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Heidegger et la métaphysique

On chercherait en vain une dĂ©finition concise et dĂ©finitive de la MĂ©taphysique dans l'Ɠuvre de Martin Heidegger[1] si l'on met de cĂŽtĂ© une dĂ©finition surprenante avancĂ©e Ă  la fin d'une confĂ©rence de 1929 intitulĂ©e Qu'est-ce que la mĂ©taphysique? « La mĂ©taphysique est le Dasein lui-mĂȘme »[2],[N 1] citĂ©e par Christian Dubois[3],[N 2], dĂ©finition, correspondant Ă  une brĂšve pĂ©riode autour d'Être et Temps, qui a Ă©tĂ© recouverte et oubliĂ©e dans l'Ă©volution ultĂ©rieure de sa pensĂ©e (voir sur cette « mĂ©taphysique du Dasein », la contribution de François Jaran)[4]. Dans un autre ouvrage Essais et confĂ©rences[5], Heidegger se limite Ă  nous en proposer une approche, comme « pensĂ©e en direction de l'Ă©tantitĂ© de l'Ă©tant ». Jacques Taminiaux[6] se risque Ă  en dessiner les contours « comme une tentative d'exprimer ce qui universellement peut ĂȘtre dit de tout Ă©tant comme tel, ainsi elle s'inaugure comme une logique de l'Ă©tant, une thĂ©orie de ses prĂ©dicats, de son essence, de son Ă©tantitĂ©, bref une onto-logie ».

À l'occasion d'une confĂ©rence sur le nihilisme, Alain de Benoist[7] donne un rĂ©sumĂ© saisissant de toute l'histoire des rapports de Heidegger avec la mĂ©taphysique : « Le nihilisme, aux yeux de Heidegger, reprĂ©sente la consĂ©quence et l’accomplissement d’un lent mouvement d’« oubli de l’ĂȘtre », qui commence avec Socrate et Platon, se poursuit dans le christianisme et la mĂ©taphysique occidentale et triomphe dans les temps modernes. L’essence du nihilisme « repose dans l’oubli de l’ĂȘtre ». Le nihilisme est l’oubli de l’ĂȘtre parvenu Ă  son accomplissement dans le cadre de la mĂ©taphysique. C’est en cela qu’il est le rĂšgne du nĂ©ant ». MĂȘme critique, l'Ɠuvre de Heidegger a contribuĂ©, nous dit Franco Volpi[8], « au renouveau des Ă©tudes les plus importantes consacrĂ©es Ă  la structure de la mĂ©taphysique et Ă  l'analyse de ses moments principaux ».

La plupart des interprĂštes, reprenant cette thĂ©matique historique, Ă©tudient les rapports de Heidegger Ă  la mĂ©taphysique Ă  travers les trois thĂšmes apparentĂ©s, que sont l'« oubli de l'ĂȘtre », Die Seinsvergessenheit, le thĂšme de « l'achĂšvement ou le dĂ©passement de la mĂ©taphysique », ainsi que celui sa nature essentiellement « onto-thĂ©ologique » —, trois notions qui constituent, pour Heidegger ce dont la pensĂ©e a Ă  s'occuper en prioritĂ© Ă  propos de la mĂ©taphysique, et autour desquelles vont tourner ses analyses. Le thĂšme du Nihilisme renforcĂ©, autrement dit celui de la Technique (voir Heidegger et la question de la technique), finira par envelopper et contenir l'ensemble de ces thĂ©matiques.

Les thĂšmes principaux

La primautĂ© de la question de l'ĂȘtre

DĂšs le dĂ©but de Être et Temps est exposĂ©e la nĂ©cessitĂ© de reprendre « la question de l'ĂȘtre », comprise comme question du sens unitaire de « ĂȘtre », ainsi que la voie que le chercheur entend suivre, Ă  savoir, la « primautĂ© ontologique » du Dasein, qu'il s'agit de comprendre en son ĂȘtre[9]. Cette question considĂ©rĂ©e comme le thĂšme essentiel de la mĂ©taphysique Ă©tait progressivement tombĂ©e en dĂ©suĂ©tude, avec elle. L'Ɠuvre de Kant, note Jean Grondin[10] avec la Critique de la raison pure avait profondĂ©ment dĂ©valorisĂ© la mĂ©taphysique dite « dogmatique ».

Dans les années 1920 « dominées par le néo-kantisme, le néo-positivisme, la philosophie de la vie et la phénoménologie, on tient toute ontologie comme impossible »[11]. Le seul moyen, d'ailleurs suivi par les néo-kantiens, pour la philosophie de demeurer une science « fondamentale » était, rapporte Jean Grondin[10] « de se transformer en réflexion épistémologique » sur les conditions de la connaissance. Heidegger dénonce cette conception qui subordonne la philosophie aux sciences positives[12].

Pour Heidegger, cette question du « sens de l'ĂȘtre » garde une « primautĂ© ontologique et ontique  » que Jean Grondin[13] voit se dĂ©ployer, « tant dans l'ordre des savoirs, que dans l'ordre des prĂ©occupations de l'existence humaine ». Il n'y a pas d'interrogation possible sur un Ă©tant quelconque qui ne soit prĂ©cĂ©dĂ©e d'une prĂ©-comprĂ©hension de l'« ĂȘtre de l'Ă©tant » (l'Ă©tantitĂ© de l'Ă©tant). De mĂȘme la question devient primordiale pour l'homme lorsque l'on rĂ©sume l'essence de son Dasein dans la formule rĂ©itĂ©rĂ©e plusieurs fois dans Être et Temps, « il est l'ĂȘtre qui se caractĂ©rise par le fait qu'il y va en son ĂȘtre de cet ĂȘtre mĂȘme »[13].

Il ne s'agit pas de nier qu'il y a bien de l'Ă©tant devant moi, prĂ©cise ailleurs Jean Grondin[14], que je suis bel et bien dans le monde, mais de voir que cet Ă©tant n'est justement qu'un mode particulier de l'ĂȘtre, savoir selon l'expression de Heidegger, l'Ă©tant subsistant « sous la main », Vorhanden pensĂ© sous le mode d'une res extensa.

L'oubli de l'ĂȘtre

À noter comme l'Ă©crit Jean Greisch[15] que « « l'oubli de l'ĂȘtre », die Seinsverlassenheit, est toujours l'oubli de la question de l'ĂȘtre ». Heidegger considĂšre que, si la recherche du « sens de l'ĂȘtre » s'est poursuivie tout au long de l'histoire, elle a en fait Ă©tĂ© oubliĂ©e en tant que telle, dans la confusion de l'« ĂȘtre et de l'Ă©tant » : de tel Ă©tant (par exemple l'esprit, la vie, ou la matiĂšre), de l'Ă©tant dans son ensemble (Nature), de l'Ă©tant suprĂȘme (Dieu), note Paul RicƓur[16]. Comme le rappelle Alain Boutot[17], dans Être et Temps, Heidegger dĂ©ploie la question de l'ĂȘtre en commençant par stigmatiser l'oubli dans lequel la tradition a laissĂ© cette question depuis Platon et Aristote. Le drame, comme le souligne David Farrell Krell[18], c'est que « l'oubli de l'ĂȘtre implique l'oubli du nĂ©ant dans lequel le Dasein est toujours suspendu ».

