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Massacre de Kibeho

Le massacre de Kibeho est un massacre qui s'est produit le dans un camp pour personnes déplacées près de Kibeho, dans le sud-ouest du Rwanda[1].

Les soldats australiens faisant partie de la Mission d'assistance des Nations Unies pour le Rwanda ont estimĂ© qu'au moins 4 000 personnes dans le camp avaient Ă©tĂ© tuĂ©es par des soldats de la branche militaire du Front patriotique rwandais, connue sous le nom d'ArmĂ©e patriotique rwandaise. Le gouvernement rwandais a estimĂ© le nombre de morts Ă  338.

Histoire

À la suite du génocide de 1994 et à la victoire de l'Armée patriotique rwandaise (APR) dominée par les Tutsis, de nombreux Hutus, dont un nombre inconnu de ceux qui avaient commis le génocide, ont fui les zones contrôlées par le Front patriotique rwandais (FPR) vers des zones contrôlées par les Français dans le cadre de l'opération Turquoise ainsi que dans les États voisins du Burundi, du Zaïre et de la Tanzanie. Quand les Français se retirent en , l'administration d'un certain nombre de camps de déplacés internes est pris en charge par la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) et un certain nombre d' autres organisations d'assistance. Le nouveau gouvernement rwandais, dominé par le Front patriotique rwandais (FPR) victorieux, a souhaité identifier les individus et les miliciens Interahamwe enfermés dans les camps qui auraient commis le génocide[2].

Ă€ la fin de 1994, les grands camps des anciennes zones dites de sĂ©curitĂ© humanitaire abritaient environ 350 000 personnes. L'ONU a mis en place un Centre d'opĂ©rations intĂ©grĂ© (CIO) pour gĂ©rer le nombre de cas et a rĂ©ussi Ă  rapatrier environ 80 000 dĂ©placĂ©s entre et . Cependant, cette pĂ©riode coĂŻncide fortuitement avec la pĂ©riode oĂą le nouveau gouvernement du FPR avait rĂ©duit les activitĂ©s de ses escadrons de mise Ă  mort après que leurs activitĂ©s aient Ă©tĂ© documentĂ©es dans le rapport Gersony, officiellement refusĂ©. En , après que les craintes du FPR concernant les sanctions occidentales se soient apaisĂ©es et que les tueries avaient repris, les dĂ©placĂ©s internes (PDI) ont refusĂ© de retourner dans leurs villages d'origine, oĂą ils seraient vulnĂ©rables aux tueurs[3]. Les travailleurs de terrain de l'ONU sont alors pris dans un « Catch-22 »[4]. La troisième semaine de fĂ©vrier, le Centre d'opĂ©rations intĂ©grĂ© avait pratiquement cessĂ© de travailler et les camps se remplissaient de villageois fuyant la violence dans les collines. « L'hostilitĂ© du gouvernement envers les camps Ă©tait profonde, viscĂ©rale... Une grande partie de ceux qui s'Ă©taient rĂ©fugiĂ©s dans la Zone Turquoise Ă©taient considĂ©rĂ©s par le gouvernement comme les auteurs du gĂ©nocide », selon les mots de l'ancien directeur du Bureau des Nations Unies pour les secours d'urgence au Rwanda (United Nations Rwanda Emergency Office, UNREO) et le FPR Ă©tait mĂ©prisant des programmes inadĂ©quats proposĂ©s par la bureaucratie onusienne. En revanche, GĂ©rard Prunier affirme que « les camps abritaient des milliers de femmes et d'enfants ainsi que des hommes qui auraient pu ou non ĂŞtre gĂ©nocidaires ». Pendant ce temps, au siège de l'ONU Ă  New York, il Ă©tait insistĂ© sur des procĂ©dures appropriĂ©es et une coopĂ©ration Ă©troite avec le gouvernement du FPR. L'ancien directeur de l'UNREO Ă©crira par après « Le gouvernement Ă©tait sur le terrain mais ne s'est jamais pleinement engagĂ©, permettant Ă  la communautĂ© humanitaire d'assumer la responsabilitĂ© d'une approche "intĂ©grĂ©e" qui en rĂ©alitĂ© n'a jamais existĂ© »[5]. Les rapports de situation du CIO reflĂ©taient ses responsabilitĂ©s contradictoires, accusant une « campagne dĂ©libĂ©rĂ©e de dĂ©sinformation » des dĂ©placĂ©s internes refusant de quitter les camps, tout en signalant presque simultanĂ©ment « les personnes retournant dans les camps, craignant pour leur sĂ©curitĂ© personnelle. Certaines personnes fuient les communes et entrent dans les camps pour la première fois »[6].

