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L'Île de Sakhaline

L’Île de Sakhaline. Notes de voyage est le compte rendu que rĂ©dige Anton Tchekhov aprĂšs son sĂ©jour Ă  Sakhaline en Ă©tĂ© 1890. Sa publication ne commence qu'en octobre 1893 dans la revue La PensĂ©e russe et dure jusqu'en . La censure tsariste n'autorise la mise en vente de l'ouvrage qu'en juin 1895. Il porte presque exclusivement sur les affreuses conditions d’existence des bagnards relĂ©guĂ©s dans cette Ăźle de l’ExtrĂȘme-Orient russe Ă  la fin du XIXe siĂšcle.

L'Île de Sakhaline
Image illustrative de l’article L'Île de Sakhaline

Auteur Anton Tchekhov
Pays Drapeau de l'Empire russe Empire russe
Genre récit de voyage, essai
Version originale
Langue russe
Titre ĐžŃŃ‚Ń€ĐŸĐČ ĐĄĐ°Ń…Đ°Đ»ĐžĐœ (Ostrov Sakhalin)
Date de parution en feuilletons en 1893 et 1894, en volume en 1895
Version française
Traducteur Lily Denis

Le voyage

Le projet

Les raisons qui poussÚrent Anton Tchekhov à entreprendre un voyage dans la lointaine Sakhaline ne sont pas clairement connues. Les explications avancées sont nombreuses, contradictoires et peu convaincantes[1].

Selon ce qu'Ă©crit Tchekhov Ă  certaines connaissances, il entreprend son voyage pour payer sa dette Ă  la mĂ©decine, qu'il aurait par trop nĂ©gligĂ©e. « Je veux simplement Ă©crire cent ou deux cents pages et payer ainsi ma dette envers la mĂ©decine, Ă  l'Ă©gard de laquelle je me comporte, vous le savez, comme un vrai porc... Je suis ukrainien et dĂ©jĂ  j'ai commencĂ© Ă  m'adonner Ă  la paresse. Il faut se mater[2] - [3]. » Ailleurs, l'auteur affirme qu'il est motivĂ© par le souci qu'il a de la santĂ© des bagnards. L'Empire russe n'a en effet aucun intĂ©rĂȘt d'aucune sorte pour sa population carcĂ©rale.

Les ennemis de Tchekhov ont prĂ©tendu que l'auteur voulait ainsi imiter Fiodor DostoĂŻevski et ses Souvenirs de la maison des morts[4]. L'Ă©crivain Lydia Avilova a prĂ©tendu qu'Anton avait fui Ă  Sakhaline par dĂ©pit amoureux. La vraie nature des relations de Tchekhov et d'Avilova reste encore sujet Ă  dĂ©bat. Tchekhov lui-mĂȘme a eu quelques boutades dans ce sens, mais Ă  propos d'une autre jeune femme...

Le projet paraĂźt d'autant plus aventureux que les conditions de dĂ©placement Ă©taient extrĂȘmement prĂ©caires et pĂ©nibles. L'Ă©crivain, pourtant en mauvaise santĂ©, les avaient-il sous-estimĂ©es ? De plus, Tchekhov, qui a eu quelques contacts avec l'administration pĂ©tersbourgeoise Ă  ce sujet, n'a obtenu ni mandat, ni mĂȘme simple autorisation. Quand il arrive Ă  Sakhaline au dĂ©but , il redoute de se faire refouler de l'Ăźle[5].

L'aller

Tchekhov quitte Moscou en train le . À Iaroslavl, il embarque sur un bateau sur la Volga puis la Kama. Le voyage se poursuit en train de Perm Ă  Tioumen. Puis en voiture Ă  cheval, dans des conditions trĂšs difficiles. ArrivĂ© sur le fleuve Amour, il embarque sur plusieurs caboteurs et arrive Ă  NikolaĂŻevsk-sur-l'Amour le [4]. Il traverse la Manche de Tartarie, le bras de mer sĂ©parant l’üle du continent sur le navire MS BaĂŻkal. Ce voyage fera l'objet du livre Notes de SibĂ©rie[6].

Le séjour

Tchékhov séjourne à Sakhaline du au , soit un peu plus de trois mois.