Jean-François Courtine[19] prĂ©cise : « dans la perspective de l’histoire de l’ĂȘtre la Seinsgeschichte qui est celle que Heidegger dĂ©ploie Ă  partir du milieu des annĂ©es 1930, la « structure onto-thĂ©ologique » se prĂ©sente comme le signe de l’omission et de l’oubli de la question de l’ĂȘtre propre Ă  toute la tradition mĂ©taphysique – depuis Platon jusqu’à Nietzsche – et qu’il s’agit dĂ©sormais de dĂ©passer ĂŒberholen, ĂŒberwinden  ». Il convient selon Heidegger de distinguer deux questions constamment enchevĂȘtrĂ©es : « la question directrice de la mĂ©taphysique qui est celle de l'Ă©tantitĂ© de l'Ă©tant, de la question fondamentale, qui est la question de l'ĂȘtre en tant que tel que la mĂ©taphysique ne pose jamais » Ă©crit Jean-Marie Vaysse[20].

Dans le chapitre premier de son Introduction Ă  la mĂ©taphysique[21], Heidegger fait un large tour d'horizon de l'Ă©tat de la question de l'ĂȘtre dans la philosophie contemporaine. Simple mot « vapeur ou erreur » selon Nietzsche, l'ĂȘtre ne nous est manifestement plus rien. Tout ce qui compte, c'est l'Ă©tant, la science, les rĂ©sultats. MalgrĂ© toutes les vellĂ©itĂ©s de rĂ©surrection de la mĂ©taphysique, la question de l'ĂȘtre reste recouverte. Jean Greisch[22] en donne sommairement trois raisons : La certitude dogmatique que l'ĂȘtre est le concept le plus universel qui interdit toute dĂ©finition par genre ou espĂšce, Cette indĂ©finissabilitĂ© signifie que l'ĂȘtre ne saurait ĂȘtre conçu Ă  l'instar d'un Ă©tant. Enfin, ce concept serait tellement Ă©vident qu'il dispenserait une analyse plus poussĂ©e. D'ailleurs, si l'ĂȘtre n'est qu'au fond un concept vague et polysĂ©mique qui ne se rencontre que dans les langues indo-europĂ©ennes (comme le remarque Jean Grondin[23]), Ă  quoi bon y attacher de l'importance ? À noter cependant que ces raisons, bien que pertinentes ne rendent pas justice Ă  la position de Heidegger sur ce sujet, pour lequel l'« oubli de l'ĂȘtre » appartient stricto sensu Ă  l'essence mĂȘme de la mĂ©taphysique. Cet « oubli », si souvent Ă©voquĂ© par Heidegger, devient ce qui, caractĂ©rise la mĂ©taphysique dĂšs sa naissance au point d'ĂȘtre le destin de toute une Ă©poque.

La consĂ©quence la plus immĂ©diate de cet oubli, c'est la permanence, inquestionnĂ©e dans la mĂ©taphysique, d'un fonds de concepts ontologiques, qui court Ă  travers toute l'histoire de la philosophie, concepts tels que l' « ĂȘtre », la « substance », le « mouvement », le « temps », la « Vie », le « Soi » au profit d'une fausse Ă©vidence, d'un dogmatisme latent[24],[N 3]. Sophie-Jan Arrien[25] note incidemment que la mĂ©taphysique devenue « vision du monde » « ne nourrit plus l'inquiĂ©tude spirituelle du philosophe mais lui procure plutĂŽt un apaisement du combat intĂ©rieur contre l'Ă©nigme de la vie et du monde ».

« Sous le signe de la science positive et de son application technique, cet oubli se prĂ©cipite vers son achĂšvement, ne laissant plus rien subsister Ă  cĂŽtĂ© de lui qui puisse bĂ©nĂ©ficier d'un ĂȘtre plus authentique dans quelque monde rĂ©servĂ© au « sacré » » Ă©crit Hans-Georg Gadamer[26]. La pensĂ©e de l'ĂȘtre n'est plus qu'une pensĂ©e de l' « oubli de l'ĂȘtre » abonde Henri Birault[27].

« L’ « oubli de l’ĂȘtre », signifie alors que l’ĂȘtre se voile, qu’il se tient dans un retrait voilĂ© qui le dĂ©robe Ă  la pensĂ©e de l’homme, ce qui peut aussi ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une retraite protectrice, une mise en attente d’un dĂ©cĂšlement. [Manque du texte] s un retrait de l’ĂȘtre comme Ereignis dans le mouvement mĂȘme de production de la diffĂ©rence ontologique de l’étant (qui est toujours Ă©tant dans l’ĂȘtre) et de l’ĂȘtre (qui est toujours ĂȘtre de l’étant). En se dĂ©celant dans l’étant, l’ĂȘtre disparaĂźt comme Ereignis et apparaĂźt comme ĂȘtre de l’étant. Ce qui se retire n’est donc pas l’ĂȘtre comme ĂȘtre de l’étant, mais l’Ereignis comme Ă©vĂ©nement de la Lichtung des Seins. La question se pose de savoir si cet oubli est le fait d'une nĂ©gligence de l'homme, ou si l'ĂȘtre lui-mĂȘme, Ă  travers les divers modes de sa donation, ne se serait pas retirĂ© lui-mĂȘme, abandonnant toute la place au rĂšgne de l'Ă©tant », Ă©crit Julien Pieron[28].

C'est bien ainsi que l'entend Heidegger pour qui Ă  travers le terme d' epokhĂš, « une Ă©poque historique doit ĂȘtre comprise comme la suspension ou la rĂ©tention de la vĂ©ritĂ©, l'ĂȘtre retenant sa vĂ©ritĂ© de diffĂ©rentes maniĂšres au cours de l'histoire, afin Ă  chaque fois de laisser apparaĂźtre un monde. L'oubli de l'ĂȘtre est par consĂ©quent un multiple oubli de soi de l'ĂȘtre et non pas un processus continu de dĂ©clin » Ă©crit Françoise Dastur[29].

L'oubli chez les Grecs

Platon fonde la maniĂšre traditionnelle de reprĂ©senter les rapports entre l'ĂȘtre et l'Ă©tant, qui a dominĂ© depuis lors toute l'histoire de la philosophie occidentale. L'ĂȘtre n'est plus, comme chez les prĂ©socratiques, dans la chose prĂ©sente, mais ailleurs, dans l'idĂ©e qui n'est pas une reprĂ©sentation subjective mais le visage intelligible de la chose elle-mĂȘme[30]. Cette cĂ©sure est accentuĂ©e par Aristote qui met en place une vĂ©ritable « onto-logie », c'est-Ă -dire une science de l'Ă©tantitĂ© de l'Ă©tant. L'« ĂȘtre », en tant que tel, « dĂ©sormais demeure manquant » dans toutes les formes successives de la mĂ©taphysique, puisque, en tant qu'idĂ©e, intelligible, substance ou « volontĂ© de puissance » il est fondamentalement rĂ©fĂ©rĂ© Ă  l'Ă©tant et n'est plus visĂ© en tant que tel.

Dans une premiĂšre Ă©tape correspondant Ă  Être et Temps, Heidegger pose la question du sens de l'ĂȘtre « au fil de l'existence humaine » Ă  travers l'analytique existentiale dont il ambitionne de faire une ontologie fondamentale. Mais comme le souligne Pascal David[31] « l'ontologie fondamentale n'est dĂ©jĂ  plus une ontologie qui s'enquiert non plus de l'ĂȘtre de l'Ă©tant mais de la vĂ©ritĂ© de l'ĂȘtre[
] de sorte qu'on ne saurait lire Être et Temps comme un traitĂ© d'ontologie ».

Mais reste la question de l'Ă©tant. C'est parce que l'homme, « ĂȘtre fini », peut en raison de sa finitude soutenir la vision du nĂ©ant Ă  travers l'angoisse que quelque chose comme l'ĂȘtre ou la totalitĂ© de l'Ă©tant lui est originairement donnĂ©. Le nĂ©ant est ainsi, souterrainement, la possibilitĂ© mĂȘme de la mĂ©taphysique, l'homme devient le « « lieu-tenant du nĂ©ant »[32].

