Houseaux
Houseaux, nom masculin pluriel, dĂ©signent avec une mĂȘme phonĂ©tique en français deux types d'objets diffĂ©rents : en premier lieu, une protection du vĂȘtement de travail, vĂ©ritable survĂȘtement appliquĂ© sur les jambes, autrefois commun et sans rapport avec les sports actuels et en second lieu, des grandes Ă©pingles familiĂšres des professionnels manieurs d'Ă©toffes. Le mot singulier et pluriel a donc deux acceptions, issues de deux Ă©tymologies.
- 1. Houseau, au sens de jambiĂšre, de (haute) sur-guĂȘtre par exemple en toile ou en cuir, protĂ©geant la jambe, provient de l'ancien français huese, terme hĂ©ritĂ©e directement du francique hosa qui dĂ©signe la botte. AttestĂ© en 1170, son diminutif housel a donnĂ© houseau en français moderne. Ă la mĂȘme Ă©poque, le mot huese a engendrĂ© des formes dialectales house, heuse ou heusse, et c'est le nom fĂ©minin heuse qui a fini par dĂ©signer communĂ©ment la botte aprĂšs le XIIIe siĂšcle. Une heuse Ă l'Ăąge classique, par analogie de forme, est un piston d'une pompe dont le corps est en bois.
- 2. Houseau, au sens de grande ou grosse épingle servant à attacher ensemble des doubles d'étoffes n'apparaßtrait qu'en 1572. Il s'agit d'un outil commun des tapissiers garnisseurs ou des poseurs de tentures. La variante housseau est aussi attestée en 1803. L'origine est obscure, mais ne semble pas avoir de rapport avec huese[1].
Le prĂ©sent article ci-dessous s'intĂ©resse exclusivement aux houseaux ou paire de houseaux, une partie fondamentale du costume de travail paysan Ă l'Ăąge classique, mais aussi des hommes en contact avec la nature broussailleuse, en particulier les cavaliers qui font partie, alors qu'ils sont considĂ©rĂ©s Ă tort en marge, de la mĂȘme civilisation de l'attelage[2].
Une protection de l'habit de travail paysan
Les houseaux sont des jambiÚres facilement attachables, employées pour labourer ou travailler, creuser ou fouir, défricher ou dessoucher, marcher ou courir dans un environnement hostile, conduire un attelage ou monter un coursier sur un chemin dangereux. Il s'agit de protéger la jambe contre les eaux et la boue, de garder propre les tissus sous-jacents de toutes sortes de salissures ou d'éclaboussures mais aussi d'éviter à la peau piqûres et griffures douloureuses des épines comme un hématome ou un raclement par des bois broussailleux. Un porteur d'houseaux adaptés ne redoutent plus les fùcheuses conséquences sur ces jambes motrices d'un glissement, d'une perte d'équilibre ou d'une plongée dans la terre, pas plus que d'éventuelles projections de terre ou l'impact imprévu des jambes contre un morceau de bois, une paroi, une surface de sol ou de roches[3].
Les houseaux sont souvent en grosse toile double, souvent en cuir avec de fines armatures textiles pour les riches. Au besoin, ils assurent une vĂ©ritable Ă©tanchĂ©itĂ© ou sont renforcĂ©es par des matiĂšres absorbant le choc ou l'impact, par des armatures en mĂ©tal, en bois ou en Ă©corce selon l'activitĂ©. Les moyens de fixations sont divers : les houseaux peuvent ĂȘtre lacĂ©s Ă l'instar de guĂȘtres montantes, boutonnĂ©es au vĂȘtement du dessous, soit Ă la culotte qui parvient au-dessus du genou, soit sous le genou avec diffĂ©rents bas de chausse ou braies, ancĂȘtre de la longue culotte, les guĂȘtres ou les bottes. Il existe aussi des attaches Ă agrafes et des crochets de fixation.
Distinction entre guĂȘtres et houseaux
D'un point de vue technique, revĂȘtir ses guĂȘtres est fort diffĂ©rent de l'acte de mettre ses houseaux malgrĂ© la confusion et l'apparente similaritĂ© des termes proposĂ©e par les lexicographes.
