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French Prophets

Les French Prophets (« Prophètes français »), qui se faisaient aussi appeler « enfants de Dieu », est un groupe charismatique et millénariste qui s'est développé en Angleterre dans la première moitié du XVIIIe, autour de camisards réfugiés dans ce pays après la défaite de leur révolte en 1704[1]. Peu structuré, ce mouvement dure peu et voit ses adhérents se rattacher graduellement aux différents groupes évangéliques issus du grand réveil, mais il trouve une prolongation dans un groupe émigré aux États-Unis, les Shakers.

Historique

Origines

La révolte des camisards est caractérisée par la prolifération du prophétisme. Apparu dès 1688 en Dauphiné, le phénomène se propage aux Cévennes et à la Vaunage[2]. Ce sont des prophètes qui dirigent de nombreux groupes de camisards dans les années 1702-1704, à commencer par Abraham Mazel et Esprit Séguier qui provoquent le premier fait d'armes de cette révolte le 24 juillet 1702 à Pont-de-Monvert. Le prophétisme des camisards est importé en Angleterre par des réfugiés en fuite après la reddition de certains de leurs chefs, notamment Jean Cavalier en 1704 et Élie Marion en 1705. Beaucoup de camisards, dont Élie Marion, quittent la France avec le projet de revenir y reprendre le combat. (D'autres comme Jean Cavalier se contentent de faire carrière dans un pays où règle le protestantisme n'est pas proscrit.) Passés par la Suisse et les Pays-Bas, plusieurs « prophètes cévenols » trouvent finalement à Londres la tolérance dont ils ont besoin.

DĂ©veloppement en Angleterre

Prophétisant en public, ils se font rapidement connaître dans leur pays de refuge. Certains d'entre eux développent des visions millénaristes, annonçant que la fin du monde serait proche. Les Cévenols et leurs adeptes anglais proclament en public leurs prophéties, dans un style très bruyant et expressif, se livrent à des services d'adoration de nature extatique (chants, danses, soupirs, parfois chutes au sol et transes), et certains n'hésitent pas à manifester sur la voie publique ou dans des églises de manière parfois grotesque[3].

Pour répondre aux attaques que leur comportement excentrique leur attire, l'écrivain Maximilien Misson, un réfugié huguenot fils du pasteur de Sainte-Mère-Église, qui est aussi magistrat et précepteur, publie en 1707 un recueil des « inspirations » des prophètes, sous le nom de Théâtre sacré des Cévennes, aussitôt traduit en anglais par John Lacy, gentilhomme calviniste anglais, sous le titre A Cry From The Desert (Un cri depuis le désert - allusion aux tribulations du peuple hébreu dans le désert racontées dans l'Ancien Testament). Marion publie également ses « avertissements prophétiques »[4]. Ces livres rencontrent un grand succès et le mouvement attire rapidement de nombreux Anglais, qui finissent par y être majoritaires. En plus de Lacy, Sir Richard Bulkeley, un noble anglo-irlandais, qui est aussi un savant, membre de la Royal Society, et le pasteur écossais Thomas Cotton font partie des premiers adeptes britanniques.

A la fin de 1707, la communauté compte vingt-trois nouveaux prophètes, dont quatorze femmes. Quelques sympathisants instruits, comme Lacy, l'avocat Thomas Dutton ou le pharmacien Thomas Emes, deviennent eux-mêmes des prophètes. Les membres anglais du groupe mettent bientôt l'accent sur la validation des miracles. Lacy pratique l'écriture automatique et parle en langues, Richard Bulkeley atteste sa capacité à prononcer et traduire le latin lorsqu'il est sous l'emprise de l'esprit tandis que Dutton s'exprime en hébreu. Il y a des guérisons miraculeuses, notamment par John Lacy, qui pratique l'imposition des mains au cours de l'année 1707 et présente dès lors le don de guérison comme une preuve supplémentaire de l'authenticité de la mission des prophètes. L'accomplissement de « signes » devient également une caractéristique du mouvement.

Difficultés rencontrées par les French Prophets

Si les French Prophets ont trouvé au départ un accueil favorable parmi certains huguenots français réfugiés et certains protestants anglais, leur comportement excentrique, leur dénonciation des autorités religieuses et leur radicalité dans tous les domaines les fait rapidement devenir suspects aux yeux des autorités. Comme d'autres groupes religieux non-conformistes, ils inquiètent par leur remise en question de l'ordre établi et le risque de troubles qu'ils peuvent engendrer, cela dans un climat d'insécurité alimenté par les guerres entre la France et les puissances voisines. Ils sont aussi l'objet d'attaques venues du protestantisme établi tant anglican que réformé, et victimes d'émeutes populaires[5]. Tout cela leur assure une publicité maximum ; il y a même un véritable emballement médiatique, avec 147 publications de libelles, tracts, livres, poèmes satyriques, chansons, etc. en quelques années[6], mais cela tourne rapidement à la persécution voire à l'émeute. Certains leaders passent en jugement mais les peines sont relativement légères.

Difficulté d'un autre ordre, le groupe allait se déconsidérer par l'annonce, en 1708, d'un miracle de résurrection, celle du pharmacien Thomas Emes, qui était le premier membre notable des French Prophets à décéder. Après plusieurs mois d'exaltation et de surenchère prophétique, le miracle, annoncé avec précision de date et d'heure, ne se produisit pas, cela devant une foule considérable de badauds que l'événement avait fait converger vers le cimetière. Mais cette déconvenue ne fit pas pour autant immédiatement disparaitre le groupe des French Prophets qui se mit même à attirer de nouveaux adeptes.

Tentative de mission et décroissance

Élie Marion lance alors l’idée de la "Grande Mission" : aller chercher de nouveaux adeptes au-delà de Londres et de son atmosphère délétère. Elle le conduit avec un groupe de missionnaires dans un périple européen passant par la Hollande où ils sont reçus notamment par le pasteur Jurieu à Rotterdam, puis l’Allemagne où ils visitent en particulier la ville de Halle, capitale du piétisme allemand, la Pologne et la Suède. Emprisonnés plusieurs mois par le roi de Pologne, ils y perdent leur santé. Après leur libération, ils se rendent à Istanbul, où ils n’osent pas parler en public puis partent pour Rome, mais Marion décède en chemin. Cela prive le groupe de son principal leader, le seul qui s'était quelque peu préoccupé de lui donner une organisation. En conséquence, les adeptes vont adhérer graduellement aux groupes issus du Great Awakening, à commencer par les conférences méthodistes.

Personnalités marquantes

  • Elie Marion (1678-1713) est l'un des plus Ă©duquĂ©s parmi les prophètes cĂ©venols (niveau secondaire). Après avoir Ă©tĂ© l'un des chefs camisards pendant les annĂ©es 1702-1705, il se rĂ©fugie en Angleterre oĂą sa stature morale et intellectuelle le place d'emblĂ©e Ă  la tĂŞte du groupe des French Prophets. Il est l'auteur d'un rĂ©cit sur la Guerre des CĂ©vennes, exhumĂ© des archives et Ă©ditĂ© en 1931 par le pasteur Charles Bost[7]
  • Parmi les soutiens de marque de ce groupe, on trouve plusieurs savants dont Nicolas Fatio de Duillier, Genevois membre de la Royal Society[8].

Postérité

Persistance des idées

Jean-Paul Chabrol identifie deux types de rémanence des idées des French Prophets, même si leur discours est rapidement devenu inintelligible et inaudible pour leurs contemporains et a fortiori pour les générations suivantes[9] :

  • l'hĂ©ritage spirituel : ils ont alimentĂ© le piĂ©tisme suisse par l'intermĂ©diaire notamment de Nicolas Fatio, et de sa nièce Marie Huber, et ce milieu piĂ©tiste suisse sera le tremplin du rĂ©veil protestant francophone du XIXe siècle ;
  • une postĂ©ritĂ© intellectuelle :
    • Marie Huber sera lue par Jean-Jacques Rousseau, qui en tire inspiration ;
    • l'Ă©crivain et philosophe anglais Lord Shaftesbury est amenĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir sur le cas des "inspirĂ©s" en voyant les French Prophets Ă  l’œuvre et il publie en 1708 A Letter Concerning Enthusiasm Ă  leur sujet. Sa philosophie empreinte de thĂ©ologie est crĂ©ditĂ©e d'une importante influence sur la gĂ©nĂ©ration suivante des philosophes britanniques, et au-delĂ  puisque Diderot s'intĂ©resse Ă  cet auteur, dont les Ĺ“uvres complètes seront traduites en français en 1769.

Prolongation du mouvement avec les Shakers

En 1747, un groupe de quakers de Manchester conduit par James et Jane Wardley, la Wardley Society, adopte les pratiques des French Prophets, et se voit affubler du surnom de shaking quakers (« trembleurs agités » est l'une des traductions possibles de ce sobriquet)[10]. En 1774, persécutés par les autorités anglaises, une partie de la Wardley Society émigre vers la Nouvelle-Angleterre sous la houlette d'une femme, Ann Lee, qui est devenue leur leader incontesté et se fait appeler Mother Ann. Ce groupe se réclame ouvertement des French Prophets dont il conservent le style de service religieux, tout en y ajoutant graduellement des chorégraphies et des chants bien structurés.

Notes et références

  1. Laurent Jaffro, « Des illuminés aux Lumières : Shaftesbury et les French Prophets », Causses et Cévennes, no 4,‎ .
  2. « Chronologie », sur https://camisards.net (consulté le )
  3. Chabrol 1999, p. 110-118.
  4. « Elie Marion », sur le site du Musée virtuel du protestantisme (consulté le )
  5. Chabrol 1999, p. 129-134.
  6. Chabrol 1999, p. 146.
  7. Louis André, « Mémoires inédits d'Abraham Mazel et d'Elie Marion sur la guerre des Cévennes, (1701-1708), édités par Charles Bost, 1931 (recension tirée de la Revue d'Histoire moderne, 1933, n°7, p. 187) », sur https://www.persee.fr (consulté le )
  8. Noémie Recous, L’expérience enthousiaste d’un savant du XVIIIe siècle. Le monde de Nicolas Fatio de Duillier, Chrétiens et sociétés, (lire en ligne), introduction
  9. Chabrol 1999, p. 211-213.
  10. Chabrol 1999, p. 210.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Paul Chabrol, Élie Marion, le vagabond de Dieu, Edisud, (ISBN 2744900869).

Liens externes

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