Pour Heidegger, l'« oubli de l'ĂȘtre » commence avec la pensĂ©e de l'ĂȘtre comme « étant subsistant » et permanent dans la mĂ©taphysique grecque, pour ĂȘtre poussĂ© Ă  ses consĂ©quences ultimes dans la science et la technique moderne[33]. DĂšs lors, Ă  la suite de sa longue mĂ©ditation de Nietzsche, Heidegger va Ă©prouver l' « oubli de l'ĂȘtre ».

De l'oubli au retrait de l'ĂȘtre

Que l'ĂȘtre ne veuille plus rien dire est en soi un problĂšme que Heidegger est le seul Ă  prendre au sĂ©rieux[23]. Cette situation caractĂ©rise le Gestell (voir Heidegger et la question de la technique), Ă©poque oĂč seul l'Ă©tant objectivĂ© et disponible existe. Dans des ouvrages tardifs, Heidegger expose que cet oubli de l'ĂȘtre qui s'oublie lui-mĂȘme, recĂšle un « pĂ©ril », le Gefahr, qui nous fait entrer dans une longue nuit[34].

Dans Heidegger et la question de la technique, nous avons appris que, loin d'ĂȘtre seulement un ensemble d'instruments, destinĂ©s Ă  allĂ©ger la tĂąche des hommes, la « Technique » ou « Dispositif » est un mode de « dĂ©cĂšlement de l'Ă©tant », dont le trait fondamental est la « rĂ©quisition » de tout l'Ă©tant, hommes, choses et relations humaines. L'Ă©tant est dĂ©celĂ©, non comme Dasein ou chose[35], mais comme stock ou personnel disponible, son caractĂšre de chose et mĂȘme son objectivitĂ© s'effacent devant sa disponibilitĂ©, sa valeur. Le Gestell, le Dispositif (traduction François FĂ©dier), est l'essence de la technique, mais de la technique vue comme destin du dĂ©cĂšlement, en cela le Gestell porte Ă  son comble l'oubli de l'ĂȘtre enclenchĂ© par la mĂ©taphysique et sa forme ultime la VolontĂ© de puissance. « Nous sommes Ă  l'Ă©poque oĂč cet oubli se prĂ©cipite vers son achĂšvement, plus rien n'existe qui puisse bĂ©nĂ©ficier d'un ĂȘtre plus authentique dans quelque monde « sacré » ou « rĂ©servé » »[36].

L'homme n'a plus affaire Ă  des choses (au sens de la confĂ©rence "Qu'est ce qu'une chose ?"), ni mĂȘme Ă  des objets, Gegenstand[37] mais Ă  tout ce qui dans une perspective utilitaire Ă  vocation Ă  entrer dans le fonds disponible, que Heidegger appelle Bestand . Or c'est tout l'Ă©tant y compris l'homme qui dans le monde moderne prend place en tant que « capital humain » dans l'horizon de l'utilitĂ©[38]

La « Technique » au sens du Gestell ou « Dispositif », tient l'homme en son pouvoir, il n'en est nullement le maßtre. L'homme moderne est requis par et pour le dévoilement commettant, qui le met en demeure de dévoiler le réel comme fonds[39].

C'est en ce sens que la Science relĂšve de la Technique et non l'inverse. La Science moderne n'est pas technique parce qu'elle use de moyens sophistiquĂ©s, mais parce qu'en son essence elle est « Technique », en dĂ©veloppant un « projet mathĂ©matique » de maĂźtrise de la nature, sous l'impulsion de GalilĂ©e et de Kepler, en dĂ©terminant par anticipation ce que doivent ĂȘtre les qualitĂ©s rĂ©elles de l'Ă©tant avant d'ĂȘtre apprĂ©hendĂ© comme Ă©tant[40].

Si l'oubli, et notamment son aggravation dans le Gestell, est constitutif de la mĂ©taphysique, il est illusoire de penser pouvoir la corriger, il s'agit plutĂŽt de l'assumer comme destin de l'ĂȘtre lui-mĂȘme[41]. « L'oubli, le retrait appartiennent Ă  l'ĂȘtre » .

La métaphysique du Dasein

Pendant une brĂšve pĂ©riode Ă  partir d' Être et temps, et jusque dans les toutes premiĂšres annĂ©es 1930, remarque François Jaran[42], Heidegger est Ă  la recherche « d'une conception plus radicale et plus universelle de l’essence de la transcendance qui va nĂ©cessairement de pair avec une Ă©laboration plus originaire de l’idĂ©e d’ontologie et, par lĂ , de la mĂ©taphysique », tirĂ©e de Essence du fondement[43]. Dans cette brĂšve pĂ©riode, il s'agit de se saisir de l’ĂȘtre Ă  partir de l’essence mĂ©taphysique du Dasein comprise comme transcendance[44]. La mĂ©taphysique n'y est plus abordĂ©e comme une branche de la philosophie, mais « comme Ă©vĂ©nement dans l’existence humaine, comme quelque chose de propre et d’essentiel Ă  la nature de l’homme ». Heidegger semble y redĂ©couvrir le thĂšme kantien d'une « metaphysica naturalis » qu'il va tenir pour la vĂ©ritable mĂ©taphysique. La primautĂ© momentanĂ©e dans la pensĂ©e du philosophe du thĂšme d'une mĂ©taphysique qu'il s'agirait de fonder vĂ©ritablement, transparaĂźt dans le constat de François Jaran, « les textes produits dans les annĂ©es 1920 prennent tous pour point de dĂ©part du travail philosophique la nature humaine ».

L'histoire de l'ĂȘtre

Le cours de 1935, intitulĂ© Introduction Ă  la mĂ©taphysique, tĂ©moigne explicitement du passage de « l’ontologie fondamentale » de Être et Temps Ă  une « histoire de l'ĂȘtre » qui devient elle-mĂȘme geschichtlich, « historial »[45],[N 4]. La mĂ©taphysique ne sera plus seulement une discipline philosophique, mais va devenir une « puissance historiale », en propre, [dans son essence] qui reflĂšte un destin de l' ĂȘtre[46]. Cette tentative de dĂ©passement que Heidegger lui-mĂȘme, appellera la Kehre ou « Tournant » dans la Lettre sur l'humanisme[47],[48], s'inscrira au sein de l'histoire de l'Être lui-mĂȘme et de la philosophie occidentale[N 5].

Dans les BeitrĂ€ge zur Philosophie (Vom Ereignis), Ă©crites en 1936, « Heidegger dĂ©couvre dans le destin de l'alĂštheia une pure et simple consĂ©quence de l'« abritement » de l'ĂȘtre dans la totalitĂ© de l'Ă©tant. Cette dĂ©couverte lui donne la clef pour la comprĂ©hension de toute l'histoire de la mĂ©taphysique » Ă©crit Lazlo Tengelyi[49]. À partir de la comprĂ©hension grecque de l'ĂȘtre Heidegger dĂ©veloppe une « distinction claire entre trois Ă©poques diffĂ©rentes de la pensĂ©e europĂ©enne : le « destin » du premier commencement chez les Grecs conduit, surtout chez Aristote, Ă  une premiĂšre dĂ©finition mĂ©taphysique de l'ĂȘtre en termes de prĂ©sence constante; puis il donne naissance Ă  deux interprĂ©tations de l'« étantité » de l'Ă©tant qui aboutiront, d'une part, Ă  la doctrine de l' ens creatum dans la mĂ©taphysique mĂ©diĂ©vale et, d'autre part, Ă  la thĂ©orie de l' objectivitĂ© de l'objet dans la mĂ©taphysique moderne »[50], enfin au rĂšgne de la « technique ».

