La Petite Danseuse de quatorze ans
La Petite Danseuse de quatorze ans (aussi intitulée Grande Danseuse habillée) est une sculpture de l'artiste français Edgar Degas réalisée en cire entre 1875 et 1880. Le modèle identifié est une jeune danseuse du nom de Marie van Goethem âgée à l'époque de 14 ans. Lors de son exposition en 1881 l'œuvre, présentée dans une vitrine, surprit par le réalisme sans concession de la figure, dont le traitement par la technique de la cire et l'emploi d'accessoires réels accentuaient l'illusion de la réalité. Des épreuves d'après l'original ont été éditées en bronze par le fondeur Adrien-Aurélien Hébrard et sont exposées dans plusieurs musées dans le monde.
Artiste | |
---|---|
Date |
1881 |
Type |
Sculpture |
Technique |
Cire d'origine fondue en bronze selon la technique de la cire perdue et patinée |
Dimensions (H Ă— L Ă— l) |
98 Ă— 35,2 Ă— 24,5 cm |
No d’inventaire |
1985.64.62 |
Localisation |
Description
La sculpture représente une jeune ballerine debout dans une attitude de repos, les jambes en dehors, les pieds formant la quatrième position classique, les mains derrière le dos, le buste dressé et la tête rejetée en arrière[1]. Elle est vêtue d'un bustier en soie, d'un tutu en tulle, de bas et de chaussons de danse. Ses cheveux sont noués par un ruban en satin. La sculpture originale dont le corps est en cire colorée imitant la texture d'une peau humaine, était revêtue de vrais accessoires en tissus, et d'une perruque en cheveux confectionnés par Mme Cusset, une fabricante de perruque[1]. L'épreuve en bronze ne garde comme accessoires réels que le ruban des cheveux et la jupe, le reste étant recouvert de diverses patines colorées qui différencient le corps des vêtements.
La forme et la couleur du tutu ont été sujet à débat depuis l'exposition Degas and the little dancer qui s'est déroulée au Joslyn Art Museum en 1998. À l'origine la jupe est un tutu long de type romantique en mousseline (ce modèle est d'ailleurs nommé « tutu Degas »). Les exemplaires en bronze ont repris un type de tutu plus court et raide en s'inspirant du tutu d'origine de la statue de cire de 1881, mais dont l'état était délabré par le temps; ce qui pour le commissaire de l'exposition Richard Kendall, ne correspondait pas au vêtement original qui fut exposé en 1881. Sa version d'un tutu bouffant de couleur blanche arrivant jusqu'au genoux, basée sur des dessins préparatoires de Degas et des documents d'époque, a provoqué une controverse dans le milieu de l'art[2].
Le modèle
La jeune danseuse qui servit de modèle à la sculpture de Degas se nommait Marie Genevieve van Goethem[3] - [4] (également orthographié « van Gutten, Vanguthen » ou « van Golethen »[5]). Elle est née le d'un père tailleur et d'une mère blanchisseuse, tous deux belges installés dans un quartier pauvre du 9e arrondissement de Paris[3] - [4]. Marie van Goethem et ses deux sœurs Antoinette et Louise-Joséphine sont placées par leur mère à l'Opéra de Paris où elles sont élèves en classe de ballet. Marie et sa sœur aînée Antoinette sont aussi modèles, leurs noms sont mentionnés dans les carnets de Degas[6]. Peu d'éléments ressortent de sa biographie. Elle est renvoyée de l'Opéra pour absentéisme[3] - [4] en et dès lors se prostitue ainsi que sa sœur Antoinette[7]. Hormis la sculpture, elle figure aussi dans une autre œuvre de Degas la Classe de ballet (1880) du Philadelphia Museum of Art de Philadelphie, où elle est représentée de dos à droite du tableau, identifiable par sa longue chevelure dénouée[8].
L'œuvre de Degas évoque les conditions difficiles des ballerines de l'opéra à cette époque. Malgré leur jeune âge, elles subissent des violences physiques et psychologiques, de la part de leur famille et des spectateurs. Emmanuelle Delattre-Destemberg écrit « Dans le monde de la danse académique, la marcheuse, une figurante de la danse, ou le simple coryphée est généalogiquement associé au rat d’Opéra dont la vertu a été volée au commencement de la puberté grâce à l’entremise d’une mère maquerelle. »[9]. Ces idées largement diffusées dans la presse et la littérature du XIXe siècle alimentent les fantasmes des spectateurs qui viennent à l'opéra[9].
