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Lecture rapide

La lecture rapide est présentée par ses défenseurs comme une technique censée accélérer la vitesse de lecture, qui consisterait principalement à éduquer le regard et à limiter la subvocalisation. Elle ne vise pas les apprentissages initiaux de la lecture (jeunes enfants ou adultes analphabètes). Elle peut être complétée par d'autres techniques, comme la lecture dite « en diagonale ». La lecture rapide s'adresse aux lecteurs qui souhaitent soit améliorer leurs performances, soit remédier à des difficultés (lexique, classification, prises d'indice, identification structurelle, etc.).

Lecture sur un support informatique.

Aucune des techniques utilisées par la lecture rapide n'est validée par l'expérimentation scientifique, au contraire l'inefficacité de certaines d'entre elles a été démontrée.

MĂ©thodes

Pour la langue française, les techniques de lecture rapide sont défendues par l'Association française pour la lecture[1].

Elles s'appuient toutes sur :

  • une lecture rapide et rĂ©gulière, Ă©vitant la subvocalisation (on ne prononce pas mentalement les mots qu'on lit, mais on apprĂ©hende directement le sens de groupes de mots ou phrases) ;
  • des techniques de concentration mentale et d’éducation du regard, visant Ă  :
    • augmenter le nombre de lettres perçues simultanĂ©ment (l'« empan visuel »),
    • limiter les mouvements inutiles de l'Ĺ“il (retours en arrière, divagation…),
    • amĂ©liorer la prĂ©cision et la vitesse du pointage de l'Ĺ“il et le dĂ©lai de retour Ă  un point recherchĂ©, cela pour faciliter une lecture par groupe de mots, voire par lignes entières ou par paquets de lignes (dans le cas d'un texte en colonne). L'oculomĂ©trie cognitive est utilisĂ©e pour l'Ă©tude des performances de lecteurs ;
  • des stratĂ©gies de repĂ©rage, Ă©crĂ©mage (dĂ©tection de mots clefs porteurs d'information), lecture en diagonale, anticipation et tri en fonction de questions qu'on se pose avant lecture et en cours de lecture.

Détecter et retenir l’important

Les stratégies de repérage permettent à un « lecteur expert » d'appréhender les idées-forces, mots et passages importants d'un texte bien plus rapidement que par une lecture à voix haute, ou silencieuse mais en « mot à mot ». La méthode ne se substitue pas à une lecture approfondie des passages techniques ou complexes, ni n'interdit une lecture lente, par exemple de textes poétiques, de romans, etc.

Empan visuel

Exercice d’entraînement oculaire.

Le texte doit être placé à une distance optimale de l’œil, pour englober des groupes importants de mots sans devoir faire de longs retours à la ligne. La pause de l'œil lorsqu'il « photographie » un mot ou groupe de mot est dite point de fixation. La mesure du nombre de lettres perçues simultanément est nommée empan.

Les partisans de la lecture rapide pensent qu'il est possible d'agrandir cet empan visuel. Selon eux, un lecteur lent fixerait cinq à dix lettres par point de fixation, tandis qu'un « lecteur rapide » en fixerait plus d'une vingtaine. Dans l'illustration proposée ci-contre, un lecteur lent aura tendance à focaliser son regard sur chacun des chiffres clignotants. Un lecteur rapide lui, ayant supposément élargi son empan visuel, se sera habitué à percevoir chacun de ces chiffres tout en focalisant son regard sur le centre de l'image. Cette hypothèse est cependant contestée.

Évaluations scientifiques

Les critiques et les études scientifiques de ces méthodes sont nombreuses[2]. Aucune donnée scientifique ne permet d'établir un bénéfice réel de la lecture rapide. Il s'agirait essentiellement d'une escroquerie intellectuelle[3].

Augmentation de l'empan visuel

Les techniques de lecture rapide reposent sur un élargissement du champ visuel. Or, l'empan visuel ne peut pas s’agrandir. L'œil humain n'est capable de différencier les lettres que sur une zone très petite du champ de vision qui correspond à la fovéa, limitée à quatre ou cinq lettres. Il s'agit d'une limite physiologique, indépassable. Cette considération réfuterait la quasi-totalité des techniques de lecture rapide, qui reposent sur un élargissement de l'unité de base. L'existence d'une vision para-fovéale ne changerait rien à cela, celle-ci n'ayant qu'un effet mineur sur la lecture.

La différence entre un lecteur rapide et un lecteur lent réside dans une meilleure planification des saccades oculaires[4], qui gère mieux :

  • la durĂ©e des saccades oculaires (le temps mis pour bouger l’œil) ;
  • le temps entre deux saccades (le temps de reconnaissance de l'unitĂ© de base lue) ;
  • le nombre de retours en arrière (le nombre d'erreurs de planification des saccades).

