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Industrialisme

L’industrialisme est une théorie économique qui fait reposer la société moderne sur la maitrise de la nature par l’homme au moyen de deux éléments : la science et la technique, d’une part, la science sociale, de l’autre.

Industrialisme
Tome premier du Censeur, organe de l’industrialisme (1814).

Les principaux théoriciens de l'industrialisme sont Charles Comte (1782-1837) et Charles Dunoyer (1786-1862) d'une part, et Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825) d'autre part.

La naissance de l'industrialisme est un carrefour décisif pour la plupart des doctrines politiques et économiques appelées à devenir importantes au XIXe siècle.

Origines

On peut , par certains aspects, trouver des origines dans le fameux Parfait nĂ©gociant, Ă©crit par Jacques Savary en 1675, et qui devint au siècle suivant la « bible Â» du nĂ©goce. On y trouve le principe de la justification providentielle, sociale et politique du commerce et du marchand : « Dieu a disposĂ© les choses sur la terre [...] afin que les hommes fassent commerce ensemble [...]. Ce n'Ă©tait pas assez que le commerce fĂ»t nĂ©cessaire, il fallait qu'il fĂ»t utile [...]. L'utilitĂ© du commerce s'Ă©tend sur les royaumes et sur les principes qui les gouvernent Â»[1].

Les origines remontent plus certainement à la seconde moitié du XVIIIe siècle, époque à laquelle Montesquieu et Condorcet, parmi d'autres, défendent l'idée selon laquelle le commerce et l'industrie entretiennent l'amour de la paix, qu'ils ont besoin de liberté, et que leur essor est l'un des signes du progrès que connaissent les sociétés humaines. L'émergence de la grande industrie française, dans les années 1780-1830, contribua à favoriser ces idées[2].

L’industrialisme, en tant qu’élément constitutif et élément historiquement déterminant du libéralisme, a plusieurs sources majeures :

  • La première est Destutt de Tracy, le dernier et le plus cĂ©lèbre reprĂ©sentant de la SociĂ©tĂ© des idĂ©ologues français, ami de Thomas Jefferson, qui a lui-mĂŞme traduit en anglais[3], et publiĂ© Ă  Philadelphie[4], en 1811 avec une prĂ©face[5] - [6], et fait enseigner au collège de William et Mary, oĂą il avait fait ses Ă©tudes de 1760 Ă  1762[7], sous le titre de A Treatise on Political Economy[8], le Commentaire sur l’Esprit des Lois de Montesquieu (1806), qui contenait sa Politique, mais dont la publication ne pouvait avoir lieu, en raison du rĂ©gime politique alors en place en France, en raison de sa dĂ©fense des thèses rĂ©publicaines et dĂ©mocratiques[9]. Dans cet ouvrage, Destutt de Tracy dĂ©finit la sociĂ©tĂ©, de son commencement le plus informe Ă  son plus grand Ă©tat de perfection, uniquement comme une pure sĂ©rie ininterrompue d’échanges, et dans laquelle les deux parties contractantes sont toujours gagnantes[10].
  • De l’esprit de conquĂŞte et de l’usurpation (1813) de Benjamin Constant constitue une autre source de la pensĂ©e industrialiste. Selon Dunoyer, Constant a Ă©tĂ© le premier Ă  distinguer nettement entre l’âge moderne et la civilisation ancienne[11].

L'annĂ©e 1817, pendant laquelle se cristallise l'industrialisme est un « court instant, Ă  peine perceptible dans une histoire des systèmes Â», mais un « carrefour cependant dĂ©cisif. L'Ă©conomie libĂ©rale des disciples de Say, l'Ă©conomie sociale de Dunoyer, le saint-simonisme de Saint-Simon puis celui des saint-simoniens,le positivisme d'Auguste Comte, divers socialismes et peut-ĂŞtre le marxisme communiquent avec le XVIIIe siècle français Ă  travers les espĂ©rances de 1817 Â»[13].

