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Lucie Baud

Lucie Baud, née le à Saint-Pierre-de-Mésage et morte le à Tullins (Isère), est ouvrière tisseuse en soierie et syndicaliste, à Vizille près de Grenoble, puis à Voiron[2] — communes situées dans le département français de l'Isère.

Lucie Baud
Seule photographie de Lucie Baud connue, non datée[1].
Biographie
Naissance
Décès
Nationalité
Activité

Elle fonde notamment un syndicat d'ouvrières et ouvriers en soierie et organise des grèves afin de faire augmenter les salaires. Elle est également l'auteure d'un témoignage écrit sur la vie et les combats des ouvrières tisseuses de soie de sa région.

Biographie

Enfance et entrée dans le monde du travail

Issue d'une famille de paysans pauvres dans la rĂ©gion grenobloise, Lucie Baud, naĂ®t Lucie Marie Martin (le 23 fĂ©vrier 1870[3] - [4]), Ă  Saint-Pierre de MĂ©sage[5] ; ses parents ont alors 20 et 21 ans et elle est leur premier enfant[5]. Son père, Joseph Martin, possède quelques champs et fait le charron, tandis que sa mère, Émilie Chambaz, est ouvrière dans l'entreprise Durand Frères[5], une usine textile du lieu-dit PĂ©age-de-Vizille — sur la commune de Vizille et Ă  proximitĂ© de Saint-Pierre de MĂ©sage[6].

Lucie Baud va Ă  l'Ă©cole faite par les religieuses, obtient son certificat d'Ă©tudes primaires, puis elle devient ouvrière tisseuse de soie dans l'usine oĂą travaillait sa mère, Ă  l'âge de 12 ans[7] - [5] - [6]. L'usine compte alors environ 600 Ă  800 ouvrières[8] - [9]. Le contexte historique est celui d'un fort dĂ©veloppement et l'industrialisation du tissage de la soie, influencĂ© par les soieries lyonnaises[5] (la rĂ©gion grenobloise est relativement proche de la rĂ©gion lyonnaise) : les usines, mĂ©canisĂ©es, profitent de la force motrice de l'eau des rivières et emploient essentiellement de la main-d’œuvre fĂ©minine issue des campagnes proches ou du PiĂ©mont italien[5]. Ces ouvrières sont souvent logĂ©es dans des internats, sous la houlette de religieuses ; elles vivent dans la pauvretĂ© et avec des repas mĂ©diocres, pour des journĂ©es de 12 Ă  13 heures rĂ©munĂ©rĂ©es Ă  la tâche[5]. Elles doivent surtout surveiller les mĂ©tiers Ă  tisser et rattacher ou remettre en place les fils cassĂ©s ou dĂ©placĂ©s, au rythme des machines[5]. Les procĂ©dĂ©s mĂ©caniques Ă©voluent et les cadences augmentent, d'un cĂ´tĂ©, tandis que la plus grande productivitĂ© permise par les machines est le prĂ©texte de certains employeurs pour diminuer les salaires des ouvrières et ouvriers[5]. Ă€ cette Ă©poque, les jeunes filles ne deviennent souvent ouvrières que pour quelques annĂ©es, jusqu'Ă  ce qu'elles se marient et aient des enfants[5]. Ă€ 18 ans, Lucie Baud entre Ă  l'usine Duplan, Ă©galement Ă  Vizille[8]. Le gĂ©ographe AndrĂ© Allix (1889-1966) indique qu'entre 1890 et 1900, les diffĂ©rentes usines de tissage de soieries de la rĂ©gion de Vizille comptent plus de 1 600 employĂ©s dont 1350 ouvrières et que, par ailleurs, de grands changements ont lieu dans le matĂ©riel sur cette pĂ©riode[10].

Mariage et famille

Elle se marie Ă  21 ans, le , avec Pierre Jean Baud, veuf de vingt ans son aĂ®nĂ©, garde-champĂŞtre de Vizille et dont la famille est voisine des Martin[5]. Les Baud ont alors une rĂ©putation de libre-pensĂ©e — qui a peut-ĂŞtre dĂ©plu aux parents de la mariĂ©e, selon Michelle Perrot[5]. Par ailleurs, ce mariage est aussi pour la jeune femme une petite promotion sociale et le couple habite dans le logement de fonction du garde-champĂŞtre, Ă  Vizille[5]. Trois enfants naissent : Alexandrine (1892-1959), Pierre Auguste (1897-1898) et Marguerite (1900-1922) ; Lucie Baud continue de travailler en usine dans l'entreprise Duplan[5]. Pierre Baud meurt Ă  52 ans, en 1902[5].