Un lecteur expert a des fixations d'une durĂ©e de 100 millisecondes, tandis qu'un lecteur lent atteint environ 500 millisecondes[4]. Cette diffĂ©rence proviendrait de la rapiditĂ© Ă  identifier les lettres ou groupes de lettres, qui est supĂ©rieure chez l'expert (en raison de l'amorçage perceptif)[3]. Ce temps de fixation dĂ©pend des mots, ceux qui ne s'Ă©crivent pas comme ils se prononcent demandant plus de temps pour ĂŞtre identifiĂ©s.

Suppression de la subvocalisation

Effet de la subvocalisation sur la mémoire, d'après Slowiaczek et Clifton, 1980[5].

Aucune expérience n'a pu prouver les effets de la suppression de la subvocalisation sur la vitesse de lecture. Supprimer celle-ci n'aurait donc pas d'effet observable[6].

Effets sur la compréhension

Les résultats expérimentaux sur l'efficacité de la technique du « scannage » (ne lire que les parties essentielles du texte) varient beaucoup suivant les études : la majorité trouve un effet délétère, tandis que d'autres études plus rares n'en trouvent pas[4].

Dans certaines expériences, la subvocalisation permet d'améliorer la compréhension du texte lu[7]. La subvocalisation a aussi un effet facilitateur sur la mémorisation[5].

Selon Ronald P. Carver en 1999, l'usage du scannage peut réduire de plus de 50 % la compréhension d'un texte[8].

Au contraire, certaines études semblent montrer un effet positif du « scannage » sur la compréhension. Duggan et Payne (2009) ont donné à des lecteurs un temps limité pour lire un texte et ont comparé le « scannage » (lecture rapide) à la lecture normale[9]. Ils relèvent que les points importants d’un texte ont été mieux compris après un scannage qu’après une lecture normale du texte. Ils constatent également qu’il n’y a pas de différence entre les deux groupes pour l’information moins importante.

MĂ©thodes commerciales

Diverses méthodes commerciales de lecture rapide ont été développées et enseignées.

Reading Dynamics

L'Américaine Evenlyn Wood développe un programme d'entraînement pour éviter la subvocalisation. Elle est d'ailleurs celle qui a popularisé le terme anglais de « speed reading » (littéralement « lecture rapide »).

PhotoReading

Learning Strategies Corporation lance en 1985 un produit, PhotoReading, ayant pour slogan « PhotoRead at 25,000 words a minute » (« PhotoLisez Ă  25 000 mots par minute ») et prĂ©sentĂ© comme la mĂ©thode de lecture la plus vendue aux États-Unis[10]. Elle est commercialisĂ©e en France sous le nom de Photolecture. Paul Scheele, cofondateur de Learning Strategies, et l'entreprise Subliminal Dynamics se disputent la paternitĂ© du produit, la dernière dĂ©clarant que Scheele a appris cette mĂ©thode durant l'un de ses sĂ©minaires[11].

Cette méthode elle aussi insiste sur l'apprentissage de la non-subvocalisation. Elle fait également référence à la programmation neuro-linguistique, considérée dans de nombreux domaines universitaires comme une pseudo-science[12] - [13].

Une étude de la NASA intitulée Preliminary Analysis of PhotoReading (« Analyse préliminaire de PhotoReading ») déclare que la vitesse de lecture annoncée dans les publicités de Learning Strategies n'ont jamais été observées, que la vitesse des lecteurs utilisant cette méthode est semblable à celle d'un lecteur traditionnel, voire plus lente, lenteur accompagnée d'une diminution de la compréhension du texte[14].

Histoire

Claude-François Lizarde de Radonvilliers, en France en 1768, semble être le premier à créer (pour les enfants du roi dont il a été nommé sous-précepteur) une méthode associant la forme d'un mot calligraphé à une image représentant son sens, avant d'enseigner à déchiffrer et à associer les syllabes pour en recomposer le son qui doit évoquer le sens du mot (si on l'a appris).

