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Immigration portugaise au Luxembourg

En 2020, la population luxembourgeoise s’élève Ă  approximativement 626 000 personnes, dont presque la moitiĂ© sont des Ă©trangers. La part de la population Ă©trangère s’élève Ă  48% et les Portugais reprĂ©sentent 15,6% de la population totale[1]. Cette prĂ©sence portugaise non nĂ©gligeable au grand-duchĂ© est due Ă  une immigration et un Ă©tablissement ininterrompu depuis les annĂ©es 1950. Le statut d’immigrĂ© portugais au Luxembourg a connu de nombreux changements Ă  travers le temps et diffĂ©rentes entreprises lĂ©gales et administratives ont permis la rĂ©gularisation Ă  part entière de cette population ancrĂ©e dans la sociĂ©tĂ© luxembourgeoise depuis la deuxième moitiĂ© du XXe siècle.

L’immigration portugaise au Luxembourg fut très diverse selon les temporalités et son encadrement légal se fit en plusieurs étapes. Dépendamment de la période et de la situation de travail lors de l’arrivée, le statut de l’immigré portugais au Luxembourg pouvait fortement varier. Bien que l’accord bilatéral ratifié en 1972 ait offert un cadre légal à l’immigration portugaise et ait régularisé de nombreux clandestins, il fallut attendre l’adhésion du Portugal à la CEE en 1986 pour que l’immigrant portugais profite entièrement des droits civiques au Luxembourg. Finalement, les motivations des migrants pouvaient varier selon le sexe : bien que les deux sexes fussent attirés par les conditions de vie du Luxembourg, l’émancipation a joué un rôle important dans l’immigration des Portugaises au Luxembourg.

Contexte historique

L’émigration joue un rĂ´le important dans l’histoire du Portugal ; alors que pendant son ère coloniale l’émigration portugaise se faisait surtout en outre-mer, le dĂ©clin des empires coloniaux y mit fin. L’industrialisation importante et le fleurissement Ă©conomique de l’Europe centrale en firent une nouvelle destination migratoire. Bien que la Seconde Guerre mondiale n’affecte que marginalement le Portugal, la situation Ă©conomique et politique du pays laissait Ă  dĂ©sirer au XXe siècle. En effet, le Estado Novo dirigeait le pays d’une main de fer et nombreux furent les Portugais Ă  prendre la dĂ©cision d’émigrer. Manque d’emplois et salaires bas, infrastructures rudimentaires ou la peur d’être envoyĂ© dans la guerre coloniale en Afrique, telles ne furent que quelques raisons pour ce choix de quitter le pays natal[2]. Ces flux migratoires aboutissaient majoritairement aux États-Unis, au Canada, en France et en Allemagne. Entre 1960 et 1974, on estime qu’environ 1,43 million de Portugais Ă©migrèrent et ce pour une population avoisinant les 9 millions d’habitants[2].

L’immigration clandestine

L’immigration portugaise vers le Luxembourg dĂ©buta dans les annĂ©es 1950 Ă  une Ă©poque oĂą le Luxembourg souffrait d’une pĂ©nurie de main d’œuvre. Or, le manque d’accords bilatĂ©raux encadrant les flux migratoires entre le Luxembourg et le Portugal fit d’une importante partie des immigrĂ©s portugais des clandestins. Des 120 239 Portugais ayant quittĂ© le pays en 1966, 12 595 le firent illĂ©galement[3] et c’est parmi ces derniers que l’on retrouve de nombreux immigrĂ©s portugais au Luxembourg. Cette situation irrĂ©gulière pesa lourd pour cette population encore marginale : on note par exemple la peur de se voir rapatriĂ© et l’exploitation de cette force de travail non-dĂ©clarĂ©e. Cette situation d’irrĂ©gularitĂ© est bien Ă©tudiĂ©e en France : 90% des immigrants portugais arrivĂ©s dans l’Hexagone en 1969-1970 le firent illĂ©galement[4]. On estime qu’environ 2 000[5] des 5 447[6] Portugais installĂ©s au Luxembourg en 1970 Ă©tait en situation irrĂ©gulière. En effet, sans garantie d’emploi lors de l’arrivĂ©e au Luxembourg, la rĂ©gularisation des Portugais Ă©tait très compliquĂ©e et l’État luxembourgeois imposait certaines restrictions dont la nĂ©cessitĂ© d’avoir un lieu de logement et un emploi Ă  la clĂ© lors de l’arrivĂ©e[7]. De plus, le taux de qualification et d'alphabĂ©tisation Ă©tant assez bas et la part immigrante portugaise Ă©tant assez dĂ©munie, le processus de rĂ©gularisation se compliquait d’autant plus[8]. Le tĂ©moignage d’un immigrant clandestin Portugais au Luxembourg reflète bien cette Ă©poque peu rĂ©gularisĂ©e des flux migratoires entre les deux États :