Syndicalisme

Lucie Baud est veuve Ă  32 ans, avec trois enfants Ă  charge, et doit quitter le logement de fonction du garde-champĂŞtre[5]. Quatre mois après le dĂ©cès de son mari, elle fonde en le Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille, dont elle devient secrĂ©taire[3] - [6] - [11] - [4] - [5]. Ce syndicat tentera de s'opposer Ă  la diminution des salaires due Ă  la mĂ©canisation des techniques de tissage de la soie.

En , elle est la seule femme à participer en tant que déléguée syndicale au 6e congrès national de l'industrie textile à Reims[11] - [5]. Sa présence est saluée et elle est à la tribune en tant qu'assesseur, mais on ne lui donne pas la parole[5] - [3]. Par ailleurs, lors de ce congrès, le travail des femmes n'est pas abordé[3].

En 1905, elle dĂ©clenche la grève Ă  l'usine Duplan de Vizille[3] - [5] - [12] ; la grève s'Ă©tend Ă  d'autres usines[5] et dure 104 jours (du 6 mars au 30 juin[3]). Le 1e mai, un meeting Ă  Grenoble rassemble plusieurs orateurs, dont Lucie Baud, Eugène David, Louis Ferrier et Alexandre Luquet de la CGT, qui expliquent « le sens de la lutte »[3]. Les tisseuses de soie protestent notamment contre des cadences de travail qui doivent passer de treize Ă  quatorze heures par jour[7]. Les apprenties sont alors au travail dès l'âge de douze ans. Les commerçants, d'abord hostiles Ă  ce mouvement, soutiennent ensuite les quelque 200 grĂ©vistes[5], notamment en les nourrissant. Lucie Baud demande Ă  parler au patron de l'entreprise Duplan, alors sur la CĂ´te d’Azur, ce qui advient avec la mĂ©diation du maire de Vizille dans une entrevue Ă  la mairie rapportĂ©e dans les journaux locaux de l'Ă©poque[5]. Le mouvement de grève Ă©choue, malgrĂ© quelques concessions de l'employeur, et Lucie Baud est licenciĂ©e[5] - [3], comme 150 autres ouvrières[3]. Le syndicat qu'elle avait crĂ©Ă© restera en place malgrĂ© son dĂ©part, jusqu'en 1914[3].

LicenciĂ©e, elle est contrainte Ă  quitter Vizille — avec toutefois un banquet d'hommage et des cadeaux de la part des syndicats ouvriers locaux — et elle embauche Ă  Voiron, Ă  30 km de lĂ [5], dans une usine comptant environ 1500 ouvrières de la soie dont très peu de syndiquĂ©es[8]. Elle joue Ă  nouveau un rĂ´le de premier plan dans la grève de 1906[2] - [3] - [5] - [12], qui s'Ă©tend Ă  la rĂ©gion[8], sans en ĂŞtre la meneuse (ce sont les syndicats) mais en enrĂ´lant les ouvrières italiennes par le biais du militant italien Charles Auda venu de Lyon[5] - [8]. La grève est agitĂ©e et la gendarmerie puis l'armĂ©e viennent occuper Voiron[5] - [13]. Mais cette grève dite du « 1er mai » est un semi-Ă©chec[5] - [8] — apportant toutefois quelques amĂ©liorations aux conditions de travail des femmes dans les soieries dauphinoises, selon le Maitron[3] — et Lucie Baud est Ă  nouveau renvoyĂ©e[5]. DĂ©couragĂ©e, elle fait, en , une tentative de suicide qui la dĂ©figure[14] - [3] - [4] - [8] - [5] ; le journal local qui relaie l'information relève que la population de la ville a de l'estime pour elle et en est Ă©mue[5].

Elle déménage à nouveau et s'installe à Tullins, non loin de Voiron[5]. Les historiens ont peu d'informations sur sa vie ultérieure[8]. Son témoignage sur la vie des ouvrières de la soie dans la région de Vizille paraît en 1908[5].

Mort

Elle meurt à l'âge de 43 ans, le 7 mars 1913[3].

Postérité

Son rôle syndical aurait été oublié sans son témoignage écrit intitulé Les tisseuses de soie dans la région de Vizille, publié en 1908 dans la revue Le Mouvement socialiste[15] - [3] - [5] - [16] d'Hubert Lagardelle — qualifiée de « revue de jeunes intellectuels parisiens, relativement prestigieuse[5] » par l'historienne Michelle Perrot, qui interroge la présence dans ces pages de cet article « simple mais raffiné » écrit par Lucie Baud, parmi des signatures bien plus renommées —, repris intégralement et présenté par Michelle Perrot dans Le Mouvement Social d'octobre- (no 105)[5]. De plus, selon Francine Muel-Dreyfus en 2013, l'article de Lucie Baud est un « témoignage remarquable sur un très important secteur du travail des femmes du Sud-Est du pays jusqu’à la première guerre mondiale et sur les grèves nombreuses qu’il a connues »[8].