La guĂȘtre est un vĂȘtement ou mieux, au sens ancien, une chaussure attachĂ©e initialement au cou-de-pied et souvent sous la cambrure du pied[4]. Marcel Lachiver, spĂ©cialiste du monde rural, la dĂ©finit ainsi : "La guĂȘtre est une chaussure qui sert Ă couvrir la jambe et le dessus de soulier et qui se ferme sur le cĂŽtĂ© avec des boucles, des lacets ou des boutons". Il prĂ©cise qu'elle est surtout en toile, plus rarement en cuir. C'est une dĂ©finition fort convenable du produit de l'art des guĂȘtriers, ces ouvriers qui fabriquaient des guĂȘtres, Ă l'Ă©poque des LumiĂšres. Mais Ă l'Ă©poque classique antĂ©rieure ou auparavant, avoir les jambes guĂȘtrĂ©es signifie ĂȘtre revĂȘtu par un systĂšme d'habillement plus ou moins sophistiquĂ© et compacte selon les lieux, Ă base d'Ă©toffe, de toile, de feutre, de cuir, voire de bandes Ă©paisses de tissus ou de cuir fixĂ©s Ă la jambe qui peuvent jouer Ă©ventuellement un rĂŽle protecteur quelconque, mais plus souvent assurer une isolation thermique comme aujourd'hui de longues et grosses chaussettes[5]. La guĂȘtre concerne le bas de la jambe en gĂ©nĂ©ral jusqu'au-dessous du genou, une haute guĂȘtre monte au-dessus du genou. Mal fixĂ©e, elle frĂąle comme des chaussettes sans Ă©lasticitĂ© ou se dĂ©bobine ou se dĂ©roule telle une bande molletiĂšre.
Un houseau se fixe en haut sur des habits, à défaut sur les jambes nues pour les pauvres en haillons, et n'a qu'une fonction protectrice ciblée et limitée suivant sa conception. En bas, il se fixe ou s'attache sur le dessus de la chaussure montante ou de la bottine, à défaut au-dessus du pied nu. à l'origine, le houseau plus qu'une petite botte est une sur-botte, protection de la botte, ou un prolongement indépendant vers le haut de jambe, mais complémentaire de celles-ci. L'évolution est récente puisqu'elle intervient au milieu du XVIe siÚcle : la heuse ou grande heuse, grande botte souvent dénommée par erreur houseau, n'y est encore souvent qu'une véritable botte chaussée et le(s) véritable(s) houseau(x) sa protection ou son complément en une ou plusieurs parties. La partie haute de la grande heuse au-dessus du genou s'évase et le houseau prolongateur s'y fixe commodément de façon solidaire, voire possÚde une partie liées de surbotte qui redescend protéger la botte de cuir. C'est le houseau de la noblesse ou de la ploutocratie agraire, complément de la botte à haute tige en usage à l'époque classique et qui garde son utilité parfois bien au-delà de cette période dans les champs.
Pour les distinguer des grandes bottes, partie du costume civile et militaire au XVe siÚcle, citées fréquemment sous le vocable de l'héraldique "houseaux" par la langue françoise élégante de la Renaissance, les spécialistes les dénomment avec précision les houseaux complets sans avoir pied, à ceinture et à boutons, qui sont préservés dans le costume jusqu'au XVIIIe siÚcle.
L'armée de terre française a préservé tardivement jusqu'au XIXe siÚcle dans son équipement des houseaux joignant la mi-cuisse au mi-mollet. Les militaires étaient ainsi protégés pendant les progressions en terrain broussailleux. Au-delà , l'usage se limite à la cavalerie, les houseaux modernes lacés remplacent les basanes au XXe siÚcle[6].
Le houseau, Ă©quipement de travail ou de voyage des plus modestes
Mais, en absence de bottes montantes, la bottine, le soulier, la galoche, le sabot, voire le pied nu ou la sandale peuvent laisser la partie basse de la jambe Ă la guĂȘtre paysanne qui se fixe Ă partir du coup de pied. Alors les houseaux revĂȘtent au besoin le haut de la jambe et peuvent descendre en absence de sur-guĂȘtres, en une ou deux parties, se fixer Ă la chaussure montante ou Ă un lacet serrĂ© au-dessus du coup de pied. Un houseau protĂšge seul en absence de guĂȘtre la partie sensible de l'avant bas de jambe. C'est le houseau plus ou moins flottant des modestes paysans ou cavaliers.
Il n'est pas rare que le houseau protecteur ait protégé les plus démunis des ruraux et les plus faibles va-nus-pieds. Souvent les hommes en haillons gardent cette indispensable équipement protecteur de la partie basse du genou. Les modestes houseaux des gardians de la Camargue en témoignent. Les leggings des misérables cow-boys texans des années de trail de 1865 à 1875 sont des jambiÚres qui jouent le rÎle de sur-pantalon sur un pantalon de toile. Lorsqu'elles étaient conçues en plusieurs parties, ils peuvent faire songer à des houseaux ficelés, avec le cuir protégé de bandes épaisses de vieux tissus ou chiffons[7].
