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Koinophilie

La koinophilie désigne une préférence pour les partenaires sexuels potentiels les plus communs comportementalement, ou ayant les caractÚres phénotypiques les plus habituels dans le groupe[1].

Un individu koinophilique évite de se reproduire avec un individu qui a des traits phénotypiques inhabituels, privilégiant la reproduction avec un partenaire ayant le phénotype le plus commun possible dans le milieu local.

Ainsi, un individu avec un trait phĂ©notypique inhabituel sera moins attractif, pour un individu koinophilique, qu’un individu portant exclusivement des traits phĂ©notypiques communs localement. Plus un individu a un nombre important de traits phĂ©notypiques inhabituels, moins il est attractif pour tout individu koinophilique. En effet, mĂȘme les individus portant des traits phĂ©notypiques atypiques cherchent Ă  se reproduire avec des individus au phĂ©notype le plus commun possible, au niveau local[2].

Contexte génétique

Le gĂ©nome est soumis Ă  des mutations alĂ©atoires, liĂ©es aux variations de l’environnement. Ces mutations vont confĂ©rer diverses caractĂ©ristiques physiologiques et morphologiques aux organismes qui les portent. Seuls les organismes possĂ©dant des mutations, leur confĂ©rant un avantage vis-Ă -vis de la population actuelle, vont ĂȘtre sĂ©lectionnĂ©s par sĂ©lection naturelle. DiffĂ©rents phĂ©notypes sont donc prĂ©sents dans la population, mais seuls les phĂ©notypes les plus adaptatifs sont en grande proportion dans la population.

Lorsque l’on considĂšre les organismes sexuĂ©s, seules 50 % des caractĂ©ristiques gĂ©nomiques et donc phĂ©notypiques, de chaque parent sont transmises aux descendants. Dans un groupe sexuĂ© donnĂ©, le phĂ©notype le plus transmis est celui qui est le plus frĂ©quent, donc le plus commun et le plus adaptĂ© pour le milieu. Ainsi, la sĂ©lection naturelle va orienter les individus dans le sens d'une affinitĂ© pour ce type de partenaires, dit « communs ». C’est ce que Johan H. Koeslag a nommĂ© la koinophilie[1].

Étymologie

Le terme koinophilie tire son origine du grec koinos qui signifie commun ou habituel et philos qui signifie aimer ou préférer.

Ce terme a été utilisé pour la premiÚre fois par le biologiste Johan Hans Koeslag dans les années 1990, à l'issue de ses recherches sur les stratégies évolutives. Ce terme a permis de mettre un nom sur le processus qu'il observait[3].

Causes Ă©volutives

Évolution d’une population panmictique vers une population koinophilique

Dans les années 1990, J. H. Koeslag a réalisé une étude dont le but était de voir dans quelles circonstances un trait koinophilique initialement rare pouvait envahir une population qui se reproduisait jusque-là aléatoirement (panmixie).

Il a Ă©mis deux hypothĂšses, son hypothĂšse nulle Ă©tant que seul le hasard pourrait ĂȘtre responsable de l’invasion d’une population panmictique par la koinophilie. Son hypothĂšse alternative Ă©tait que l’invasion de cette population par la koinophilie ne serait pas due au hasard.

Pour tester ses hypothĂšses, J. H. Koeslag a Ă©laborĂ© un modĂšle stochastique, oĂč il pouvait faire varier diffĂ©rents paramĂštres, tels que le taux de mutation et la sĂ©lectivitĂ© maximale apportĂ©e par une mutation. Il a simulĂ© une population de deux cents individus haploĂŻdes, avec 50 % de mĂąles et 50 % de femelles. Chaque individu de cette population possĂ©dait cinquante traits phĂ©notypiques, dĂ©terminĂ©s par un seul gĂšne et, susceptibles de muter, au dĂ©but de chaque gĂ©nĂ©ration. L’un de ces traits Ă©tait celui de la prĂ©fĂ©rence du partenaire sexuel, avec un allĂšle panmictique rĂ©pandu Ă  95 % dans la population et un allĂšle koinophilique, prĂ©sent Ă  5 % dans la population. À chaque Ă©pisode de reproduction, un couple d’individus ne pouvait donner qu’un seul descendant, panmictique ou koinophilique, selon les lois gĂ©nĂ©tiques de Mendel. J.H. Koeslag a rĂ©alisĂ© plusieurs sĂ©ries. Au bout de 20 gĂ©nĂ©rations, il Ă©valuait le niveau d’invasion de la koinophilie dans la population panmictique initiale[2].

