Gropecunt Lane
Gropecunt Lane est un nom de rue des villes et citĂ©s dâAngleterre commun au cours du Moyen Ăge. Il semblerait quâil provienne de la pratique de la prostitution, puisque les noms de rues mĂ©diĂ©vales Ă©voquaient souvent une fonction ou une activitĂ© Ă©conomique de la rue. La premiĂšre attestation de Gropecunt remonte Ă environ 1230, et semble un terme dĂ©rivĂ© de grope (« tĂąter ») et cunt[1] (terme, maintenant vulgaire, pour dĂ©signer la vulve). Les rues de ce nom sont situĂ©es le plus souvent dans les secteurs oĂč la circulation semble avoir Ă©tĂ© importante.
Bien que le nom fĂ»t auparavant frĂ©quent dans toute lâAngleterre[2], il fut peu Ă peu remplacĂ© par des versions moins « offensantes » tel que le Grape Lane (« Le passage du raisin »). La derniĂšre Gropecunt Lane, comme nom de rue, a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en 1561.
Toponymie
Le terme connaĂźt plusieurs variations comme Gropecunte, Gropecountelane, Gropecontelane, Groppecountelane et Gropekuntelane. L'expression Ă©tait au Moyen Ăge rĂ©pandue pour qualifier ce genre de lieux, mais la totalitĂ© de ces appellations a depuis Ă©tĂ© remplacĂ©e par des versions dĂ©formĂ©es[3]. Dans la ville de York, le nom de Grapcunt Lane, grÄp signifiant « tripoter » en vieil anglais, est devenu Grape Lane, grape ayant le sens de « raisin » en anglais.
La premiĂšre utilisation de grope pour dĂ©signer le fait de tripoter avec une connotation sexuelle apparaĂźt en 1380. Le mot cunt pour dĂ©signer la vulve est attestĂ© depuis 1230. Il proviendrait du vieux norrois kunta, mais lâĂ©tymologie exacte demeure inconnue[4].
Prostitution
LâOxford English Dictionary indique Ă son entrĂ©e pour cunt que la premiĂšre rue enregistrĂ©e sous lâappellation de Gropecuntlane lâa Ă©tĂ© aux environs de 1230[4]. Angus McIntyre prĂ©cise pour sa part que la prostitution organisĂ©e Ă©tait bien Ă©tablie Ă Londres au milieu du XIIe siĂšcle. Bien quâinitialement circonscrite Ă Southwark dans le sud-est de lâagglomĂ©ration, elle sâest par la suite Ă©tendue Ă dâautres quartiers comme Smithfield, Shoreditch, Clerkenwell, ou Westminster[5]. Sa pratique Ă©tait tolĂ©rĂ©e par les autoritĂ©s, et plusieurs exemples historiques montrent que la question Ă©tait traitĂ©e par voie lĂ©gislative plutĂŽt que par la censure. En 1393, les autoritĂ©s de Londres ont ainsi limitĂ© lâactivitĂ© des prostituĂ©es Ă la rue de Cocks Lane[n 1]. En 1285 le lieu dâexercice des prostituĂ©es de Montpellier en France fut aussi limitĂ© Ă une seule rue[6].
Le fait de nommer les rues en fonction des activitĂ©s qui sây pratiquaient ou de leurs fonctions Ă©tait rĂ©pandu au Moyen Ăge. En Angleterre des noms de rues comme The Shambles ou Swinegate pouvaient indiquer la prĂ©sence de bouchers, Silver Street la prĂ©sence de professionnels liĂ©s au mĂ©tiers de lâargent, ou Fish Street la prĂ©sence de poissonniers[6]. La prostitution Ă©tait elle aussi prĂ©sente dans cet aspect de la culture urbaine du Moyen Ăge. Ainsi dans A survey of London, John Stow dĂ©crit en 1598 une rue du nom de Love Lane nommĂ©e ainsi « en raison de son caractĂšre obscĂšne »[7]. Mais le terme de Gropecunt Lane reste lâallusion la plus Ă©vidente aux activitĂ©s pratiquĂ©es dans ce genre de rues[1].
Ăvolutions de lâappellation
Le Oxford English Dictionary dĂ©finit le mot cunt comme Ă©tant la partie extĂ©rieure des organes gĂ©nitaux fĂ©minins, et note que son emploi est limitĂ© par un tabou qui touche aussi dâautres mots se rapportant au mĂȘme sujet[4]. Au Moyen Ăge le mot nâavait quâune connotation vulgaire, ayant Ă©tĂ© utilisĂ© dans ce sens anatomique depuis au moins le XIIIe siĂšcle. Dans Le Conte du Meunier, Geoffrey Chaucer Ă©crit « And prively he caughte hire by the queynte » (« et lâattrape intimement par lâentrejambe »)[8], et dans la piĂšce de thĂ©Ăątre Philotus de Robert Charteris, lâauteur mentionne un « put doun thy hand and graip hir cunt » (« et sa main descend et lui attrape la vulve »)[9].
Le mot ne prend que progressivement le sens obscĂšne quâil possĂšde aujourdâhui. Dans le Wandring Whore II que John Garfield Ă©crit en 1660, le mot est appliquĂ© Ă une femme, spĂ©cifiquement Ă une prostituĂ©e : « this is none of your pittiful Sneakesbyes and Raskalls that will offer a sturdy Câ but eighteen pence or two shillings, and repent of the business afterwards »[n 2] (« Ce ne sont pas tes quelques ridicule friponneries qui pourront tâoffrir ce vigoureux vagin, mais 18 pences ou deux shillings, ainsi quâune repentance aprĂšs ce commerce. »)[10] Dans A Classical Dictionary of The Vulgar Tongue de Francis Grose de 1785, le mot est dĂ©fini ainsi : « C**t. The chonnos of the Greek, and the cunnus of the Latin dictionaries; a nasty name for a nasty thing: un con Miege. » (« C**t. le chonnos des grecs et le cunnus des dictionnaires latins ; mot vilain pour choses vilaines : un con Miege. »)[11] Lâattribution par Grose de lâorigine du mot aux Grecs et aux Latins est probablement incorrecte. Son origine remonterait Ă un terme mĂ©diterranĂ©en aujourdâhui inconnu, que lâon retrouverait dans lâĂ©gyptien ancien qefen-t et ka-t, signifiant vulve[12] - [13].
Bien que plusieurs des noms des rues mĂ©diĂ©vales anglaises telles que Addle Street (« urine puante », ou autre liquide souillĂ©[14]) ou encore Fetter Lane (auparavant Fewterer, signifiant une personne oisive et dĂ©sordonnĂ©e) existent encore de nos jours, certaines appellations ont changĂ© de sens. Ă Londres, Sherborne Lane Ă©tait en 1272-1273 connue sous le nom de Shitteborwelane, puis plus tard comme Shite-burn lane puis Shite-buruelane (probablement en raison de la prĂ©sence de fosses Ă purin Ă proximitĂ©)[15] - [16]. Pissing Alley, lâune des rues dont on avait conservĂ© Ă lâidentique le nom aprĂšs le grand incendie de Londres[17], a Ă©tĂ© renommĂ©e en Little Friday Street en 1848 avant dâĂȘtre absorbĂ©e par Cannon Street en 1853-1854[18]. Petticoat Lane, dont le nom est reliĂ© Ă tort Ă la prostitution, a Ă©tĂ© renommĂ©e en 1830 en Middlesex Street, aprĂšs que des plaintes ont Ă©tĂ© exprimĂ©es sur le fait que la rue porte le nom dâun type de sous-vĂȘtement[19]. Plus rĂ©cemment, Rillington Place, le lieu oĂč John Christie tuait ses victimes, a changĂ© de nom pour devenir Ruston Close[20], et Selous Street Ă Londres a Ă©tĂ© renommĂ©e par respect envers Nelson Mandela, car la rue baptisĂ©e en lâhonneur de lâartiste Henry Courtney Selous pouvait paraĂźtre honorer le colonialiste Frederick Courtney Selous[15].
Le dĂ©clin de lâutilisation de ces mots a Ă©tĂ© de pair avec le dĂ©clin de ce type dâappellation pour le nom de rues, Ă lâexception de Shrewsbury et de Newcastle (oĂč une Grapecuntlane est mentionnĂ©e en 1588), et lâusage de Gropecunt semble ĂȘtre peu Ă peu passĂ© de mode au XIVe siĂšcle[21]. Le recul de son usage dans lâanglais vernaculaire semble ĂȘtre le rĂ©sultat dâun mouvement de nettoyage progressif de la langue. Ainsi le Gropecuntelane du XIIIe siĂšcle de la ville de Wells est devenu Grope Lane, puis Grove Lane au XIXe siĂšcle[13]. LâarrivĂ©e au pouvoir des Ă©lites conservatrices protestantes au XVIe siĂšcle, hostiles Ă la prostitution, a entraĂźnĂ© la fermeture des maisons closes de Southwark Ă Londres, mettant ainsi fin aux tentatives de rĂšglementation[22].