Un symbole, un signe de distinction ou d'apparat
Le houseau mĂ©diĂ©val, reprĂ©sentĂ© sur des emblĂšmes hĂ©raldiques, prend le haut, le bas et le pied, parties du corps qui expriment la mobilitĂ©, la vĂ©locitĂ© et la puissance d'un combattant Ă terre. C'est en rĂ©alitĂ© une heuse, mais l'appellation mentionne sa taille rĂ©duite sur l'Ă©cu oĂč est reprĂ©sentĂ©e symboliquement une petite heuse, donc un houseau.
On comprend l'expression prĂ©cieuse citĂ©e par La Fontaine et traduite par le sens fort de mourir dans sa douziĂšme fable : laisser ses houseaux. Mais elle peut s'expliquer aussi dans le monde paysan. Devenir immobile Ă jamais, ĂȘtre condamnĂ© Ă n'ĂȘtre qu'alitĂ© sans sortir de la chambre, ne plus travailler ou suspendre sans usage ce qui protĂšge les jambes et assure ainsi la nĂ©cessaire mobilitĂ©, c'est autrefois l'annonce immĂ©diate de la mort, un prĂ©caire moment avant de mourir[8]. Par comparaison, les expressions (y) laisser ses guĂȘtres ou laisser ses guĂȘtres immobiles Ă jamais expriment peut-ĂȘtre une Ă©vocation de la mort plus directe ou moins ambiguĂ«. La guĂȘtre est un vĂȘtement personnel. Mais le retour de la mobilitĂ© et du mouvement annonce la vie ou son maintien :
- tirer ses guĂȘtres, c'est s'en aller
- traĂźner ses guĂȘtres, c'est flĂąner, divaguer ou errer au grĂ© de ses humeurs, se promener sans but en mauvais oisif.
- laisser traĂźner ses guĂȘtres, se nĂ©gliger.
Les chasseurs ou les fermiers, d'autant plus qu'ils ne chassaient pas rĂ©ellement ou qu'ils ne labouraient plus, dĂ©lĂ©guant cette tĂąche Ă leurs commis, laboureur ou cultivateur, ont revĂȘtu de somptueuses piĂšces de cuir. Le pantalon de toile double ou de velours pouvait ĂȘtre cachĂ© par des houseaux, vĂ©ritables ornements distinctifs ou armoriĂ©s, indiquant la qualitĂ© ou l'activitĂ© noble du porteur.
La heuse, nom de la botte primitive, ne se distingue pas ici des bottes ou des chaussures, autrefois puissants marqueurs sociaux. Le francique huese a d'ailleurs subi la mĂȘme Ă©volution que le bas-latin calcea, dĂ©rivĂ© fĂ©minin du latin calceus, soulier. La terminologie des vĂȘtements qui s'enfilent par les pieds a Ă©tĂ© changĂ©e. Les langues romanes ont gĂ©nĂ©rĂ© le terme chausse, qui a pris le sens de guĂȘtre, puis de culotte en Ă©vinçant la braie gauloise[9]. Les langues germaniques ont engendrĂ© Ă partir de huese, le classique Hose, dĂ©signant la culotte, puis le pantalon. Il faut la dĂ©contraction urbaine du thĂ©Ăątre vĂ©nitien pour imposer d'abord un personnage Pantaleone qui se faufile dans un vĂȘtement du pied au col, voire Ă la tĂȘte avec une capuche. La cĂ©sure de l'habit du comĂ©dien engendre un polo et un haut de chausse Ă©troit qui tient avec le bas, puis un pull et un pantalon moderne, adaptĂ©s Ă la mobilitĂ© urbaine.
Il faut enfin signaler, que le vĂȘtement paysan comme le costume noble, n'obĂ©it Ă aucune mode. Ils sont Ă la fois commodes et rituels, adaptĂ©s Ă une fonction prĂ©cise ou Ă un rite particulier. L'Ă©volution au cours du temps montre que l'une et l'autre ont variĂ©. Il reste la qualitĂ© et la finition de l'Ă©quipement comme critĂšre de classement. Mais l'expĂ©rience commune montre que les plus luxueux sont autant hors catĂ©gorie par leur coĂ»t prohibitif que par leur absence d'usage rĂ©el.
