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François de La Mothe Le Vayer le fils

François de La Mothe Le Vayer (1627-1664) est un homme de lettres et ecclĂ©siastique français du Grand SiĂšcle. Auteur de quelques piĂšces de vers et d'un roman burlesque, Le Parasite Mormon, il fut l'ami, entre autres, de MoliĂšre et de Nicolas Boileau. On lui attribue Ă©galement une traduction richement annotĂ©e de l'ÉpitomĂ© de l'histoire romaine de Florus, qu'il fit paraĂźtre sous le nom de Philippe d'OrlĂ©ans, frĂšre de Louis XIV.

François de La Mothe Le Vayer
Fonctions
Abbé
-
AumĂŽnier
Philippe d'Orléans
-
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Formation
Activité
PĂšre
MĂšre
HĂ©lĂšne Blacvod
ƒuvres principales
Le Parasite Mormon

Biographie

Unique enfant du philosophe François de La Mothe Le Vayer et de sa premiĂšre femme, HĂ©lĂšne Blacvod, fille de l'Écossais Adam Blackwood, François de La Mothe Le Vayer junior est nĂ© probablement au printemps 1627[1]. AprĂšs des Ă©tudes secondaires au collĂšge de Lisieux Ă  Paris[2], il est reçu bachelier, puis licenciĂ© en droit Ă  la facultĂ© de Poitiers, en , comme son pĂšre l'avait Ă©tĂ© trente-neuf ans plus tĂŽt[3].

Contrairement Ă  son cousin Roland Le Vayer de Boutigny, reçu aux mĂȘmes grades quelques mois plus tĂŽt Ă  Paris, et qui deviendra un juriste cĂ©lĂšbre (il sera l'un des dĂ©fenseurs de Nicolas Fouquet en 1664), le jeune La Mothe Le Vayer se dĂ©tourne du droit pour se consacrer aux belles-lettres.

Cousins et amis

Le premier texte qu'on peut lui attribuer avec quelque vraisemblance est un « rondeau burlesque Â» imprimĂ© en tĂȘte de Le Grand SĂ©lim, ou le Couronnement tragique, tragĂ©die que son cousin publie en 1645[4] et dont il est probablement le dĂ©dicataire anonyme[5].

Au cours des annĂ©es suivantes, on trouve sa signature parmi les piĂšces liminaires de divers essais ou recueils de vers : La Science des Sages et Le Triomphe des dames[6], de François du Soucy de Gerzan[7] (mars et ), Le Virgile travesti[8], de Paul Scarron (), et Le Jugement de PĂąris en vers burlesques[9], de Charles Coypeau d'Assoucy ().

En , Pierre Guillebaud, en religion Pierre de Saint-Romuald, fait paraĂźtre deux volumes d'un recueil intitulĂ© Hortus epitaphiorum selectorum, ou Jardin d’épitaphes choisis. OĂč se voient les fleurs de plusieurs vers funĂšbres, tant anciens que nouveaux, tirĂ©s des plus fleurissantes villes de l’Europe[10]. L'ouvrage est dĂ©diĂ© par le libraire Ă  « Monsieur NaudĂ©, chanoine en l’église cathĂ©drale de Notre-Dame de Verdun, prieur d’Artige en Limousin, et bibliothĂ©caire de l’Éminentissime cardinal Mazarin Â». Les Ă©pitaphes du premier volume sont toutes en latins. On y lit (p. 25-26) une Ă©pitaphe de « Marie de Jars, dame de Gournay, Parisienne, morte Ă  Paris, l’an 1645, ĂągĂ©e de 79 ans, 9 mois et 7 jours, et inhumĂ©e Ă  Saint-Eustache Â», connue dans l'histoire littĂ©raire comme la « fille d'alliance de Montaigne ». L'Ă©pitaphe est prĂ©cĂ©dĂ©e de ces lignes :

« J’étais rĂ©solu de ne mettre en ce livret aucun Ă©pitaphe en prose, mais j’ai trouvĂ© celui-ci si ingĂ©nieux que j’ai changĂ© de rĂ©solution. Il est fait par le fils excellent d’un excellent pĂšre, qui est le sieur de La Mothe Le Vayer, dĂ©jĂ  si connu par ses doctes et Ă©loquents Ă©crits[11]. »

Le second volume[12] donne Ă  lire, p. 539-542, une sĂ©rie de courtes Ă©pitaphes burlesques (« Sur un pendu Â», « Sur un voleur qui, se voyant dĂ©couvert, se jeta du haut d'une maison Â», « Sur un qui se fit mourir par poison, ayant mangĂ© tout son bien Â», « Sur un nommĂ© de La RiviĂšre, qui se prĂ©cipita dans la mer Â», « Sur un qui fut dĂ©capitĂ© pour avoir parlĂ© trop haut Â», « Sur un vieillard qui alla mourir en Canada, Ă©tant ĂągĂ© de plus de cent ans Â», « Sur un nommĂ© Le Coq, qui fut tuĂ© Ă  la petit guerre par des paysans Â», « Sur un gueux qui se noya de dĂ©sespoir Â», « Sur un faux monnayeur qui fut pendu Â») suivies de ces lignes :

« Les dix prĂ©cĂ©dents Ă©pitaphes sont de l’invention des sieurs Le Vayer de Boutigny et La Mothe Le Vayer, son cousin. Je les confonds expressĂ©ment, parce que je croirais faire tort Ă  cette belle amitiĂ© qui les unit, s’il semblait que je les voulusse considĂ©rer sĂ©parĂ©ment. »

Au cours de l'Ă©tĂ© 1648, Le Vayer de Boutigny fait paraĂźtre la premiĂšre partie d'un roman historique Ă  clefs intitulĂ© Mitridate (sic), dont chacun des deux volumes est dĂ©diĂ© « Ă  Monsieur La Mothe Le Vayer le fils Â», lequel figure dans le roman sous le nom de Glaucias. Une seconde partie, elle aussi en deux volumes, tous deux Ă©galement dĂ©diĂ©s au cousin et ami, paraĂźtra en .

En , Jean Royer de Prade dĂ©die au jeune La Mothe Le Vayer son TrophĂ©e d'armes hĂ©raldiques :

« Cher ami, Que je suis redevable de l'envie qui te presse de m'avoir pour maßtre dans la science du blason ! Par elle je pourrai m'acquitter au moins en quelque sorte de tant de hautes connaissances que mon esprit a puisées dans la pratique du tien. C'est pourquoi ne t'excuse point de la peine que tu crois me donner: non seulement ton ordre m'oblige, mais encore il me comble de gloire, puisque ton estime étant universelle, je ne puis manquer à gagner celle de tout le monde lorsqu'on verra que tu me juges capable de t'instruire. Dans cette pensée, j'y travaillerai donc avec joie, et pour m'en défendre ne me servirai point des écus que je vais faire. Admire cependant la destinée, qui veut que deux amis en viennent aux armes, et qui force mon langage à devenir barbare pour avoir de quoi plaire au plus poli de nos écrivains[13]. »

Le Parasite Mormon

Au cours de l'Ă©tĂ© 1650, est mis en vente (ou du moins en circulation) Ă  Paris, un petit in-octavo intitulĂ© Le Parasite Mormon, histoire comique[14]. PubliĂ© sans permission ni privilĂšge, sans nom d'auteur ni adresse de libraire, ce roman, oĂč s'entrecroisent les portraits et aventures de trois personnages hauts en couleur — Mormon, le parasite, La HĂ©rissonniĂšre, dit le Pointu, et le poĂšte Desjardins — est trĂšs certainement l'Ɠuvre du jeune François de La Mothe Le Vayer, qui le dĂ©die Ă  son cousin Le Vayer de Boutigny « pour [son] amitiĂ© ». Il s'ouvre sur un avis de « l'un des auteurs de ce livre au lecteur » d'une dĂ©sinvolture drolatique :

