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Meisho-ki

Les meisho-ki, terme parfois transcrit en meisho ki, meishoki ou meisho no ki (ćæ‰€èš˜, « guide de lieux cĂ©lĂšbres » ou « rĂ©cits sur les sites cĂ©lĂšbres ») dĂ©signent des guides (蚘, ki) de vues cĂ©lĂšbres (ćæ‰€, meisho) du Japon, populaires au dĂ©but de l’époque d’Edo. Ces recueils dĂ©crivant les lieux fameux de l’archipel s’inscrivent dans la tradition littĂ©raire, poĂ©tique et picturale des meisho, colorĂ©e par la culture populaire bourgeoise et marchande qui Ă©merge grĂące Ă  la paix des Tokugawa. Ils ont influencĂ© en retour les guides illustrĂ©s de vues cĂ©lĂšbres, nommĂ©s meisho zue.

PremiĂšre page d’une Ă©dition du Tƍkaidƍ meisho ki.

Historique

Le thĂšme littĂ©raire et artistique des meisho (« vues cĂ©lĂšbres ») apparaĂźt longtemps avant les meisho ki, d’abord dans la poĂ©sie vers le VIIIe siĂšcle, puis dans la peinture (meisho-e) Ă  l’époque de Heian[1]. L’idĂ©e sous-jacente consistait Ă  identifier et exprimer les caractĂ©ristiques les plus connues d’un lieu rĂ©putĂ© pour sa beautĂ© ou son intĂ©rĂȘt, de façon Ă  l’identifier aisĂ©ment, par symbolisme ou rĂ©alisme[2]. Des influences chinoises sont Ă©galement perceptibles, notamment en rapport aux fangzhi, recueils sur les provinces rĂ©digĂ©s par les fonctionnaires dans un but plus administratif que littĂ©raire, sur ordre de la bureaucratie centrale de l’Empire ; ainsi, leur forme Ă©tait plus rigide que les carnets de voyage populaires au Japon. Il existe des Ă©quivalents au fangzhi sur l’archipel, nommĂ©s shi et qui avaient une fonction trĂšs similaire[3].

À l’époque d’Edo, la paix des Tokugawa permet la dĂ©mocratisation des loisirs, des voyages et du commerce, ainsi que l’apparition d’une littĂ©rature populaire plus accessible qu’auparavant[4] - [5]. Dans ce contexte, le premier meisho ki est le Kyƍ warabe de Nakagawa Kiun, publiĂ© en 1658. Ce dernier y dĂ©crit 88 lieux fameux de la capitale impĂ©riale Kyoto ou des alentours, dont le palais, des temples et sanctuaires, des vues plaisantes et des quartiers de divertissement ou de plaisir. S’inscrivant dans la tradition, chaque lieu est agrĂ©mentĂ© d’une illustration en noir et blanc et d’un poĂšme[6].

De nombreux meisho ki apparaissent ensuite, plus volumineux et prenant pour sujet d’autres contrĂ©es du Japon ; les plus connus sont le Rakuyƍ meisho shĆ« sur Kyoto (1658), l’Edo meisho ki sur Edo d’Asai Ryƍi (1662), le Tƍkaidƍ meisho ki sur la route du Tƍkaidƍ (1659), ainsi que le Kyƍ suzume (1665), sa suite le Kyƍ suzume atooi (1678) et l’Edo suzume de Hishikawa Moronobu (1677) sur les quartiers de Kyoto et Edo[7] - [8] - [3]. R. Sieffert et S. Katƍ estiment le nombre de publications Ă  plus de cinq cents[9].

Toutefois, vers le milieu du XVIIIe siĂšcle, les meisho ki ne satisfont plus rĂ©ellement les lecteurs par le manque d’objectivitĂ© et la faiblesse de l’illustration[10]. Le genre disparaĂźt des catalogues de libraires en 1699[11].

Caractéristiques

Illustration d'un lieu dans le Tƍkaidƍ meisho ki.

Les meisho ki forment une catĂ©gorie spĂ©cifique des kana-zƍshi, cette littĂ©rature populaire Ă©crite en kanas (caractĂšres japonais, en opposition au syllabaire chinois rĂ©servĂ© aux Ă©rudits) qui vise le plus grand nombre, notamment marchand et bourgeois (chƍnin) des villes[4] - [11] - [12]. R. Lane cite Ă©galement en marge des guides fictionnels ou journaux de voyage dĂ©crivant de façon narrative des lieux cĂ©lĂšbres comme l’Azuma monogatari (1642), le Shikion-ron (1643) ou le fameux Chikusai (annĂ©es 1620) comme autre exemple de kana-zƍshi proches[4]. Les meisho ki sont en revanche des guides non fictionnels, puisque seuls des lieux rĂ©els y sont dĂ©crits, et essentiellement non narratifs, bien que de longs passages narratifs soient en fait consacrĂ©s par exemple Ă  des anecdotes, histoires ou lĂ©gendes sur un lieu[11]. Toujours selon R. Lane, la proportion entre Ă©lĂ©ments non narratifs et narratifs varie et dĂ©pend du public visĂ©, voyageur potentiel ou non[4]. RĂ©digĂ©s par des personnes instruites, ils s’inscrivent Ă©galement dans le genre du carnet de voyage[13] - [14].