« Interroger le rÚgne actuel de la technique, son époque, c'est d'abord se remémorer ce qui dans la métaphysique, dont ce rÚgne est issu depuis ses origines présocratiques, s'est détaché par couches successives ainsi que tous les écarts qui ont été des écarts par rapport à ce vers quoi cette pensée faisait signe » écrit Jacques Taminiaux[51].

L'achÚvement de la métaphysique

AprĂšs l'Ă©chec d'Être et Temps et l'Ă©pisode du Rectorat (1933), s'affirme progressivement, le thĂšme, nouveau pour lui, du « dĂ©passement de la MĂ©taphysique »[N 6], Ă  l'exemple du projet nietzschĂ©en de « renversement du platonisme ». Ainsi dans les notes rassemblĂ©es sous le titre « dĂ©passement de la mĂ©taphysique » des essais et confĂ©rences, Heidegger dit explicitement que la mĂ©taphysique est achevĂ©e parce qu'elle a fait le tour de ses possibilitĂ©s[52],[N 7], la derniĂšre d'entre elles Ă©tant l'Ăšre de la Technique. Franco Volpi[53] prĂ©cise que « dans la derniĂšre phase de sa pensĂ©e, Heidegger aboutit Ă  la thĂšse de la fin de la mĂ©taphysique, laquelle serait dĂ©sormais passĂ©e dans l'essence de la technique moderne : celle-ci serait l'accomplissement de la mĂ©taphysique, « la mĂ©taphysique comme prĂ©histoire de la technique » »[N 8]. À ce sujet, remarque Michel Haar[54], si l'Ă©poque de la technique en est l'ultime forme, « nous ignorons encore ce que nous rĂ©serve l'achĂšvement de la mĂ©taphysique et nous ne pouvons Ă  peine imaginer ce qu'inventera la domination inconditionnĂ©e ou la mobilisation totale 
 qui ne font que commencer ».

Si nous avons appris quelque chose avec Heidegger, c'est bien l'unité persistante de la métaphysique, fondée par les Grecs et qui s'est maintenue sous des formes différentes, dans la pensée moderne[55].

Dans la suite, la mĂ©taphysique n'apparaĂźtra plus comme le chemin privilĂ©giĂ© pour accĂ©der au sens de l'ĂȘtre qui lui-mĂȘme en son fond ne peut plus ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le fondement de l'Ă©tant. D'ailleurs, la problĂ©matique du « sens de l'ĂȘtre » cĂšde la place Ă  la question de la « vĂ©ritĂ© de l'ĂȘtre », dont la rĂ©vĂ©lation du « voilement » accaparera dorĂ©navant les efforts du philosophe, note Jean Grondin[56].

Les deux penseurs de la modernitĂ©, Nietzsche et Heidegger, attaquent semblablement la mĂ©taphysique et ses illusions alors qu'avec l' Introduction Ă  la mĂ©taphysique de 1935 se rĂ©vĂšle leur intĂ©rĂȘt commun pour les prĂ©socratiques et pour une « vie libre et volontaire dans les glaces et la haute montagne »[57]. Les deux font retour aux premiers Grecs avec une prĂ©Ă©minence accordĂ©e aux prĂ©socratiques. Sur ce sujet, Heidegger rendra hommage Ă  la pĂ©nĂ©trante intuition de son prĂ©dĂ©cesseur Nietzsche qui ne serait dĂ©passĂ©e que par celle d'Hölderlin[58].

Dans la lutte tendue qu'il mÚne à la recherche d'un nouveau langage philosophique, la figure de Nietzsche, tout aussi bien que celle de Hölderlin, permet à Heidegger d'entrevoir en cette étape ultime de la métaphysique de la « volonté de puissance », une ouverture nouvelle à l'histoire, donnant un sens à la question du « nouveau commencement » selon Servanne Jollivet[59].

L'autre commencement

Quant Ă  l'idĂ©e d'« un autre commencement », il ne faut pas l'entendre en un sens chronologique oĂč un « commencement » succĂ©derait Ă  un « autre commencement », dans un enchaĂźnement causal[N 9], car il ne fait signe vers aucune philosophie de l'histoire, ni sur l'idĂ©e d'un progrĂšs de l'humanitĂ© ou celle d'un dĂ©clin, tout ceci appartient en propre Ă  la mĂ©taphysique et Ă  son besoin de « calculabilité ». L'autre commencement prĂ©tend, par-dessus la mĂ©taphysique, reprendre source directement Ă  l'origine, Ă  l'Ă©coute de la dynamique cachĂ©e de l'histoire de l'« ĂȘtre ». Il s'agit, de se retourner pour retrouver Ă  travers la rĂ©pĂ©tition, le point inaugural d'un autre chemin possible de la pensĂ©e, de quelque chose tel « qu'un autre chemin peut Ă©clore »[60].

« Le premier commencement qu'est la métaphysique n'est pas une « cause », qui à un moment donné de l'histoire, aurait l'autre commencement de la pensée pour « effet », elle est une origine, une Ursprung qui demande à devenir plus « originaire » » écrit Martina Roesner[61].

La structure ontothéologique de la métaphysique

La nature « onto-thĂ©ologique » de la mĂ©taphysique, selon une expression reprise de Kant[N 10], est une thĂšse avancĂ©e tardivement par Heidegger notamment dans Was ist Metaphysik?[2] et IdentitĂ© et diffĂ©rence[62]. Dans cette thĂšse est affirmĂ©e l'Ă©troite co-appartenance « essentielle » au sein de la mĂ©taphysique, de l'ontologie et de la thĂ©ologie, toutes deux interrogeant simultanĂ©ment et indissolublement, depuis l'origine, selon deux perspectives diffĂ©rentes, « l'Ă©tant dans sa gĂ©nĂ©ralité » ou « l'Ă©tant dans son fondement » premier[63]. ? « C’est par cette substitution subreptice que la mĂ©taphysique occidentale se serait constituĂ©e comme « onto-thĂ©o-logie » qui amalgame l’ĂȘtre soit Ă  ce qui est commun Ă  tout Ă©tant (objet de la metaphysica generalis ou ontologie), soit Ă  l’étant le plus haut dans l’ordre des causes, Dieu (objet de la metaphysica specialis, ou thĂ©ologie) ».

On constate que cette « essence » double de la mĂ©taphysique ne provient pas comme le croyait la tradition de l'influence historique de la dogmatique chrĂ©tienne qui aurait, Ă  un moment donnĂ©, subverti la mĂ©taphysique, mais a surgi, du sein mĂȘme de la mĂ©taphysique[N 11], au risque de dĂ©truire toute l'expĂ©rience existentielle de la foi, note Françoise Dastur[64],[N 12]. « C'est l'Ă©quivalence entre ĂȘtre et prĂ©sence constante qui, dĂ©jĂ  dans la pensĂ©e grecque, conduit Ă  chercher le fondement de l'Ă©tant dans un autre Ă©tant dont la stabilitĂ© et la permanence ne fassent jamais dĂ©faut » Ă©crit par ailleurs Françoise Dastur[65].

