Ignace Nemet Allah Ier
Ignace Nemet Allah Ier (ou Na'mat Allah), appelé en latin Nehemias, fut patriarche d'Antioche de l'Église jacobite de 1557 à 1576, mort 27.05.1587 à Bracciano (Italie)[1].
Patriarche syriaque d'Antioche |
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Il appartenait à une famille chrétienne éminente de la région de Diyarbakir (ville connue alors sous le nom de Caramit) qui à son époque dirigea pendant plusieurs décennies l'Église jacobite[2]. C'était un homme qui, comme ses frères, était très érudit dans les disciplines cultivées traditionnellement par le clergé jacobite (étant entre autres, dans le domaine profane, médecin, mathématicien, astronome). Il fut ordonné patriarche en 1557, résidant à Diyarbakir[3]. Au cours de son pontificat, il fut mêlé à des controverses avec des clercs musulmans, liées apparemment à la fonction de médecin qu'il exerçait auprès du gouverneur turc de la province. Il fut également mis en cause du fait de contacts qu'il avait noués avec des représentants de la papauté, contestés à l'intérieur même de son Église. Des religieux musulmans l'accusèrent d'athéisme, et à l'instigation du gouverneur il fit à un certain moment une profession de foi musulmane. Toujours est-il que la situation devint intenable pour lui, et il s'enfuit en 1576 en laissant le trône patriarcal à son frère David.
Il gagna Venise via Chypre ou Rhodes. À la fin d'un livre de mathématiques conservé à la Bibliothèque Laurentienne, on lit cette note rédigée de sa main en arabe : « Avec l'aide de l'inspiration du Tout-Puissant, nous avons pu résoudre ces problèmes, le de l'année grecque 1888 [= 1577 de l'ère chrétienne], alors que moi, âme perdue, de mon nom patriarche Ni'meh, j'étais sur le navire ballotté par les flots marins, en route vers Venise ».
De Venise, il partit pour Rome en compagnie d'un homme qui portait le nom de Paolo Orsini, qui était un Turc converti au christianisme, et qui lui servit d'interprète. Reçu par le pape Grégoire XIII, il déclara officiellement son retour au christianisme, et fut fort bien accueilli au Vatican, car il se fit fort de ramener sa communauté dans le giron de l'Église catholique. Grégoire XIII lui accorda une pension.
Il se lia particulièrement au cardinal Giulio Antonio Santorio, qui était protecteur à Rome des Églises orientales, et au prélat maltais Leonardo Abela, éminent orientaliste qui connaissait l'arabe et le syriaque et qui lui servit de traducteur. On parlait alors à Rome d'établir des imprimeries avec les caractères des langues orientales (notamment l'alphabet syriaque et l'alphabet arabe), pour assurer notamment la propagande de l'Église catholique en Orient. La principale personnalité qui s'attacha à ce projet fut le cardinal Ferdinand de Médicis (qui devint grand-duc de Toscane en 1587) : en 1584, il fonda à Rome la Stamperia Orientale Medicea (en latin Typographia Medicea linguarum externarum), dirigée par l'orientaliste Giambattista Raimondi. Le patriarche, qui avait emporté des livres de Diyarbakir dans sa fuite, les céda au cardinal de Médicis contre une pension de vingt-cinq écus par mois, avec le libre accès à ces livres jusqu'à sa mort[4] ; en outre il fit partie du comité éditorial de la Stamperia Medicea, précieux collaborateur oriental de Raimondi[5].
Le patriarche entra aussi dans le comité mis en place en 1579 par le pape Grégoire XIII pour la réforme du calendrier (le calendrier grégorien, entré en application, dans les pays catholiques, en octobre 1582). Ce comité était composé des neuf personnes suivantes : Christophorus Clavius, savant jésuite ; le cardinal Guglielmo Sirleto ; Vincenzo Lauro, évêque de Mondovi ; Séraphin Olivier-Razali ; Antonio Giglio (frère de Luigi Giglio, auteur du projet sur lequel on travaillait, mort en 1576) ; le dominicain Ignazio Danti ; le bénédictin de Sienne Teofilo Marzio, connu comme cartographe ; un Espagnol nommé en latin Petrus Ciaconus, sur lequel on ne sait presque rien ; et le patriarche Nemet Allah[6].
Le patriarche apportait au comité la très éminente science arabe en matière d'astronomie (notamment les travaux d'Omar Khayyam, qui avait établi en 1074 que l'année tropique durait 365,24219858156 jours)[7]. Il fit une proposition qui ne fut pas retenue, au profit de celle de Christophorus Clavius. Celui-ci proposait de supprimer trois jours bissextiles tous les quatre cents ans aux années zéro de siècle (1600 bissextile, mais non 1700, 1800, ni 1900 ; 2000 bissextile, mais non 2100, 2200, ni 2300, etc.). Nemet Allah proposa un cycle de 33 ans (le nombre d'années de la vie du Christ) ; il y aurait huit années bissextiles par cycle (4, 8, 12, 16, 20, 24, 28, 32), donc 24 en 99 ans (au lieu de 25 en cent ans)[8].
