Le Paysan de Paris
Le Paysan de Paris est un ouvrage de Louis Aragon publiĂ© aux Ăditions Gallimard en 1926 et dĂ©diĂ© au peintre surrĂ©aliste AndrĂ© Masson. Le livre se compose de quatre textes : « PrĂ©face Ă une mythologie moderne », « Le Passage de lâOpĂ©ra », « Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont » et « Le Songe du paysan », le premier et le dernier faisant respectivement figure dâintroduction et de conclusion.
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GenĂšse du texte
Le Paysan de Paris est rĂ©digĂ© entre 1923 et 1926[1]. Avant la publication de lâouvrage complet, les textes « PrĂ©face Ă une mythologie moderne », « Le Passage de lâOpĂ©ra » et « Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont » paraissent sous forme de feuilleton entre et octobre 1925 dans La Revue EuropĂ©enne dirigĂ©e par Philippe Soupault[2]. En , une douzaine d'aphorismes du « Songe du Paysan » sont publiĂ©s dans la revue La RĂ©volution SurrĂ©aliste[3]. Alors quâAragon rĂ©dige Le Paysan de Paris, le premier Manifeste du surrĂ©alisme dâAndrĂ© Breton est publiĂ© en .
Pendant la rĂ©daction du Paysan de Paris, Aragon se trouve dans une situation personnelle particuliĂšre : aprĂšs avoir quittĂ© dĂ©finitivement ses Ă©tudes de mĂ©decine en 1922, lâĂ©crivain vit deux amours profondes. Il tombe d'abord amoureux de Denise LĂ©vy entre 1923 et 1924[4]. Ensuite, entre 1924 et 1925, il entretient une relation amoureuse avec Eyre de Lanux[5], immortalisĂ©e Ă travers la figure de la « Dame des Buttes-Chaumont »[6] et Ă©voquĂ©e dans « Le Songe du Paysan »[7].
La position dâAragon dans le panorama littĂ©raire de lâĂ©poque nâest pas moins complexe : bien que Le Paysan de Paris sâinscrive dans le cadre surrĂ©aliste, Aragon garde une position instable par rapport au groupe[8], en se prĂ©sentant comme « Ă©crivain libre »[9]. Une allusion Ă la distance dâAragon vis-Ă -vis du groupe surrĂ©aliste est repĂ©rable dans Le Paysan de Paris[10] : « c'est lĂ que je commençai Ă sentir un peu mieux la grandeur d'un trĂšs petit nombre de ces compagnons d'habitude, et la mesquinerie de la plupart[11] ».
Une fois publiĂ©, Le Paysan de Paris est mal accueilli, par la critique comme par le public. La rĂ©probation vient aussi des surrĂ©alistes : Ă©voquant sa premiĂšre lecture de l'ouvrage au groupe, Aragon parle dâun « dĂ©luge de mots indignĂ©s »[12].
Le Paysan de Paris, aujourdâhui considĂ©rĂ© comme « ouvrage dâorientation »[13] est pour Aragon l'occasion d'un exercice de recherche de nouveaux horizons linguistiques[14].
Le Paysan de Paris et la poĂ©tique dâAragon
Le Paysan de Paris relate la promenade poĂ©tique du jeune Aragon dans le Paris des annĂ©es â20. LâĂ©crivain, Ă la quĂȘte du « merveilleux quotidien », adopte le regard naĂŻf dâun paysan qui dĂ©couvre les lieux emblĂ©matiques de la capitale française, riche en mystĂšre et en suggestions. Dans « Le Passage de lâOpĂ©ra », Aragon fournit une description dĂ©taillĂ©e et onirique du passage Ă©ponyme, vouĂ© Ă disparaĂźtre en 1925. « Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont » retrace la balade nocturne de lâĂ©crivain avec ses amis AndrĂ© Breton et Marcel Noll dans le cĂ©lĂšbre parc parisien[15].
