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Inviolabilité diplomatique

L'inviolabilitĂ© diplomatique est une des immunitĂ©s diplomatiques prĂ©vues pour les diplomates dĂ»ment accrĂ©ditĂ©s dans un pays. La personne de l'agent diplomatique ne peut ainsi ĂȘtre soumise Ă  aucune forme d'arrestation ou de dĂ©tention mĂȘme temporaire sauf en cas de flagrant dĂ©lit[1]. Cette disposition est prĂ©vue par l'article 29 de la Convention de Vienne de 1961[1]. Comme l'indique A. BĂ©renger, « les ambassadeurs Ă©taient censĂ©s bĂ©nĂ©ficier d’une forme de protection de par leur statut, dans la mesure oĂč leur personne Ă©tait vue comme inviolable et sacrĂ©e Â»[2].

Histoire

L'interdit religieux atour des hérauts grecs

En se basant sur le Digeste et les sources antiques, il faut admettre que les Grecs considĂ©raient dĂ©jĂ  comme impie le fait de porter atteinte Ă  un ambassadeur. Dans ses AntiquitĂ©s judaĂŻques, Flavius JosĂšphe le dĂ©finit comme « l’acte qui, de l'aveu des Grecs et des barbares, est la pire des dĂ©loyautĂ©s » avant d’ajouter que « les Grecs, en effet, ont dĂ©clarĂ© les hĂ©rauts sacrĂ©s (áŒ±Î”ÏÎżáœșς) et inviolables (áŒ€ÏƒÏÎ»ÎżÏ…Ï‚) ; et, nous-mĂȘmes, c'est par des envoyĂ©s cĂ©lestes que nous tenons de Dieu nos plus belles doctrines et nos plus saintes lois. Ce nom seul a la vertu de faire apparaĂźtre Dieu aux hommes et de rĂ©concilier les ennemis entre eux. Quel plus grand sacrilĂšge pourrait-on donc commettre que de tuer des envoyĂ©s venus pour s'entretenir de justice ? et comment pourraient-ils encore ĂȘtre prospĂšres dans la vie, victorieux Ă  la guerre aprĂšs un pareil attentat ? la chose me parait impossible »[3]. Ce caractĂšre sacrĂ© du dĂ©putĂ© se retrouve Ă©galement dans les discours de Dion de Pruse qui insistent sur le fait que « chez nous aussi, la paix est dĂ©clarĂ©e par les hĂ©rauts, mais les guerres Ă©clatent la plupart du temps sans dĂ©claration. Pour discuter de la paix, les ambassadeurs se rendent sans armes auprĂšs de gens qui sont armĂ©s et il n'est pas permis de faire injure Ă  aucun d'eux, car tous les messagers d'amitiĂ© sont gens de Dieu »[4]. Flavius JosĂšphe et Dion de Pruse font des ambassadeurs les messagers essentiels Ă  la paix, or la paix est considĂ©rĂ©e comme un bien sacrĂ© que seuls les dieux pouvaient amener sur terre. Par analogie, les hĂ©rauts et ambassadeurs devaient ainsi ĂȘtre couverts d’un respect religieux. Cette filiation divine se voit confirmĂ©e chez Polybe quand il mentionne « la race sacrĂ©e des hĂ©rauts, descendants d’HermĂšs ». Cet interdit autour des hĂ©rauts se voit confirmĂ© dans les Histoires d'HĂ©rodote, qui relatent l'Ă©pisode du meurtre des hĂ©rauts que Darius avait envoyĂ©s Ă  AthĂšnes et Sparte pour exiger la soumission : « les AthĂ©niens les avaient jetĂ©s dans le Barathre (56), et les LacĂ©dĂ©moniens dans un puits »[5]. Ce type de tĂ©moignage, assez rare chez les auteurs grecs, tĂ©moigne d'un respect profond des Grecs pour ces hĂ©rauts sacrĂ©s rĂ©putĂ©s inviolables. Quant aux ambassadeurs laĂŻcs, nous ne disposons d'aucune information Ă  leur sujet.

