KĂŒltepe
KĂŒltepe (Colline de cendres en turc) est un site archĂ©ologique de Turquie, situĂ© Ă une vingtaine de kilomĂštres au nord-est de Kayseri. Il correspond Ă lâancienne ville hittite appelĂ©e Kanesh et plus tard Nesha au IIe millĂ©naire av. J.-C. Ce site est surtout connu pour avoir livrĂ© des milliers de tablettes rĂ©digĂ©es par des marchands de la citĂ© dâAssur Ă©tablis dans le quartier marchand (kÄrum) de Kanesh entre la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle av. J.-C. et le milieu du XVIIIe siĂšcle av. J.-C., fournissant ainsi une source de premier ordre sur le commerce dans la Haute AntiquitĂ©.
Kanesh (tr) KĂŒltepe | |||
Ruines du kÄrum (quartier marchand) de Kanesh. | |||
Localisation | |||
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Pays | Turquie | ||
Province | Kayseri | ||
CoordonnĂ©es | 38° 51âČ 00âł nord, 35° 38âČ 00âł est | ||
GĂ©olocalisation sur la carte : Turquie
GĂ©olocalisation sur la carte : province de Kayseri
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Histoire | |||
Ăpoque | IIIe et IIe millĂ©naires av. J.-C. | ||
Les fouilles et la documentation exhumée
Les premiĂšres fouilles sur le site de KĂŒltepe sont le fait de fouilleurs clandestins, durant la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle. Ces tablettes, vendues sur le marchĂ© de Kayseri Ă partir de 1881, attirent lâattention de chercheurs, qui repĂšrent vite quâelles proviennent dâun seul et mĂȘme site, correspondant Ă lâantique Kanesh. Benno Landsberger identifie en 1924 le site comme Ă©tant celui de KĂŒltepe, dont le tell a dĂ©jĂ Ă©tĂ© fouillĂ© par des Français puis des Allemands, sans livrer de tablettes. LâannĂ©e suivante, le philologue tchĂšque Bedrich Hrozny est finalement orientĂ© vers la zone de lâancien quartier marchand (le kÄrum), oĂč il trouve un millier de tablettes. Les archĂ©ologues turcs prennent le chantier en main aprĂšs 1948, et depuis le site de KĂŒltepe fait lâobjet dâune campagne de fouilles chaque annĂ©e, et les trouvailles de tablettes ne se sont pas arrĂȘtĂ©es.
Le corpus de textes livrĂ© par le kÄrum de Kanesh le place parmi les sites les plus prolifiques du Proche-Orient ancien : 22 000 tablettes rĂ©pertoriĂ©es environ. Des prĂšs de 5 000 tablettes et fragments qui ont Ă©tĂ© exhumĂ©s avant 1948, plus des trois quarts proviennent de fouilles clandestines, et se trouvent dans des collections dispersĂ©es. Le reste, dĂ©couvert depuis 1948, se trouve Ă Ankara. Hormis une poignĂ©e de tablettes retrouvĂ©es dans le palais royal, la documentation est le fait de marchands de la citĂ©-Ătat dâAssur faisant des affaires en Anatolie. Elle est rĂ©digĂ©e dans leur langue, le palĂ©o-assyrien (forme ancienne de lâassyrien), en cunĂ©iforme. Une grosse partie est composĂ©e de documents de nature privĂ©e : des lettres avant tout. Les tablettes de nature juridique (contrats, actes de vente, de prĂȘts, crĂ©ances, procĂšs-verbaux, verdicts judiciaires) sont Ă©galement nombreuses. On a Ă©galement retrouvĂ© des textes de comptabilitĂ©, et quelques exercices scolaires, des incantations, et des textes littĂ©raires[1].
Historique
La citadelle de KĂŒltepe est habitĂ©e au moins depuis le milieu du IIIe millĂ©naire. C'est des annĂ©es 2400-2100 que date un imposant palais situĂ© sur le tell principal, attestant de la prĂ©sence sur place d'un centre de pouvoir important. Suivant un rĂ©cit postĂ©rieur d'environ un millĂ©naire, un souverain de Kanesh aurait participĂ© Ă une rĂ©volte contre le roi mĂ©sopotamien Naram-Sin d'Akkad (v. 2254-2218) aux cĂŽtĂ©s d'autres souverains d'Anatolie. L'historicitĂ© de cet Ă©vĂ©nement est Ă dĂ©montrer, mais il apparaĂźt au moins grĂące aux nombreux sceaux mis au jour dans le palais que Kanesh Ă©tait alors en relations avec la Syrie et la MĂ©sopotamie[2].
Les marchands d'Assur Ă Kanesh
Son histoire devient plus claire grĂące aux archives palĂ©o-assyriennes de la premiĂšre moitiĂ© du IIe millĂ©naire. C'est de cette pĂ©riode que datent les archives des marchands assyriens, plus de 20 000 tablettes et fragments, dont un corpus de premier ordre du Proche-Orient ancien, documentant les activitĂ©s commerciales, mais aussi la politique et la sociĂ©tĂ© d'Assur et de l'Anatolie Ă ces pĂ©riodes (voir pĂ©riode palĂ©o-assyrienne). Si lâhistoire du kÄrum se divise en quatre niveau archĂ©ologiques (les deux premiers remontant Ă la seconde moitiĂ© du IIIe millĂ©naire), les tablettes proviennent majoritairement du niveau II, qui correspond Ă la pĂ©riode allant environ de 1945 Ă 1835 av. J.-C., soit du rĂšgne de Erishum Ier dâAssur Ă celui de Naram-SĂźn dâAssur. AprĂšs un trou dâune vingtaine dâannĂ©es dans les archives, dont la cause exacte nâest pas Ă©lucidĂ©e, environ 400 tablettes nous sont parvenues du niveau Ib, correspondant Ă la pĂ©riode durant laquelle Assur est dominĂ©e par la dynastie dâEkallatum, reprĂ©sentĂ©e par Shamshi-Adad Ier (SamsĂź-Addu) et son fils Ishme-Dagan (dâenviron 1800 Ă 1750 av. J.-C.).
- Lettre d'un marchand Ă un responsable de convoi.
- Compte des recettes et dépenses d'un convoi.
- Reçu pour un prĂȘt en argent.
- Compte-rendu de procĂšs.
Le royaume de Kanesh et ses voisins
Les sources palĂ©o-assyriennes nous renseignent en effet sur la situation politique de lâAnatolie et de la citĂ© de Kanesh. Celle-ci se trouve dans une rĂ©gion habitĂ©e avant tout par des populations parlant des langues indo-europĂ©ennes, notamment des Hittites. La fin de la pĂ©riode des archives assyriennes correspond Ă un changement de la situation politique en Anatolie : la rĂ©gion est en voie dâunification sous la houlette des souverains de la citĂ© de Kussara, situĂ©e au nord de Kanesh, Pithana puis son successeur Anitta. Une inscription au nom de ce dernier a Ă©tĂ© retrouvĂ©e sur une tĂȘte de lance mise au jour dans le palais royal. Il semble avoir fait de Kanesh sa capitale.
AprĂšs cette Ă©poque, le royaume hittite se constitue, dans des circonstances encore non Ă©lucidĂ©es. Kanesh est en tout cas une ville de ce royaume, et le palais de la citadelle comporte un niveau remontant Ă la pĂ©riode impĂ©riale hittite (XIVeâââXIIe siĂšcles). La ville occupe apparemment une position importante dans lâhistoire des origines des Hittites, puisque la langue de ce peuple est alors qualifiĂ©e de neĆĄumnili, c'est-Ă -dire la langue « de Nesha », autre nom de Kanesh. Un rĂ©cit lĂ©gendaire, parfois appelĂ© LĂ©gende de la Reine de Kanesh (CTH 3), renvoie Ă©galement Ă la place de la citĂ© dans la tradition relative aux origines du peuple hittite.
Le site de KĂŒltepe
La ville basse : le kÄrum
Le quartier des marchands (kÄrum) dâAssur Ă©tait bĂąti sur la partie basse du tell de KĂŒltepe, protĂ©gĂ© par une enceinte. Quatre phases dâoccupation y ont Ă©tĂ© identifiĂ©es, celles datant de la premiĂšre moitiĂ© du IIe millĂ©naire, ayant vu lâinstallation des Assyriens Ă Kanesh. Le niveau II est celui qui connaĂźt lâoccupation la plus importante, et a livrĂ© le plus de tablettes. Le kÄrum est abandonnĂ© aprĂšs la pĂ©riode Ia, qui correspond aux annĂ©es prĂ©cĂ©dent la constitution du royaume hittite.
Le quartier des marchands est un espace relativement ouvert, traversĂ© par des voies larges, et percĂ© de sortes de places. Les maisons sont regroupĂ©es en Ăźlots. Elles connaissent une division classique autour dâun espace central, en trois espaces : magasins (renfermant souvent les archives), bureau et habitation. Certaines possĂ©daient un Ă©tage. Dâautres habitations de taille rĂ©duite ne comportaient que deux salles avec Ă©ventuellement une petite cour. Le matĂ©riel archĂ©ologique retrouvĂ© dans les rĂ©sidences est toujours de type anatolien. On y a notamment trouvĂ© de la vaisselle : des pots en cĂ©ramique, des rhytons souvent zoomorphes (lions, aigles), et aussi des objets en mĂ©tal. Les tombes se trouvaient sous les maisons, et ont Ă©galement livrĂ© quelques objets (armes, bijoux, vaisselle).
En lâabsence de matĂ©riel archĂ©ologique assyrien, ce sont donc les trouvailles de tablettes palĂ©o-assyriennes qui permettent dâidentifier les rĂ©sidences des marchands dâAssur. Celles-ci se trouvent surtout vers le nord du kÄrum, le sud Ă©tant habitĂ© surtout par des Anatoliens. Les textes pouvaient ĂȘtre conservĂ©s dans des jarres, des paniers, des caisses, ou bien sur des Ă©tagĂšres.