Selon Michelle Perrot, Lucie Baud est mentionnée par l'historienne Madeleine Guilbert dans son ouvrage Les femmes et l'organisation syndicale avant 1914 (1966)[5] - [8].

L'un de ses petits-fils a été combattant du Vercors durant la seconde guerre mondiale[5].

Filmographie

Notes et références

  1. Marina Blanc, « Lucie Baud, la « révoltée de la soie » », sur Le Dauphiné libéré, (consulté le ).
  2. Gautier 1996, p. 105
  3. Notice biographique « Lucie Baud », dictionnaire Le Maitron, consulté en ligne le 23 février 2015
  4. Marie Chaudey, « Michelle Perrot : « Abolir la domination masculine, voilà le défi du XXIe siècle » », sur La Vie.fr, (consulté le )
  5. Cf. Michelle Perrot, « Femmes en grève : Lucie Baud (1870-1913), tisseuse en soie de l’Isère » (2016).
  6. Marina Blanc, « Lucie Baud, la “révoltée de la soie” », sur ledauphine.com, (consulté le ).
  7. Didrick Pomelle, « Le combat oublié de Lucie Baud », sur lhistoire.fr, (consulté le ).
  8. Francine Muel-Dreyfus, « Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière, Bernard Grasset, coll. « Nos héroïnes », Paris, 2012, 186 pages », Travail, genre et sociétés, no 29,‎ , p. 234-236 (lire en ligne)
  9. « Lucie Baud, l’humanisme au poing », sur L'Obs, (consulté le )
  10. André Allix, « Vizille et le bassin inférieur de la Romanche. Essai de monographie régionale », Revue de Géographie Alpine, vol. 5, no 2,‎ , p. 293-294 (DOI 10.3406/rga.1917.4704, lire en ligne, consulté le )
  11. Kathleen Evin, « Michelle Perrot du 30 octobre 2012 - France Inter », Notice concernant l'ouvrage Mélancolie ouvrière de Michelle Perrot et lien vers l'émission radiophonique liée, sur www.franceinter.fr, (consulté le )
  12. L'Histoire par les femmes, « Lucie Baud, ouvrière révoltée », sur L'Histoire par les femmes, (consulté le )
  13. « La grande grève de 1906 », sur www.ledauphine.com, (consulté le )
  14. Cf. Michelle Perrot, Le témoignage de Lucie Baud, ouvrière en soie.
  15. Cf. Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière.
  16. Jacques Julliard, « Moi, Lucie B., 43 ans, ouvrière, suicidée », sur www.marianne.net, 2012-11-17utc10:00:00+0200 (consulté le )
  17. Auriane Guerithault, « Ce soir à la télé. Itinéraire d’une ouvrière oubliée : Entretien. Le film Mélancolie ouvrière, adapté de l’essai de l’historienne Michelle Perrot, retrace le parcours de Lucie Baud. » (Entretien), Ouest-France,‎ (lire en ligne)

Annexes

Bibliographie

  • Michelle Perrot, « Le tĂ©moignage de Lucie Baud, ouvrière en soie », Le Mouvement social, Paris, Éditions de l'Atelier, no 105 « Travaux de femmes dans la France du XIXe siècle »,‎ , p. 139-146 (JSTOR 3777555)
  • Lucie Baud, « Les tisseuses de soie dans la rĂ©gion de Vizille », Lucie Baud. L'action d'une ouvrière pour amĂ©liorer les conditions de travail dans les usines de la soie au tournant du XXe siècle. [PDF], sur www.unige.ch, SĂ©quences didactiques EDHICE - Équipe de didactique de l'histoire et de la citoyennetĂ© - UNIGE, UniversitĂ© de Genève,
  • AndrĂ©e Gautier, Les ouvrières de la soie dans le Bas-DauphinĂ© sous la Troisième RĂ©publique, vol. 2-4, Grenoble, coll. « Le Monde alpin et rhodanien. Revue rĂ©gionale d'ethnologie », , 348 p., PDF (DOI 10.3406/mar.1996.1599, lire en ligne), p. 89-105
  • GĂ©rard Mingat, « Lucie Baud (1870-1913). Une ouvrière en soierie du pays vizillois », MĂ©moire. La revue des Amis de l’histoire du pays vizillois, , p. 35-54
  • Michelle Perrot, MĂ©lancolie ouvrière, coll. « Nos hĂ©roĂŻnes », Paris, Grasset, 2012, 185 p.
  • Michelle Perrot (historienne, professeure Ă©mĂ©rite Ă  l'universitĂ© Paris VII-Denis Diderot), « Femmes en grève : Lucie Baud (1870-1913), tisseuse en soie de l'Isère », Dynamiques - Histoire sociale en revue,‎ (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

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