Historique
Cette œuvre est dans un premier temps annoncée sur le catalogue de la cinquième exposition impressionniste, en 1880, mais elle n'y est pas présente. L'année suivante, lors de la sixième exposition, à la galerie Durand-Ruel, la vitrine en verre qui est censée l'abriter reste vide pendant dix jours, puis l'œuvre est présentée[10]. Du fait de la technique employée et de son réalisme, la sculpture provoque la surprise et le scandale ; et ce, même parmi les admirateurs du peintre comme Joris-Karl Huysmans[11], qui parle du « malaise » que peut susciter la vue de la sculpture auprès du public[1]. Les critiques fusent, dans la revue anglaise Artist une essayiste écrit « L'art peut-il tomber plus bas ? »[12]. Paul Mantz dans son article du journal Le Temps est l'un des plus critiques contre le traitement de l'apparence de la Petite danseuse : « pourquoi son front est il... comme ses lèvres, marqué d'un caractère si profondément vicieux ? »[8]. D'autres observateurs, comme le peintre Auguste Renoir et le critique Charles Ephrussi, considérent la sculpture comme une tentative de réalisme particulièrement novatrice[8]. À la suite du scandale, Degas rapporte la sculpture chez lui et plus personne ne la voit. Il refuse même de la vendre et elle ne participe pas à la grande exposition impressionniste de 1886 à New York, organisée par le célèbre marchand d'art Durand-Ruel.
Propriété du peintre jusqu'à sa mort en 1917, elle est retrouvée dans son atelier parmi les 73 sculptures sauvées et restaurées par le sculpteur et proche ami du peintre Paul-Albert Bartholomé[13]. En 1921 elle est fondue en bronze d'après un moulage de l'original en plâtre, par le fondeur Adrien-Aurélien Hébrard. Le tirage original est exposé à la galerie Hébrard en 1922. La cire originale et le premier tirage en bronze sont la propriété des héritiers Hébrard jusqu'en 1955, année où ils sont acquis par le collectionneur Paul Mellon qui en fait don sous réserve d'usufruit à la National Gallery of Art de Washington.
Parmi les épreuves d'après l'original, éditées en bronze par le fondeur Adrien-Aurélien Hébrard[14], 29 exemplaires recensés sont conservés dans des musées et collections privées. La cire originale se trouve à la National Gallery of Art de Washington, D.C., donnée par Paul Mellon après qu'il l'a acquise avec l'ensemble des cires de Degas auprès du fondeur Hébrard. Les tirages post-mortem en bronze, réalisés par Hébrard, sont exposés notamment au musée d'Orsay de Paris[14], au Metropolitan Museum of Art (MET) de New York ou à la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague, et dans plusieurs autres grands musées de par le monde.
Notes et références
- Pierre Cabanne, Monsieur Degas, p. 184.
- La petite danseuse de Degas : la guerre des tutus artclair.com
- Rosita Boisseau, « Dans les pas de la « Petite danseuse » de Degas », Le Monde,‎ (lire en ligne)
- Camille Laurens, La Petite Danseuse de quatorze ans, Stock,
- Olivier Marmin Diagonales de la danse p. 370.
- Degas : Galeries nationales du Grand Palais, Paris 9 février-16 mai 1988 p. 370.
- Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la Petite danseuse de 14 ans Histoire-image.org
- Pierre Cabanne, Monsieur Degas, p. 185.
- « Être danseuse en Europe au XIXe siècle », sur Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (consulté le )
- Vincent Brocvielle, « Petite Danseuse de 14 ans. Degas. La bonne élève », dans Pourquoi c’est connu ? Le fabuleux destin des icônes du XIXe siècle, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, (ISBN 9782711864331), p. 48-49
- Pierre Cabanne, Monsieur Degas, p. 186.
- Richard Kendall, « L'art peut-il tomber plus bas ? », dans Ouvrage collectif, Degas sculpteur, Paris, Gallimard, (ISBN 978-2-0701-3077-1), p. 64.
- Edgar Degas: L'homme et son Ĺ“uvre, p. IX sur Google Livres
- « Petite danseuse de quatorze ans. Edgar Degas », sur Musée d'Orsay
Annexes
Bibliographie
- Jean Bouret, Degas, Paris, Somogy, .
- Nathalie Reymond, Degas : illustre et inconnu, Paris, librairie SĂ©guier, .
- Pierre Cabanne, Monsieur Degas, Paris, Jean-claude Lattès, .
- (en) Richard Kendall (dir.), Douglas W. Druick et Arthur W. Beale, Degas and The Little Dancer : [exhibition organized and circulated by Joslyn art museum, Omaha, Neb., Sterling and Francine Clark art institute, Williamstown, Mas., 30 May-8 September 1998, Baltimore museum of art, Md., 4 October 1998-3 January 1999], New Haven (Conn.), Yale University Press, , 192 p. (ISBN 0-300-07497-2).
- Camille Laurens, La Petite Danseuse de quatorze ans, Paris, Stock, .
Liens externes
- Ressource relative aux beaux-arts :