Deux courants

À partir de la fin des années 1810, la doctrine industrialiste s’est scindée en deux tendances : l’industrialisme libéral de Jean-Baptiste Say, Charles Dunoyer et Charles Comte d’une part, et l’industrialisme organisé de Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon, d’Auguste Comte et des saint-simoniens.

L'industrialisme libéral

La théorie libérale française de la lutte des classes est apparue sous une forme élaborée consécutivement à la défaite et au second exil de Napoléon. Sous la Restauration, de 1817 à 1819, deux jeunes libéraux, Charles Comte et Charles Dunoyer, dirigent la revue libérale le Censeur Européen. À partir du deuxième volume, un autre jeune libéral, Augustin Thierry, a collaboré étroitement avec eux. Le Censeur Européen a développé et diffusé une version radicale du libéralisme, qui a continué d’influencer la pensée libérale jusqu’à Herbert Spencer et au-delà[14].

La réalisation essentielle de Comte, Dunoyer et Thierry dans le Censeur européen a été de prendre les idées de Say et d’autres libéraux antérieurs et d’en faire un credo combattant. L’industrialisme devient alors une théorie générale de la société, où l’être agissant travaille pour produire des biens et des services afin de satisfaire ses besoins et ses désirs. L’être industrieux producteur de cette richesse est « civilisé », par opposition au « sauvage » qui pille la richesse que d’autres ont produite. L’industrialisme est donc une théorie du développement historique au sens où des sociétés entières ont été essentiellement comme pillardes, oisives ou improductives. La lutte des classes, qui a été celle de toutes les sociétés existantes, est celle entre les classes productrices et les classes improductives[11].

L'industrialisme organisé de Saint-Simon

Cette tendance, qui préfigure les thèses socialistes répandues dans les années 1840, a fait valoir que les crises économiques périodiques avaient montré que le marché ne constituait pas une institution adéquate pour une redistribution efficace des ressources. De même, la doctrine industrialiste envisageait, à la place de la transmission héréditaire des biens, une organisation centralisée et rationnelle de l’activité économique. En outre, elle affirmait que la société industrielle ne pouvait être fondée que sur des intérêts égoïstes et sur la doctrine de l’utilité, mais qu’elle avait également besoin d’une dimension morale ou religieuse[11].

Saint-Simon semble avoir Ă©tĂ© le premier Ă  avoir employĂ© le mot « industriel Â» comme substantif [15]. C'est lui qui a forgĂ© le terme « industrialisme Â», qu'il emploie, selon Henri Gouhier dès 1817, et que l'on trouve en 1824 dans le catĂ©chisme des industriels[16]. Il est le penseur de la sociĂ©tĂ© industrielle.

Saint-Simon Ă©tait un admirateur de Jean-Baptiste Say. Il a Ă©crit dans l'Industrie que le TraitĂ© d'Ă©conomie politique de J.-B. Say « renferme tout ce que l'Ă©conomie politique a dĂ©couvert et dĂ©montrĂ© jusqu'ici Â», que « c'est prĂ©cisĂ©ment le nec plus ultra de cette science en Europe »[17].

Le courant saint-simonien ne s'est vraiment dĂ©veloppĂ© qu'après la mort de Saint-Simon en 1825. Les premiers disciples, parmi lesquels Prosper Enfantin (surnommĂ© le « Père Enfantin Â»), ont fondĂ© le journal Le Producteur qui expose la philosophie : « Il s'agit de dĂ©velopper et de rĂ©pandre les principes d'une philosophie nouvelle. Cette philosophie, basĂ©e sur une nouvelle conception de la nature humaine, reconnaĂ®t que la destination de l'espèce, sur ce globe, est d'exploiter et de modifier Ă  son plus grand avantage la nature extĂ©rieure »[18].

En France, le courant saint-simonien a eu une très grande influence auprès des polytechniciens, particulièrement dans la seconde moitié du XIXe siècle et au XXe siècle. Son influence perdure aujourd'hui encore (groupe X-sursaut).