Les bagnards mis aux fers ; photographie jointe au rapport de Tchékhov, 1890

Le retour

Autant l'aller a Ă©tĂ© pĂ©nible, autant le retour s'apparente Ă  un voyage d'agrĂ©ment[7]. Tchekhov fait d'abord escale Ă  Vladivostok. En raison du cholĂ©ra qui y sĂ©vit alors, le voyage Ă©vite cependant le Japon. Le voyage passe par Hong Kong, Singapour, Ceylan, oĂč l'Ă©crivain connaĂźt quelques aventures sexuelles, dont il se vantera auprĂšs de ses proches. Il y achĂšte trois mangoustes, qui finiront au zoo de Moscou. L'itinĂ©raire passe ensuite par la mer Rouge, le canal de Suez, Constantinople, la mer Noire... TchĂ©khov dĂ©barque Ă  Odessa le , oĂč sa mĂšre et son frĂšre sont venus le chercher. Le , l'Ă©crivain est de retour Ă  Moscou[8].

Historique

L’Île de Sakhaline fut initialement publiĂ©e dans la revue La PensĂ©e russe en 1893. L'auteur n’avait aucune autorisation officielle pour visiter les bagnes, il y alla en tant que correspondant du journal russe Temps nouveaux[9].

Généralités sur l'ßle

L'Ăźle a Ă©tĂ© visitĂ©e en 1805 par Johann Adam von Krusenstern en mission pour le tsar. Il dĂ©couvre le peuple autochtone des AĂŻnous qu'il dĂ©crit comme « un peuple doux, modeste, bienveillant, confiant, sociable, poli, respectueux du bien d’autrui, franc qui ne supporte pas la duperie, des qualitĂ©s aussi rares, dont le mĂ©rite ne revient qu’à la nature, et non Ă  l’élĂ©vation morale d’un Ă©ducateur, ont Ă©veillĂ© en moi la sensation que je considĂ©rais cette peuplade comme supĂ©rieure Ă  toutes celles que j’ai connues Ă  ce jour[10]. »

Par un accord de 1867, l’üle est la propriĂ©tĂ© conjointe de la Russie et du Japon. En 1875 les Japonais abandonnent leur droit sur l’üle en Ă©change des Ăźles Kouriles, en effet les Japonais ne voulaient pas annexer l'Ăźle, seule la pĂȘche les intĂ©ressait[11].

Le climat est rude, le relevĂ© des tempĂ©ratures prises de 1880 Ă  1890 indique, de novembre Ă  mars de -5 Ă  -19 °C et en Ă©tĂ© de +11 Ă  +17 °C, des pluies un jour sur deux, il peut se passer plusieurs semaines sans soleil. La seule richesse de l'Ăźle est la pĂȘche, il y a en 1890 Ă©normĂ©ment de saumons qui remontent les riviĂšres et une quantitĂ© phĂ©nomĂ©nale de harengs qui passent devant l’üle en avril.

La ville principale, Aleksandrovsk-Sakhalinski, compte trois mille habitants. Ils cultivent exclusivement la pomme de terre.

ArrivĂ©e sur l’üle et dĂ©but de l’étude

Le premier contact avec les dĂ©portĂ©s est la rencontre avec un condamnĂ© qui dĂ©barque accompagnĂ© de sa fille de cinq ans. Cette pratique est admise et encouragĂ©e par l’administration, qui y voit un moyen de peupler l'Ăźle. La premiĂšre ville visitĂ©e est Alexandrovsk. Le climat est rude, il s’arrĂȘte de neiger en mai et le soleil est rare l’étĂ©. Il rend visite aux autoritĂ©s, le commandant de l’üle, le gĂ©nĂ©ral Kononovitch et le gouverneur gĂ©nĂ©ral le baron Korff. Il leur dit qu’il n’est pas lĂ  pour un journal, aussi on lui donne un laissez-passer pour visiter toutes les prisons sauf Ă  avoir contact avec les prisonniers politiques. Il constate rapidement que les forçats sont partout et servent de main d’Ɠuvre gratuite.

Recensement des bagnards

L’auteur commence une espĂšce de recensement des forçats. Il visite toute l'Ăźle et remplit dix mille fiches (elles sont actuellement conservĂ©es Ă  la bibliothĂšque LĂ©nine de Moscou[12]). Ces fiches individuelles sont basĂ©es sur les dĂ©clarations des forçats eux-mĂȘmes. De ce fait, elles sont souvent approximatives. L'Ă©crivain est parfaitement conscient des limites de l'exercice (un travail de trois mois accompli par un homme seul) mais il relĂšve qu'il n'existe encore rien de semblable, ce qui lui permet d'espĂ©rer que son travail aura quelque utilitĂ©[13].