Camp de Kibeho

Au dĂ©but de 1995, le camp de personnes dĂ©placĂ©es de Kibeho Ă©tait le plus grand du Rwanda, s'Ă©talant sur neuf kilomètres carrĂ©s et contenant entre 80 000 et 100 000 personnes[7]. La prĂ©sence de la MINUAR dans le camp a Ă©tĂ© maintenue par une compagnie d'infanterie zambienne, avec des services mĂ©dicaux fournis par MĂ©decins sans frontières (MSF). L'ArmĂ©e patriotique rwandaise (APR) a maintenu un cordon serrĂ© autour du camp. Les rĂ©fugiĂ©s souhaitant quitter le camp pour rentrer chez eux devaient passer par un poste de contrĂ´le, oĂą les rescapĂ©s du gĂ©nocide signalaient les individus qui avaient participĂ© aux tueries de 1994.

Le , le préfet de Butare annonce que tous les camps de la préfecture seraient fermés immédiatement[6]. Le but déclaré était de séparer de force les génocidaires connus de ceux qui seraient renvoyés chez eux via un camp intermédiaire dans la ville voisine de Butare. Le , la MINUAR dépêche à la hâte 32 soldats et médecins australiens pour soutenir sa présence à Kibeho[7].

Le colonel P. G. Warfe de l'armée australienne décrira plus tard les événements de cette journée :

« Le mardi 18 avril à 3 heures, deux bataillons de soldats de l'APR ont encerclé le camp de Kibeho. L'APR a utilisé un moyen inapproprié en tirant des coups de feu en l'air pour déplacer les personnes y internées. Une femme a reçu une balle dans la hanche et dix personnes, pour la plupart des enfants, ont été piétinées à mort... [Les soldats] ont incendié de nombreuses huttes afin que les déplacés internes ne rentrent pas chez eux. À 16 h 30, l'APR a tiré des coups de semonce et neuf autres personnes déplacées ont été tuées dans la bousculade qui en a résulté. »

— P. G. Warfe [Australian Army], Adresse sur le massacre de Kibeho, Conférence de la Croix-Rouge australienne sur le droit humanitaire, Hobart, Australie, 22-23 juillet 1999, citée dans Prunier 2009, p. 39.

Le ministre tutsi de la réhabilitation du FPR, Jacques Bihozagara, a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a énoncé : « Il y a des rumeurs selon lesquelles si les déplacés rentrent chez eux, ils seront tués... Si telle était l'intention du gouvernement, il aurait alors continué et tué les gens dans les camps. Après tout, les camps se trouvent sur le territoire rwandais »[8]. En revanche, le ministre hutu de l'intérieur du FPR, Seth Sendashonga, s'est précipité le lendemain à Kibeho pour arrêter les tirs et, à son retour à Kigali, a tenu une réunion d'urgence avec les Nations unies et des ONG pour organiser le transport des déplacés avant que l'Armée patriotique rwandaise ne perde toute retenue. Il a en outre informé le Premier ministre Faustin Twagiramungu, le président du pays Pasteur Bizimungu et le vice-président et ministre de la Défense Paul Kagame, qui lui ont assuré qu'il veillerait à ce que les choses restent sous contrôle. Le lendemain, les soldats ont de nouveau ouvert le feu, tuant plusieurs dizaines de personnes avant d'encercler le camp[8].