Le Nihilisme

Le Nihilisme selon Nietzsche

  • La pensĂ©e mĂ©taphysique divise l'ensemble de l'Ă©tant, en partie sensible et en monde suprasensible (monde rĂ©el concret opposĂ© au monde des idĂ©es Ă©ternelles, ou monde de la vĂ©ritĂ© et de l'ĂȘtre contre le monde apparent). Le nihilisme courant, Heidegger parle de nihilisme europĂ©en, va d'abord ĂȘtre compris comme « dĂ©valuation des valeurs suprĂȘmes »; aprĂšs Dieu, la loi morale ainsi que tous ses succĂ©danĂ©s vont perdre au cours de l'histoire et particuliĂšrement dans l'Ă©poque contemporaine, progressivement leur valeur[66]. Ce nihilisme lĂ  n'est pas proprement nietzschĂ©en, c'est celui de Pouchkine, des auteurs russes comme DostoĂŻevski, mais aussi de Schopenhauer, de CĂ©line ou de Cioran.
  • C'est Nietzsche qui pense pour la premiĂšre fois le nihilisme comme un mouvement de fond de l'histoire occidentale et non plus comme une façon de voir historique parmi d'autres.
  • C'est par l'Ă©noncĂ© sur « la mort de dieu », du « meurtre de dieu » dont nous nous serions rendus coupables que Nietzsche prĂ©sente explicitement le « nihilisme »[67].Outre ce nihilisme de la « dĂ©valorisation des valeurs », Nietzsche qualifie de nihiliste « l’homme qui juge que le monde tel qu'il est ne devrait pas ĂȘtre, et que le monde tel qu'il devrait ĂȘtre n'existe pas. De ce fait, l’existence (agir, souffrir, vouloir, sentir) n’a aucun sens : de ce fait, le pathos du « en vain » est le pathos nihiliste — et une inconsĂ©quence du nihiliste »[68]. Ce nihilisme dit passif peut ĂȘtre, « trĂšs approximativement », rapprochĂ© de la doctrine de Schopenhauer.
  • Nietzsche va penser au-delĂ  de ce simple constat de la « dĂ©valorisation des valeurs suprĂȘmes » en tentant de porter ce nihilisme Ă  un niveau encore plus profond avec « la transvaluation », Um-wertung , qui ne consiste pas seulement en un renversement, mais Ă  transformer tout le monde intelligible historique, en l'idĂ©e d'un ensemble de valeurs, ensemble liĂ© Ă  l'entretien et Ă  l'expansion de la « volontĂ© de puissance » (Nietzsche II, page 270). Cette transvaluation de toutes les valeurs va ĂȘtre l'ultime Ă©tape qui va achever la « dĂ©valuation de toutes les valeurs » jusqu'alors suprĂȘmes (Nietzsche II, page 272). Destructif, le nihilisme le plus radical n'est plus du nihilisme. Selon Heidegger, Nietzsche surmonte le nihilisme en supprimant le problĂšme (Nietzsche II, page 273).
  • En pensant le Nihilisme comme histoire de la « dĂ©valorisation des valeurs suprĂȘmes », Nietzsche veut voir l'Ă©tant en tant que tel, dĂ©barrassĂ© de tout ce qui pourrait rappeler un arriĂšre monde. En remplaçant ces valeurs suprĂȘmes dĂ©valorisĂ©es par la VolontĂ© de puissance, il croit faire barrage au nihilisme, alors qu'il n'a pas approchĂ© l'Être proprement dit en tant que tel, Être qui se retire, et qu'il s'est mĂȘme interdit de voir, les yeux fixĂ©s sur l'Ă©tant, et que, de ce fait, l'essence du nihilisme comme le comprend Heidegger (oubli de l'ĂȘtre) ne peut que lui Ă©chapper[N 13].
  • En reconnaissant un certain processus Ă  la « dĂ©valorisation », Nietzsche est amenĂ©, comme le fera Heidegger, Ă  remonter haut dans l'histoire de la mĂ©taphysique et Ă  en attribuer l'origine Ă  l'interprĂ©tation platonico-chrĂ©tienne du monde. L'homme occidental s'est laissĂ© guider depuis Socrate et Platon par le nĂ©ant Ă©levĂ© au rang de principe[69].

Le Nihilisme selon Ernst JĂŒnger

Ernst JĂŒnger pendant la PremiĂšre Guerre mondiale.

JĂŒnger dans son livre Über die Linie, adopte la dĂ©finition de Nietzsche au sujet du nihilisme comme « dĂ©valorisation des plus hautes valeurs ». Il remarque que le nihilisme ne s'accompagne pas nĂ©cessairement de Chaos et que tout au contraire il peut gĂ©nĂ©rer un ordre plus rigoureux que celui que conduisent les valeurs morales. Il garde en arriĂšre-plan l'idĂ©e du TroisiĂšme Reich. Pour Alain de Benoist[70], JĂŒnger semble confondre totalitarisme et nihilisme.

Heidegger loue sans rĂ©serve la façon dont JĂŒnger, dans Le Travailleur (Die Arbeiter), a su dĂ©crire la civilisation du travail « à la lumiĂšre du projet nietzschĂ©en de l’étant comme volontĂ© de puissance ». D'autant qu'aprĂšs 1945, JĂŒnger a clairement mis en rapport le nihilisme avec l'impĂ©rialisme d’une technique qui, en tant que volontĂ© de dominer le monde, l’homme et la nature, suit sa propre course sans que rien puisse jamais l’arrĂȘter. La technique n’obĂ©it qu’à ses propres rĂšgles, sa loi la plus intime consistant dans l’équivalence du possible et du souhaitable : tout ce qui peut ĂȘtre techniquement rĂ©alisĂ© sera effectivement rĂ©alisĂ©.

Il lui fait aussi crĂ©dit d’avoir finalement rĂ©alisĂ© que le rĂšgne du travail technicien relĂšve d’un « nihilisme actif » qui se dĂ©ploie dĂ©sormais Ă  l’échelle planĂ©taire[N 14]. Toutefois, JĂŒnger, pour dĂ©crire la mobilisation technique du monde, utilise les concepts nietzschĂ©ens sans jamais les remettre en question, si bien qu'au lieu d'ĂȘtre lourde de menaces, la mobilisation technique pourrait trouver une issue dans l'avĂšnement hĂ©roĂŻque du surhomme qui aurait la capacitĂ© de la maĂźtriser[71].

À son crĂ©dit, il pointe encore le fait que JĂŒnger n'assimile pas le nihilisme Ă  une maladie. Le nihilisme ne relĂšve pas du mĂ©dical, il n'est pas une maladie de la civilisation Ă  guĂ©rir. Heidegger conteste cependant l'idĂ©e centrale dans l'Ɠuvre jĂŒngerienne d'une ligne, ou mĂ©ridien, au-delĂ  de laquelle le nihilisme pourrait ĂȘtre surmontĂ©.

Le Nihilisme selon Heidegger

C'est Ă  l'occasion du deuxiĂšme tome qu'il consacre Ă  la MĂ©taphysique de Nietzsche[72] que Heidegger expose, dans un chapitre de haute volĂ©e spĂ©culative, sa position sur l'essence du Nihilisme europĂ©en : plutĂŽt que l'expression d'une dĂ©valorisation de toutes les valeurs Ă  la suite du cĂ©lĂšbre « Dieu est mort! », Heidegger y perçoit l'aboutissement du mouvement fondamental de l’Histoire de l’Occident[73], « l'histoire du retrait de l'Être depuis les origines grecques », en quoi se dĂ©finit selon lui, le nihilisme.

« La métaphysique en tant que métaphysique est l'authentique Nihilisme. »

— Nietzsche Tome II p 275 Martin Heidegger

Cependant, Ă  l'Ă©coute du poĂšte Friedrich Hölderlin, Heidegger va conserver l'espoir que ce Gestell, traduit par « Dispositif » ou « Arraisonnement » (voir Heidegger et la question de la technique), Ă  tĂȘte de Janus, Januskopf, devant le dĂ©ferlement et les excĂšs de la technique, la perte du sens des choses, l’exode de la vĂ©ritĂ©, la fuite des dieux, la disparition de la nature enclenchera une rĂ©action salutaire du Dasein[74] car Heidegger n'a jamais pensĂ© qu'en l'Ă©tat actuel, l'homme puisse volontairement freiner l'extension du rĂšgne de la technique.

