Koseki
Le koseki (戸籍) est le registre familial au Japon ; c'est l'équivalent du livret de famille, notamment en France.
Bien que des systèmes similaires aient été utilisés par le Japon par le passé, le koseki contemporain, qui concerne et recense tous les citoyens japonais, apparaît à la fin du XIXe siècle, peu de temps après la restauration de Meiji.
Fonctionnement
La loi japonaise précise que tout foyer (ie) doit signaler les naissances, décès, mariages, divorces et délits à son autorité locale, qui compile ces informations dans un arbre généalogique détaillé. Si de tels évènements ne sont pas indiqués dans le koseki, ils ne sont pas officiellement reconnus par le gouvernement japonais.
Il n'est pas permis aux couples mariés d'enregistrer deux noms sur le koseki, ce qui amène l'un des conjoints, la femme la plupart du temps, à changer de nom de famille[1].
Histoire
Les ancêtres du koseki
Le plus ancien témoignage archéologique de registre familial au Japon provient de Dazaifu (préfecture de Fukuoka) et daterait de la fin du VIIe siècle[2]. Il s'agit d'une languette de bois avec une liste de seize personnes d'une même communauté et leurs relations familiales[2]. Le vocabulaire employé permet de mettre ce document en rapport avec le Kōinnenjaku (庚寅年籍), le recensement familial de 689[2].
Sous le bakufu, il existait quatre types de registres : le ninbetsuchō (Registre des catégories humaines), le shūmon aratamechō (Registre de l'inquisition religieuse), le gonin gumichō (Registre des cinq foyers) et le kakochō (Registre funéraire). En 1670 fut créé le shūmon ninbetsuchō qui combinait l'enregistrement de la catégorie sociale et de l'affiliation religieuse. Il fallait renouveler ses données tous les six ans et ce système fut maintenu jusqu'au début de l'ère Meiji[3].
Pour diverses raisons, un certain nombre de personnes n'étaient pas inscrites dans ces registres. Certaines n'existaient tout simplement pas officiellement ; d'autres, comme les eta, étaient parfois l'objet de listes séparées et discriminatoires[3].
Les conditions sociales et politiques de l'ère Edo rendaient très difficiles les changements de profession ou de statut et presque impossible la modification de ces registres.
En 1871, peu après la restauration de Meiji, fut introduite la Loi d'enregistrement des foyers (koseki hō) et instauré un Registre national (kokuseki) qui regroupait tous les registres existants et prenait également en compte les personnes non enregistrées, à la suite de l'introduction du concept de « nationalité » dans le droit japonais[3]. Les catégories sociales de la période Tokugawa furent abolies et la majorité de la population était désignée comme heimin. Toutefois, certaines anciennes catégories de parias reçurent l’appellation de shinheimin (nouvel heimin) ou de motoeta (ancien eta), ce qui ne fit que maintenir les discriminations antérieures. Il y eut également des problèmes avec les populations vivant aux marges du territoire japonais, par exemple les habitants de l'archipel d'Ogasawara[3].
Lors de la colonisation de la Corée, le gouvernement japonais mit en place un double système de koseki, un registre national domestique (naichi koseki) et un registre national externe (gaichi koseki), basé sur les registres coréens préexistants. La division était ainsi nette entre Japonais du Japon et Japonais des colonies, à la mobilité plus restreinte[3].
Pendant et après l'occupation américaine
En 1947, une loi a restreint le koseki à la famille conjugale, c'est-à-dire à un couple et ses enfants non-mariés[4].
De 1946 à 1952, plusieurs centaines de milliers de personnes se virent privées de leur citoyenneté japonaise car, dans leur koseki, elles n'étaient pas enregistrées au Japon, mais en Corée, en Chine, à Taïwan ou ailleurs.
Par ailleurs, de nombreux problèmes surgirent de la destruction physique des registres de koseki pendant la guerre à la suite des bombardements et des incendies, en particulier à Okinawa.
Bien que de nouvelles lois d'état civil soient entrées en vigueur dans les années 1950 et 1960, le koseki garde sa prééminence, alors qu'il est antérieur au Code civil japonais (1896), à la Constitution Meiji (1889) et au Code de la Nationalité (1899)[5]. L'inscription au registre national reste souvent impossible sans un koseki[3].
Initialement compilés dans d'imposants registres papier, les koseki furent numérisés à partir de 2002.