Des ateliers ont Ă©galement Ă©tĂ© mis au jour : cĂ©ramistes, mĂ©tallurgistes, travail de la pierre. Les archĂ©ologues pensent Ă©galement avoir identifiĂ© des tavernes. En revanche, aucun bĂątiment religieux ou public nâa Ă©tĂ© identifiĂ©, bien quâils soient mentionnĂ©s dans les textes.
La citadelle et le palais
Le sommet du tell surplombe la plaine dâune vingtaine de mĂštres. La citadelle dont il abrite les ruines a Ă©tĂ© bĂątie vers le milieu du IIIe millĂ©naire. Des niveaux de la pĂ©riode de lâEmpire hittite y ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s, mais les fouilles ont surtout concernĂ© la pĂ©riode prĂ©-hittite, dans le palais dit « de Warshama », du nom dâun des rois de Kanesh de lâĂ©poque du second comptoir assyrien. Ce palais a brĂ»lĂ©, et on y a retrouvĂ© des poutres en bois qui ont permis de dater sa construction par le procĂ©dĂ© de dendrochronologie : le palais aurait Ă©tĂ© construit vers 1836-1825 av. J.-C., et restaurĂ© par endroits vers 1775-1764 av. J.-C.[3]
Notes et références
- (en) K. R. Veenhof, « Archives of Old Assyrian Traders », dans M. Brosius (dir.), Archives and Archival Tradition: Concepts of Record Keeping in the Ancient World, Oxford, 2003, p. 78-123
- (en) F. KulakoÄlu et G. ĂztĂŒrk, « New evidence for international trade in Bronze Age central Anatolia: recently discovered bullae at KĂŒltepe-Kanesh », sur Antiquity Journal, (consultĂ© le )
- (en) M. W. Newton et P. I. Kuniholm, « A Dendrochronological Framework for the Assyrian Colony Period in Asia Minor », dans TĂŒrkiye Bilimler Akademisi Arkeoloji Dergisi 7 VII, 2004, p. 165â176.
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- (en) Tahsin ĂzgĂŒĂ§, « KaneĆĄ », dans Eric M. Meyers (dir.), Oxford Encyclopaedia of Archaeology in the Ancient Near East, vol. 3, Oxford et New York, Oxford University Press, , p. 266-268
- (en) Fikri KulakoÄlu, « KĂŒltepe-KaneĆĄ: A Second Millennium B.C.E. Trading Center on the Central Plateau », dans Sharon R. Steadman et Gregory McMahon (dir.), Handbook of ancient Anatolia (10,000â323 B.C.E.), Oxford, Oxford University Press, , p. 1012-1030
- Cécile Michel, Correspondance des marchands de Kaniƥ au début du IIe millénaire avant J.-C., Paris, Le Cerf, coll. « Littératures anciennes du Proche-Orient »,
- (en) CĂ©cile Michel, « The KÄrum Period on the Plateau », dans Sharon R. Steadman et Gregory McMahon (dir.), Handbook of ancient Anatolia (10,000â323 B.C.E.), Oxford, Oxford University Press, , p. 313-336
- (en) Klaas R. Veenhof, « The Old Assyrian Period », dans Klaas R. Veenhof et Jesper Eidem, Mesopotamia, The Old Assyrian Period, Fribourg et Göttingen, UniversitÀtsverlag Freiburg Schweiz et Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis » (no 160/5), , p. 13-264
- (en) Mogens Trolle Larsen, Ancient Kanesh : A Merchant Colony in Bronze Age Anatolia, Cambridge, Cambridge University Press,
- (en) Levent Atici, Fikri KulakoÄlu, Gojko Barjamovic et Andrew Fairbairn (dir.), Current Research at KĂŒltepe-Kanesh: An Interdisciplinary and Integrative Approach to Trade Networks, Internationalism, and Identity, Atlanta, Lockwood Press, coll. « The Journal of Cuneiform Studies Supplemental Series » (no 4),
- (en) Gojko Barjamovic, « Before the Kingdom of the Hittites: Anatolia in the Middle Bronze Age », dans Karen Radner, Nadine Moeller et Daniel T. Potts (dir.), The Oxford History of the Ancient Near East, Volume 2: From the End of the Third Millennium BC to the Fall of Babylon, New York, Oxford University Press, , p. 497-565
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Ressource relative Ă l'architecture :
- Ressource relative à la géographie :
- Ressource relative aux beaux-arts :
- (en) Grove Art Online
- C. Michel,
- « Kaniƥ, un comptoir commercial assyrien en Anatolie », sur le site Hatti, Association des amis de la civilisation hittite, 1998 ;
- « Calculer chez les marchands Assyriens au début du IIe millénaire av. J.-C. », sur le site CultureMATH, 2006.
- KĂŒltepe, un site pilote pour la recherche interdisciplinaire, sur le blog BrĂšves mĂ©sopotamiennes, 2015