Localisation
Londres a connu plusieurs rues dĂ©nommĂ©es Gropecunt Lane, y compris une dans les paroisses de St Pancras et de St Mary Colchirche, entre Bordhawelane (« La rue du bordel »), et Puppekirty Lane (« La rue du fouineur de jupes »)[23] - [24] Ă cĂŽtĂ© de lâactuel quartier de Cheapside. Les premiĂšres occurrences du toponyme datent de 1279 sous les formes Gropecontelane et Groppecountelane [2] - [25]. Ces rues constituaient une partie dâun quartier liĂ© Ă la prostitution qui semble avoir survĂ©cu en dehors de Southwark, oĂč Ă©taient lĂ©galement circonscrites ce genre dâactivitĂ©s au Moyen Ăge[23].
Cette appellation Ă©tait aussi utilisĂ©e dans dâautres grandes villes anglaises au Moyen Ăge, y compris Bristol, York, Shrewsbury, Newcastle upon Tyne, Worcester, Hereford, et Oxford. La Gropekuntelane de Norwich (actuellement Opie Street) Ă©tait rĂ©pertoriĂ©e en latin sous le nom de turpis vicus, la rue honteuse[1]. En 1230, la Magpie Lane de Oxford Ă©tait connue sous le nom de Gropecunt Lane, plus tard rebaptisĂ©e en Grope ou Grape Lane au XIIIe siĂšcle, puis en Magpie Lane au milieu du XVIIe siĂšcle. Elle a Ă©tĂ© renommĂ©e en 1850 en Grove Street, avant de retrouver le nom de Magpie Lane au XXe siĂšcle[26]. Les villes de Newcastle et de Worcester avaient aussi une Grope Lane Ă proximitĂ© de leurs quais[27]. Dans une Ă©tude de 2001 sur la prostitution au Moyen Ăge, en utilisant le Historic Towns Atlas, lâhistorien Richard Holt et lâarchĂ©ologue Nigel Baker de lâuniversitĂ© de Birmingham ont Ă©tudiĂ© les toponymes ayant une connotation sexuelle. LâĂ©tude conclut quâil y a un lien important entre la rue nommĂ©e Gropecunt Lane, presque invariablement dans le centre-ville, et la principale place de marchĂ© ou avenue de la ville[28]. Cette corrĂ©lation suggĂšre que lâactivitĂ© de ces rues nâĂ©tait pas limitĂ©e aux habitants de ces villes, mais aussi aux visiteurs de passage[29].
Ces activitĂ©s commerciales expliquent en partie la relative uniformitĂ© de ce toponyme en Angleterre[29]. Des rues baptisĂ©es Gropecunt Lane sont ainsi rĂ©pertoriĂ©es dans des villes de marchĂ© de petite taille, comme Banbury et Wells, oĂč une rue portant ce nom existait en 1300, et Ă©tait rĂ©guliĂšrement mentionnĂ©e dans les documents lĂ©gaux de cette Ă©poque[1] - [2] - [30]. Parsons Street Ă Banbury a Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©e comme Gropecunt Lane en 1333 et formait alors un important lieu de passage[31], mais ce nom a Ă©tĂ© changĂ© en 1410 en Parsons Lane[32]. Grape Lane Ă Whitby a aussi probablement portĂ© le nom de Grope Lane ou de Grapcunt Lane[33]. Une rue du nom de Grope Countelane a existĂ© jusquâen 1561 Ă Shrewsbury, elle connectait entre elles deux des principales places de marchĂ© de la ville. Ă une date indĂ©terminĂ©e, cette dĂ©nomination a Ă©tĂ© abandonnĂ©e au profit de Grope Lane. Dans le History and Antiquities of Shrewsbury publiĂ© par Thomas Phillips en 1799, lâauteur cite explicitement lâorigine du nom de ce lieu, comme celui dâune place « de scandaleuses lubricitĂ©s et corruptions », mais dans Some account of the ancient and present state of Shrewsbury que lâarchidiacre Hugh Owen publie en 1808, lâauteur dĂ©crit le lieu comme Ă©tant « appelĂ© Grope, ou la ruelle sombre ». En raison de cette divergence dâexplication, certains guides locaux expliquent ce nom comme « sâavancer Ă lâaveuglette dans un lieu sombre et tortueux »[31].
Notes et références
Notes
- Le mot « cock » nâest pas Ă prendre dans ce contexte comme lâargot anglais pour pĂ©nis, le Oxford English Dictionary prĂ©cise en effet que la premiĂšre utilisation de ce mot avec une connotation sexuelle remonte Ă 1618
- Le mot « cunt » est souvent abrégé en « C. » dans cette publication
Références
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- Holt et Baker 2001, p. 202â203.
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Voir aussi
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