L'atteinte au ius gentium

D'aprĂšs G. Stouder, « Les Romains semblent les premiers Ă  avoir Ă©tĂ© conscients que route personne chargĂ©e d’une mission diplomatique - non seulement celle qui avait un caractĂšre sacrĂ© comme les hĂ©rauts ou les fĂ©tiaux, mais aussi les autres types de messagers - devait bĂ©nĂ©ficier de l’inviolabilitĂ© »[6]. Cette fois-ci, les sources laissent entendre que l’inviolabilitĂ© de l’ambassadeur relĂšve plutĂŽt du droit des gens (ius gentium) comme l'atteste clairement le Digeste : « On a pensĂ© que c’était agir contre le droit des gens que de faire Ă©prouver des mauvais traitements Ă  un dĂ©putĂ© d’une nation avec laquelle on est en guerre ; parce que la personne des dĂ©putĂ©s est inviolable Â»[7]. La formulation du passage sous-entend que l’inviolabilitĂ© relĂšve de la tradition et de l’universalitĂ©, que porter atteinte Ă  l'ambassadeur revient agir contre ce qui s'apparente Ă  des lois naturelles. Un passage de CicĂ©ron vient complĂ©ter cet extrait : « DES DÉPUTÉS ASSASSINÉS AU MÉPRIS DES LOIS DIVINES ET HUMAINES. De qui s’agit-il ? On parle de ceux d'Alexandrie. Je ne veux pas dire qu'on ait tort. Je pense que les droits des dĂ©putĂ©s ne sont pas moins garantis par les lois divines que par les lois humaines Â»[8].

Dans sa dĂ©finition du ius gentium, G. Stouder a montrĂ© que le sens de ius gentium se rĂ©vĂšle en opposition Ă  la lex (loi Ă©crite) et au mos (loi non-Ă©crite) si chĂšres Ă  CicĂ©ron[9]. Dans la majoritĂ© des traductions, cette expression est retranscrite par « loi naturelle » ou « droit des gens » mais J.-L. Ferrary prĂ©fĂšre le dĂ©finir comme « un droit positif non Ă©crit, au mĂȘme titre que la coutume Â», qui s'applique dans le domaine des relations internationales et suggĂšre la rĂ©ciprocitĂ©. Les mĂȘmes textes cicĂ©roniens laisse apparaĂźtre que le terme avait une portĂ©e gĂ©nĂ©rale et Ă©tait applicable et appliquĂ©e par tous les peuples, sans pour autant d’équivalent grec. Cependant, l’inviolabilitĂ© des ambassadeurs n’était que l’un des domaines oĂč le ius gentium pouvait ĂȘtre invoquĂ©. Ce « droit des gens Â» englobe une multiplicitĂ© de rĂšgles qui ne concernent pas uniquement les ambassadeurs mais aussi le droit de rĂ©clamer et de rĂ©cupĂ©rer son bien, la garantie d’inviolabilitĂ© pour un Ă©tranger, la garantie d’inviolabilitĂ© pour un magistrat, le droit de la guerre et bien d’autres. Les mĂȘmes textes cicĂ©roniens laissent apparaĂźtre que le terme avait une portĂ©e gĂ©nĂ©rale et Ă©tait applicable et appliquĂ©e par tous les peuples, sans pour autant d’équivalent grec. Cependant, l’inviolabilitĂ© des ambassadeurs n’était que l’un des domaines oĂč le ius gentium pouvait ĂȘtre invoquĂ©. Ce « droit des gens Â» englobe une multiplicitĂ© de rĂšgles qui ne concernent pas uniquement les ambassadeurs mais aussi le droit de rĂ©clamer et de rĂ©cupĂ©rer son bien, la garantie d’inviolabilitĂ© pour un Ă©tranger, la garantie d’inviolabilitĂ© pour un magistrat, le droit de la guerre et bien d’autres.