GĂ©nĂ©ralement, les meisho ki dĂ©crivent avec force dĂ©tails les lieux des grandes villes Ă  visiter, les temples et sanctuaires, les routes ou les provinces du Japon, avec des informations ou anecdotes sur leur histoire, l’origine de leur nom, les lĂ©gendes associĂ©es ou les poĂšmes qu’ils ont inspirĂ©s[6]. Les meisho ki prĂ©sentent rĂ©guliĂšrement des images ou vignettes en noir et blanc[8], mais les illustrations restent secondaires, par exemple comparĂ© aux meisho zue. Pour M. Forrer, ces guides s’adressent en premier lieu aux touristes communs, voyageant gĂ©nĂ©ralement dans le cadre de pĂšlerinage Ă  l’époque[8]. V. BĂ©ranger rĂ©sume ainsi la fonction des meisho-ki :

« À l’origine destinĂ©s Ă  la classe des guerriers, revĂȘtant l’aspect d’un journal ou d’un rĂ©cit de voyage, ponctuĂ©s d’anecdotes comiques, les meisho-ki parodient les Ɠuvres du passĂ© et n’ont pas de rĂ©elle valeur gĂ©ographique objective ; ils sont destinĂ©s Ă  faciliter l’appropriation matĂ©rielle et intellectuelle des lieux d’une ville, Ă  en vulgariser l’histoire culturelle. »

— VĂ©ronique BĂ©ranger[10]

Contrairement aux fangzhi chinois, les meisho ki n’ont pas de fonction administrative et restent des Ɠuvres de goĂ»t plutĂŽt lĂ©ger, Ă©maillĂ©es d'anecdotes comiques[9] et Ă  la forme libre et le plus souvent contĂ©es par un « narrateur voyageur[10] », ce qui en explique la grande diversitĂ© de forme et de fond[3]. Les plus anciens, dont le Kyƍ warabe ou l’Edo meisho ki, adoptent un style plutĂŽt littĂ©raire en livrant de nombreux poĂšmes, anecdotes ou rĂ©cits historiques liĂ©s aux lieux dĂ©crits ; le Tƍkaidƍ meisho ki conserve mĂȘme une forte approche narrative (journal de voyage), alors que la plupart des guides se prĂ©sentent plutĂŽt comme des recueils ou des listes de lieux[15]. D’autres meisho ki s’adressent Ă  un public plus Ă©rudit comme le YƍshĆ« fushi (1686), Ă©crit en chinois et traitant de la topographie et des coutumes locales. D’autres encore, plus commerciaux, dĂ©crivent les quartiers et rues des grandes villes, citant les boutiques, artisans ou bons restaurants qui s’y trouvaient ; on nomme ces guides machi kagami (« miroir des quartiers »), dont un exemple reste le Kyƍ suzume et sa suite, organisĂ©s en forme de liste de boutiques, rues et quartiers[6]. Il existait Ă©galement des versions synthĂ©tiques de ces guides commerciaux, tel le Kyƍ hitori annai tebiki shĆ« (1694), destinĂ© tant aux acheteurs qu’aux badauds en quĂȘte de distraction Ă  Kyoto[6].

À l’époque d’Edo, grĂące Ă  la popularisation des voyages et de la culture, la conception des meisho Ă©volue : ils deviennent de possibles destinations touristiques, non plus des motifs littĂ©raires. C’est notamment le cas Ă  Edo oĂč la tradition des vues cĂ©lĂšbres est moins ancienne qu’à Kyoto[16]. P. Bonnin classe les meisho dĂ©crits dans ces guides en deux groupes : historiques (liĂ©s Ă  l’aristocratie ou aux croyances anciennes) et contemporains (quartiers de plaisir ou centres de commerces), ajoutant que d’autres thĂšmes fleurissent peu Ă  peu comme les temples et sanctuaires, les places liĂ©es Ă  des personnalitĂ©s populaires, les monuments notables ou les quartiers rĂ©putĂ©s[17].

Influence

Illustration pleine page du quartier de Suruga à Edo dans l’Edo meisho zue.

Les meisho ki constituent l’ancĂȘtre le plus immĂ©diat des meisho zue[18], ces livres illustrĂ©s de vues cĂ©lĂšbres qui se caractĂ©risent par leurs abondantes illustrations Ă  la prĂ©cision topographique rigoureuse et la volontĂ© de toucher un public trĂšs large, depuis les enfants jusqu’aux adultes, des gens sans instruction jusqu’aux samouraĂŻs[19] - [20]. En fait, si le thĂšme des meisho redevient populaire Ă  l’époque d’Edo dans les livres, guides, cartes ou gravures sur bois, les tout premiers tĂ©moins de ce renouveau sont indĂ©niablement les meisho ki[8]. À noter que les meisho zue inspirĂšrent Ă  leur tour les artistes paysagistes de l’ukiyo-e comme Hokusai et Hiroshige[21].