Nemet Allah correspondit avec Joseph Juste Scaliger, qui avait pour sa science et sa piété la plus haute considération (chose extraordinaire pour un savant connu pour sa grande vanité et coutumier des polémiques les plus aigres) : « Cet homme parfait - car je ne saurais le décrire autrement, tant il est l'exemple le plus accompli de la culture et de toutes les vertus - m'a écrit l'an dernier [...] ». Scaliger se refusait à traduire les lettres que le patriarche lui écrivait en arabe tant elles lui paraissaient admirables.
En mars 1583, Leonardo Abela fut envoyé en Orient par Grégoire XIII et le cardinal Santorio, muni de lettres du patriarche Nemet Allah, pour prendre contact, notamment, avec ses frères David et Thomas, qui dirigeaient l'Église jacobite depuis son départ. Mais la situation dans la région était tellement tendue que ces pourparlers ne furent guère concluants, les deux frères n'osant s'engager sur rien, même sur l'adoption de la réforme du calendrier, à laquelle Nemet Allah avait participé.
Bibliographie
- Adolphe d'Avril, « Une mission religieuse au XVIe siècle. Relation adressée à Sixte-Quint par l'évêque de Sidon (Léonard Abel) », Revue de l'Orient chrétien, vol. III, 1898, p. 200-216 et 328-334.
- Yuhanna 'Azzô, « Risalat al-batriyark Ighnatius Ni'meh », Al-Mashriq, vol. 31, 1933, p. 613-623, 730-737, 831-638.
- August Ziggelaar S.J., « The Papal Bull of 1582 Promulgating a Reform of the Calendar », dans George V. Coyne, Michael A. Hoskin et Olaf Pedersen (dir.), Gregorian Reform of the Calendar : Proceedings of the Vatican Conference to Commemorate Its 400th Anniversary, Pontificia Academia Scientiarum, Cité du Vatican, 1983, p. 201-239.
- Robert Jones, Learning Arabic in Renaissance Europe, Brill's Studies in Intellectual History, Leyde, E. J. Brill, 1991.
- Gerald J. Toomer, Eastern Wisdom and Learning. The Study of Arabic in 17th Century England, Oxford University Press, 1996.
- Dale Albert Johnson (Bar Yuhanon), Syriac Genius. Syriac contributions by scholars, scientists, artists, theologians and linguists to world civilisation, Lulu.com, .
Notes et références
- Pier Giorgio Borbone - Margherita Farina: New documents concerning Patriarch Ignatius Na‘matallah (Mardin, ca. 1515 – Bracciano, near Rome, 1587) 1. In: Egitto e Vicino Oriente 37 (2014) 179–189.
- Son frère David fut son successeur. Un autre frère, Thomas, un médecin qui jouissait de la faveur des autorités turques, fut vicaire général du patriarcat sous ses frères. Un autre frère, Minas, fut archevêque de Sour.
- Bien que le siège officiel du patriarcat fût fixé au monastère Mor Hananyo (en arabe Dayr az-Za'faran), près de Mardin, depuis 1293, les témoignages de l'époque (comme de celui de Leonardo Abela) indiquent que les patriarches résidaient en fait à Diyarbakir.
- Ces livres sont aujourd'hui conservés à la Bibliothèque Laurentienne, à Florence.
- R. Jones, op. cit., p. 43. De cette imprimerie sortirent notamment la première édition imprimée du texte original du Canon d'Avicenne en 1593 et la rédaction arabe des Éléments d'Euclide par Nasir ad-Din at-Tusi en 1594.
- Ce comité est représenté en relief sur le tombeau du pape Grégoire XIII dans la basilique Saint-Pierre.
- Sont conservés au Vatican deux manuscrits datés du 12 mars 1580, traduction en latin par Leonardo Abela des remarques critiques rédigées en arabe par le patriarche sur le projet de réforme présenté au comité.
- Notons que sur 10 000 ans, la performance du système du patriarche est un peu meilleure : sur cette durée il faut environ 2 422 jours bissextiles pour « coller » à l'année tropique ; le calendrier julien, avec 2 500 jours, est très au-delà du compte ; le système de Chr. Clavius en ôte trois sur 400 ans, soit 75 en 10 000 ans, ce qui donne 2 425 jours, un excès de trois jours sur les données astronomiques ; les cycles de Nemet Allah donnent donc 2 424 jours bissextiles sur 9 999 ans. Mais ce système, quelle que soit l'année zéro retenue pour le premier cycle, aurait rendu plus difficile la mémorisation des années bissextiles.