Massacre du 22 avril 1995

Peu de temps après 10 heures du matin, sous une pluie battante, les forces de l'APR commencent Ă  tirer sur la foule dans le complexe de l'hĂ´pital, provoquant une ruĂ©e de rĂ©fugiĂ©s contre les fils barbelĂ©s et les barricades. Les forces de l'APR continuent de tirer sur des rĂ©fugiĂ©s en fuite pendant les deux heures suivantes[9]. Tout en tirant avec des fusils sur la foule massĂ©e, l'APR utilise ensuite des mortiers de 60 mm. Le caporal Paul Jordan a Ă©crit « nous avons observĂ© (et ne pouvions pas faire plus) que ces gens Ă©taient pourchassĂ©s et abattus ». L'APR a ralenti le massacre pendant un certain temps après le dĂ©jeuner avant de reprendre le feu jusqu'Ă  environ 18 h[5].

Les Ă©quipes mĂ©dicales de MSF et australienne ont eu du mal Ă  faire face au grand nombre de blessĂ©s, dont beaucoup ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s par la suite Ă  l'hĂ´pital de Kigali. MalgrĂ© cela, les Ă©quipes mĂ©dicales ont poursuivi leur travail pendant que les sections d'infanterie amenaient des blessĂ©s au poste de soin et Ă  l'hĂ´pital, pendant les pauses de tir. Au cours de la matinĂ©e, l'hĂ´pital est Ă©galement transfĂ©rĂ©, sous le feu, dans le complexe zambien. Les tirs se poursuivent par intermittence tout au long de la journĂ©e. La Jordanie se souvient avoir vu des gens « tuĂ©s dans tout le camp »[9]. L'APR a Ă©galement utilisĂ© des armes automatiques, des lance-roquettes et des tirs de mitrailleuses de calibre .50 sur une autre vague de dĂ©placĂ©s internes qui tentait de s'Ă©vader après 17 heures.

Victimes

L'APR commence Ă  enterrer des corps dans la nuit du 22 au [10]. Ă€ l'aube du , le personnel du corps mĂ©dical australien a commencĂ© Ă  dĂ©compter les morts. Quelque 4 200 corps ont Ă©tĂ© trouvĂ©s dans les zones auxquelles ils avaient accès, et ils ont aussi des preuves que d'autres corps avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© emportĂ©s[1] - [7]. Terry Pickard affirme que l'APR a contraint les Australiens Ă  interrompre le comptage « quand ils ont rĂ©alisĂ© ce qui se passait"[11]. Les Australiens ont estimĂ© qu'il y avait encore de 400 Ă  500 corps non dĂ©nombrĂ©s, sans compter ceux dĂ©jĂ  enlevĂ©s. GĂ©rard Prunier postule qu'« une estimation non dĂ©raisonnable » serait de plus de 5 000 morts. Il y a Ă©galement eu de nombreux blessĂ©s, mais moins que lors d'un combat, car la plupart des victimes ont Ă©tĂ© tuĂ©es Ă  bout portant[10].

Le ministre de l'intĂ©rieur Sendashonga a tentĂ© d'atteindre Kibeho le matin du mais a Ă©tĂ© refoulĂ© par l'armĂ©e. Le prĂ©sident Bizimungu est arrivĂ© le mĂŞme après-midi et a appris qu'il y avait eu environ trois cents victimes, ce qu'il a acceptĂ© sans commentaire. Bizimungu a manifestĂ© son mĂ©contentement lorsqu'un officier zambien a tentĂ© de lui prĂ©senter les chiffres de l'unitĂ© australienne[10]. Le gouvernement rwandais et les responsables de l'ONU ont minimisĂ© le nombre de tuĂ©s, donnant des estimations publiques de respectivement 330 et 2 000 tuĂ©s[1] - [7]. Cependant, une sĂ©rie de photos prises par le provost marshal (en) des Nations unies, Mark Cuthbert-Brown, montre une partie de l'Ă©tendue du massacre le matin du , alors que les troupes zambiennes commençaient Ă  dĂ©placer des corps[12].