Problèmes récents
À l'été 2010, à la suite d'un fait divers — la découverte du corps momifié d'un Japonais décédé depuis trente ans, toujours inscrit au koseki —, il est établi que 234 354 Japonais de plus de cent ans inscrits au registre sont en réalité introuvables, sachant que le recensement national établit alors à 44 449 le nombre de centenaires[6]. Les familles ne signaleraient plus systématiquement le décès de leurs aînés, alors que les personnes âgées vivant plus souvent seules que par le passé mourraient sans que l'on puisse rapporter l'information à l'administration[6]. De plus, des Japonais décédés lors de la Seconde Guerre mondiale y seraient toujours indiqués, alors que l'informatisation du registre aurait abouti à une perte de données[6]. En conséquence, les personnes de plus de 120 ans (supercentenaires) qui n'ont pu être retrouvées sont effacées des registres familiaux[6].
Le , Renhō, présidente du Parti démocrate, s'est sentie obligée de divulguer lors d'une conférence de presse des parties de son registre familial afin de prouver qu'elle n'avait que la nationalité japonaise et qu'elle avait abandonné sa nationalité taïwanaise[7].
En , le ministère de la Justice a fait saisir des registres de koseki du XIXe siècle vendus sur le site d’enchères en ligne Yahoo auction[8].
Critiques
Le fait que le koseki soit centré sur la notion de foyer entre, aux yeux de certains critiques, en contradiction avec l'article 13 de la Constitution du Japon, selon lequel « tous les citoyens devront être respectés comme individus[3] - [9] ».
On critique aussi l'impossibilité pour les conjoints mariés de porter officiellement des noms différents[10], même si, depuis 2001, l'emploi du nom d'usage, ou nom prénuptial, est souvent autorisé dans la vie professionnelle et, de façon restreinte, pour certains documents officiels[11].
De manière plus générale, le koseki reflète les valeurs morales de l'époque de sa création et, avec sa conception normative du couple hétérosexuel dominé par le mari, il n'est peut-être plus adapté aux conceptions modernes de ce qu'est une famille, aux familles recomposées ou aux nouvelles conceptions de l'identité sexuelle[10].
De plus, l'accès au koseki est relativement facile. Même si certaines restrictions ont été mises en place en 1970, sa consultation est autorisée pour certaines catégories professionnelles comme les avocats, les policiers et les fonctionnaires, et le système du koseki n'offre donc pas un parfait respect de la vie privée. Comme il archive l'histoire de la famille, il permet de découvrir l'origine familiale et la vie familiale, par exemple, les divorces, de son titulaire[4].
Les critiques vis-a-vis du système des koseki sont généralement émises par certains partis politiques à gauche de l'échiquier politique japonais, ou par des activistes de gauche ou d'extrême gauche.
Registres familiaux proches en Asie
Des systèmes similaires existent dans les autres pays influencés par le confucianisme, qui attache une grande importance à la famille :
- en Corée existait le hojuje (호주, 戶主) ou hojeok (호적, 戶籍), abrogé en Corée du Sud en 2005[10] ;
- en République populaire de Chine (Chine continentale) et République de Chine (Taïwan), ce système s'appelle le hùjí (户籍/戶籍) ou hùkǒu (户口/戶口) ;
- au Vietnam, on trouve le hộ khẩu.
Notes et références
- A. Gonon, « Noms et changements de noms. Un aspect de la construction institutionnelle de l'identité japonaise (1868-1945) », Genèses, no 13, , p. 54-75 (lire en ligne, consulté le ).
- (en) « Oldest koseki record unearthed at the Kokubumatsumoto archaeological site in Dazaifu, Fukuoka », (consulté le ).
- (en) David Chapman, « Geographies of Self and Other: Mapping Japan through the Koseki », The Asia-Pacific Journal, vol. 9, no 2, (lire en ligne, consulté le ).
- N. Mizuno, « La notion de famille », Revue internationale de droit comparé, vol. 53, no 4, , p. 831-851 (lire en ligne, consulté le ).
- A. Gonon, « Le Code de la Nationalité de 1899, ou l'étranger et le national vus par l'État japonais », Ebisu, no 7, , p. 47-72 (lire en ligne, consulté le ).
- Anthony Rivière, « La recherche des centenaires japonais est terminée : 230 000 manquent à l'appel »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur Aujourd'hui le Japon, .
- « Renho's nationality disclosure raises discrimination concerns, fails to unite DP », Mainichi Shinbun, (lire en ligne, consulté le ).
- « Sealed 19th-century family registries found auctioned online »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), The Mainichi, .
- « Constitution du Japon du 3 novembre 1946 », sur mjp.univ-perp.fr, Digithèque de matériaux juridiques et politiques (consulté le ).
- (en) Y. Miyamoto, « The Family, Koseki, and the Individual: Japanese and Korean Experiences », The Asia-Pacific Journal, vol. 9, no 1, (lire en ligne, consulté le ).
- Amélie Corbel, « Réforme du droit de la famille au Japon: quelles avancées pour quelles crispations ? », Japan Analysis, no 39, , p. 43-53 (lire en ligne, consulté le ).