Un genre incertain
Difficile à classer, Le Paysan de Paris est un ouvrage au genre incertain[16] : riche en images lyriques, la prose du livre cache des éléments poétiques, comme des anaphores, des vers blancs (dont des alexandrins) et des associations phoniques[17]. Ce passage, consacré à la blondeur et relevé par Michel Meyer en témoigne :
« Jâai mordu tout un an des cheveux de fougĂšre. Jâai connu des cheveux de rĂ©sine, des cheveux de topaze, des cheveux dâhystĂ©rie. Blond comme lâhystĂ©rie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser [âŠ] »
â Louis Aragon 1972, p. 51.
Dans Le Paysan de Paris, les descriptions rĂ©alistes et dĂ©taillĂ©es anticipent ainsi lâessor du lyrisme : ces lignes dĂ©diĂ©es Ă la blondeur suivent par exemple la description de la rĂ©volte des commerçants du Passage de lâOpĂ©ra[18]. Aragon se sert du rĂ©alisme pour le dĂ©passer et aboutir Ă une dimension inconnue et poĂ©tique[19].
L'esthétique du collage
La juxtaposition de rĂ©fĂ©rences littĂ©raires (par exemple, lâallusion aux poĂšmes de Baudelaire « Ă une passante » et « Les phares »)[20], dâexercices de pastiche ou plagiat[21], de mĂ©ditations philosophiques[21], dâĂ©lĂ©ments variĂ©s (publicitĂ©s, affiches, jeux typographiques) [21]et de dialogues contribuent au caractĂšre hĂ©tĂ©rogĂšne du Paysan de Paris[21]. InspirĂ© du mouvement Dada, le collage dâĂ©lĂ©ments rĂ©pond au refus de tout type de classification de la part dâAragon[22]. LâĂ©crivain trouve « infimes » [23] les distinctions entre les genres: « poĂ©sie, roman, philosophie, maxime, tout m'est Ă©galement paroles »[23] affirme-t-il ainsi.
Cette hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© se retrouve dans les mentions par Aragon d'autres genres artistiques tels que le thĂ©Ăątre[24] ou le cinĂ©ma[25]. En exploitant les effets de dĂ©composition du mouvement dans lâĂ©criture, Luc Vigier souligne ainsi que Le Paysan de Paris fait notamment rĂ©fĂ©rence au cinĂ©ma scientifique[26] : « Ce sont les clients du tailleur, je les vois dĂ©filer comme si jâĂ©tais un de ces appareils de prises de vues au ralenti qui photographient le gracieux dĂ©veloppement des plantes » Ă©crit Aragon[27].
Aragon cherche de fait Ă saisir lâĂ©trangetĂ© de la rĂ©alitĂ© moderne[28] : « Ce sont ces contraires mĂȘlĂ©s qui peuplent notre vie, qui lui donnent la saveur et lâenivrement. Nous nâexistons quâen fonction de ce conflit, dans la zone oĂč se heurtent le blanc et le noir[29] ».
Les effets de rupture induits par les diffĂ©rentes formes de collage actualisent le texte en reproduisant le rythme de la dĂ©ambulation dans la ville avec ses arrĂȘts[30]. Par lâirruption dâune hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, le texte Ă©labore une nouvelle forme de cohĂ©rence et devient une mĂ©taphore de la flĂąnerie dans les rues de la ville qui est « transcrite » et non plus « dĂ©crite »[31].
Paris et la mythologie moderne
Paris est donc pour Aragon le laboratoire dâune mythologie moderne[32], qui « se noue et qui se dĂ©noue »[29] au fur et Ă mesure que lâĂ©crivain en explore les lieux emblĂ©matiques. La topographie sert de « tremplin de l'imaginaire »[33] qui rend possible la perception du merveilleux quotidien. Dans la ville, devenue forme poĂ©tique elle-mĂȘme[34], lâĂ©crivain recherche le mythe dans la rĂ©alitĂ© la plus concrĂšte et dans le contemporain[35]. Insaisissables et Ă©phĂ©mĂšres, ces Ă©lĂ©ments assument des significations poĂ©tiques et mythologiques[36] : « la notion, ou connaissance du concret, est donc lâobjet de la mĂ©taphysique. Câest Ă lâapercevoir du concret que tend le mouvement de lâesprit »[37] .