  • 1787 : Nicolas Adam, en France, insiste sur le fait que le tout et la forme sont perçus avant le dĂ©tail et qu'il faut commencer les apprentissages par des approches globales avant de passer aux dĂ©tails (Ă  la dĂ©composition des mots dans le cas de la lecture).
  • 1800 : les typographes notent que l'on capte globalement mieux et plus vite les formes associant des fontes de caractères connues et que cette captation est bien moins rapide pour des caractères Ă©crits dans des fontes inconnues, facilement jugĂ©es laides par le lecteur. Les typographies deviennent des modèles dĂ©posĂ©s qui se vendent d'un pays Ă  l'autre et les crĂ©ateurs rivalisent d'originalitĂ© ou de finesse dans l'amĂ©lioration de l'existant.
  • 1843 : Leclerc, un notaire français, remarque que le lecteur expĂ©rimentĂ© anticipe et devine plus qu'il ne lit rĂ©ellement mot Ă  mot. Un fragment de mot suffit souvent Ă  la comprĂ©hension, dans le contexte du sens global de la phrase et du texte. Il dĂ©montre que tout lecteur expĂ©rimentĂ© peut lire Ă  une vitesse presque normale en ne disposant que de la partie supĂ©rieure des lignes (en effaçant la moitiĂ© infĂ©rieure d'une ligne, le texte reste parfaitement et rapidement lisible, sauf s'il est Ă©crit entièrement en majuscules. Leclerc contribue aux thĂ©ories de la lisibilitĂ© typographique qui suivront. Avec humour, il propose de supprimer la partie basse de chaque lettre, ce qui diviserait par deux le volume des livres et les frais d’impression[15].
  • 1848 : le mĂ©decin psychologue genevois Édouard Claparède s'intĂ©resse Ă  la psychologie de l’enfant et Ă  la psychologie de l’intelligence, dĂ©finissant trois actes principaux impliquĂ©s dans la connaissance humaine : vue gĂ©nĂ©rale et confuse d'un tout (syncrĂ©tisme) ; vue distincte et analytique des parties ; recomposition synthĂ©tique du tout, sur la base des connaissances apportĂ©es par les parties.
  • 1878 : le docteur Émile Javal (ophtalmologue, directeur du laboratoire d'ophtalmologie de l'universitĂ© de la Sorbonne) note que l'Ĺ“il posĂ© sur un mot ou un petit groupe de mots n'a besoin que d'un quart Ă  un tiers de seconde pour permettre Ă  l'esprit d'apprĂ©hender le sens de ces mots et qu'il ne lui faut qu'un quarantième de seconde pour passer au groupe (champ visuel) suivant. L'entraĂ®nement permet Ă  un lecteur expĂ©rimentĂ© d'apprĂ©hender des groupes de mots de plus en plus importants (de la mĂŞme manière qu'un chef d'orchestre a appris Ă  lire plusieurs lignes et portĂ©es en mĂŞme temps).
  • 1905 : poursuivant ses travaux, le docteur Javal conclut que l’œil fonctionne par des mouvements de saccade et qu’il reconnaĂ®t les lettres par leurs diffĂ©rences globales sans analyser chaque lettre dans le dĂ©tail. Il dessine un caractère plus rapidement lisible dans lequel il accentue les lettres aux endroits qu’il juge importants pour la vision et il montre ainsi que les formes les plus simples ne sont pas forcĂ©ment les mieux lisibles, car elles occasionnent plus de risques de confusion entre lettres.
  • 1923 : le Suisse Jean Piaget dĂ©veloppe la mĂ©thode globale de Radonvilliers.
  • 1930 : aux États-Unis, le docteur William H. Bates cherche Ă  comprendre l'accommodation et constate que la vision change selon l'Ă©tat psychique et la concentration de chacun et qu'un comportement visuel conscient et optimal peut amĂ©liorer la presbytie, la myopie, l'astigmatisme, l'hypermĂ©tropie, le strabisme chez les enfants et les adultes sans recourir aux lunettes. De mĂŞme, un lecteur peut volontairement, s'il s'entraĂ®ne, utiliser et associer des stratĂ©gies et techniques variĂ©es de lectures, plus ou moins performantes pour la vitesse de lecture, la comprĂ©hension et la mĂ©morisation du contenu. Il identifie des moyens d'Ă©largir le champ visuel en Ă©tant conscient de la vision pĂ©riphĂ©rique.
  • 1936 : le Belge Ovide Decroly promeut et expĂ©rimente une mĂ©thode donnant d'abord de l'importance Ă  l'oral pour ensuite conduire le lecteur vers l'Ă©crit. Il insiste sur l'importance des objectifs et stratĂ©gies associĂ©es que le lecteur peut et doit se fixer pour retirer l'information d'un texte.
  • 1940 : l'armĂ©e amĂ©ricaine donne des cours de lecture rapide Ă  ses officiers, alors que la mĂ©thode a toujours Ă©tĂ© utilisĂ©e avec des enfants.
  • 1959 : l'AmĂ©ricaine Evenlyn Wood crĂ©e une mĂ©thode de lecture rapide et fonde le Dynamic Reading Institute[16]. Venue rendre son mĂ©moire de 80 pages, elle est sidĂ©rĂ©e par la vitesse Ă  laquelle son professeur le parcourt — une dizaine de minutes — et la qualitĂ© de ses remarques. Elle fait de l'enseignement de cette compĂ©tence sa vocation.
  • 1968 : François Richaudeau s’intĂ©resse Ă  la lecture rapide et Ă  la lisibilitĂ© des textes pour les rendre plus compatibles avec une certaine capacitĂ© naturelle Ă  saisir rapidement des groupes de lettres, chiffres ou de mots.
  • 1985 : Paul Scheele crĂ©e la photolecture.