Le recours aux fétiaux

L'atteinte au ius gentium s'articule autour d'une procĂ©dure concrĂšte dĂ©crite par Varron. Celui-ci stipule que « si des ambassadeurs d’une citĂ© Ă©taient agressĂ©s, afin que ceux qui l’avaient fait, mĂȘme s’ils Ă©taient de quelque noblesse, soient livrĂ©s Ă  cette citĂ©, il existait vingt fĂ©tiaux pour instruire, juger, trancher et dĂ©cider sur ce genre d’affaires »[10]. La violation de l'immunitĂ© diplomatique faisait ainsi l'objet d'une procĂ©dure concrĂšte dans laquelle les fĂ©tiaux condamnaient ceux qui se rendaient coupables des pires mĂ©fais Ă  l'Ă©gard des ambassadeurs. Ces derniers Ă©taient les vingt prĂȘtres regroupĂ©s en collĂšge et chargĂ©s notamment des rites d’entrĂ©e en guerre. Quand un ambassadeur venait Ă  ĂȘtre agressĂ©, le collĂšge portaient des rĂ©clamations aux coupables et, s'il n'obtenait pas rĂ©paration, procĂ©dait Ă  la dĂ©claration de guerre. Son recours est nommĂ©ment prĂ©cisĂ© dans le cas d’une ambassade grecque en 265 av. J.-C., quand les envoyĂ©s de la citĂ© d’Apollonia furent violentĂ©s par Q. Fabius et Cn. Apronius, d’anciens Ă©diles : « Quand le SĂ©nat l’apprit, il les fit immĂ©diatement livrer par les fĂ©ciaux (per fetiales legatis dedidit) aux ambassadeurs, et ordonna au questeur d’accompagner ceux-ci jusqu’à Brindisi »[11]. Leur recours est largement attestĂ© Ă  la suite de l'agression d'une ambassade carthaginoise en 188 av. J.-C.[12] puis en 100 av. J.-C. Ă  l'issue de l'atteinte portĂ©e aux ambassadeurs envoyĂ©s par Mithridate VI[13]. Les fĂ©tiaux Ă©taient donc les juges de ceux ayant causĂ© du tort aux ambassadeurs, aussi bien romains qu'Ă©trangers. Il semble donc que les Romains s’inscrivaient dans la tradition grecque en dĂ©lĂ©guant la charge de protĂ©ger les ambassadeurs Ă  des prĂȘtres. Toutefois, l’inviolabilitĂ© d’une ambassade, primordiale aux yeux des Romains, les conduisit Ă  ajouter Ă  l’interdit religieux grec une procĂ©dure basĂ©e sur le ius gentium qui, bien que difficile Ă  saisir par l’historien comme le rappelle M. Coudry, demeure vivante jusqu’à la basse Ă©poque rĂ©publicaine de façon certaine. Le recours au ius fetiale fait ainsi figure de recours possible et de garantie pour les ambassadeurs Ă©trangers qui convergent Ă  Rome, dans la mesure oĂč il apporte une rĂ©ponse procĂ©durale et juridique Ă  la transgression diplomatique.

Bien que possible, le recours aux fĂ©tiaux n’est pas systĂ©matiquement attestĂ© par les Anciens. L’exemple du massacre orchestrĂ© par PtolĂ©mĂ©e AulĂšte en 57 av. J.-C. ne donna suite Ă  aucune sollicitation des fĂ©tiaux d’aprĂšs Dion Cassius[14]. La formulation laisse toutefois entendre que le roi et ses complices romains ont Ă©tĂ© jugĂ©s de leurs mĂ©faits par des instances criminelles compĂ©tentes pour des affaires de violence. Plusieurs ambassades de GrĂšce Propre subirent les mĂȘmes dĂ©sagrĂ©ments sans pour autant qu’un recours au fĂ©tiaux ne soit stipulĂ©. C’est dĂ©jĂ  le cas en 189 av. J.-C. avec le meurtre de dĂ©putĂ©s delphiens et la capture d’ambassadeurs Ă©toliens en Épire[15]. En outre, aucune mention des fĂ©tiaux ne survient Ă  la suite du meurtre des envoyĂ©s thĂ©bains Éversa et Callicritus, dont PersĂ©e semble ĂȘtre le commanditaire[16].