ModĂšle des fiches remplies par les bagnards

  • 1re ligne : Nom du poste ou de la colonie.
  • 2e ligne : NumĂ©ro cadastral de la maison.
  • 3e ligne : QualitĂ© du recensĂ© : forçat, relĂ©guĂ©, paysan proscrit, citoyen libre.
  • 4e ligne : PrĂ©nom, patronyme, nom de famille + lien avec le propriĂ©taire de l’isba.
  • 5e ligne : Âge.
  • 6e ligne : Religion.
  • 7e ligne : Lieu de naissance.
  • 8e ligne : AnnĂ©e d’arrivĂ©e sur l’üle.
  • 9e ligne : Profession ou occupation principale.
  • 10e ligne : Niveau d’instruction. Pour Ă©viter les erreurs, Tchekhov simplifie la question en : « Savez-vous lire[14] ? »
  • 11e ligne : Situation de famille. – beaucoup de couples illĂ©gitimes ou en union libre, les autoritĂ©s ne disent rien pour favoriser les naissances, donc le peuplement de l’üle.
  • 12e ligne : Recevez-vous des subsides de l’État ?

Conditions de vie des bagnards

Le bagnard arrive sur l'Ăźle avec une condamnation aux travaux forcĂ©s. AprĂšs avoir purgĂ© sa peine, il change de statut et devient « colon relĂ©guĂ© », il est envoyĂ© se fixer dans un endroit dĂ©fini par l’administration locale. Cette derniĂšre recherche sans arrĂȘt des « nouveaux points de peuplement » pour les relĂ©guĂ©s. AprĂšs 10 ans (6 pour les femmes) de « colon relĂ©guĂ© » on passe « paysan »[15], on peut alors quitter l’üle et s’installer en SibĂ©rie Ă  ses frais, mais il est interdit de retourner dans sa rĂ©gion d’origine. Comme tous veulent partir, il y a trĂšs peu d’habitants de longue date sur l’üle. Sauf problĂšme de comportement du bagnard, le gouvernement local diminue gĂ©nĂ©ralement les peines de prison pour accĂ©lĂ©rer le peuplement de l'Ăźle.

En prison, les dĂ©tenus ne portent ni chaĂźnes ni uniformes, ils vaquent Ă  leurs occupations dans les limites de la prison. L'auteur dĂ©crit les mesures d’hygiĂšne, les lieux d’aisance qui sont d’une puanteur suffocante, l’organisation de la prison, de la vie des prisonniers, des relations entre prisonniers, par exemple le taux d’usure de 10 % par jour.

Toutes les administrations emploient un nombre important de prisonniers sans rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Le docteur chez qui l’auteur habitait employait Ă  son domicile quatre prisonniers, un cuisinier, un portier, une femme de chambre et une fille de cuisine. Tel inspecteur des prisons avait huit personnes Ă  son service. Bref, selon l’auteur, ce n’est plus du travail forcĂ© ou l’on sert la collectivitĂ©, mais un retour vers le servage, oĂč l’on sert un particulier.

Les bagnards

Il y a sur l’üle 25 femmes pour 100 hommes[16]. Au dĂ©but de l’existence du bagne, les femmes condamnĂ©es allaient, dĂšs leur arrivĂ©e, servir dans une maison de tolĂ©rance[17].

Actuellement, elles sont rĂ©parties sur l’üle, domestiques chez des fonctionnaires ou affectĂ©es comme femme Ă  un paysan avec mariage dĂšs l’arrivĂ©e au village. Les autoritĂ©s promettent des femmes aux communautĂ©s de paysans ; globalement, ces femmes mariĂ©es de force sont contentes de leur sort et de leur nouveau mari. Elles pensaient faire des travaux forcĂ©s, elles se retrouvent mĂ©nagĂšres dans une isba avec un mari qui se conduit bien. Leur faible nombre oblige les hommes qui ont une femme Ă  avoir un comportement correct avec elles : s’ils les perdent, qui va coudre, faire Ă  manger, etc. ?

En ce qui concerne les femmes qui suivent leurs maris condamnés, 697 cas en 1890, elles viennent par amour, pitié ou pour fuir le village et échapper à la honte. Quand elles arrivent elles pleurent nuit et jour. L'obsession est de trouver de la nourriture, beaucoup, sinon toutes se prostituent pour joindre les deux bouts, « en payant de son corps » pour des piÚces de 10 kopeck. Les filles sont obligées de se prostituer dÚs l'ùge de 14 ans.

Extraits

  • « L’exceptionnelle duretĂ© des travaux de la mine tient dans l’ambiance, la bĂȘtise et la malhonnĂȘtetĂ© des gradĂ©s infĂ©rieurs, qui font qu’à chaque pas, les dĂ©tenus ont Ă  souffrir l’arrogance, l’injustice et le caprice. Les riches dĂ©tenus prennent le thĂ©, les pauvres travaillent et le surveillant trompe ses supĂ©rieurs[18]. »

Notes et références

Bibliographie

Éditions françaises

Étude

Articles connexes

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