« Lecteur. Tout ce que je t'apprendrai de ce livre, c'est qu'il ne sort pas de la main d'un seul auteur et que nous sommes plusieurs qui y avons part. Pour nos nom, tu t'en passeras, s'il te plaĂźt, soit afin que cet ouvrage, tel qu'il est, ait au moins cela de commun avec la plupart des plus rares chefs-d’Ɠuvre de la nature d'avoir une origine inconnue, soit que, pour partir, comme nous te venons de dire, de plus d'une plume, il encoure en ceci la disgrĂące de ces enfants qui, pour avoir plus d'un pĂšre, n'en trouvent pas un qui les veuille avouer. Quoi qu'il en soit, je te puis toujours assurer que ce n'est pas la crainte d'avoir offensĂ© quelqu'un dans cette espĂšce de satire, qui nous empĂȘche d'y mettre nos noms. Elle n'est ni contre Dieu, ni contre le roi, ni contre le public, et pour les particuliers, s'il y en avait quelqu'un qui eĂ»t assez mauvaise opinion de soi pour se croire dĂ©peint ici, nous tĂącherions de le dĂ©sabuser. [
] Tu verras, par exemple, que dans l'histoire de Mormon, nous avons pris l'idĂ©e d'un parasite en gĂ©nĂ©ral et que nous lui avons imposĂ© un nom grec, pour nous Ă©loigner le plus qu'il nous a Ă©tĂ© possible du particulier et de notre siĂšcle. En effet, tu peux avoir lu que Mormon ou ÎœÎżÏÎŒÎżÎœ en grec signifie la mĂȘme chose qu'Ă©pouvantail en français ; nom qui nous a semblĂ© trĂšs propre pour dĂ©noter un parasite [
]. Si tu prends la peine de lire ce livre tout entier, tu remarqueras que c'est peut-ĂȘtre ici le premier roman qui se soit passĂ© en vingt-et-quatre heures, et que la rĂšgle d'un jour y est observĂ©e comme dans les plus exactes comĂ©dies. Adieu. »

Les premiĂšres lignes de ce prĂ©ambule burlesque ont trompĂ© de nombreux historiens, lesquels, faute sans doute d'avoir lu l'Ɠuvre avec suffisamment d'attention, d'en avoir relevĂ© les sources et Ă©tudiĂ© le style, l'ont pris au mot et ont dĂ©veloppĂ© la thĂšse d'une Ɠuvre collective, dont les multiples contributions formeraient "une sorte de manifeste littĂ©raire"[15].

[
]

FidĂšle de Mazarin

Au printemps 1651, en pleine Fronde dite des Princes, une altercation oppose La Mothe Le Vayer fils Ă  Michel Hamelin, curĂ© de La FlĂšche et ci-devant aumĂŽnier de la reine Marie de MĂ©dicis, lequel, s'il faut en croire Gui Patin, « frondait avec les autres contre le Mazarin, que ce jeune homme voulait dĂ©fendre Â»[16]. Cette attitude lĂ©gitimiste et le soufflet qu'il reçoit Ă  cette occasion, vaudront au jeune homme, dans les semaines suivantes, de se voir attribuer par la rĂ©gente Anne d'Autriche « mille Ă©cus de rente sur l'archevĂȘchĂ© de Rouen Â»[17]. Ils expliquent sans doute aussi qu'en publiant ses ƒuvres diverses en 1654, Cyrano de Bergerac adresse sa lettre « Contre les frondeurs Â» Ă  « M.D.L.M.L.V.L.F. Â» [= Monsieur de La Mothe Le Vayer Le Fils][18].

C'est au cours de ces premiÚres années 1650, sans doute, qu'il prend ses degrés à la faculté de théologie[19]. DÚs ce temps, il assiste son pÚre dans ses fonctions auprÚs de Philippe d'Anjou, frÚre de Louis XIV.

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Éditeur de trois Ă©ditions successives des ƒuvres de son pĂšre (1654, 1656, 1662).

L’ÉpitomĂ© de Florus traduit et annotĂ©

En , le libraire Augustin CourbĂ© met en vente un ÉpitomĂ© de l’histoire romaine, de Florus, mis en français sur les traductions de Monsieur[20]. L'Ă©pĂźtre dĂ©dicatoire, adressĂ©e au duc d'Anjou, alors ĂągĂ© de quinze ans et demi, est signĂ©e « De La Mothe Le Vayer le fils Â». L'assistant prĂ©cepteur y revendique la paternitĂ© (partagĂ©e
) de cette nouvelle traduction d'un classique de l'histoire romaine :

« Monseigneur, Je demande trĂšs humblement pardon Ă  votre Altesse Royale d’un vol que je lui ai fait jusque dans son cabinet ; mais parce que pour obtenir une grĂące de la nature de celle que je lui demande, la raison et la justice requiĂšrent avant toutes choses la confession du coupable et la restitution du larcin, je la supplie de trouver bon que je fasse ici l’un et l’autre. [
] Toutes les fois que j’ai eu l’honneur de me trouver aux heures de votre Ă©tude, soit avec mon pĂšre, soit en sa place, j’ai toujours Ă©tĂ© surpris des grandes qualitĂ©s d’esprit qui reluisent en votre Altesse Royale. J’ai vu avec un tel Ă©tonnement ces vives et brillantes lumiĂšres qui la font pĂ©nĂ©trer jusque dans les lieux les plus obscurs de la gĂ©ographie et de la rhĂ©torique, de la morale et de l’histoire, et surtout j’ai tellement admirĂ© la justesse et la nettetĂ© avec laquelle elle expliquait en notre langue les jolies et galantes pensĂ©es de ce petit abrĂ©viateur de l’Histoire romaine, que je n’ai pu m’empĂȘcher de me prĂ©valoir de l’occasion et de tourner Ă  mon avantage le travail, ou plutĂŽt le divertissement de votre Altesse Royale. Je me suis donc Ă©tudiĂ© de remarquer avec une exacte attention tous les termes dont elle usait pour rendre le sens de cet auteur, et je m’en suis servi, autant que ma mauvaise mĂ©moire me l’a pu permettre, pour lui faire parler notre langue avec cet air agrĂ©able que vous savez donner Ă  toutes choses. »

La préface, non signée, vise à justifier la présence, en fin de volume, de quelque 270 pages de notes, qui témoignent d'une étonnante érudition.

L'abbé de La Mothe Le Vayer

Le de la mĂȘme annĂ©e 1656, le jeune La Mothe Le Vayer fait donation Ă  son pĂšre[21] (chez qui il demeure, rue des Bons-enfants, paroisse Saint-Eustache) de « tous et chacun des biens meubles et immeubles provenant de la succession de sa mĂšre Â», dĂ©cĂ©dĂ©e le prĂ©cĂ©dent. Cette donation est faite en reconnaissance des soins que le fils a reçus du pĂšre :

« ayant Ă©tĂ© pourvu par lui de pensions suffisantes pour passer le reste de ses jours avec commoditĂ©, de sorte mĂȘme qu’il a lui seul recueilli le fruit de tous les services que son dit pĂšre a rendus Ă  la cour depuis sept ou huit annĂ©es au hasard de sa propre vie, qu’il a exposĂ©e pour la considĂ©ration seule de l’avenir dudit sieur de La Mothe Le Vayer le fils. »

AprĂšs le mariage d'Henriette d'Angleterre avec son cousin Philippe d'OrlĂ©ans, en , il devient son aumĂŽnier ordinaire[22]. La mĂȘme annĂ©e il est nommĂ© titulaire de l'abbaye de Bouillas dans le Gers[23].