Conséquences du massacre

Le massacre de Kibeho, et ses suites, ont engendré le début la fracture finale du gouvernement d'unité nationale, créé en . Seth Sendashonga est arrivé à la conclusion que les Hutus étaient collectivement traités comme des meurtriers et fusillés sans procès. Il a continué à se dresser en obstacle pour le FPR, déclarant que les nombreuses personnes arrêtées de Kibeho ne devraient pas être détenues dans des cellules surpeuplées où elles suffoquaient à mort, puis annulant une tentative de la maire de Kigali, Rose Kabuye, de distinguer les résidents actuels de la ville de ceux revenant du Zaïre en codant par couleur leur permis de séjour. Après que la Direction du renseignement militaire (DMI) a divulgué une note à la presse identifiant Sendashunga comme étant lié aux "forces extrémistes", il a dissous les Forces de défense locales (LDF), des groupes mis en place pour remplacer la police mais qui se sont largement transformés en voyous sous la direction de Dirigeants ruraux du FPR. Le Premier ministre Twagiramungu a convoqué une réunion spéciale de sécurité le qui a atteint son apogée après trois jours lorsque Sendashonga, le ministre des Finances Marc Rugenera et le vice-Premier ministre Alexis Kanyarengwe (tous Hutus, qui avaient été publiquement identifiés par le DMI comme étant des traîtres potentiels) ont été rejoints par le ministre tutsi des affaires féminines, Aloisea Inyumba, face à Kagame, en particulier pour sa récente sélection de 117 Tutsis parmi les 145 nouveaux bourgmestres. Kagame a répondu en quittant la salle, mettant ainsi fin à la réunion. Après deux jours, le Premier ministre Twagiramungu a annoncé sa démission mais le président Bizimungu, furieux de la rébellion dans les rangs du gouvernement, a obligé le Parlement à licencier Twagiramungu le . Le lendemain, Sendashonga, ministre des Transports et des Communications, Immaculée Kayumba, ministre de la justice, Alphonse-Marie Nkubito et le ministre de l'Information Jean-Baptiste Nkuriyingoma ont été démis. Sendashonga et Twagiramungu ont été placés en résidence surveillée, mais ont finalement été autorisés à quitter le pays d'ici la fin de l'année. Alors que le gouvernement d'unité nationale s'est manifestement poursuivi jusqu'à la crise présidentielle de 2000, ces événements l'ont détruit à toutes fins pratiques[5].

Voir Ă©galement

  • Liste des massacres au Rwanda (en)

Notes et références

  1. « Rwanda (UNAMIR), 1993 - 1996 », Australian War Memorial Website, Australian War Memorial
  2. . Des témoignages australiens ultérieurs confirment que d'anciennes milices Interahamwe étaient armées et actives dans le camp. Voir par exemple le témoignage de Paul Jordan
  3. Prunier 2009, p. 38.
  4. Le succès du roman Catch 22 fut tel que son titre est entré dans le langage courant anglais et désigne depuis une situation perdant-perdant (inextricable), ou, par extension, une situation kafkaïenne ou encore de double contrainte.
  5. Prunier 2009.
  6. Prunier 2009, p. 39.
  7. « Connor, John: Bravery Under Fire », Wartime, Issue 39, Australian War Memorial. (consulté le )
  8. Prunier 2009, p. 40.
  9. Jordan, « Witness to genocide – A personal account of the 1995 Kibeho massacre », ANZAC Day Commemoration Committee, (consulté le ) Reprinted from the Australian Army Journal.
  10. Prunier 2009, p. 41.
  11. Terry Pickard, Combat Medic: An Australian Eyewitness Account of the Kibeho Massacre, Australia, Big Sky Publishing, , 80–81 p. (ISBN 978-0-9803251-2-6, lire en ligne)
  12. « The Kibeho Tragedy (Rwanda, April-May 1995) through the lens of Mark Cuthbert-Brown », Pbase.com (consulté le ), p. 3

Liens externes

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