Si le recours aux fĂ©tiaux n’apparaĂźt que trop peu, l’acharnement dont les Romains firent preuve Ă  en chĂątier les coupables montre que ces derniers se souciaient constamment de l’inviolabilitĂ© des ambassadeurs romains et Ă©trangers. DĂšs 189 av. J.-C., une lettre de C. Livius Salinator aux Delphiens ordonne Ă  Marcus Fulvius « de veiller (
) Ă  rechercher les coupables (des meurtres de BoulĂŽn, ThrasyclĂšs et Orestas) et Ă  faire en sorte qu’ils reçoivent le chĂątiment qu’ils mĂ©ritent »[17]. En 146 av. J.-C., Strabon raconte que les Corinthiens « traitĂšrent les Romains avec mĂ©pris ; il y en eut mĂȘme qui, un jour, voyant les ambassadeurs romains passer devant leurs portes, osĂšrent leur jeter de la boue sur la tĂȘte »[18]. À cet Ă©pisode succĂšde l’histoire connue de tous, autrement dit « ce nouvel outrage, ajoutĂ© Ă  tous ceux dont ils s'Ă©taient rendus coupables auparavant, ne tarda pas Ă  ĂȘtre chĂšrement expiĂ©. Les Romains envoyĂšrent une armĂ©e considĂ©rable sous la conduite de L. Mummius Achaicus, et, tandis que ce gĂ©nĂ©ral dĂ©truisait Corinthe de fond en comble, ses lieutenants expĂ©diĂ©s dans diffĂ©rentes directions soumettaient le reste de la GrĂšce jusqu'Ă  la MacĂ©doine ». Cet extrait souligne que l’infraction au droit des ambassadeurs Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une iusta causa belli, c’est-Ă -dire une cause suffisante pour que la guerre soit un bellum iustum. Le phĂ©nomĂšne se reproduit au moment oĂč CĂ©sar chĂątie durement les VĂ©nĂštes qui s'Ă©taient rendus coupables d'agressions envers les ambassadeurs romains[19]. Polybe, quand il narre la rencontre entre Scipion l’africain et les Carthaginois en 203 av. J.-C., insiste sur l’accent mit par les Romains vis-Ă -vis du traitement rĂ©servĂ© aux ambassadeurs. Il ira mĂȘme jusqu’à dire du gĂ©nĂ©ral qu’il « accordait la plus grande importance au respect (Ï€ÎŻÏƒÏ„Îčς) des ambassadeurs »[20]. L'impartialitĂ© douteuse de Polybe, que l'on sait proche du cercle des Scipions au moment oĂč il rĂ©dige ses Ă©crits nous amĂšne Ă  formuler des rĂ©serves sur l’attitude rĂ©elle de l’Africain. Toutefois, la pistis, terme repris par les Évangiles pour dĂ©signer la foi, se traduit dans ce cas prĂ©cis par la rĂ©serve et le respect en toute circonstance envers l’envoyĂ©, mĂȘme ennemi. Ces principes se traduisent en acte Ă  travers nos sources dĂšs la fin de la guerre d’Antiochos, dans un Ă©pisode Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment. En 190 av. J.-C., une dĂ©putation d’Étoliens, qui Ă©taient pourtant en guerre avec les Romains, se fit capturer par des Épirotes qui exigĂšrent une rançon de leur part. Cependant, « les Épirotes, prĂ©voyant l'avenir, et de peur que les Romains, instruits de la dĂ©tention des ambassadeurs qui leur Ă©taient destinĂ©s, n'Ă©crivissent pour rĂ©clamer, pour exiger mĂȘme leur libertĂ©, se relĂąchĂšrent de leurs prĂ©tentions et ne demandĂšrent plus que trois talents Ă  chacun ». En effet, « Quelques jours plus tard, des lettres vinrent de Rome qui rĂ©clamaient sa mise en libertĂ© : seul, ainsi, il fut renvoyĂ© sans rançon »[21]. Cet exemple est la preuve que les Romains mettent un point d’honneur Ă  faire respecter l’inviolabilitĂ© des ambassadeurs oĂč qu’il soient. En outre, cette idĂ©ologie encourage les citĂ©s Ă  devenir de vĂ©ritables partenaires diplomatiques de Rome en plus de constituer pour cette derniĂšre une vĂ©ritable « expression de son ambition hĂ©gĂ©monique ». En d’autre termes, par les procĂ©dures mises en Ɠuvre et cet attachement Ă  l’inviolabilitĂ© ambassadoriale hĂ©ritĂ© des Grecs, les Romains entendent imposer leur modĂšle de respect universel. C’est ce qui fait dire Ă  G. Stouder que les « Romains, Ă  travers l’ancrage juridique, furent les premiers Ă  avoir pensĂ©, et Ă  avoir donnĂ© aux relations internationales, les fondements juridiques nĂ©cessaires pour l’établissement d’un dialogue au-delĂ  des particularismes communautaires, c’est-Ă -dire les fondements juridiques nĂ©cessaires pour l’établissement d’une forme plus Ă©voluĂ©e de diplomatie »[22]