Il a dĂ©couvert que le facteur dĂ©terminant pour une telle invasion Ă©tait la force de prĂ©fĂ©rence du partenaire sexuel. En effet, la koinophilie tend Ă  remplacer la panmixie toutes les fois oĂč la prĂ©fĂ©rence des traits phĂ©notypiques communs est fortement exprimĂ©e, c’est-Ă -dire quand peu de mutations sont bĂ©nĂ©fiques (1 % au lieu de 10 %) ou quand la fitness associĂ©e Ă  ces mutations est faible (1.2 au lieu de 2.0). De plus, le choix koinophilique du partenaire remplace le choix alĂ©atoire (panmixie) dĂšs que les organismes sexuels possĂšdent une capacitĂ© suffisamment dĂ©veloppĂ©e pour estimer si le partenaire sexuel potentiel a des traits phĂ©notypiques habituels ou non[2].

Les populations koinophiliques, sujettes aux mutations Ă  fitness alĂ©atoire (dont, occasionnellement, des mutations bĂ©nĂ©fiques), ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es comme ayant toujours un avantage considĂ©rable, immĂ©diat mais temporaire, sur les populations panmictiques[2]. En effet, lorsque la koinophilie est rare, ceux qui la pratiquent cherchent Ă  se reproduire avec des individus ayant des traits phĂ©notypiques bĂ©nĂ©fiques, adaptĂ©s Ă  l'environnement local[4]. Ces derniers sont repĂ©rables de par leur augmentation progressive en frĂ©quence dans la population. Cependant, quand la koinophilie devient plus commune, les individus qui la pratiquent ne se reproduisent plus qu’avec des individus avec un phĂ©notype habituel et donc les nouvelles mutations bĂ©nĂ©fiques ne s’établissent plus dans la population.

La stratĂ©gie de choix du partenaire koinophilique est donc une stratĂ©gie Ă©volutivement stable par rapport Ă  la stratĂ©gie panmixique. NĂ©anmoins, comme la koinophilie entraĂźne une stagnation du phĂ©notype (Ă©liminant la variation), les populations panmixiques finissent par dĂ©passer au bout d’un moment les populations koinophiliques en termes de fitness absolue[5].

Une population panmixique peut donc Ă©voluer en population koinophilique, comme l’illustre le schĂ©ma, ci-dessous.

La koinophilie est donc un mĂ©canisme qui permet d’expliquer en partie la sĂ©lection sexuelle. Ce mĂ©canisme pourrait Ă©galement expliquer pourquoi certaines espĂšces ne subissent aucun changement phĂ©notypique durant de nombreuses annĂ©es[2].

Reproduction sexuée et Fitness

Les organismes sexués, grùce à la reproduction et le brassage génétique associé, évitent la propagation de mutations délétÚres chez leurs descendants. Ainsi la reproduction sexuée prend en considération la fitness du partenaire car celui-ci peut transmettre 50 % de son génome à chaque descendant[1].

Les individus sont donc amenĂ©s Ă  limiter leur choix de partenaire puisque leur but est de maximiser leur capacitĂ© Ă  produire une descendance capable de se reproduire[6]. Tout l’enjeu est donc de choisir le partenaire possĂ©dant les « bons gĂšnes » et d’éviter toute mutation susceptible d’ĂȘtre dĂ©savantageuse[5] - [7] - [6]. Pourtant il est presque impossible de prĂ©dire la fitness dĂ©coulant d'une nouvelle mutation, et de savoir alors si elle sera bĂ©nĂ©fique ou non pour l'individu. De façon gĂ©nĂ©rale, les mutations sont considĂ©rĂ©es comme Ă©tant dĂ©lĂ©tĂšres bien qu'il existe des mutations favorables[5]. Les individus sexuĂ©s subissent donc une pression sĂ©lective dans le choix de leur partenaire. Le meilleur et seul indicateur est le fait que le partenaire prĂ©sentant le phĂ©notype le plus commun possible est le plus adaptĂ© dans son milieu et dans son groupe[1]. Ce choix sĂ©lectif va donc considĂ©rablement rĂ©duire les mutations du potentiel reproducteur et leur capacitĂ© Ă  envahir la population[5].

MĂ©sange charbonniĂšre (Parus major)

Ce choix de partenaire peut discriminer les phĂ©notypes mutants et de la mĂȘme façon, peut discriminer plus gĂ©nĂ©ralement tout nouveau phĂ©notype dans le groupe. Les individus vont chercher Ă  Ă©viter de s'accoupler avec tout partenaire ayant un phĂ©notype inhabituel bien qu'il soit potentiellement bĂ©nĂ©fique, neutre ou dĂ©lĂ©tĂšre[1]. On parle ici de la notion de prĂ©fĂ©rence ; prĂ©fĂ©rence pour les traits communs ou prĂ©pondĂ©rants dans le groupe[5] - [7] - [6].

Ainsi la part de mutations chez les descendants à travers un accouplement koinophilique est minimisée et le polymorphisme phénotypique est réduit[1]. De cette façon, lorsque la koinophilie évolue pour la premiÚre fois dans une population panmictique, chaque groupe koinophilique est composé d'individus ayant des phénotypes qui sont les plus adaptatifs.

MĂ©sange charbonniĂšre (Parus major)

Une fois mis en place, un tel groupe koinophilique résisterait aux changements phénotypiques par mutation ou par immigration[1].

Chez les oiseaux, le choix du partenaire est souvent basĂ© sur les dialectes du chant. Le dialecte correspond aux chants qui peuvent varier selon la rĂ©gion. Chez la mĂ©sange charbonniĂšre (Parus major), les femelles Ă©vitent les mĂąles qui utilisent des chants rares, diffĂ©rents et non conformes au dialecte local. Ces mĂąles proviennent gĂ©nĂ©ralement d'endroits extĂ©rieurs au bois oĂč les femelles sont nĂ©es ou des mutants de ce bois[1].

L’implication du systùme cognitif

La koinophilie agit sur le phĂ©notype entier, et concerne notamment, le comportement social , la morphologie, la coloration, ou encore la fonction motrice. En effet, ce sont les caractĂ©ristiques qui ne peuvent manquer d’ĂȘtre remarquĂ©es par les partenaires potentiels. Bien que les individus d’une espĂšce se ressemblent, il est possible pour les congĂ©nĂšres, de remarquer la moindre dĂ©viance Ă  la norme. Cette reconnaissance entre individus fait intervenir le systĂšme cognitif[6] - [1].

Antidorcas marsupialis

Les premiĂšres manifestations de ce phĂ©notype le plus commun auraient favorisĂ© l'Ă©volution des mĂ©canismes internes Ă  chaque individu, de distinctions de ce phĂ©notype commun parmi tous les autres dans une communautĂ© (analyse des frĂ©quences allĂ©liques) . La sĂ©lection naturelle associĂ©e Ă  la rĂ©plication de l'ADN rend toujours rares les traits (caractĂšres phĂ©notypiques) inadaptĂ©s, (car ils apportent un avantage moindre en termes de fitness) contrairement aux traits communs. C’est pourquoi l'analyse des frĂ©quences allĂ©liques constitue un bon indicateur du bon type de partenaire et des partenaires Ă  Ă©viter[1]. Selon la thĂ©orie de l’attribut du groupe, les traits les moins adaptatifs sont concentrĂ©s Ă  un faible niveau sur le spectre des frĂ©quences allĂ©liques, et les traits adaptatifs, Ă  un niveau supĂ©rieur[5].

Ce systĂšme permet alors d'amĂ©liorer et d’affiner le processus de sĂ©lection du partenaire et de fiabiliser la prĂ©fĂ©rence dans le choix du partenaire, car, ce qui est commun, rĂ©pandu ne peut ĂȘtre trompeur et faux[6].

Conséquences évolutives de la koinophilie

Isolement reproductif

J. H. Koeslag a modĂ©lisĂ© l'Ă©volution d'une population koinophilique selon la distribution de deux traits, et selon la rĂ©partition gĂ©ographique des individus[7]. Il a observĂ© qu'un isolement reproductif correspond Ă  un mĂ©canisme empĂȘchant ou limitant fortement l’hybridation de deux populations vivant dans la mĂȘme rĂ©gion, mĂȘme lorsque celles-ci sont Ă©troitement apparentĂ©es. Ainsi, l'isolement reproductif prĂ©-zygotique fait obstacle aux croisements avant fertilisation, de par la prĂ©sence d'une barriĂšre gĂ©ographique (montagne, falaise...) entre deux populations ou des pĂ©riodes de reproduction qui diffĂšrent entre populations. L'isolement reproductif post-zygotique empĂȘche quant Ă  lui les descendants hybrides de survivre ou de se reproduire.

Euphydryas editha

Cet isolement reproductif va conduire Ă  la formation de regroupements entre individus koinophiliques prĂ©sentant un phĂ©notype similaire ou proche[7]. La fitness des groupes les plus reprĂ©sentĂ©s en nombre va ĂȘtre supĂ©rieure Ă  celle des petits groupes. Breinstein et ses collĂšgues vont dĂ©finir cela comme Ă©tant le coĂ»t de la raretĂ©. En effet, les grands groupes vont encore s'agrandir aux dĂ©pens des petits groupes qui vont continuer Ă  diminuer[7] - [1]. En fait, les individus d'un groupe koinophilique plus grand trouveront un partenaire plus facilement que les individus d'un plus petit groupe[1] - [7]. Par consĂ©quent, au bout de plusieurs gĂ©nĂ©rations, seuls quelques groupes koinophiliques, distincts du point de vue de leur phĂ©notype, vont persister et demeurer inchangĂ©s face aux changements environnementaux[1]. Les autres groupes, possĂ©dant un phĂ©notype intermĂ©diaire vont s'Ă©teindre, formant des lacunes phĂ©notypiques entre les groupes restants[5] - [7].

Dans ce contexte, la koinophilie apparaĂźt comme une premiĂšre Ă©tape au dĂ©veloppement des barriĂšres Ă  l'hybridation. Ce type de choix du partenaire peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un moteur de la spĂ©ciation.

Euphydryas editha

Les papillons Euphydryas editha de Jasper Ridge aux États-Unis, se rĂ©partissent en trois populations sexuellement sĂ©parĂ©es, bien qu'elles ne soient confrontĂ©es Ă  aucun obstacle pour un accouplement alĂ©atoire[1].

L'isolement sexuel de ces trois populations semble ĂȘtre maintenu par koinophilie. Le comportement d'Ă©vitement des phĂ©notypes non communs Ă  chaque population a Ă©tĂ© mutuel[1].

La koinophilie semble avoir gardĂ© les papillons de Jasper Ridge sĂ©parĂ©s par des diffĂ©rences extrĂȘmement subtiles, principalement induites par l'environnement des populations. Ainsi, les papillons choisissent leurs partenaires selon les habitudes alimentaires ou l'odeur des individus, qui doivent ĂȘtre les plus proches de celles du type habituel retrouvĂ© dans la zone gĂ©ographique oĂč ils ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s[1].

La stabilité des espÚces

La Koinophilie pourrait aussi expliquer la plupart des changements phĂ©notypiques Ă©volutifs qui sont conservĂ©s chez les animaux et le fait que ces Ă©volutions aient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par des modifications mineures et progressives[5]. En effet, une fois fixĂ©e, la koinophilie limite la capacitĂ© d'Ă©volution des phĂ©notypes et maintient le phĂ©notype dominant dans une espĂšce donnĂ©e. Ainsi, la frĂ©quence allĂ©lique dominante dans la population reste stable, et rĂ©siste aux changements Ă©volutifs, malgrĂ© les mutations cryptiques (ie qui n’affectent pas le comportement) accumulĂ©es[5]. C’est pourquoi on peut observer de longues pĂ©riodes de stagnation Ă©volutive entre les Ă©vĂšnements de spĂ©ciation ou apparition d'une nouvelle espĂšce du fait d'un haut degrĂ© intraspĂ©cifique d'uniformitĂ© phĂ©notypique[6].

Le maintien du sexe

J.H. Koeslag[8] a tentĂ© d’expliquer comment la reproduction sexuĂ©e s’est maintenue au cours de l’évolution. Pour cela il a utilisĂ© un modĂšle avec une population initiale composĂ©e de diffĂ©rentes proportions d'individus sexuĂ©s et asexuĂ©s. Il a ensuite utilisĂ© un modĂšle mathĂ©matique informatique afin de dĂ©terminer, au bout de plusieurs gĂ©nĂ©rations, quelles Ă©taient les proportions d'asexuĂ©s et de sexuĂ©s qui se maintenaient dans la population finale[8]. Durant une gĂ©nĂ©ration plusieurs phases s'enchaĂźnent avant d'aboutir Ă  la nouvelle gĂ©nĂ©ration[9] :

Mutation ⇒ SĂ©lection ⇒ Rencontre entre deux partenaires (uniquement pour les individus sexuĂ©) ⇒ reproduction[9].

Dans un premier temps, il s'est focalisĂ© sur une population constituĂ©e d'individus sexuĂ©s et asexuĂ©s. AprĂšs plusieurs gĂ©nĂ©rations, les individus asexuĂ©s envahissent rapidement la population au dĂ©triment des individus sexuĂ©s qui disparaissent. Le rĂ©sultat est le mĂȘme lorsque l'on fait varier le taux de mutation, lorsque l'on insert des mutations avantageuses ou lorsque l'on change la fitness moyenne des mutants. Ces rĂ©sultats montrent que les individus sexuĂ©s n’arrivent pas Ă  se maintenir au sein de la population finale, mais n’expliquent pas pourquoi les individus sexuĂ©s restent prĂ©sents dans la nature[8] - [9].

Or, d'aprĂšs J. H. Koeslag, l'individu sexuĂ© doit se reproduire uniquement avec un partenaire sexuel qui maximise sa fitness. À cause de cette pression de sĂ©lection, l'individu sexuĂ© koinophilique doit ĂȘtre capable de distinguer les traits avantageux de ses partenaires sexuels[1]. GĂ©nĂ©ralement dans une population les traits inadaptĂ©s ont tendance Ă  ĂȘtre reprĂ©sentĂ©s en faible proportion alors que les traits adaptĂ©s ont tendance Ă  ĂȘtre reprĂ©sentĂ©s en forte proportion[1] ; de cette maniĂšre, les individus sont sĂ»rs de pouvoir Ă©viter de se reproduire avec des individus ayant des traits phĂ©notypiques rares ou inhabituels, c’est dans ce cas qu'intervient la koinophilie[8] - [9].

Ainsi, Koeslag a essayé de vérifier si les populations sexuées arrivaient à se maintenir grùce à la koinophilie. Il intÚgre la koinophilie dans son modÚle comme étant une probabilité de reproduction entre un individu koinophilique et un autre individu dépendant du niveau d'attractivité et de la fitness de cet individu, l'attractivité et la fitness étant proportionnelles[8] - [9]. Il expérimente une population initiale constituée d'individus sexués koinophiliques et asexués. Selon son modÚle informatique et aprÚs plusieurs générations les individus asexués n'envahissent pas la population sous certaines conditions.

Dans ces modĂšles, Koeslag a constatĂ© qu’un fort taux de mutation entraĂźnait une diminution de la proportion des individus asexuĂ©s, pour obtenir finalement une population constituĂ©e uniquement d’individus sexuĂ©s koinophiliques. Plus le taux de mutation augmente et plus la population d’asexuĂ©s n’arrive pas Ă  se maintenir. Dans le cas contraire l’effet est inversĂ©, une diminution du taux de mutation entraĂźne la fixation des individus asexuĂ©s au dĂ©triment des individus sexuĂ©s koinophiliques[8].

Dans le modÚle de Koeslag, le maintien de la population sexuée koinophilique est possible quand le taux de mutation est fort.

Selon que la mutation soit bĂ©nĂ©fique ou pas, les rĂ©sultats sont diffĂ©rents. Quand les mutations ne sont pas bĂ©nĂ©fiques les asexuĂ©s n’arrivent pas Ă  envahir les sexuĂ©s koinophiliques qui se maintiennent au sein de la population finale. Inversement, une augmentation des mutations bĂ©nĂ©fiques mĂšne au maintien des asexuĂ©s aux dĂ©pens des sexuĂ©s koinophiliques[8].

Dans le modÚle de Koeslag, si les mutations bénéfiques sont faibles, la population sexuée koinophilique est capable de se maintenir.

En considérant la valeur sélective (fitness) moyenne des mutants, une augmentation de la valeur sélective moyenne des mutants permet à la population sexuée koinophilique de se maintenir aprÚs plusieurs générations. Les mutants arrivent donc mieux à se reproduire et les asexués ont du mal à maintenir la population. Par contre, une diminution de la valeur sélective moyenne des mutants entraßne le maintien de la population asexuée, les individus koinophiliques ont du mal à subsister[8].

Dans le modÚle de Koeslag, le maintien de la population sexuée koinophilique est possible quand la valeur sélective (fitness) moyenne des mutants est forte.

Rappelons que dans les mĂȘmes conditions, les individus sexuĂ©s (non koinophilique) n’arrivaient pas Ă  se maintenir au sein de la population finale[8].

Par conséquent, les individus sexués koinophiliques ont une puissante capacité de rejet d'erreur génétique qui leur confÚre un avantage face aux individus asexués et leur permet de se maintenir dans la population. La koinophilie est donc capable de stabiliser les populations sexuées face à celles asexuées, malgré le coût de production élevé pour les individus sexués[9].

L’avantage de la koinophilie rĂ©side clairement dans sa capacitĂ© Ă  rĂ©sister Ă  l’accumulation de mutations lĂ©gĂšrement dĂ©savantageuses dans sa descendance. Elle permet la formation de groupe avec un morphisme qui lui est propre et qui rĂ©siste Ă  l’hybridation avec d’autres groupes en crĂ©ant des lacunes morphologiques entre les populations[8] - [9].

Pavo cristatus connu pour posséder un ornement sexuel

Cependant, lorsque le choix du partenaire est limitĂ© par la faible densitĂ© de population par exemple dans les environnements arides, l'efficacitĂ© de la koinophilie comme dispositif de rejet d’erreur gĂ©nĂ©tique peut ĂȘtre gravement compromise.