Le principe des meisho ki perdure encore partiellement dans la littĂ©rature de la fin de l’époque d’Edo et le dĂ©but de la restauration Meiji[22]. L’étude des meisho ki renseigne de nos jours sur l’organisation et la vie dans les villes japonaises au dĂ©but de l’époque d’Edo[23].

Notes et références

  1. (en) Ewa Machotka, Visual Genesis of Japanese National Identity : Hokusai’s Hyakunin isshu, Bruxelles, Peter Lang, , 256 p. (ISBN 978-90-5201-482-1, lire en ligne), p. 192-193.
  2. (en) Susan Jean Zitterbart, Kumano Mandara: Portraits, power, and lineage in medieval Japan, ProQuest, université de Pittsburgh, (ISBN 978-0-549-89732-3, lire en ligne), p. 47-48.
  3. (en) Nicolas FiĂ©vĂ©, « Kyoto’s famous places: collective memory and ’monuments’ in the Tokugawa period », dans Paul Waley, Japanese Capitals in Historical Perspective: Place, Power and Memory in Kyoto, Edo and Tokyo, Psychology Press, (ISBN 9780700714094, lire en ligne), p. 155-156.
  4. (en) Richard Lane, « The Beginnings of The Modern Japanese Novel: Kana-zƍshi, 1600-1682 », Harvard Journal of Asiatic Studies, vol. 20, nos 3-4,‎ , p. 644-701 (lire en ligne).
  5. (en) Laurence Bresler (thĂšse), The Origins of Popular Travel and Travel Literature in Japan, vol. 1, Columbia University, , p. 18.
  6. (en) John Whitney Hall, The Cambridge History of Japan : Early modern Japan, vol. 4, Cambridge University Press, , 860 p. (ISBN 978-0-521-22355-3, lire en ligne), p. 735-736.
  7. Nishiyama 1997, p. 79-80.
  8. (en) Matthi Forrer, « Toto/Tokyo », dans Urban Symbolism, vol. 8, Brill, coll. « Studies in Human Society », (ISBN 9789004098558, lire en ligne), p. 178-180.
  9. RenĂ© Sieffert et ShĆ«ichi Katƍ, La LittĂ©rature japonaise, Association langues et civilisations, , 606 p. (ISBN 978-0-231-11467-7), p. 115-116.
  10. VĂ©ronique BĂ©ranger, « Les recueils illustrĂ©s de lieux cĂ©lĂšbres (meisho zue), objets de collection », Ebisu, no 29,‎ , p. 81-113 (lire en ligne).
  11. (en) Laura Moretti, « Kanazƍ shi Revisited: The Beginnings of Japanese Popular Literature in Print », Monumenta Nipponica, vol. 65, no 2,‎ , p. 297-356 (lire en ligne).
  12. Laurence Bresler, op. cit., 1975, p. 24-25.
  13. (en) « Meishoki ćæ‰€èš˜ », Japanese Architecture and Art Net Users System (JAANUS) (consultĂ© le ).
  14. (en) David C. Moreton, « An Examination of Travel Literature on the Shikoku Pilgrilnage Route and Warnings Contained Within », ćŸłćł¶æ–‡ç†ć€§ć­Šç ”ç©¶çŽ€èŠ (Bulletin de recherche de l’universitĂ© Tokushima Bunri), no 69,‎ , p. 461-482 (lire en ligne).
  15. (en) Donald Keene, World Within Walls: Japanese Literature of the Pre-Modern Era, 1600-1867, vol. 1, Columbia University Press, , 606 p. (ISBN 978-0-231-11467-7, lire en ligne), p. 153.
  16. Traganou 2004, p. 70.
  17. Philippe Bonnin, « La ville japonaise : l’ordinaire de l’esthĂ©tique », dans Le GoĂ»t des belles choses. Ethnologie de la relation esthĂ©tique, Ă©ditions MSH, coll. « Cahiers Ethnologie de la France », (ISBN 9782735110285, lire en ligne), p. 30.
  18. Seiichi Iwao et Teizo Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, Maisonneuve et Larose, , 2993 p. (ISBN 978-2-7068-1633-8), p. 1785-1786.
  19. (en) Robert Dale Goree (thÚse), Fantasies of the Real : Meisho zue in early modern Japan, Université Yale, , p. 9-10.
  20. Traganou 2004, p. 111-112.
  21. Robert Dale Goree, op. cit., 2010, p. 137.
  22. (en) Peter Francis Kornicki, « The Survival of Tokugawa Fiction in The Meiji Period », Harvard Journal of Asiatic Studies, vol. 41, no 2,‎ , p. 461-482 (lire en ligne).
  23. Nishiyama 1997, p. 64.

Annexes

Bibliographie

  • (en) Matsunosuke Nishiyama (trad. Gerald Groemer), Edo Culture: Daily Life and Diversions in Urban Japan, 1600-1868, University of Hawaii Press, , 309 p. (ISBN 978-0-8248-1850-0, lire en ligne).
  • (en) Jilly Traganou, The Tokaido Road: Travelling and Representation in Edo and Meiji Japan, Psychology Press, , 270 p. (ISBN 978-0-415-31091-8, lire en ligne).

Liens externes

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