Vieilles expressions
Laisser ses houseaux est une expression du XVe siÚcle, attestée en 1455 et fort vieillie lorsqu'elle est reprise par le fabuliste La Fontaine[10]. Au-delà de la grande littérature de salon, il subsiste dans le monde paysan ou populaire des expressions nombreuses, parmi lesquelles, hormis celles qui s'attachent à vanter, décrire ou dénigrer les mollets, la taille et la musculature de la jambe de son porteur, on peut signaler :
- J'en ai plein mes houseaux, ĂȘtre fatiguĂ©, Ă©puisĂ© aprĂšs une tĂąche et parfois ĂȘtre angoissĂ© ou apeurĂ© en un sens apparemment encore plus vieux qui correspond Ă l'allemand plus conservateur die Hosen voll haben, avoir une grosse peur. Le sens de la fatigue est passĂ© dans notre moderne en avoir plein les chaussettes.
- (C'est) elle (qui) porte les houseaux, qualifie une femme maßtresse de maison active dans les champs, donc susceptible de tout prendre en main et ainsi de commander de façon incontestée et sa maisonnée et son époux. L'expression populaire porter le pantalon semble la prolonger dans les foyers.
- Avoir la conscience plus large que les houseaux d'un Ă©cossais, mentionne l'avarice supposĂ©e d'un sujet. Les houseaux paysans plus ou moins lĂąches ou disposant de poches pratiques permettaient de glisser facilement et de maintenir en sĂ©curitĂ© de menus objets ou des bourses. Il semble que les Ăcossais avec leur lourdes chaussettes n'aient point eu de houseaux, prĂ©fĂ©rant porter leur bien dans une bougette ou pochette sous-ventrale attachĂ©e Ă la ceinture.
Notes et références
- Il pourrait s'agir à l'origine d'épingles pour fabriquer des agrafes d'houseaux, réalisée par des forgerons de village, en usage pour fixer ou confectionner les houseaux. Le dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, admet une probable ellipse. L'épingle à houseaux, grande épingle qui sert à réunir des bandes de lourdes étoffes, est nommé houseau vers 1750, parfois housseau en 1800.
- Ecartons le cavalier hussard, qui a pu s'Ă©crire Ă l'Ăąge classique housard, houssair, houssar, housard. Ce terme provient de l'Ă©tymon hongrois husar, indiquant le vingtiĂšme, soit le prĂȘlĂ©vement habituellement versĂ© dans la cavalerie.
- Dans certains cas de travaux salissants, les houseaux peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des tabliers spĂ©cifiques parfois Ă une activitĂ© sur chaque jambe.
- Le terme guĂȘtre, guietre citĂ© dans le journal d'un bourgeois de Paris vient probablement de l'ancien bas-francique wrist au sens de cou-de-pied. Il est possible que le mot et l'Ă©lĂ©ment habillant et couvrant la jambe existent Ă l'Ă©poque mĂ©rovingienne ou mĂȘme auparavant chez leurs ancĂȘtres Germains rhĂ©nans avant la confĂ©dĂ©ration des Francs. GuĂȘtre a ainsi la mĂȘme origine que le mot allemand Rist.
- Il existe toutefois des guĂȘtres renforcĂ©es par des surguĂȘtres peu apparentes, qui protĂšgent comme certains houseaux contre les arbustes, les broussailles, les Ă©pineux ou les ronces.
- Les houseaux modernes des cavaliers sont de vĂ©ritables survĂȘtements protecteurs entourant le mollet. Les basanes sont des peaux souples, Ă l'origine une peau de mouton dĂ©doublĂ©e, qui recouvraient en partie les culottes ou pantalons de cavalerie. Il provient de l'espagnol badana, empruntĂ© Ă l'arabe andalou bithana, doublure.
- Protection nĂ©cessaire pour les Ă©pineux du terrible chaparral ou pour les dangers des heurts avec les bĂȘtes cornues, les vĂ©gĂ©taux et autres obstacles.
- On pourrait mĂȘme ajouter un signe avant-coureur de la dĂ©chĂ©ance : quelqu'un qui ne se protĂšge plus, n'a plus conscience des prĂ©cautions Ă©lĂ©mentaires ou prend aveuglĂ©ment tous les risques prend la voie assurĂ©e de sa fin.
- Les bas de chausses ont, par effet inverse, donné le bas d'abord autant masculin que féminin.
- La Fontaine, « Le renard anglais », sur www.la-fontaine-ch-thierry.net (consulté le ) : « Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux »