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Le Marquis de Bolibar

Le Marquis de Bolibar (titre original : Der Marques de Bolibar) est un roman de Leo Perutz paru en 1920.

Le Marquis de Bolibar
Auteur Leo Perutz
Pays Drapeau de l'Allemagne Allemagne
Genre Roman fantastique
Version originale
Langue allemand
Titre Der Marques de Bolibar
Éditeur Paul Zsolnay Verlag, Vienne/Hambourg
Date de parution 1920
Version française
Traducteur Odon Niox Chateau
Éditeur Albin Michel
Date de parution 1930

Traduit en français en 1930, il s'agit d'une des œuvres majeures de la littérature fantastique du XXe siècle. Il a obtenu le Prix Nocturne en 1962.

Présentation

L'arrière-plan historique-fantastique

  • Leo Perutz est un maĂ®tre d'un genre littĂ©raire difficile Ă  dĂ©finir, et dont il est peut-ĂŞtre l'inventeur : le roman « historique-fantastique ». Dans Le Marquis de Bolibar, Perutz s'appuie sur une situation historique authentique (ou presque). Cette situation est sous-entendue dans le roman mais elle n'est pas clairement dĂ©taillĂ©e, or elle concerne aussi bien l'histoire de la France, l'histoire de l'Allemagne que l'histoire de l'Espagne : la guerre d'indĂ©pendance espagnole (1808-1814).
  • Cette situation historique (complexe et mystĂ©rieuse) participe du mystère poĂ©tique oĂą se dĂ©roule le roman. Qui se souvient que des provinces de la Prusse (Nassau et Hesse), alors alliĂ©es de la France, envoyèrent des rĂ©giments en Espagne pour aider l'armĂ©e napolĂ©onienne dans une guerre contre une partie extrĂŞmement activiste du peuple espagnol ?
  • Il faudrait aussi se souvenir que, sous couvert d'aide au royaume d'Espagne – alors son alliĂ© (ils avaient Ă©tĂ© vaincus ensemble Ă  Trafalgar) – NapolĂ©on menait double jeu. D'une part, il avait fait abolir l'Inquisition et le système fĂ©odal espagnol (il avait ainsi fait voter une nouvelle constitution basĂ©e sur les Droits de l'Homme). Mais, d'autre part, NapolĂ©on a voulu profiter de la dĂ©crĂ©pitude de la monarchie espagnole (le fils et le père se battaient pour le trĂ´ne), et il a imposĂ© comme roi d'Espagne son frère ainĂ© Joseph soutenu par une armĂ©e qui devient une armĂ©e d'occupation.
  • L'armĂ©e napolĂ©onienne gagne facilement contre les armĂ©es rĂ©gulières. Mais, malgrĂ© une rĂ©pression sanglante (on connait les exĂ©cutions de 1808 reprĂ©sentĂ©es par le cĂ©lèbre tableau Tres de Mayo peint par Francisco Goya), la guerilla du peuple espagnol, menĂ©e par l'Église et l'aristocratie rurale, contre l'armĂ©e française et ses alliĂ©s, conduisit ceux-ci Ă  la dĂ©faite. Cette dĂ©faite dĂ©clencha la sĂ©rie des guerres europĂ©ennes qui allaient mener Ă  la chute de NapolĂ©on.

Le programme romanesque

  • Le roman dĂ©bute par la dĂ©couverte d'un manuscrit dans les papiers d'un vieux gentilhomme de Nassau, Edouard de Jochberg, qui vient de dĂ©cĂ©der. Jochberg est un ancien officier des troupes qui participèrent Ă  la guerre d'Espagne. Ces papiers apporteraient une information inĂ©dite sur un Ă©pisode mĂ©connu de l'histoire allemande en racontant comment ont Ă©tĂ© totalement dĂ©truits les deux rĂ©giments de « Nassau » et « Prince hĂ©ritier de Hesse ». Mais, malgrĂ© la prĂ©cision du rĂ©cit, peut-on croire « un homme qui a la conviction d'avoir rencontrĂ© le Juif errant ? »
  • Le rĂ©cit dĂ©bute par des scènes de la vie militaire pendant la guerre d'Espagne, scènes pas tout Ă  fait ordinaires cependant : le rĂ©giment a rĂ©ussi Ă  vaincre les rebelles, et le soir les officiers Jochberg (le narrateur, alors très jeune), Eglofstein (l'agnostique), Gunther (le guerrier), Brockendorf (l'ivrogne) et Donop (l'intellectuel) jouent aux cartes avec leur colonel qui ne cesse de leur parler de sa dĂ©funte belle Ă©pouse. Il Ă©tait difficile aux officiers de ne pas se trahir, « car dans tout le rĂ©giment de Nassau, il n'y avait pas un officier qui n'ait Ă©tĂ©, plus ou moins longtemps, l'amant de Françoise-Marie. »
  • Le ton est donnĂ©, ironique. Quant Ă  l'histoire, elle va se dĂ©rouler inexorablement. Il est peu question de l'arrière-plan politique des guerres napolĂ©oniennes : les allusions montrent que le romancier est bien informĂ©, cependant elles sont toujours elliptiques. Il est surtout question de la vie quotidienne d'officiers qui partagent leur vie entre les contraintes de la vie militaire en ambiance de guĂ©rilla en plein hiver, et leurs plaisirs.
  • Un jour le narrateur croise la route d'un vieillard Ă©trange et tourmentĂ©, que tout le monde salue Ă©trangement du nom de Marquis de Bolibar et qui ne rĂ©pond Ă  personne. Mais on lui parle bientĂ´t d'un aristocrate très riche, affable et très gĂ©nĂ©reux, le Marquis de Bolibar. Enfin, avant de mourir, un officier allemand blessĂ© raconte qu'il assistĂ© par hasard Ă  une rencontre violente et passionnĂ©e entre le Marquis de Bolibar exaltĂ©, un sinistre chef de la guĂ©rilla (la « fosse Ă  tanner ») et un officier anglais, tous ennemis jurĂ©s des Français et de leurs alliĂ©s allemands. Le Marquis, riche de nombreux talents, a imposĂ© son plan et annoncĂ© qu'il donnera trois signaux pour les trois Ă©tapes de la rĂ©volte finale.
  • Les officiers allemands ne songent qu'Ă  boire, Ă  courir les filles, Ă  jouer et Ă  parler de leurs secrètes amours avec la belle dĂ©funte Françoise-Marie. L'Ă©trange capitaine français Salignac rejoint leur rĂ©giment. Il est accompagnĂ© d'un muletier espagnol qui surprend les conversations secrètes des officiers. Les officiers font fusiller le muletier. Ils ne savaient pas qu'ils assassinaient ainsi le redoutable Marquis de Bolibar, dĂ©guisĂ©. Jochberg le reconnaĂ®t après sa mort, mais nul ne veut le croire.

Le déroulement ironique du Destin

  • Leo Perutz n'hĂ©site pas Ă  tout annoncer dans les cinquante premières pages de son roman, car le romancier a mis en route une machine infernale, pleine de mystères et de rebondissements, qui va conduire ces rĂ©giments allemands, et avec eux toute l'armĂ©e française, Ă  leur perte. Rien ne se passe comme le voudraient les officiers allemands : Ă  la poursuite d'une fille Ă  sĂ©duire, la belle Monjita, fille d'un hidalgo dĂ©sargentĂ© qui peint de scènes religieuses, ils tombent sur leur colonel dĂ©jĂ  dans la place et qui a dĂ©cidĂ© d'Ă©pouser la belle jeune fille qui ressemble Ă  Françoise-Marie. Ils recommencent leurs folles rivalitĂ©s amoureuses : « C'est alors que la folie s'empara de nos âmes ».
  • Tout le monde trompe tout le monde et le plan du Marquis mort se dĂ©roule inexorablement, et ironiquement, Ă©tape par Ă©tape, tandis que circule entre les scènes l'Ă©trange officier Salignac, qui cache son front et ne s'arrĂŞte jamais. Salignac fait une chasse forcenĂ©e aux espions et au Marquis. Certains croient le connaitre depuis toujours et il leur fait peur, car partout oĂą il combat, des malheurs arrivent auxquels il survit toujours : « Aucune balle ne peut l'atteindre. Les quatre Ă©lĂ©ments ont conclu un pacte. Le feu ne le brĂ»le pas, l'eau ne le noie pas, l'air ne l'Ă©touffe pas et la terre ne pèse pas sur lui. »
  • La progression du rĂ©cit obĂ©it au destin que le Marquis de Bolibar a exigĂ© de ses assassins au moment de son exĂ©cution. Les diffĂ©rents signaux destinĂ©s aux insurgĂ©s sont donnĂ©s par les futures victimes elles-mĂŞmes – les officiers – qui obĂ©issent Ă  la voix de leurs passions, mais aussi Ă  la voix intĂ©riorisĂ©e du Marquis. Les officiers sont victimes de leurs jalousies et des consĂ©quences de leurs actes. Plusieurs sĂ©quences – souvent associĂ©es au plan du Marquis – sont apocalyptiques :
    • le soir oĂą les officiers observent la Monjita – qu'ils attendent eux-mĂŞmes – se rendre chez le Colonel, alors qu'ils sont Ă  proximitĂ© des orgues de Saint-Daniel ;
    • la traversĂ©e des lignes ennemies par Salignac, celui qui ne peut pas mourir ;
    • la scène oĂą Gunther fiĂ©vreux et dĂ©lirant dĂ©crit sa vie amoureuse auprès du Colonel qui attend une vĂ©ritĂ© (laquelle ?) sur sa propre vie, en prĂ©sence des jeunes officiers, tous anciens amants de sa première femme, et tous amoureux de sa nouvelle femme – et qui sont Ă©pouvantĂ©s Ă  l'idĂ©e que le Colonel dĂ©couvre la vĂ©ritĂ© ;
    • les officiers ont dĂ©cidĂ© d'Ă©loigner la Monjita dĂ©finitivement du Colonel, et Ă  la toute fin du rĂ©cit le narrateur croit la remettre aux troupes ennemies, alors qu'elle a en sa possession le poignard du Marquis...
  • Le jeune narrateur dĂ©couvre peu Ă  peu quel destin personnel inimaginable l'attend après la mort de ses amis et la destruction totale de son rĂ©giment par les insurgĂ©s.

Analyse

  • L'art romanesque de Perutz est original et difficile Ă  dĂ©crire. Comme pour nombre de ses autres romans, Perutz utilise un arrière-plan historique prĂ©cis et documentĂ©, mais il raconte une histoire qui doit peu au roman historique traditionnel. On sent que l'histoire a un fond philosophique, et que pour cela Perutz utilise des thèmes qui appartiennent Ă  la tradition du roman fantastique, revue Ă  sa manière. La narrateur peut ainsi dire, sans rĂ©aliser qu'il s'agit du Marquis de Bolibar qui est plus dangereux mort que vivant : « Quel dĂ©mon nous a ensorcelĂ© ? ».
  • Dans son roman, Perutz annonce quasiment tout le fond du rĂ©cit dès le dĂ©but, et pourtant le livre se lit avec passion. Sans doute parce que le romancier sait inventer de nouveaux Ă©pisodes qui relancent l'action tout en rĂ©alisant mystĂ©rieusement le destin tracĂ©. Ce destin est ironique, et l'ironie est sans doute le moteur intime du livre.
  • Le livre est une sorte de machine très construite, et des commentateurs ont pensĂ© que la formation de Perutz (mathĂ©matiques, probabilitĂ©s) avait Ă©tĂ© mise au service de son art de romancier.
  • La croisement du fantastique et du philosophique est manifeste dans le rĂ´le attribuĂ© au Juif errant. Pour les protagonistes du rĂ©cit, il porte malheur, et les catastrophes se multiplient quand il est prĂ©sent. Pour le lecteur, il est le tĂ©moin affligĂ© des catastrophes que l'homme engendre (la guerre, par exemple).
  • Les hĂ©ros de Perutz ont des passions qui doivent tout au dĂ©sir mimĂ©tique et rien Ă  l'amour, malgrĂ© leurs discours. Et leurs erreurs permanentes, qu'on peut aussi attribuer au plan exĂ©cutĂ© par le fantĂ´me du Marquis de Bolibar, donnent du rythme au rĂ©cit. Le roman de Perutz entrecroise toujours plusieurs significations qui sont cachĂ©es derrière les Ă©pisodes guerriers et amoureux. Perutz a un talent tout particulier pour donner l'impression qu'un Ă©vĂ©nement survient par hasard, puis laisse ensuite le lecteur dĂ©couvrir qu'il est dans la logique du rĂ©cit et qu'il est la consĂ©quence d'une lointaine action des personnages.

Postérité

  • Le livre a tout de suite Ă©tĂ© reconnu dans les pays de langue allemande.
  • Il a Ă©tĂ© adaptĂ© au cinĂ©ma en 1928 par Walter Summers sous le titre Bolibar
  • Les romans de Leo Perutz ont souvent Ă©tĂ© traduits tardivement en France, surtout Ă  la fin de la dĂ©cennie 1980. Cependant Le Marquis de Bolibar a Ă©tĂ© traduit dès 1930 (par Odon Niox-Chateau chez Albin Michel). Il a Ă©tĂ© rĂ©gulièrement rĂ©Ă©ditĂ© (Albin Michel, Marabout, Livre de Poche).
  • En 1962, le critique Roland Stragliati[1] crĂ©ait le Prix Nocturne au jury duquel participaient Roger Caillois et Jean Paulhan. C'est au Marquis de Bolibar que ce prix fut attribuĂ© la première fois.

Jugements

  • Jean Paulhan : « Le Marquis de Bolibar, trop peu connu, fait plus d'une fois songer aux premiers romans de Balzac. » N.R.F. ().
  • Roland Stragliati : « Perutz tenait Der Marques von Bolibar (Le Marquis de Bolibar) pour son chef d’œuvre, encore qu'il estimait qu'il y avait peut-ĂŞtre plus de maturitĂ© dans Der schwedische Reiter. Quoi qu'il en soit, c'est un maĂ®tre livre ; et le fantastique, prĂ©sent Ă  chaque page, parvient souvent Ă  s'y dĂ©passer pour atteindre Ă  un pathĂ©tique bouleversant, Ă  une vĂ©ritable grandeur. » (Revue Fiction, ).

Liens internes

Éditions françaises

  • Le Marquis de Bolibar (Der Marques de Bolibar), traduit par Odon Niox Chateau, Paris, Albin Michel, 1930 [1970 et 2000] ; rĂ©Ă©dition, Verviers, Marabout, coll. « Bibliothèque Marabout » no 709, 1980 ; rĂ©Ă©dition, Paris, LGF, coll. « Le Livre de Poche. Biblio » no 3236, 1995 (ISBN 2-253-93236-1)

Références

  1. Voir sur le site Le Visage vert une page sur Roland Stragliati
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