« Six mois plus tard, je suis parti en vacances au Portugal et là ils m'ont demandé si je voulais aller au Luxembourg, ils m'ont dit combien d'argent j’irais gagner et j'étais intéressé, alors j'ai décidé d'aller au Luxembourg avec un passeur. Nous avons traversé la frontière d'assaut (à pied puis en train jusqu'au Luxembourg). Quand nous sommes arrivés au Luxembourg, nous avons été arrêtés, nous et le passeur, ils nous ont envoyés à la police française et quand ils nous ont renvoyés, nous avons de nouveau traversé la frontière luxembourgeoise d'assaut (à travers la forêt). Nous sommes restés huit jours chez un ami du passeur et nous n'avons pas pu trouver de travail, le passeur est parti et nous sommes restés. Ensuite, sans compter là-dessus, nous étions assis dans un jardin et un Portugais qui avait une entreprise est passé et nous a demandé si nous voulions travailler et bien sûr nous voulions, c'est ce que nous attendions. (Traduit du portugais)[9] »

Cette prise de risque et le courage d’affronter l’inconnu reflète le désespoir de nombreux portugais confrontés à des conditions de vie intenables au Portugal.

L’immigration et l’accord bilatéral entre le Luxembourg et le Portugal ratifié en 1972

Ce n’est qu’en 1970 que les gouvernements luxembourgeois et portugais se rassemblent pour lĂ©galement encadrer ces flux migratoires qui ne cessent d’augmenter. SignĂ© en 1970 et ratifiĂ© au Luxembourg en 1972, la convention de travail[10] entre ces deux nations encadra non seulement l’arrivĂ©e de nouveaux Portugais au Luxembourg, mais elle rĂ©gularisa de mĂŞme la situation des immigrĂ©s clandestins arrivĂ©s prĂ©alablement. MotivĂ©e par une nĂ©cessitĂ© de main d’œuvre croissante au Luxembourg, cet accord a eu un impact considĂ©rable sur le solde migratoire Portugais. Alors que le recensement de 1970 affiche 5 783 Portugais installĂ©s au Luxembourg[11], en 1981 le pays compte dĂ©jĂ  29 309 lusitaniens[12]. Le nombre d’arrivĂ©es par an est plus frappant : alors qu’entre 1956 et 1972 on compte l’arrivĂ©e de 3 051 immigrants portugais lĂ©gaux au Luxembourg, en 1973 et 1974 le chiffre est de 2870 et 2123 respectivement[13]. Or, cet accord ne fut pas synonyme de libre circulation de personnes entre ces deux États. Si en 1973 2 870 Portugais rejoignent le Luxembourg lĂ©galement, l’immigration totale se solde Ă  5 757 personnes[14]. L’accord bilatĂ©ral ne fut donc pas suffisant pour rĂ©gler la question de l'immigration illĂ©gale.

L’immigration et l'adhésion du Portugal à la CEE

Il faudra attendre l’adhĂ©sion du Portugal Ă  la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne (CEE, devenue de l’Union europĂ©enne en 1993) en janvier 1986 pour voir disparaitre le statut de clandestin. Bien que l’Accord de Schengen, dont 7 des 33 articles portent sur l’immigration et la libre circulation de personnes, ne soit entrĂ© en vigueur qu’en mars 1995, l’adhĂ©sion du Portugal Ă  la CEE se fit rapidement ressentir par la population portugaise au Luxembourg. Ainsi, tout type d’autorisation de travail ou carte conditionnant le changement de travail ou d’employeur fut aboli. De plus, tout rĂ©sident portugais se retrouvait Ă  prĂ©sent en situation rĂ©gulière et profitait des mĂŞmes droits et conditions de travail que les citoyens luxembourgeois. Encore, depuis l’adhĂ©sion Ă  la CEE, le rassemblement familial ne connaĂ®t aucune restriction et l’accès au travail et au chĂ´mage deviennent des droits Ă  part entière de la population portugaise au Luxembourg. Finalement, l’adhĂ©sion apporta un changement de la perception de la population portugaise au Luxembourg : en effet, le profil des lusitains n’était plus celui des analphabètes et primitifs, mais celui d’une population aux valeurs europĂ©ennes. Et des centaines de fonctionnaires Portugais vinrent travailler dans les institutions europĂ©ennes dont la Cour de justice ou la DĂ©lĂ©gation de la Commission[15]. Toutes ces conditions stimulèrent l’immigration portugaise au grand-duchĂ© : ainsi, entre 1981 et 1991, le nombre de personnes dĂ©tenant la nationalitĂ© portugaise au Luxembourg passe de 29 309 Ă  39 303 personnes. Ă€ titre comparatif et dans la mĂŞme temporalitĂ©, la population française au Luxembourg passe de 11 940 Ă  13 203 personnes, celle des Allemands de 8 851 Ă  8 874 et celle des Italiens de 22 257 Ă  19 077[12] - [16].

Les femmes et l’immigration

Quand on parle de l’immigration au Luxembourg, on a tendance à penser à des hommes venus travailler dans des mines, des usines ou dans la construction. Certes, tel fut le cas pendant de nombreuses décennies, mais l’immigration portugaise depuis les années 1970 est marquée par une augmentation de l'immigration féminine. En effet, le Portugal est un pays ancré dans sa culture largement influencée par le catholicisme et le statut des femmes, surtout dans le XXe siècle, est un sujet tabou. Après la ratification de la convention de travail bilatérale en 1972, le nombre de femmes immigrants au Luxembourg originaires du Portugal dépasse celui des hommes[17]. Ceci est en partie dû au regroupement familial à la suite de la régularisation du statut des hommes portugais. Cependant, une étude de l'université Lille II en France considère que l'immigration féminine a été poussée par le désir d’émancipation : d'après cette thèse, de nombreuses femmes, incapables d’aborder leur futur dans un contexte rural et de soumission maritale au Portugal, auraient décider d’émigrer au Luxembourg afin d'obtenir un meilleur statut[18].

Intégration

En 2017, environ un habitant sur cinq du Luxembourg est d'origine portugaise. Selon José Antonio Coimbra de Matos, ancien président de la Confédération de la communauté portugaise au Luxembourg, il s'agit certainement dans le monde de la « plus forte proportion de Portugais par rapport à la population autochtone »[19]. Le Luxembourg a eu besoin de l'immigration car elle permettait un afflux de travailleurs soutenant son développement économique, notamment la construction, ou par exemple le textile et la carrière dans la région de Larochette[19]. Plus tard, l'appel de travailleurs par le Luxembourg a répondu au développement des services internationaux comme les banques ou des institutions européennes[20].

D'après José Correia, rédacteur en chef de l'hebdomadaire lusophone Contacto, l'intégration des immigrés portugais, des « blancs, catholiques et réputés travailleurs », a été facile[19]. Selon José Correia, même si le travail est la première des motivations à l'immigration portugaise vers le Luxembourg, les immigrés, quoiqu'ils puissent dire pendant qu'ils travaillent encore, ne rentrent que rarement au Portugal lorsqu'il arrive à la retraite : le retour est « un mythe »[19]. Le Quotidien confirme ce constat, se basant sur des données du Statec, qui affirme qu'« aucun mouvement de retour massif (…) n’est observé », ce qui selon Le Quotidien est « signe d’une bonne intégration »[21].

Hormis le travail, la RTBF évoque comme facteur d'intégration la religion catholique, pratiquée par les Luxembourgeois comme les portugais. La RTBF ne voit qu'un seul bémol à l'intégration des portugais : la difficulté qu'ils ont à faire valoir leur souhait de pouvoir continuer à parler le portugais, dans un contexte où les autorités politiques luxembourgeoises font la promotion du luxembourgeois face à une immigration croissante. La RTBF indique cependant que le Portugal et le Luxembourg se sont entendus pour donner plus de place à l'apprentissage du portugais dans l'enseignement[19].

