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Jerrican

Un jerrican ou jerrycan[1] (en allemand : Wehrmacht-Einheitskanister) est un bidon pour carburant en acier, inventé en Allemagne en 1936 et mis en service en grand nombre dans les unités mécanisées de la Wehrmacht avant la Seconde Guerre mondiale. Dès 1940, il fut copié et adopté par les armées de tous les belligérants.

Deux bidons à essence allemands, à gauche un modèle ancien et à droite un Wehrmacht-Einheitskanister (jerrican) fabriqué par Nirona en 1941.
Trois jerricanes.

Le mot « jerrican Â» dĂ©signe dĂ©sormais tout « bidon » de plus de vingt litres, jadis en acier, dĂ©sormais en plastique, notamment en polyĂ©thylène haute densitĂ© (PEHD) fabriquĂ© par extrusion-soufflage. Les rectifications orthographiques du français adoptĂ©es par l'AcadĂ©mie française depuis 1990[n 1] recommandent d'Ă©crire jerricane et d'utiliser comme mots français bidon voire nourrice[1] - [3].

Étymologie

Le terme original allemand pour désigner un jerrycan est Wehrmacht-Einheitskanister, signifiant « récipient (Kanister, dérivé du latin canistrum désignant anciennement des paniers) standard de la Wehrmacht » .

Jerrycan signifie en français « bidon de Jerry ». Le prénom Jerry servait aux Anglais à désigner de façon méprisante les Allemands dès la Première Guerre mondiale.

Selon les uns, Jerry, pl. Jerries, le surnom que les Britanniques, Hollandais et Norvégiens donnaient aux soldats allemands (équivalent du terme boches en français), serait dérivé du Stahlhelm, le casque allemand introduit en 1916, dont les soldats britanniques prétendaient qu'il ressemble à un pot de chambre, appelé par dérision en argot britannique (slang), un « jerry » ou « jéroboam », par analogie avec ce type de bouteille de grande contenance (3 ou 4,5 litre). Selon les autres, il ne s'agirait que d'un terme péjoratif (voir la définition de l'ethnophaulisme) utilisé pour désigner de façon méprisante les prénoms allemands Joseph et Johannes[4].

Description

Allemands remplissant des jerrycans embossés en X depuis un wagon-citerne en Russie, juin 1941.

Il se prĂ©sente sous la forme d'un rĂ©cipient de forme parallĂ©lĂ©pipĂ©dique[5] formĂ© de deux parties faites Ă  l'origine en tĂ´le d'acier emboutie de 0,8 mm et assemblĂ©es par soudure. Son goulot est en retrait ce qui le protège et facilite l'empilage de plusieurs jerricans. Il est Ă©quipĂ© d'un bouchon Ă  came et d'une prise d'air contre le refoulement, il peut ĂŞtre Ă©quipĂ© d'un bec verseur mais peut aussi ĂŞtre utilisĂ© sans. La manutention est aisĂ©e grâce Ă  trois tubes qui forment autant de poignĂ©es parallèles. Celles-ci permettent la prise, par une seule personne, soit de quatre jerrycans vides par les barres extĂ©rieures, soit de deux bidons pleins par la barre centrale, soit enfin la prise par deux personnes. La forme et la rĂ©sistance du rĂ©cipient permettent l'empilage de cinq jerricans pour stockage. Les flancs sont raidis par des formes en X embossĂ©es sur les premiers modèles allemands, puis par un rectangle prolongĂ© par quatre « bras Â» Ă  partir de 1939. Sa contenance originale est de vingt litres. Rempli de carburant de densitĂ© comprise entre 0,7 et 0,8, il reste suffisamment d'air dans la bosse Ă  l'arrière des poignĂ©es pour assurer la flottaison en cas d'immersion et un meilleur Ă©coulement lorsqu'on le vide.

Histoire

Panzers transportant plusieurs jerrycans sur leurs plages arrière (Russie, été 1941).
Wehrmacht-Einheitskanister (jerricane), fixé sur un Kübelwagen de la Feldgendarmerie (Russie, 1943).

C'est en secret qu'en 1936, sous la direction de l'ingĂ©nieur en chef Vinzenz GrĂĽnvogel, la firme MĂĽller Maschinen[6] de Schwelm, en Westphalie, met au point un prototype de bidon d'essence rĂ©volutionnaire[7] destinĂ© Ă  augmenter l'autonomie opĂ©rationnelle indispensable aux Panzerdivisionen. Il est baptisĂ© Wehrmachtkanister (« bidon de la Wehrmacht Â»). BaptisĂ© « R-12 », le bidon de vingt litres est amĂ©liorĂ© puis produit par la sociĂ©tĂ© germano-americaine de carrosserie Ambi-Budd Presswerk (ABP) Ă  Berlin Ă  partir de 1937.

Selon la légende[8], en 1939, deux ingénieurs miliitaires de chez ABP, l'un allemand, Ruppert Philip (1873-1939), l'autre américain, le colonel Paul Pleiss (1888-1947)[9], décident d’effectuer un périple en Inde avec une voiture modifiée par leurs soins. L’Allemand, ayant accès aux Wehrmacht-Einheitskanister stockés à l’aéroport de Tempelhof, en subtilise trois exemplaires pour équiper la voiture.

Le périple se déroule d'abord sans problème pour Pleiss et son compagnon, qui franchissent onze frontières. Mais le vol des bidons découvert, Göring met tout en œuvre pour faire arrêter l'ingénieur allemand, accusé de trahison pour avoir dévoilé à Pleiss l'existence du bidon classé secret militaire et le fait rapatrier dans un avion dépêché à cet effet.

Voyant la vie de son ami en danger, Pleiss saisit l'importance que les autorités allemandes accordent à ce bidon. Il continue jusqu'à Calcutta, met son véhicule en dépôt et prend l'avion pour les États-Unis. Aussitôt arrivé, il prend contact avec les autorités militaires américaines et leur explique ce qu'il sait, y compris la réaction brutale des Allemands, mais sans parvenir à éveiller leur intérêt. Il fait ensuite rapatrier son véhicule et montre aux militaires à quoi ressemble le Wehrmachtkanister. Pour finir, l'armée américaine consent à utiliser les informations fournies par Pleiss, mais ne conserve que la taille du récipient, modifiant presque tout le reste et obtenant finalement une copie bien inférieure au modèle, le 5-gallon steel military gasoline can, désigné par la référence MIL-C-1283D.

Soigneusement dissimulés aux regards des observateurs étrangers lors de l'annexion de l'Autriche et de la Tchécoslovaquie, ces récipients n’apparurent en nombre qu'en 1940, au cours des opérations de Norvège où les Alliés en saisirent quelques exemplaires.

En 1940, les Britanniques apprennent Ă  leurs dĂ©pens qu'une armĂ©e moderne a aussi besoin d'une grande quantitĂ© de bidons solides pour approvisionner chars et camions. Ils dĂ©cidèrent de copier le modèle allemand. Au cours d'un sĂ©jour Ă  Londres, Paul Pleiss leur dĂ©voila tout ce qu'il savait sur le sujet et leur fit envoyer l'un des trois exemplaires en sa possession. C'est ainsi qu'au cours des opĂ©rations de la guerre du dĂ©sert, puis jusqu'Ă  la fin du conflit, Britanniques et Allemands ravitaillèrent leur vĂ©hicules avec les mĂŞmes bidons, les uns marquĂ©s « Wehrmacht Â», les autres siglĂ©s « WD Â» et marquĂ©s de la broad arrow.

C'est aussi durant les opĂ©rations en Afrique, puis en Russie, que se rĂ©vĂ©la la nĂ©cessitĂ© de fabriquer des exemplaires rĂ©servĂ©s au transport d'eau potable ou destinĂ©e au refroidissement des moteurs. Pour les diffĂ©rencier, les Allemands y emboutirent l'inscription Wasser assortie d'une large croix verticale blanche, les Anglais inscrivant simplement un « W Â» blanc.

Les Italiens aussi copièrent l'original, puis les Russes, puis les Suisses, puis les Français (qui firent même fabriquer des modèles réservés au transport de vin) et toutes les armées européennes. Aujourd'hui, la majorité des armées à travers le monde utilisent ce même conteneur à carburant pour équiper leurs véhicules.

Les AmĂ©ricains, quant Ă  eux, prĂ©fĂ©rèrent conserver leur modèle de cinq gallons (18,92 litres) jusqu'Ă  la fin du conflit, bien qu'il soit inutilisable sans bec verseur et que son bouchon Ă  vis, impossible Ă  ouvrir sans outil spĂ©cifique, se perde facilement.

Les AlliĂ©s utilisèrent 17,5 millions de ces rĂ©cipients, tous modèles confondus, pour le DĂ©barquement. Ă€ l'automne 1944, 15 millions avaient Ă©tĂ© Ă©garĂ©s, souvent volĂ©s ou dĂ©tournĂ©s, des trafics se mettant mĂŞme en place[6]. Cela menaça le ravitaillement des unitĂ©s de combat et une opĂ©ration de rĂ©cupĂ©ration fut lancĂ©e avec l'aide des civils français.

Cela explique pourquoi ce récipient de tôle reste principalement associé, en Europe de l'Ouest, aux armées alliées et à la Libération, alors qu'il était arrivé quatre ans plus tôt avec les Panzerdivisionen.

Notes

  1. L'Académie française « n’a pas souhaité donner un caractère impératif à ces rectifications ni se limiter à une simple tolérance orthographique : elle a choisi la voie prudente de la recommandation[2] ».

Références

  1. « nourrice », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  2. Académie française, « Questions de langue : Rectifications de l'orthographe », sur academie-francaise.fr (consulté le ).
  3. Commission d’enrichissement de la langue française, « nourrice », sur FranceTerme, ministère de la Culture (consulté le ).
  4. (en) Richard Holmes, Tommy : the British soldier on the Western Front, 1914-1918, Harper Perennial, (ISBN 0007137524 et 9780007137527, OCLC 58973173).
  5. Plans de fabrication des différents modèles et historique.
  6. Laurent Henniger, « Jerrycan : le lego de la guerre motorisée », Guerres & Histoire, no 4,‎ , p. 60-61.
  7. Selon l'article précité de Laurent Henniger, certaines sources indiquent que l'origine du jerrican serait italienne mais les sources les plus fiables indiquent la firme Müller.
  8. Tous les spécialistes de l'histoire du jerrycan ne sont pas en accord avec le récit « Pleiss » dont aucune preuve ne semble exister. La version la plus documentée est la remise aux mains des Américains d'exemplaires saisis en France en 1940 par les Anglais.
  9. Né le 30 mai 1888 à Milwaukee, Wisconsin, États-Unis, mort le 17 octobre 1947 (59) à Manhattan, New York, États-Unis, et inhumé au Forest Home Cemetery, Milwaukee, Section 34.

Bibliographie

  • Philippe Leger, Jerrycan, 70 ans et toujours en service/70 year-old and still in service, Éditions Heimdal, 2008 (ISBN 978-2-84048-244-4).
  • Philippe Leger et StĂ©phane Arquille, Wehrmacht Kanister 20 liter, Une invention allemande/A german invention, Éditions Heimdal, 2014.

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