L'inviolabilité diplomatique dans l'empire byzantin

La pĂ©riode byzantine ne connut pas de nouvelle rĂ©flexion au sujet de l'inviolabilitĂ© diplomatique. Au contraire, l'empire byzantin suivit finalement trĂšs fidĂšlement les prĂ©ceptes qui avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©tablis durant l'AntiquitĂ© par la RĂ©publique romaine puis le Haut-Empire. Cependant, il s'efforça de mettre par Ă©crit ce qui avait Ă©tĂ© pensĂ© auparavant. Cela permet aux historiens d'aujourd'hui de comprendre prĂ©cisĂ©ment comment les Byzantins envisageaient l'inviolabilitĂ© diplomatique. De cette façon, les sources permettent d'Ă©tablir qu'Ă  l'Ă©poque byzantine l'inviolabilitĂ© diplomatique existait, comme lors des pĂ©riodes prĂ©cĂ©dentes, Ă  travers le ius gentium. Ce dernier dans le Digeste, cette compilation juridique constituĂ©e de citations de jurisconsultes et commandĂ©e par l'empereur Justinien (527-565), est mis en relation avec le ius civile. Il y est dit que « tous les peuples, qui sont rĂ©gis par des lois et des rĂšgles, utilisent en partie leur propre droit, en partie le droit commun de tous les hommes ; car ce que chaque peuple a instituĂ© comme son propre droit, est appelĂ© ius civile, comme le droit propre de la citĂ© ; et le droit que la raison naturelle a instituĂ© chez tous les hommes, est observĂ© Ă©galement chez tous les peuples et est appelĂ© le ius gentium, comme toutes les gentes utilisent ce droit. Ainsi le peuple Romain utilise en partie un droit propre et en partie le droit commun de tous les hommes  »[23]. Cette conception du ius gentium restait donc trĂšs fidĂšle Ă  celle qui prĂ©valait Ă  l'Ă©poque antique. Pour l'inviolabilitĂ© diplomatique, il avait Ă©tĂ© codifiĂ© dans le Digeste que « c'Ă©tait agir contre le droit des gens que de faire Ă©prouver des mauvais traitements Ă  un dĂ©putĂ© d'une nation avec laquelle on est en guerre; parce que la personne des dĂ©putĂ©s est inviolable. Ainsi si nous avons chez nous des dĂ©putĂ©s de quelque nation Ă  laquelle nous dĂ©clarons la guerre, il est dĂ©cidĂ© que ces dĂ©putĂ©s sont libres de demeurer: car tel est le choix des gens Â»[24]. Plus tard, entre la fin du IXe siĂšcle et le dĂ©but du Xe siĂšcle, dans les Basiliques, la seconde grande Ɠuvre juridique byzantine aprĂšs le Corpus iuris civilis dont faisait partie le Digeste, les mĂȘmes conceptions Ă©taient mises en avant[25]. Ainsi, sous l'empire byzantin, on continuait Ă  concevoir que la personne des ambassadeurs, de par leur statut, Ă©tait inviolable et cela, quelles que soient les circonstances du moment.

