanikzai, qui avait publiquement approuvĂ© le meurtre, a Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions Ă cause des commentaires qu'il avait Ă©crits sur les rĂ©seaux sociaux en soutien aux meurtriers de Farkhunda[6].
Le ministÚre afghan du hajj et des affaires religieuses a annoncé qu'il n'avait trouvé aucune preuve indiquant que Farkhunda ait brûlé le Coran[20].
En Afghanistan
Le jour suivant la mort de Farkhunda, certains imams et mollahs ont endossĂ© son meurtre dans leurs services religieux du vendredi. L'un d'eux, Maulavi Ayaz Niazi, de la mosquĂ©e Wazir Akbar Khan, a averti le gouvernement que toute tentative d'arrĂȘter les hommes ayant dĂ©fendu le Coran conduirait Ă un soulĂšvement[13] - [9].
Lorsque l'innocence de Farkhunda fut rĂ©vĂ©lĂ©e, des Ă©rudits islamiques ont exprimĂ© leur indignation. Ahmad Ali Jebreili, un membre du conseil des oulĂ©mas afghan mis en place pour administrer la loi islamique, a condamnĂ© l'attaque, l'accusant de contrevenir Ă l'islam[18]. Haji Noor Ahmad, un prĂȘtre local, a dĂ©clarĂ© : « Les gens viennent et exĂ©cutent une personne arbitrairement ; c'est totalement interdit et illĂ©gal. Cependant, certains ont justifiĂ© son meurtre et ont Ă©tĂ© accueillis par la colĂšre publique »[21].
Ă l'Ă©tranger
Abu Ammaar Yasir Qadhi (en), un éminent érudit islamique conservateur, a exprimé son horreur sur Facebook et dit[22] : « une indication du degré de civilisation d'une nation est sa façon de traiter les femmes. Puisse Allah restaurer l'honneur et le respect dus aux femmes dans nos sociétés ! »
Yama Rasaw, de l'International Policy Digest (en), a accusé l'intolérance parmi les Afghans et les musulmans pour le meurtre de Farkhunda[23].
RĂ©actions internationales
L'Union europĂ©enne a condamnĂ© l'attaque. La chef de la diplomatie europĂ©enne Federica Mogherini a dĂ©clarĂ© que le « meurtre de Farkhunda [...] est un rappel tragique des dangers de fausses accusations auxquels les femmes sont confrontĂ©es et du manque de justice en Afghanistan ». Elle a ajoutĂ© que « nous espĂ©rons tous que [ces] responsables pourront ĂȘtre traduits en justice »[6]. Les Ătats-Unis ont Ă©galement condamnĂ© le meurtre Ă travers une dĂ©claration de son ambassade Ă Kaboul appelant à « traduire en justice les responsables afin que de tels actes odieux ne se reproduisent pas »[24].
Farman Nawaz, chroniqueur pour Global Times China, a Ă©crit : « Choisir des dirigeants par les urnes est un signe positif pour le pays, mais la survie, voire la croissance, d'une mentalitĂ© extrĂ©miste mĂȘme aprĂšs la souffrance causĂ©e par le barbarisme de groupes extrĂ©mistes reflĂšte un Ă©chec critique des partis politiques afghans »[25]. L'historien afghano-amĂ©ricain Ali A Olomi a soutenu que le meurtre de Farkhunda dĂ©montrait la persĂ©vĂ©rance d'une culture sous-jacente de violence et de dĂ©valuation de la vie humaine, remontant aux gĂ©nĂ©rations d'Afghans Ă©levĂ©s pendant la guerre et confrontĂ©s Ă l'oppression[26].
Funérailles
Le , des femmes vĂȘtues de noir ont portĂ© le cercueil de Farkhunda d'une ambulance vers un lieu de priĂšres, puis vers un cimetiĂšre, brisant ainsi la tradition qui veut que seulement des hommes assistent Ă ce genre de funĂ©railles[27].
ProcĂšs
Sur les 49 suspects poursuivis en justice, quatre hommes ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă mort pour le meurtre de Farkhunda[28]. Les sentences ont Ă©tĂ© prononcĂ©es par le juge Safiullah Mojadedi Ă Kaboul le . Huit autres accusĂ©s ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă 16 ans de prison. Trois des suspects Ă©taient toujours en cavale au moment de la condamnation le [29]. Le procĂšs est remarquable pour sa rapiditĂ©, n'ayant durĂ© que deux jours[30]. Le verdict a Ă©tĂ© critiquĂ© car, bien que quelques enquĂȘteurs croient qu'un diseur de bonne aventure ait dĂ©clenchĂ© l'attaque, cette personne n'a pas Ă©tĂ© jugĂ©e coupable en appel, et le gardien du mausolĂ©e a vu sa peine de mort commuĂ©e bien qu'il ait Ă©mis la fausse accusation de profanation du Coran sur Farkhunda[7].
Le , onze officiers de police ont été condamnés à un an de prison pour ne pas avoir protégé Farkhunda[31].
Le , une cour d'appel a commuĂ© les peines de mort pour les quatre accusĂ©s jugĂ©s coupables. Trois d'entre eux ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă 20 ans de prison et le quatriĂšme Ă dix ans de prison, provoquant des manifestations de rue et un dĂ©bat sur les droits des femmes[32] - [33]. Le , aprĂšs avoir examinĂ© les rĂ©sultats de la procĂ©dure, une commission d'avocats appointĂ©s par le prĂ©sident afghan a recommandĂ© Ă la cour suprĂȘme afghane de juger Ă nouveau les suspects impliquĂ©s dans le meurtre de Farkhunda, en prĂ©cisant, « cette fois-ci en prĂ©sence des avocats de la dĂ©fense de Farkhunda »[34].
Notes et références
- (en) « Family of Afghan woman lynched by mob demands justice », Al Jazeera,â (lire en ligne, consultĂ© le )
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- « Kaboul : la femme lynchĂ©e Ă©tait innocente », RTL,â (lire en ligne, consultĂ© le )
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- (en) « Farkhunda murder: Afghan court overturns death sentences », The Telegraph,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Rod Nordland, « Afghan Panel to Call for Retrial in Death of Farkhunda, a Female Scholar », The New York Times,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Murder of Farkhunda » (voir la liste des auteurs).