Contrairement Ă la mythologie ancienne, la mythologie moderne sâappuie donc sur des objets concrets, quotidiens et, par consĂ©quent, pĂ©rissables[38]. Leur caractĂšre temporel permet la rĂ©vĂ©lation dâune rĂ©alitĂ© inconnue et dĂ©voile la dimension Ă©phĂ©mĂšre et transitoire de lâhomme et du monde[38], comme l'Ă©voque le narrateur du Paysan de Paris :
La soudainetĂ© de la rĂ©vĂ©lation du sens mythique et ses implications dans le corps mĂȘme du sujet sont reprĂ©sentĂ©es ici par Aragon Ă travers la mĂ©taphore du frisson, reprise dans le passage suivant[39] :
« Ainsi sollicitĂ© par moi-mĂȘme dâintĂ©grer lâinfini sous les apparences finies de lâunivers, je prenais constamment lâhabitude dâen rĂ©fĂ©rer Ă une sorte de frisson, lequel mâassurait de la justesse de cette opĂ©ration incertaine[40]. »
La poĂ©sie, les images et lâamour sont donc des voies privilĂ©giĂ©es pour accĂ©der au sens mythique du concret dans la rĂ©alitĂ© contemporaine[41]. Lâabsence de lumiĂšre naturelle et les spĂ©cificitĂ©s des lieux parisiens choisis par le poĂšte favorisent cet essor de la dimension inconsciente: le passage, en tant que lieu intermĂ©diaire; le jardin, en tant que lieu dâexpĂ©rience enfantine puis amoureuse[42].
Le langage comme lieu d'expérimentation
Le langage joue un rĂŽle actif dans le sentiment dâemportement[43] : l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© du genre, le collage dâĂ©lĂ©ments, lâĂ©criture comme dĂ©ambulation, les descriptions Ă la fois minutieuses et oniriques, le lyrisme des images subordonnĂ©es Ă la prose et lâoralitĂ© puissante sont une voie dâaccĂšs Ă lâinconscient et Ă la rĂ©vĂ©lation de la dimension inconnue et infinie de la rĂ©alitĂ©[44]. Ă travers la recherche dâun nouveau langage « du polymorphe, de la mĂ©tamorphose et par consĂ©quent de lâĂ©phĂ©mĂšre »[45], Aragon accomplit un exercice de style : « un pareil ouvrage mĂ©riterait bien le nom dâexercice, voire dâessai expĂ©rimental, dont lâenjeu pourrait ĂȘtre de âpiĂ©tinerâ les frontiĂšres et les styles pour faire accĂ©der le livre Ă mille voisinages inĂ©dits »[46] .
Publications
- Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Ăditions Gallimard, (1re Ă©d. 1926).
- Aragon, Le Paysan de Paris, Ăditions Gallimard, coll. « Folio » (no 782), .
- Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Le Livre de poche, .
- Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Ăditions Gallimard, coll. « BibliothĂšque Gallimard » (no 137), .
- Aragon, « Le Paysan de Paris », dans Ćuvres poĂ©tiques complĂštes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », .
Adaptation
En 2013, Le Paysan de Paris, sous son titre original, a été adapté et mis en scÚne par Sarah Oppenheim à la Maison de la Culture 93 de Bobigny[47] - [48].
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Louis Aragon, Je nâai jamais appris Ă Ă©crire ou les incipit, Albert Skira, GenĂšve, 1969, re-Ă©dition Flammarion, Paris, 1981
- Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Ăditions Gallimard, coll. « Folio » (no 782), .
- Louis Aragon, Projet d'histoire littéraire contemporaine, Paris, Gallimard,
- Louis Aragon, Ćuvres poĂ©tiques complĂštes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », .
- Olivier Barbarant, La mémoire et l'excÚs, Ceyzérieu, Champ Vallon,
- Olivier Barbarant, « Chronologie », dans Aragon, Ćuvres PoĂ©tiques ComplĂštes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », .
- Daniel Bougnoux, « Le Paysan de Paris, notice », dans Aragon, Ćuvres PoĂ©tiques ComplĂštes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », .
- Daniel Bougnoux, Aragon, la confusion des genres, Paris, Gallimard, . .
- Philippe Forest, Aragon, Paris, Ăditions Gallimard, .
- Jean Decottignies, Lâinvention de la poĂ©sie (Breton, Aragon, Duchamp), Lille, Presses universitaires de Lille, .
- Yvette Gindine, Aragon prosateur surréaliste, GenÚve, Librairie Droz, .
- Kiyoko Ishikawa, Paris dans quatre textes narratifs du surrĂ©alisme : Aragon, Breton, Desnos, Soupault, Paris, LâHarmattan, . .
- Michel Meyer, Le Paysan de Paris dâAragon, Paris, Ăditions Gallimard, . .
- Nathalie Piegay-Gros, J. ChĂ©nieux-Gendron (dir.) et Y. VadĂ© (dir.), « Le âSens mythiqueâ dans le Paysan de Paris », dans PensĂ©e mythique et surrĂ©alisme (actes du colloque de Cerisy), Lachenal et Ritter, coll. « Pleine marge » (no 7), (prĂ©sentation en ligne).
- Nathalie Piegay-Gros, LâesthĂ©tique dâAragon, Paris, Ăditions SEDES, .
- Luc Vigier, Aragon et le cinéma, Paris, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, coll. « Le cinéma des poÚtes », . .
Notes et références
- Barbarant Olivier 2007, p. LIX-LXVI.
- Olivier Barbarant 2007, p. LXVI.
- Daniel Bougnoux 2007, p. 1247.
- Olivier Barbarant 2007, p. LX.
- Olivier Barbarant 2007, p. LXII.
- Louis Aragon 2007, p. P. LXII.
- Louis Aragon 1972, p. 240-241.
- Daniel Bougnoux 2007, p. 1260.
- Michel Meyer 2001, p. 17.
- Daniel Bougnoux 2007, p. 1270.
- Louis Aragon 1972, p. 33.
- Louis Aragon 1981, p. 53.
- Daniel Bougnoux 2007, p. 1249.
- Michel Meyer 2001, p. 11.
- Michel Meyer 2001, p. 14-15.
- Louis Aragon 2007, p. 1249.
- Michel Meyer 2001, p. 35-37.
- Michel Meyer 2001, p. 34.
- Philippe Forest 2015, p. 219.
- Louis Aragon 1972, p. 12, 20.
- Michel Meyer 2001, p. 45-50.
- Nathalie Piegay-Gros 1997, p. 121-122.
- Louis Aragon 1994, p. 146.
- Daniel Bougnoux 2012, p. 81.
- Luc Vigier 2015.
- Luc Vigier 2015, p. 55-56.
- Louis Aragon 1972, p. 59.
- Nathalie Piegay-Gros 1996, p. 75.
- Louis Aragon 1972, p. 15.
- Michel Meyer 2001, p. 24, 25.
- Kiyoko Ishikawa 1998, p. 155.
- Philippe Forest 2015, p. 222.
- Yvette Gindine 1966, p. 58.
- Olivier Barbarant 1997, p. 198.
- Nathalie Piegay-Gros 1997, p. 115-116.
- Nathalie Piegay-Gros1977, p. 115.
- Louis Aragon 1972, p. 237.
- Nathalie Piégay-Gros 1997, p. 116.
- Nathalie Piegay-Gros 1997, p. 76.
- Louis Aragon 1972, p. 143.
- Daniel Bougnoux 2007, p. 1252.
- Michel Meyer 2001, p. 97-100.
- Nathalie Piegay-Gros 1997, p. 11.
- Nathalie Piegay-Gros 1996, p. 77.
- Jean Decottignies 1994, p. 109.
- Louis Aragon 2007, p. 1264.
- Corinne Grenouillet, « Sarah Oppenheim, « Pourquoi je mets en scĂšne âLe Paysan de Parisâ », 2012 », sur Ăquipe de Recherche Interdisciplinaire sur Louis Aragon et Elsa Triolet,
- « Le Paysan de Paris, à la MC93 : les faits m'errent⊠», sur Inferno Magazine,
Liens externes
- « Le Paysan de Paris - mise en scÚne Sarah Oppenheim », sur theatre-contemporain.net : « MC93 Bobigny Du lun. 08/04/13 au mar. 23/04/13 »
- Jean-François Perrier, « Présentation - Le Paysan de Paris - mise en scÚne Sarah Oppenheim », sur theatre-contemporain.net