« Mais lĂ  oĂč est le pĂ©ril, croĂźt aussi ce qui sauve. »

— Patmos, en Question IV, Hölderlin

Dans sa rĂ©ponse Ă  JĂŒnger, qui lui avait adressĂ© son livre Über die Linie , Heidegger, en contestant la possibilitĂ© de fixer une ligne au-delĂ  de laquelle le nihilisme pourrait ĂȘtre surmontĂ©, invite Ă  ce que soit d'abord posĂ©e, la question de « l'essence du nihilisme ». Dans son esprit, la premiĂšre tĂąche qui incombe au penseur consiste « dans une lente et patiente endurance Ă  reconnaĂźtre les modes et les lieux Erörterung d'une « topologie du nihilisme », qui puisse permettre Ă  la pensĂ©e d'y sĂ©journer longuement et mĂ©ditativement » Ă©crit GĂ©rard Guest dans le Dictionnaire[75].

Heidegger propose d'abandonner toute prétention à définir au préalable le « nihilisme », de laisser là toutes les prétentions et tous les préjugés de la raison qui, comme normalistation et nivellement, ne peuvent s'exprimer que dans le sillage du nihilisme européen et donc faire barrage au dévoilement de son essence[76]. C'est la métaphysique de Nietzsche, c'est-à-dire sa derniÚre figure la « Volonté de puissance », qui va permettre de faire l'expérience de l'essence du nihilisme[75]. C'est pourquoi Heidegger a consacré de nombreux cours à la pensée de Nietzsche autour des années 1940, années, s'il en est, de déchaßnement du « Nihilisme accompli ».

Le « Nihilisme » pensĂ© jusque dans son ĂȘtre est, d'aprĂšs l'article citĂ©, « « le mouvement de fond de l'Histoire de l'Occident » », particuliĂšrement gĂ©nĂ©reux en catastrophes en tous genres qui ont bouleversĂ© le XXe siĂšcle et menacent le XXIe[N 15]

Le Nihilisme imprÚgne toute l'histoire de la métaphysique

  • La mĂ©taphysique en tant « qu'oubli croissant de l'ĂȘtre », qui aboutit au nihilisme contemporain, est la « guise » sous laquelle l'ĂȘtre, mĂȘme, se destine Ă  l'homme occidental.
  • L'histoire de la mĂ©taphysique n'est pas l'histoire des mauvaises conceptions de l'ĂȘtre mais l'histoire de ses modes.
  • Dans cette histoire Martin Heidegger met particuliĂšrement en cause le Nominalisme, l'accusant tout Ă  la fois de conduire Ă  l'« oubli de l'ĂȘtre » et Ă  promouvoir le « Nihilisme » estime Jean Grondin[77]
  • À l'encontre de Nietzsche, Heidegger affirme que rester dans l'« oubliance » de l'ĂȘtre et se borner Ă  avoir affaire Ă  l'Ă©tant, c'est dĂ©jĂ  du Nihilisme, fondement de celui que l'on connaĂźt, celui de Ernst JĂŒnger dans ses ouvrages « Die Arbeiter » et Über die Linie, le mĂȘme que l'on peut trouver chez Nietzsche[78].
  • Heidegger ne s'inscrit pas dans la dĂ©nonciation commune des mĂ©faits de la « Technique », forme contemporaine du nihilisme, mais avant tout dans « le danger que recĂšle l'essence de la technique ». Il s'agit d'une menace sur l'essence pensante de l'homme au point que, s'il peut lui sembler que partout il ne rencontre que lui-mĂȘme, en fait il ne se trouve plus nulle part, ayant perdu son essence et, ne se perçevant que du point de vue de la pensĂ©e calculante, il erre dans le non-monde[79].

Ses formes contemporaines et souterraines

Heidegger les détaille dans sa conférence consacrée au « Dépassement de la métaphysique » dans les Essais et Conférences, en les regroupant au nombre de trois : il s'agit de la planification, de l'usure et de l'uniformité.

  1. « La planification » investit progressivement toute la réalité, obéissant moins à une exigence d'organisation qu'à la peur du vide, à la nécessité de remplir toutes les cases. Dans certains régimes, elle se poursuit jusqu'à investir le domaine de la culture et de la vie privée. Cette exigence planificatrice débouche, selon Heidegger, sur la constitution de régimes totalitaires et non l'inverse.
  2. « L'usure » correspond Ă  l'usage technologique en l'absence de tout but. Ce phĂ©nomĂšne s'applique Ă  l'homme comme aux matiĂšres premiĂšres. la consommation est un cas particulier de l'usure. L'impĂ©ratif de l'usure pour l'usure est devenu un trait de l'ĂȘtre de l'Ă©tant.
  3. « L'uniformisation ». Nous sommes entrés dans le nivellement de l'« homme planétaire » selon l'expression de Michel Haar, qui n'est déjà plus tout à fait un sujet[80], qui travaille aveuglément pour une fin qu'il n'a pas posée et qui n'est autre que la Machenschaft[81].« Tout se vaut - ou peu s'en faut - se plaint le journal, au royaume de l'info en continu, de la réaction permanente et du direct sans filet »[82]

Le Nihilisme ou le Danger en l'Être

Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal.
Les singes de la sagesse du sanctuaire TƍshƍgĆ« de Nikkƍ, Japon.

Heidegger est le tĂ©moin de son Ă©poque, si ĂȘtre tĂ©moin consiste Ă  sonder les abĂźmes, Ă  faire face Ă  l’ÉvĂ©nement, jusqu'au point de comprendre et d'exposer « ce qui a rendu possible » le pire et notamment |« l'extermination de l'homme par l'homme », si « le mal ne peut plus ĂȘtre circonscrit Ă  ce qui est moralement mauvais, ni non plus limitĂ© Ă  n'ĂȘtre qu'un dĂ©faut ou un manquement au sein de l'Ă©tant » nous dit et rapporte GĂ©rard Guest[N 16].

On doit Ă  plusieurs interventions de ce dernier[N 17], l'effort le plus important pour illustrer, au sein de l'Ɠuvre calomniĂ©e de Heidegger, ce « mouvement de fond de l'Histoire de l'Occident » que constitue le nihilisme.

Cette Ɠuvre qui aborde successivement les liens du Temps et de l'Être, la question de la Technique, l'histoire de la mĂ©taphysique, l'AvĂšnement ou Ereignis, le nihilisme contemporain, l'empire de la Machenschaft, cette Ɠuvre immense, incomprise nous alerterait, rien de moins, que sur l'immense pĂ©ril qu'encourt notre Ă©poque[83].

En tant que penseur, plusieurs qualificatifs ont pu lui ĂȘtre accolĂ©s, celui du penseur du « danger en l'ĂȘtre », de penseur « de la malignitĂ© de l'ĂȘtre », celui de penseur du « pĂ©ril extrĂȘme qui gĂźt au cƓur de la Technique planĂ©taire », pĂ©ril que prĂ©sente le triomphe de l'universelle calculabilitĂ© qui priverait l'ĂȘtre humain de ce qui fait son humanitĂ©, Ă  savoir la pensĂ©e mĂ©ditante, sa part de rĂȘve et de poĂ©sie.