Au delĂ  de ces textes normatifs, d'autres sources permettent aujourd'hui de comprendre la conception qu'avaient les Romains de cette inviolabilitĂ© diplomatique. L'empereur LĂ©on VI (886-912) dans son traitĂ© militaire, les Taktika, mettait en avant que l'ambassadeur, mĂȘme en contexte de guerre, devait ĂȘtre reçu avec les plus grands Ă©gards et congĂ©dier de la mĂȘme façon[26]. On comprend aussi, lors de la bataille de Mantzikert en 1071, opposant l'empire romain, dirigĂ© alors par Romain IV DiogĂšne (1068-1071), et les Grands seldjoukides, dirigĂ©s par Alp Arslan (1064-1072), que les rĂšgles diplomatiques suscitĂ©es Ă©taient bien ancrĂ©es dans l'imaginaire des Romains. En effet, lorsque les ambassadeurs turcs quittĂšrent la tente impĂ©riale aprĂšs avoir demandĂ©, en vain, la paix, l'empereur leur confia une petite croix, signe de l'inviolabilitĂ© diplomatique qu'ils pouvaient revendiquer face aux soldats grecs[27]. Cependant, le mĂȘme extrait de Michel AttaleiatĂšs montre que les Romains n'appliquaient pas ce droit avec beaucoup de rigueur. En effet, les ambassadeurs turcs furent assez mal accueillis par l'empereur lui-mĂȘme et, en plus, ce dernier, aprĂšs s'ĂȘtre montrĂ© Ă  premiĂšre vue plus ou moins enthousiasmĂ© par l'offre des ambassadeurs, dĂ©clara finalement la guerre avant mĂȘme que ces derniers n'aient rejoint leur camp[28]. Les ambassadeurs n'avaient peut ĂȘtre pas vu leur intĂ©gritĂ© physique mise en danger, mais il n'en restait pas moins que la situation leur avait Ă©tĂ© trĂšs peu favorable et plutĂŽt dangereuse. Cet Ă©pisode montre aussi que le non-respect des rĂšgles diplomatiques impliquait la mĂȘme punition qu'Ă  l'Ă©poque antique pour ceux qui se parjuraient. En effet, Ă  l'Ă©poque de la RĂ©publique et du Haut-Empire, aller Ă  l'encontre de l'inviolabilitĂ© des ambassadeurs ou mĂȘme de l'immunitĂ© diplomatique plus gĂ©nĂ©ralement, provoquait la vengeance des Dieux[29]. De la mĂȘme façon, le Continuateur de Jean SkylitzĂšs montre que l'attitude dĂ©plorable des Romains lors des tractations diplomatiques prĂ©cĂ©dant la bataille de Mantzikert les mena Ă  leur propre perte[30]. A cause de cela, la dĂ©faite, selon eux, avait certainement Ă©tĂ© voulue par Dieu.