D'abord dĂ©volu Ă  l'Action catholique, le travail d'intĂ©gration des immigrĂ©s va peu Ă  peu se rĂ©aliser grâce Ă  la vie sociale, la formation et les Ă©changes culturels. En 1969, des Luxembourgeois crĂ©ent l'association L’AmitiĂ© Portugal-Luxembourg (Ă  cette Ă©poque, les non-Luxembourgeois ne pouvaient pas crĂ©er d'association), qui est la première association se vouant aux immigrĂ©s portugais[22]. L'association s'occupe dans un premier temps des besoins matĂ©riels des immigrĂ©s, puis assez rapidement met en place de nombreuses activitĂ©s, dont des formations Ă  la langue luxembourgeoise ainsi que la crĂ©ation du journal Contacto[22], hebdomadaire lusophone[19]. Deux prĂ©sidents de l'association, Guy Reger et Lucien Huss, ont Ă©tĂ© dĂ©corĂ©s par l'Ă©tat luxembourgeois pour leur investissement auprès des immigrĂ©s. MalgrĂ© l'effort rĂ©alisĂ©, Guy Reger estime qu'il subsiste encore des barrières entre immigrĂ©s portugais et Luxembourgeois autochtones en 2020. Par exemple, l'image du portugais « ouvrier ou femme de mĂ©nage » persiste, mĂŞme s'il existe dĂ©sormais des enseignants d'origine portugaise, et que FĂ©lix Braz, Portugais d'origine, est devenu ministre. Guy Reger estime Ă©galement qu'un dĂ©sir de « repli sur soi » est de plus en plus important au Luxembourg, avec une peur de l'immigration, le pire Ă©tant les commentaires xĂ©nophobes sur les rĂ©seaux sociaux. Guy Reger fait un bilan avec des Ă©lĂ©ments positifs, comme les 4 000 adhĂ©sions au centre de formation de l'association en 2019, et des Ă©lĂ©ments nĂ©gatifs, comme la difficultĂ© Ă  trouver des lieux, alors que certaines salles communales sont très peu utilisĂ©es, mais refusĂ©es Ă  l'association, avec une fois pour argument : « les Ă©trangers sont des voleurs ». Guy Reger note Ă©galement que les Luxembourgeois ont refusĂ© de donner le droit de vote pour les lĂ©gislatives aux non-Luxembourgeois lors du rĂ©fĂ©rendum de 2015. Il conclut qu'il reste un chemin Ă  parcourir pour parfaire l’intĂ©gration des non-Luxembourgeois[22].

Années 2010

À partir du début des années 2010, l'immigration portugaise au Luxembourg n'est plus une part essentielle de l'immigration : les Français deviennent la première nationalité parmi les immigrés, et l'immigration, d'une manière générale, se diversifie, avec moins d'immigrés du sud de l'Europe, et de nouvelles nationalités comme l'Inde, la Roumanie, l'Érythrée (principalement des demandes d'asile) ou le Brésil[23].

Références

  1. « Une population petite et diverse », sur Luxembourg.public.lu, (consulté le )
  2. Guimaraes 2017, p. 24
  3. Guimaraes 2017, p. 19
  4. Ghemmaz 2008, p. 139
  5. Guimaraes 2017, p. 37
  6. Duarte 2005, p. 85
  7. Guimaraes 2017, p. 28
  8. Guimaraes 2017, p. 26
  9. Guimaraes 2017, p. 25
  10. « Loi du 11 avril 1972 portant approbation de l'Accord entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République portugaise relatif à l'emploi des travailleurs portugais au Luxembourg, signé à Lisbonne, le 20 mai 1970. », sur Legilux.public.lu, (consulté le )
  11. Statec, Recensement de la population de 1970.
  12. Statec, Recensement de la population de 1981.
  13. Duarte 2005, p. 54
  14. Duarte 2005, p. 81
  15. Guimaraes 2017, p. 29
  16. Statec, Recensement de la population de 1991.
  17. Guimaraes 2017, p. 27
  18. Ghemmaz, Malika, Des Portugais en Europe du Nord: une comparaison France, Belgique, Luxembourg. Contribution à une sociologie électorale de la citoyenneté de l'Union européenne, Dissertation de doctorat, Université du Droit et de la Santé-Lille II, 2008, p. 38-39.
  19. « Le Grand-Duché de Luxembourg, terre promise pour les émigrés Portugais », sur RTBF,
  20. J.M. Gehring, « L'immigration portugaise au Luxembourg », sur Hommes et Terres du Nord - H-S 2 pp. 743-762,
  21. Isabelle Simon, « Les Français immigrent plus que les Portugais au Luxembourg », sur Le Quotidien, (consulté le )
  22. « Portugais au Luxembourg : «L'image de l'ouvrier reste trop ancrée» », sur Le Quotidien, (consulté le )
  23. « L'immigration portugaise est dépassée: Désormais, c'est l'arrivée des Français qui dope le Luxembourg », sur 5minutes.rtl.lu, (consulté le )

Bibliographie

  • Ana Guimaraes, Portuguese migration in Luxembourg, Dissertation de doctorat, uniwien,
  • Malika Ghemmaz, Des Portugais en Europe du Nord: une comparaison France, Belgique, Luxembourg. Contribution Ă  une sociologie Ă©lectorale de la citoyennetĂ© de l'Union europĂ©enne, Dissertation de doctorat, UniversitĂ© du Droit et de la SantĂ©-Lille II,
  • LuĂ­s Miguel Marques Duarte, Imigração portuguesa no GrĂŁo-Ducado do Luxemburgo: aspectos sociais e econĂłmicos, Dissertation de maĂ®trise, Instituto Superior de Economia e GestĂŁo,
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