Activité sportive

Un championnat de France de lecture rapide se dĂ©roule depuis 2017[17]. Un championnat du monde a Ă©galement lieu[18] ; le champion en 2018 lisait environ 700 mots par minute[19].

En 2007 la Britannique Anne Jones a lu Harry Potter et les reliques de la mort en 47 minutes, ce qui constitue un record de 4 251 mots Ă  la minute[20].

Notes et références

  1. « Historique de l'AFL », Association française pour la lecture.
  2. Alain Lieury (dir.), Psychologie pour l'enseignant, Dunod, coll. « Manuels visuels de Licence », , 448 p. (ISBN 9782100533725, DOI dunod.lieur.2010.01, présentation en ligne), p. 33, sur Cairn.info .
  3. Julien Hernandez, « Enquête : que dit la science sur la lecture rapide ? », sur Futura, (consulté le ).
  4. (en) Rayner, Eye movements in reading and information processing. 20 years of research [PDF], 1998.
  5. (en) Maria L. Slowiaczek et Charles Clifton, « Subvocalization and reading for meaning », Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, vol. 19, no 5,‎ , p. 573–582 (ISSN 0022-5371, DOI 10.1016/S0022-5371(80)90628-3, lire en ligne, consulté le ).
  6. (en) Ronald P. Carver, Reading Rate: A Comprehensive Review of Research and Theory, Academic Press, , 540 p. (ISBN 978-0121624200).
  7. (en) Keith Rayner et Alexander Pollatsek, The Psychology of Reading, Routledge, (ISBN 978-0-203-35779-8, DOI 10.4324/9780203357798/psychology-reading-keith-rayner-alexander-pollatsek, présentation en ligne).
  8. (en) Ronald P. Carver, « Reading rate: Theory, research and practical implications », Journal of Reading, vol. 36, no 2,‎ , p. 84–95 (ISSN 0022-4103).
  9. (en) Duggan et Payne Text Skimming: The Process and Effectiveness of Foraging Through Text under Time Pressure [PDF], 2009.
  10. « PhotoReading », Learning Strategies (consulté le ).
  11. « Consumer Alert — Official statement about Learning Strategies Corporation », sur Subliminal Dynamics (consulté le ).
  12. Carroll RT, « neuro-linguistic programming (NLP) », The Skeptic's Dictionary, (consulté le )
  13. (en) B.L. Beyerstein, « Brainscams: Neuromythologies of the New Age », International Journal of Mental Health, vol. 19, no 3,‎ , p. 27–36 (27) (lire en ligne).
  14. (en) Danielle S. McNamara, Preliminary Analysis of Photoreading, NASA Technical Report Server, coll. « Behavorial sciences », (résumé, lire en ligne) :
    « These results clearly indicate that there is no benefit to using the PhotoReading technique. The extremely rapid reading rates claimed by PhotoReaders were not observed; indeed the reading rates were generally comparable to those for normal reading. Moreover, the PhotoReading expert showed an increase in reading time with the PhotoReading technique in comparison to normal reading. This increase in reading time was accompanied by a decrease in text comprehension. These results were found for two standardized tests of text comprehension and for three matched sets of expository texts. »
  15. Voir à ce sujet Olivier Nineuil, « Ladislas Mandel, explorateur de la typo française », Étapes graphiques, no 55,‎ (lire en ligne [PDF], consulté le )..
  16. (en) Tony Buzan, The speed reading book, BBC, 2010.
  17. Le championnat de France de Lecture Rapide, sur Passiondapprendre.com (consulté le 10 janvier 2022).
  18. Nicolas LISIAK, « Championnat du monde de Lecture Rapide et de Mind Mapping 2019 », sur Passion d'Apprendre, (consulté le ).
  19. « Mohamed Koussa, champion du monde de lecture rapide : Non, ce n' est pas un don. », L'Équipe.
  20. Tony Buzan, La lecture rapide, Ă©d. Eyrolles, 2012, p. 6.

Voir aussi

Liens externes

Articles connexes

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