Heidegger penseur de la technique et du nihilisme est le premier penseur Ă  avoir envisagĂ© la possibilitĂ© d'un danger au sein mĂȘme de l'Être, voire une certaine malignitĂ© en son sein (dissimulation du danger qui appartient Ă  l'essence de la technique), « Être », que toute la tradition s'est attachĂ©e Ă  exonĂ©rer de toute responsabilitĂ©, dans le fil de la tradition chrĂ©tienne, contre la vision plus rĂ©aliste et tragique des Grecs (voir les tragĂ©dies de Sophocle). Pensons au thĂšme si prĂ©gnant de l'outrepassement, de l'Hybris, du dĂ©passement des bornes de la simple prudence, qui enclenche systĂ©matiquement la fureur des Érinyes vengeresses. Le thĂšme du « Danger en l'Être » contre lequel l'homme oppose pour s'en protĂ©ger, sa contre-violence organisationnelle et sa science domine, nous dit GĂ©rard Guest, la pensĂ©e des « traitĂ©s impubliĂ©s »[84],[85].

Nous pouvons dĂ©tourner les yeux, mais, nous dit Heidegger, l'Ă©preuve de l'extrĂȘme pĂ©ril Ă  mĂȘme l'expĂ©rience de l'ĂȘtre, ne nous sera pas Ă©pargnĂ©e; pensons au dĂ©veloppement de la triple forme de la criminalitĂ© moderne, telle que la criminalitĂ© bureaucratique avec Hannah Arendt et Pierre Legendre, la criminalitĂ© destinale avec Dominique Fourcade et son livre « En laisse » consacrĂ© Ă  l'humiliation des prisonniers irakiens, et Ă  la criminalitĂ© ludique des fonctionnaires pilotes de drones[86].

Références

  1. article Métaphysique Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 843
  2. Qu'est-ce que la métaphysique?, p. 23-84
  3. Christian Dubois 2000, p. 109
  4. François Jaran 2015lire en ligne
  5. Dépassement de la métaphysique, p. 81
  6. Jacques Taminiaux 1986, p. 264
  7. Alain de Benoist 2014 lire en ligne
  8. Franco Volpi Sur la grammaire et l'Ă©tymologie du mot ĂȘtre, p. 129
  9. Christian Dubois 2000, p. 21-28
  10. Jean Grondin 2006, p. 3lire en ligne
  11. Françoise Dastur 1990, p. 32
  12. Alain Boutot 1989, p. 18
  13. Jean Grondin 2006, p. 5lire en ligne
  14. Jean Grondin 2008, p. 236
  15. Jean Greisch 1994, p. 96
  16. Émile BrĂ©hier 1954, p. 242
  17. Alain Boutot Préface ProlégomÚnes à l'histoire du concept du temps, p. 11
  18. David Farrell Krell 1986, p. 164
  19. Jean-François Courtine Onto-thĂ©ologie et analogie de l’ĂȘtre Autour de Inventio analogiae. MĂ©taphysique et ontothĂ©ologie. lire en ligne, p. 3
  20. article Être Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 293
  21. Martin Heidegger Introduction à la métaphysique collection TEL Gallimard 1987
  22. Jean Greisch 1994, p. 75
  23. Jean Grondin 1987, p. 102
  24. Christian Dubois 2000, p. 29
  25. Sophie-Jan Arrien 2014, p. 26
  26. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 152et176
  27. Henri Birault Heidegger et l'expérience de la pensée Nrf Gallimard 1986 page 550 (ISBN 2070280861)
  28. Julien Pieron 2010, p. 128 lire en ligne
  29. Françoise Dastur 2011, p. 175
  30. Alain Boutot 1989, p. 72
  31. Le Dictionnaire Martin Heidegger article Ontologie, p. 917
  32. Françoise Dastur 2011, p. 166
  33. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 91
  34. voir Martin Heidegger confĂ©rence de 1949 "Le PĂ©ril" dans L'Infini Heidegger le danger en l'ĂȘtre no 95 ÉtĂ© 2006 Gallimard
  35. voir l'essence de la chose dans « Essais et Conférences »
  36. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 152
  37. Alain Boutot 2005, p. 352
  38. Alain Boutot 1989, p. 91
  39. Alain Boutot 1989, p. 92
  40. Alain Boutot 2005, p. 350
  41. Jean Grondin 1987, p. 105-106
  42. François Jaran 2015, p. 47n3 lire en ligne
  43. (Questions I et II, Gallimard)
  44. François Jaran 2015, p. 48 lire en ligne
  45. Éliane Escoubas 2007, p. 159
  46. Jean Greisch 2007, p. 184.
  47. Jean Grondin 1987, Avant-propos
  48. Voir Lettre à Richardson in Question IV Gallimard p. 177 sq.
  49. Lazlo Tengelyi 2017, p. 134
  50. Lazlo Tengelyi 2017, p. 135
  51. Jacques Taminiaux 1986, p. 268
  52. Françoise Dastur 2011, p. 207
  53. Volpi 2007, p. 127
  54. Michel Haar 1994, p. 267
  55. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 101
  56. Jean Grondin 1987, p. 96
  57. Martin Heidegger 1987, p. 25
  58. Michel Haar 1994, p. 197
  59. Servanne Jollivet 2007, p. 69
  60. Matthias Flatscher 2017, p. 42
  61. Roesner 2007, p. 100-101.
  62. Identité et différence
  63. François Jaran 2006, p. 4
  64. Dastur 1994, p. 238
  65. Françoise Dastur 2011, p. 8
  66. Joseph Vande Wiele, Revue Philosophique de Louvain, lien : http://www.persee.fr/wb/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1968_num_66_91_5445 pages 444
  67. Nietzsche, Le Gai savoir, folio essais, 1988, Livre III § 125
  68. Fragments posthumes, cité dans Le nihilisme est-il un humanisme de Christine Daigle.
  69. Les apports Ă  la philosophie de Heidegger, Colloque international des 20 et 22 mai 2004 Ă  l'UniversitĂ© de Lausanne, ÉditĂ© Emmanuel MĂ©jia et Ingeborg SchĂŒbler, page 196 http://www.phusis.ch/steve/wp-content/uploads/Heideggermai04.pdf
  70. Alain de Benoist, conférence à Milan, lien cité page 1
  71. Boutot 1989, p. 94
  72. Martin Heidegger Nietzsche II Chapitre VII La détermination ontologico-historiale du Nihilisme Gallimard 1985.
  73. Michel Herren, « Heidegger et l'essence du nihilisme », dans Le « 2e ouvrage principal » de Martin Heidegger : BeitrÀge zur Philosophie (Vom Ereignis). Interprétation et traduction, Lausanne, Actes du colloque international du 20 au 22 mai 2004, (lire en ligne) .
  74. Grondin 1987, p. 106
  75. Article Nihilisme dans Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 902
  76. Heidegger Contribution Ă  la question de l'ĂȘtre page 205-206 Question I et II Tel Gallimard 1990
  77. Grondin 2008, p. 243
  78. Dastur 2011, p. 167
  79. Boutot 1989, p. 97
  80. Haar 2002, p. 226
  81. voir article Machenschaft dans Le Dictionnaire Martin Heidegger
  82. Service politique, « EnquĂȘte sur la « BFMisation » de la vie publique », Le Monde,‎ , p. 6 (lire en ligne)
  83. L'Infini, op cité, page 12
  84. GĂ©rard Guest, « 30e sĂ©ance du sĂ©minaire «  Investigations Ă  la limite : Une phĂ©nomĂ©nologie de l’extrĂȘme », vidĂ©o 11 », sur Paroles des Jours, (consultĂ© le ).
  85. GĂ©rard Guest, « 31e sĂ©ance du sĂ©minaire «  Investigations Ă  la limite : Une phĂ©nomĂ©nologie de l’extrĂȘme », vidĂ©o 5 : L'ĂȘtre humain comme deinotaton, violence et contre-violence », sur Paroles des Jours, (consultĂ© le ).
  86. Hadrien France-Lanord, « Martin Heidegger le Peril, PrĂ©sentation », L'Infini, no 95 « Heidegger: le danger en l'Être »,‎ , p. 19 .

Notes

  1. « Le Dasein ne peut se rapporter Ă  l'Ă©tant que s'il se tient debout devant le nĂ©ant. L'aller au-delĂ  de l'Ă©tant, le transcender, advient historiquement dans l'essence du Dasein. Mais cet aller-au-delĂ  est la dĂ©finition de la mĂ©taphysique mĂȘme. De cela suit : la mĂ©taphysique appartient Ă  l'essence de l'homme. Elle n'est ni une case de la philosophie d'Ă©cole... La mĂ©taphysique est l'« ad-venir » fondamental dans le Dasein. Elle est le Dasein lui-mĂȘme. » Qu'est-ce que la mĂ©taphysique traduction Henry Corbin, Question I, Coll. Tel, Gallimard, page 71
  2. autre approche « par MĂ©taphysique nous n'entendons pas une doctrine ou une discipline particuliĂšre de la philosophie, mais la structure de base de l'Ă©tant dans son entier, dans la mesure oĂč ce dernier est divisĂ© en monde sensible et monde supra-sensible et oĂč celui-ci dĂ©termine celui-là » dans une confĂ©rence intitulĂ©e Le mot de Nietzsche: Dieu est mortMartinHeidegger 1987, p. 266
  3. « L'homme qui ne peut, ou ne veut se faire Ă  l'idĂ©e que les prĂ©suppositions naturelles de la philosophie occidentale traditionnelle sont bel et bien des prĂ©suppositions, et Ă  la vĂ©ritĂ©, des prĂ©suppositions dĂ©terminĂ©es, dignes de rĂ©flexion, et qui demandent Ă  ĂȘtre Ă©claircies rĂ©gressivement par rĂ©fĂ©rence Ă  une pensĂ©e plus originelle et auroralz, cet homme sera nĂ©cessairement fermĂ© Ă  l'instance et Ă  l'exigence de Heidegger » Ă©crit Beda Allemann-Beda Allemann 1987, p. 94
  4. Historial fait rĂ©fĂ©rence aux diverses Ă©poques de la donation de la vĂ©ritĂ© de l'ĂȘtre voir l'article L'alĂštheia dans la philosophie de Martin Heidegger.
  5. À noter que ce ou « Tournant » n'est pas dans l'esprit de Heidegger Ă  comprendre comme un changement de cap, mais comme la poursuite de la marche en avant, dans un chemin qui tourne, conception qui permet de conserver leur valeur Ă  toutes les Ă©tapes antĂ©rieures de la pensĂ©e, comme chemin Ă  parcourir, Ă©crit-Jean Grondin 1987, p. 7.
  6. Ce thĂšme occupera dĂ©sormais, une place cardinale dans la pensĂ©e heideggerienne de l'histoire. Elle sert de pivot pour interprĂ©ter le passage de l'Ăšre dominĂ©e par la mĂ©taphysique Ă  l'Ă©poque oĂč elle s'efface comme doctrine mais en pleine rĂ©alisation concrĂšte de ses principes, Ă  savoir l'Ă©poque de la Technique-Michel Haar 1994, p. 267
  7. « La métaphysique achevée, qui est la base d'un mode de pensée « planétaire », fournit la charpente d'un ordre terrestre vraisemblablement appelé à une longue durée. Cet ordre n'a plus besoin de la philosophie parce qu'il la possÚde déjà à sa base. Mais la fin de la philosophie n'est pas la fin de la pensée, laquelle est en train de passer à un autre commencement. »-Dépassement de la métaphysique, p. 95-96
  8. « La fin de la philosophie est atteinte lorsque cette derniÚre s'est dissoute dans les sciences »-(dira encore Heidegger dans un entretien télévisé de 1969)-Martin Heidegger 1975, vidéo 7 lire en ligne vidéo7
  9. « La relation entre les deux commencements n'étant pas d'ordre chronologique, elle échappe à tous les modÚles classiques d'« une philosophie de l'histoire », au schéma du « déclin » comme à celui du « progrÚs »-Roesner 2007, p. 100
  10. Le terme d'ontothĂ©ologie est apparu chez Kant oĂč il dĂ©signe la forme spĂ©culative qui consiste Ă  dĂ©duire l'existence de Dieu de son simple concept. Heidegger lui donnera un sens plus ample et plus profond-article OntothĂ©ologie Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 918
  11. La structure onto-thĂ©ologique de la mĂ©taphysique surgit du rĂšgne impensĂ© de la diffĂ©rence ontologique : cela Heidegger l'aperçoit dĂšs lors que le sens du mot ĂȘtre est pour lui redevenu question Ă©crit Guillaume BadoualLe Dictionnaire Martin Heidegger article OntothĂ©ologie, p. 919
  12. « la rencontre avec la métaphysique grecque neutralise cette inquiétude existentielle en transposant le vocabulaire théologique chrétien dans un registre qui lui est étranger, à savoir celui de la connaissance théorique d'entités idéales et éternelles »-Roesner 2007, p. 86
  13. « La dĂ©finition par les valeurs est insuffisante, car elle ne permet pas de penser le nihil comme tel, c'est-Ă -dire en fin de compte l'ĂȘtre lui-mĂȘme  » (Dastur 2011, p. 165).
  14. « L'Ɠuvre de JĂŒnger, le Travailleur, est une Ɠuvre de poids parce qu'elle entreprend, d'une autre façon que Spengler, ce dont jusqu'ici toute la littĂ©rature nietzschĂ©enne s'est montrĂ©e incapable ; elle entreprend de rendre possible une expĂ©rience de l'Ă©tant et de la façon dont il est, Ă  la lumiĂšre du projet nietzschĂ©en de l'Ă©tant comme volontĂ© de puissance »-Contribution Ă  la question de l'ĂȘtre, p. 205-206
  15. « Impossible de faire le relevĂ© de l'impressionnante symptomatologie rĂ©vĂ©latrice de l'anarchie des catastrophes, dont les plus grandioses ne manquent pas de s'Ă©tendre Ă  la dimension du monde, des guerres mondiales jusqu'Ă  l'extermination de l'homme par l'homme. La liste des symptĂŽmes oĂč se donnent Ă  lire crĂ»ment la violence et la fureur de la dĂ©vastation serait interminable : oubli de l'ĂȘtre, dĂ©laissement de l'ĂȘtre, Ă©videment de l'humain, anĂ©antissement des choses, dĂ©racinement et dĂ©shumanisation, dĂ©vastation et destruction, affairement et machination, abus et usure de l'Ă©tant sont autant de manifestations d'un dĂ©ferlement du nihilisme sans prĂ©cĂ©dent, affĂ©rent au rĂšgne de la mĂ©taphysique de la volontĂ© de puissance » (Article Nihilisme dans Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 904).
  16. GĂ©rard Guest, « « Au point immobile oĂč tournoie le monde » (Ouverture : À la chinoise...) », L'Infini, no 95 « Heidegger: le danger en l'Être »,‎ , p. 11 .
  17. Dans sa contribution Ă  l'article Nihilisme Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 899 ainsi que dans son autre contribution Ă  la revue L'Infini no 95 de l'Ă©tĂ© 2006, intitulĂ©e : Le Tournant dans l'histoire de l'Être, ses confĂ©rences sur le site Paroles des Jours

Liens externes

Bibliographie

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Articles connexes