Idées principales

La doctrine industrialiste exprime l’idée que la société moderne dépend de la maitrise de la nature par l’homme, d’une part, grâce à la science et à la technique et, d’autre part, grâce à la science sociale. L’industrialisme attend de l’industrie que le marché crée l’indépendance sociale par la reconfiguration d’une sphère politique, où l’État jouerait un rôle moins important, ce qui permettrait aux agents de décider de ce qui leur convient le mieux, tout en accordant un rôle plus important aux classes industrielles de la région et une meilleure représentation des citoyens[19].

Notes et références

  1. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, l'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 458
  2. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, l'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 296
  3. (en) Robert Leroux et David M. Hart, French Liberalism in the 19th Century : An Anthology, Paris, Routledge, , 318 p. (ISBN 978-0-415-68742-3, lire en ligne), p. 34.
  4. Portraits historiques : Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, t. 2 (Revue britannique : choix d’articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne), Bruxelles, Méline, Cans & Co, , 598 p. (lire en ligne), p. 239.
  5. (en) William Howard Adams, The Paris Years of Thomas Jefferson, Yale University Press, , 354 p. (ISBN 978-0-300-08261-6, lire en ligne), p. 155.
  6. (en) M. Andrew Holowchak (note 19), Jefferson’s Political Philosophy and the Metaphysics of Utopia, Leyde ; Boston, Brill, , 212 p. (ISBN 978-90-04-33942-2, lire en ligne), p. 138.
  7. (en) R. B. Bernstein, Thomas Jefferson : the revolution of ideas, Oxford ; New York, Oxford University Press, , 251 p. (ISBN 978-0-19-514368-3, OCLC 566274968, lire en ligne), p. 19.
  8. (en) Gonçalo L. Fonseca, « Antoine Louis Claude Destutt, Comte de Tracy, 1754-1836 », sur The History of Economic Thought (consulté le ).
  9. Rose Goetz et Alain Trognon, L’Invention du peuple, Presses universitaires de Nancy, , 148 p. (ISBN 978-2-86480-686-8, lire en ligne), p. 141.
  10. (en) Ralph Raico, Classical Liberalism and the Austrian School, Auburn, Ludwig von Mises Institute, , 347 p. (ISBN 978-1-61016-554-9, OCLC 901589969, lire en ligne), p. 189.
  11. (en) Steven N. Durlauf et Lawrence E. Blume, The New Palgrave Dictionary of Economics, Paris, Springer, , 2e Ă©d., 7300 p. (ISBN 978-1-349-58802-2, lire en ligne), p. 479.
  12. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, l'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 297
  13. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, l'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 458, qui cite Henri Gouhier
  14. (en) Leonard P. Liggio, « The concept of liberty in 18th et 19th century France », Journal des économistes et des études humaine, vol. 1, no 1,‎ .
  15. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, L'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 459
  16. « Industrialiste Â» dans le CNRTL
  17. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, L'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 296
  18. Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, L'utopie ou la raison en actes, Payot, p. 393-394.
  19. (en) Yiorgos Stathakis et Gianni Vaggi, Economic Development and Social Change, t. 2006, Paris, Londres, routledge, 224 p. (ISBN 978-1-134-31308-2, lire en ligne), p. 241.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Olivier PĂ©trĂ©-Grenouilleau, Saint-Simon ou la raison en actes, Payot, 2001
  • ÉphraĂŻm Harpaz, « Le Censeur europĂ©en : Histoire d'un journal industrialiste », Revue d'histoire Ă©conomique et sociale, no 37,‎ , p. 185-218 & 328-359.
  • ÉphraĂŻm Harpaz, « Le Censeur europĂ©en : Histoire d'un journal quotidien », Revue des sciences humaines, no 114,‎ , p. 136-264.
  • (en) Leonard P. Liggio, « Charles Dunoyer and French Classical Liberalism », Journal of Libertarian Studies, no 1,‎ , p. 153-178.

Liens externes

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