MalgrĂ© cela, dans la majeure partie des cas l'inviolabilitĂ© diplomatique Ă©tait respectĂ©e[31]. L'empire byzantin ne bĂ©nĂ©ficiait certainement plus de la prĂ©Ă©minence qui Ă©tait la sienne Ă  l'Ă©poque de la RĂ©publique romaine et du Haut-Empire pour imposer aux autres États son idĂ©e du ius gentium mais le principe de l'inviolabilitĂ© diplomatique prĂ©sentait, en rĂ©alitĂ©, tant d'intĂ©rĂȘts mutuels pour tous les partis qu'il ne fut jamais rĂ©ellement remis en question. DĂšs la fin de l'empire romain d'Occident, on voit les États dits barbares l'adopter. Que ce soit Isidore de SĂ©ville, avec le royaume wisigoth, ou les MĂ©rovingiens et les Carolingiens, l'immunitĂ© diplomatique et, par consĂ©quent, l'inviolabilitĂ© diplomatique, Ă©taient acceptĂ©es sans rĂ©serve. De la mĂȘme façon, en terre d'Islam, Ă  partir du VIIe siĂšcle, on accepta cette rĂšgle commune[32]. C'est en raison de cette acceptation gĂ©nĂ©rale que les manquements Ă  la rĂšgle Ă©taient si rares. Ceux-ci n'Ă©taient, cependant, pas forcĂ©ment inexistants. Certains individus qui avaient Ă©tĂ© coupables d'avoir commis des actes en dĂ©saccord avec ces rĂšgles pouvaient ĂȘtre rappelĂ©s Ă  l'ordre. Par exemple, YahyĂą d'Antioche explique qu'en 992 le catĂ©pan d'Antioche emprisonna arbitrairement un Ă©missaire de l'Ă©mir turc MandjĂ»takĂźn. Face Ă  cette situation, l'empereur, Ă©tant en dĂ©saccord avec cette dĂ©cision, ordonna la libĂ©ration de l'ambassadeur et le fit venir Ă  lui pour finalement le laisser partir[33]. A d'autres moments, la politique impĂ©riale pouvait ĂȘtre moins anarchique et rĂ©pondre Ă  une rĂ©elle volontĂ© d'obstruction des ambassades. C'est le cas en 867 lorsqu'une dĂ©lĂ©gation pontificale se rendit dans l'empire. Cette ambassade Ă©tait constituĂ©e de trois Ă©missaires du pape Nicolas Ier (858-867) et fut arrĂȘtĂ©e Ă  la frontiĂšre byzantino-bulgare. Celui qui contrĂŽlait la frontiĂšre les empĂȘcha de passer, les menaça, frappa les chevaux des ambassadeurs et les fit attendre quarante jours avant, finalement, de les congĂ©dier[34]. Cela prouve que les rĂšgles concernant l'inviolabilitĂ© des ambassadeurs Ă©taient si floues que, par diffĂ©rents moyens, il Ă©tait possible de dĂ©jouer la rĂšgle sans pour autant commettre de rĂ©elle faute. Tant que l'intĂ©gritĂ© physique de l'ambassadeur n'Ă©tait pas mise en danger, l'inviolabilitĂ© Ă©tait respectĂ©e.

DĂ©finition selon la convention de Vienne

L’inviolabilitĂ© concerne les personnes et les biens des missions d'une part, de leurs agents d'autre part.

En ce qui concerne les agents, l'inviolabilité couvre l'intégrité physique, la demeure privée, les bagages personnels et les documents, correspondance et biens privés[35].

En ce qui concerne les missions, l'inviolabilitĂ© couvre les locaux officiels (qui ne peuvent faire l’objet de perquisition, saisie ou autre mesure d’exĂ©cution) et la correspondance officielle (qui ne peut ĂȘtre saisie), Ă  commencer par les valises diplomatiques ou consulaires (qui ne peuvent ĂȘtre ni ouvertes, ni retenues, ni soumises Ă  des contrĂŽles Ă©lectroniques ou par rayons X)[35].

Notes et références

  1. « Immunité diplomatique et atteinte aux droits de l'homme », sur senat.fr (consulté le )
  2. Berenger, A., «Être ambassadeur, une mission Ă  hauts risques?», in. Becker, A., & Drocourt, N. 2012, p. 89.
  3. Flavius Joseph, AJ, XV, 5, 3, 136-137
  4. Dio Chrys. Or., XXXVIII, 18.
  5. HĂ©rodote, VII, 133.
  6. Stouder, G., « Le droit des ambassadeurs : particularismes romains et universalitĂ© des pratiques », in. Transferts culturels et droits dans le monde grec et hellĂ©nistique, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2012
  7. Dig., L, 7, 18.
  8. Cic., Har. Resp., 34 : oratores contra ivs fasqve interfectos. quid est hoc? De Alexandrinis esse video sermonem; quem ego non refuto. Sic enim sentio, ius legatorum, cum hominum praesidio munitum sit, tum etiam divino iure esse vallatum.
  9. Pour une dĂ©finition dĂ©tillĂ©e du ius gentium, cf. Stouder, G., « Le droit des ambassadeurs : particularismes romains et universalitĂ© des pratiques », in. Transferts culturels et droits dans le monde grec et hellĂ©nistique, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2012.
  10. Varron ap. Non., p. 850 L.
  11. ValĂšre-Maxime, VI, 6, 5.
  12. Liv., 38, 42, 7.
  13. D.S., 36, 15, 1-2.
  14. D. C. XXXIX, 113, 2. Cf. Coudry, M., p. 533 & 558.
  15. Pol., XXI, 25, 10 ; Pol., XXI, 26
  16. Pol., XXII, 18, 1-5 ; Liv., XLII, 13, 7 ; Liv., XLII, 40, 7 ; Liv., XLII, 41, 5. ; Syll.3 643 ; Sherk, R., RDGE, 40.
  17. Syll.3 611 ; Sherk, R., RDGE, 38.
  18. Strabon, VIII, 6, 23.
  19. Caes., BG, 3, 16, 3-4.
  20. Pol. XV, 4, 10.
  21. Polybe, XXI, 26.
  22. Stouder, G., « Le droit des ambassadeurs : particularismes romains et universalitĂ© des pratiques », in. Transferts culturels et droits dans le monde grec et hellĂ©nistique, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2012.
  23. Digeste, I, 1, 9
  24. Digeste, L, 8, 18
  25. Basiliques, LIV, 9, 18
  26. Drocourt, N., « L'ambassadeur maltraitĂ©. Autour de quelques cas de non-respect de l'immunitĂ© diplomatique entre Byzance et ses voisins (VIIe – XIe siĂšcle) Â» dans Les relations diplomatiques au Moyen Âge : sources, pratiques, enjeux, Paris, 2011, p. 91
  27. AttaleiatĂšs, M., Kaldellis, A. (trad.), Krallis, D. (trad.), The History. Michael Attaleiates, Cambridge, 2012, p. 262-295
  28. Ibid.
  29. Becker, A., « L'inviolabilitĂ© de l'ambassadeur et le ius gentium dans une diplomatie romaine en mutation (Ve siĂšcle) Â», dans Drocourt, N., Schnakenbourg, E., (dir.), ThĂ©mis en diplomatie. Droits et arguments juridiques dans les relations internationales de l'AntiquitĂ© tardive Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle, Rennes, 2016, p. 243-259
  30. Ducellier, A., ChrĂ©tiens d'Orient et Islam au Moyen-Âge VIIe – XVe siĂšcle, Paris, 1996, p. 191
  31. Drocourt, N., « L'ambassadeur maltraitĂ©. Autour de quelques cas de non-respect de l'immunitĂ© diplomatique entre Byzance et ses voisins (VIIe – XIe siĂšcle) Â» dans Les relations diplomatiques au Moyen Âge : sources, pratiques, enjeux, Paris, 2011, p. 88-89
  32. Ibid., pp. 90-91
  33. Ibid., p. 92
  34. Ibid., p. 93
  35. MinistÚre de l'Europe et des Affaires étrangÚres, « L'inviolabilité », sur France Diplomatie - MinistÚre de l'Europe et des Affaires étrangÚres (consulté le )

Bibliographie

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  • Berenger, A., «Être ambassadeur, une mission Ă  hauts risques?», in. Becker, A., & Drocourt, N. 2012, p. 83-100.
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