De plus, l'invasion d'hĂ©tĂ©rozygotes prĂ©sentant des allĂšles dominant dans une population koinophilique entraĂźne un dĂ©clin progressif de l'attraction et de la prĂ©sence du trait commun aprĂšs plusieurs gĂ©nĂ©rations. L’idĂ©e qu'« un bon partenaire est celui qui prĂ©sente les meilleurs traits (souvent rares) » intervient au dĂ©triment de la koinophilie qui dit qu'« un bon partenaire possĂšde les traits communs ». Deux issues sont alors possible, soit les individus se reproduisent malgrĂ© l'existence d'un polymorphisme au sein de la population (la koinophilie a disparu), soit d’éventuels indicateurs indirects de fitness font leur apparition, comme un ornement sexuel maladroit[10].

Les limites de ces modĂšles

Varanus komodoeusis ou dragon de komodo.

CatĂ©goriser les individus comme Ă©tant sexuĂ©s ou asexuĂ©s ne permet pas d’en tirer les bonnes conclusions. En effet, de nombreuses espĂšces peuvent ĂȘtre dĂ©finies par le terme "sexuĂ©", il en est de mĂȘme pour les individus asexuĂ©s. Il peut exister diffĂ©rente forme de sĂ©lection sexuelle selon l’espĂšce sexuĂ©e considĂ©rĂ©e[10]. De plus le taux de mutations peut ĂȘtre diffĂ©rent selon que l’individu soit sexuĂ© ou asexuĂ©, et particuliĂšrement selon l’espĂšce. GĂ©nĂ©ralement, le taux de mutation par paire de base est plus Ă©levĂ© chez les asexuĂ©s que chez les sexuĂ©s sauf dans des cas particuliers[11] - [12].

Certaines espĂšces peuvent faire de la reproduction sexuĂ©e et asexuĂ© selon leur cycle de vie ou le temps, c’est le cas du Dragon de Komodo. C’est dans un zoo qu’une femelle Varanus komodoeusis ou Dragon de komodo va donner naissance Ă  cinq jeunes dragons par parthĂ©nogenĂšse, sans qu’elle n’ait eu de contact avec un mĂąle, ce qui est un Ă©vĂ©nement assez rare[13].

Ces modùles ne trouvent pas d’exemple concret dans la nature.

Implication de la koinophilie dans la coopération

Geai Ă  gorge blanche (Aphelocoma coerulescens)

L’une des consĂ©quences de la koinophilie est de promouvoir l’accumulation d’avantages sĂ©lectifs au niveau du groupe, qui ne sont pas forcĂ©ment bĂ©nĂ©fiques pour l’individu (Koeslag, 1994). Le dilemme du prisonnier, Ă©noncĂ© par Albert W. Tucker en 1950, caractĂ©rise une situation oĂč deux joueurs doivent choisir de coopĂ©rer ou de trahir l'autre sur un jeu qui ne dure qu'un tour. Ainsi, si les deux joueurs choisissent de coopĂ©rer, leur bĂ©nĂ©fice sera maximal. Si seul un des deux joueurs coopĂšre, il sera fortement pĂ©nalisĂ© tandis que l'autre joueur aura un bĂ©nĂ©fice encore plus grand. Cependant, si les deux joueurs se trahissent, le rĂ©sultat leur sera moins favorable que si les deux joueurs avaient coopĂ©rĂ©. Cette thĂ©orie illustre donc l'avantage pour deux individus de coopĂ©rer afin de maximiser leurs bĂ©nĂ©fices. La koinophilie pousse Ă  la coopĂ©ration au sein du groupe et permet donc de maximiser la fitness du groupe entier[14].

Les Ă©tudes de Lande (1981) et Kirkpatrick (1982) ont montrĂ© que la koinophilie ne s’appliquait pas seulement Ă  des critĂšres phĂ©notypiques mais qu’elle concernait aussi les comportements et surtout les interactions sociales des individus au sein de la population[12] - [10]. Ils ont montrĂ© que la koinophilie stabilise les dynamiques de la population en favorisant tout ce qui conduit Ă  l’élaboration d’une stratĂ©gie commune. Si la koinophilie est nĂ©gligĂ©e lors d’une Ă©tude de dynamique populationnelle, aucune stratĂ©gie Ă©volutivement stable n’est trouvĂ©e. Dans les populations koinophiliques, la stratĂ©gie individuelle laisse place Ă  une stratĂ©gie de groupe. Le groupe est dit d'« accumulateurs d’adaptations » car la coopĂ©ration entre les individus permet de maximiser la fitness du groupe. En effet, les groupes coopĂ©ratifs sont plus efficaces que les individus Ă©goĂŻstes car ils exploitent de façon plus efficace leur environnement[15]. Cependant, cette maximisation de la fitness ne fonctionne qu’à l’échelle du groupe. Ainsi, si un individu quitte son groupe d’origine il perdra tous les avantages de sa stratĂ©gie de coopĂ©ration puisque cette derniĂšre ne s’applique pas Ă  l’individu mais au groupe. En effet, cette stratĂ©gie Ă©volutivement stable est hĂ©ritĂ©e de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration par le groupe et non par l’individu.

Les groupes coopĂ©ratifs sont donc plus avantagĂ©s par rapport aux individus Ă©goĂŻstes. Pourtant, les individus Ă©goĂŻstes possĂšdent un niveau de fitness individuelle plus Ă©levĂ© que les individus de ces groupes[15] - [3]. En effet, si on considĂšre un individu Ă©goĂŻste, dans un groupe prĂ©sentant une stratĂ©gie coopĂ©rative pour la chasse, ne participant donc pas Ă  la chasse comme les autres individus du groupe, et profitant tout de mĂȘme de la nourriture rapportĂ©e, il paraĂźt Ă©vident que celui-ci sera plus avantagĂ© qu’un individu qui coopĂšre. Cet individu Ă©goĂŻste aura probablement un taux de survie et un taux de reproduction plus important que les autres membres du groupe. Cependant, ces individus Ă©goĂŻstes ne peuvent pas entrer en compĂ©tition avec des groupes prĂ©sentant une bonne coopĂ©ration[15] - [3]. En effet, si cet individu Ă©goĂŻste est considĂ©rĂ© comme inadaptĂ© pour le groupe par ses congĂ©nĂšres, parce qu’il ne possĂšde pas les caractĂ©ristiques comportementales standards du groupe, il sera rejetĂ©. Il devient alors Ă©vident qu'il serait plus avantageux pour chaque individu du groupe de coopĂ©rer.

La koinophilie stabilise les phĂ©notypes comportementaux et les prĂ©fĂ©rences des femelles, ce qui est comparable au modĂšle de Lande et Kirkpatrick sur la stabilisation des ornements chez les mĂąles. La coopĂ©ration dans un groupe se ferait en plusieurs Ă©tapes, en commençant pas un caractĂšre bien spĂ©cifique, exemple : la recherche de nourriture. Cette caractĂ©ristique avantageuse Ă©volue et engendre une coopĂ©ration entre les individus puis s’étend ensuite Ă  d’autres caractĂšres tels que le cri d’alarme ou autre, c’est ainsi qu’un groupe devient coopĂ©ratif, par Ă©tapes. Cela soulĂšve les capacitĂ©s d’imitation et d’apprentissage chez les animaux avec une forte plasticitĂ© comportementale. Il est difficile de sĂ©parer la koinophilie de la coopĂ©ration. Puisque sans coopĂ©ration, la koinophilie serait vite Ă©liminĂ©e par transfuge et que sans koinophilie, la coopĂ©ration disparaĂźtrait au bout de seulement six gĂ©nĂ©rations. La koinophilie est dĂ©finie comme une « force Ă©volutive agressive » de la coopĂ©ration[12].

La koinophilie demande de grandes capacitĂ©s mentales de traitement de l’information ainsi que de mĂ©moire car il est nĂ©cessaire d’analyser Ă  la fois les comportements du groupe dans diffĂ©rentes circonstances mais aussi le comportement du partenaire potentiel. Il y a toute une Ă©tude sur les mĂ©canismes physiologiques mĂ©moire-sensoriels en cours de rĂ©alisation.

Du point de vue évolutif, la koinophilie permet donc au comportement coopératif de stabiliser les groupes[15].

Chez certains oiseaux nicheurs tels que le Geai Ă  gorge blanche (Aphelocoma coerulescens) les individus qui ne sont pas des ‘aides’ pour le groupe (construction des nids, protection du territoire, nourrissage des petits) s'accouplent rarement . En effet, les oiseaux qui ont une certaine capacitĂ© Ă  se reconnaĂźtre, choisissent de ne pas s'accoupler avec des partenaires ayant ce comportement non conforme[15].

Valeur de la théorie de J.H Koeslag

J.H. Koeslag est le principal investigateur des Ă©tudes au sujet de la koinophilie : il a publiĂ© de nombreux articles s’appuyant sur des modĂšles stochastiques pour illustrer ce phĂ©nomĂšne. Cependant, la communautĂ© scientifique n’ayant pas trouvĂ© d’exemple que cette thĂ©orie s’appliquait au vivant, elle l’a peu Ă  peu laissĂ© tomber dans l’oubli[16]. Il semblerait en effet, que la plupart des espĂšces orienterait leur choix du partenaire sexuel en fonction du critĂšre d’adaptabilitĂ©. En fait, plus un partenaire sexuel potentiel va ĂȘtre adaptĂ© Ă  son environnement, plus il va trouver facilement un partenaire. Dans un contexte comme celui-ci, la koinophilie ne pourrait jamais envahir cette population. En effet, la koinophilie ne garantit pas Ă  100 % le choix d’un bon partenaire, tandis que le choix du partenaire le plus adaptĂ© assure cela.

De plus, Koeslag attribue Ă  la koinophilie de nombreux bĂ©nĂ©fices qui ne lui sont pas dus. Par exemple, il certifie que les mutations dĂ©lĂ©tĂšres sont Ă©radiquĂ©es plus rapidement dans une population koinophilique que dans toute autre population. NĂ©anmoins, quelle que soit la stratĂ©gie de choix du partenaire sexuel, une mutation dĂ©lĂ©tĂšre est toujours trĂšs rapidement Ă©liminĂ©e de la population du fait que l’individu la portant se reproduit moins que les autres car il est mal adaptĂ©.

D’autre part, contrairement Ă  ce que prĂ©tend J. H. Koeslag, la koinophilie n’apporte pas de maintien de la sexualitĂ© au sein d’une population. En effet, s’il existe un nombre suffisant de mutations bĂ©nĂ©fiques dans une population, alors quel que soit le type de choix du partenaire sexuel, la population asexuĂ©e se maintiendra au dĂ©triment de la population de sexuĂ©e.

Ainsi la koinophilie reste une thĂ©orie assez controversĂ©e et limitĂ©e en termes d’application[16].

Notes et références

  1. Johan H. Koeslag, Koinophilia groups sexual creatures into species, promotes stasis, and stabilizes social behaviour, Journal of theoretical biology, 1990, vol. 144, no 1, p. 15-35.
  2. J. H. Koeslag, Koinophilia replaces random mating in populations subject to mutations with randomly varying fitnesses, Journal of theoretical biology, 1994, vol. 171, no 3, p. 341-345.
  3. « Johan (Hans) Koeslag », sur Old Cambrian Society, (consulté le )
  4. (en) Johan H. Koeslag, Koinophilia groups sexual creatures into species, promotes stasis, and stabilizes social behaviour, Journal of theoretical biology, 1990, vol. 144, no 1, p. 15-35.
  5. (en) Johan H. Koeslag et Peter D. Koeslag, Koinophilia, Journal of theoretical biology, 1994, vol. 167, no 1, p. 55-65.
  6. M. K. Unnikrishnan, Koinophilia revisited: the evolutionary link between mate selection and face recognition, Current Science(Bangalore), 2012, vol. 102, no 4, p. 563-570.
  7. Johan H. Koeslag, On the engine of speciation, Journal of theoretical biology, 1995, vol. 177, no 4, p. 401-409.
  8. (en) J. H. Koeslag et P. D. Koeslag, Evolutionarily stable meiotic sex, Journal of Heredity, 1993, vol. 84, no 5, p. 396-399.
  9. (en) Peter D. Koeslag et Johan H. Koeslag, Koinophilia stabilizes bi-gender sexual reproduction against asex in an unchanging environment, Journal of theoretical biology, 1994, vol. 166, no 3, p. 251-260.
  10. (en) Malte Andersson et Leigh W. Simmons, Sexual selection and mate choice, Trends in Ecology & Evolution, 2006, vol. 21, no 6, p. 296-302.
  11. (en) Paul D. Sniegowski, Philip J. Gerrish, Toby Johnson, et al., The evolution of mutation rates: separating causes from consequences, Bioessays, 2000, vol. 22, no 12, p. 1057-1066.
  12. (en) John W. Drake, Brian Charlesworth, Deborah Charlesworth, et al., Rates of spontaneous mutation, Genetics, 1998, vol. 148, no 4, p. 1667-1686.
  13. (en) Phillip C. Watts, Kevin R. Buley, Stephanie Sanderson, et al., Parthenogenesis in Komodo dragons, Nature, 2006, vol. 444, no 7122, p. 1021-1022.
  14. (en) Johan H. Koeslag et Elmarie Treblanche, Evolution of cooperation: cooperation defeats defection in the cornfield model, Journal of theoretical biology, 2003, vol. 224, no 3, p. 399-410.
  15. (en) Johan H. Koeslag, Sex, the prisoner's dilemma game, and the evolutionary inevitability of cooperation, Journal of theoretical biology, 1997, vol. 189, no 1, p. 53-61.
  16. (en)MATHEW, Geetha. Koinophilia and the exception reporting model of face recognition: Ill-fated solitary neologisms?. Current Science, 2012, vol. 102, no 10, p. 1354.

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