Dans son « MĂ©moire de quelques gens de lettres vivant en 1662 Â», Jean Chapelain note, Ă  propos de « l'abbĂ© de La Mothe Le Vayer Â» :

« C'est un bel esprit, et qui a de la pureté et de la délicatesse dans le style, ce qui paraßt dans la traduction qu'il a faite de Florus et dans les notes qui la suivent. Il est passionné pour les lettres et a un grand goût pour la latinité. Sa critique est fine et n'est point maligne, et son génie incline autant à la philosophie ancienne qu'aux lettres humaines. »

De fait, le jeune La Mothe Le Vayer figurera parmi les premiers pensionnĂ©s avec cette apprĂ©ciation : « Ă€ l'abbĂ© Le Vayer, savant Ăšs belles-lettres, 1 000 livres[24] Â», une gĂ©nĂ©rositĂ© dont le bĂ©nĂ©ficiaire remerciera le donateur dans quelques vers lucides[25].

Au dĂ©but des annĂ©es 1660, il se lie d'amitiĂ© avec MoliĂšre et Nicolas Boileau. Ce dernier lui dĂ©die sa quatriĂšme Satire[26] et confiera beaucoup plus tard Ă  Pierre Le Verrier :

« Tout abbĂ© qu'il Ă©tait, jamais homme ne fut plus passionnĂ© pour la comĂ©die. Il Ă©tait ami de MoliĂšre, qui [
] souffrit que cet abbĂ© allĂąt dans leurs loges, et c'Ă©tait lui qui mettait la paix entre elles. Car Ă  coup sĂ»r elles sont toujours brouillĂ©es ensemble[27]. »

Un jeune mort

Sa mort, dans la derniĂšre semaine de , est l'occasion, pour Gui Patin, de vitupĂ©rer une fois de plus ses collĂšgues de la FacultĂ© :

« Nous avons ici un honnĂȘte homme bien affligĂ© ; c’est M. de La Mothe Le Vayer, cĂ©lĂšbre Ă©crivain et ci-devant prĂ©cepteur de M. le duc d’OrlĂ©ans, ĂągĂ© de septante-huit ans. Il avait un fils unique d’environ trente-cinq ans (sic), qui est tombĂ© malade d’une fiĂšvre continue, Ă  qui MM. Esprit, Brayer et Bodineau ont donnĂ© trois fois le vin Ă©mĂ©tique et l’ont envoyĂ© au pays d’oĂč personne ne revient[28]. »

Henry Le Bret, ami, éditeur et préfacier de Cyrano de Bergerac, devenu depuis quelques années prévÎt de la cathédrale de Montauban et prédicateur de la reine mÚre Anne d'Autriche, se trouve à Fontainebleau au cours de cet été 1664. Il écrit à un correspondant anonyme[29] :

« Il n’est que trop vrai, Monsieur, que le pauvre abbĂ© de [La Mothe Le Vayer] est mort lorsque l’on y pensait le moins ; car les deux premiers accĂšs de sa fiĂšvre l’ayant seulement assoupi, les mĂ©decins traitĂšrent le troisiĂšme de bagatelle, quoiqu’il l’eĂ»t jetĂ© dans une espĂšce de dĂ©lire, qui cessa vĂ©ritablement avec cet accĂšs, mais qui revint si violent avec le quatriĂšme, que les efforts qu’il fit tournĂšrent sa fiĂšvre en continue, qui le tua le septiĂšme jour, au grand regret de son pĂšre, de ses amis et de toute la RĂ©publique des Lettres, dont il Ă©tait un des plus beaux ornements. [
] Car il avait Ă©tudiĂ© depuis l’ñge de douze ans jusqu’à quarante-cinq (sic) avec une assiduitĂ© admirable. De sorte qu’ayant l’esprit excellent, une grande bibliothĂšque et la conversation de son pĂšre, qui est un abĂźme de science, il ne s’en faut pas Ă©tonner s’il en Ă©tait devenu le digne fils. Il laisse cependant une riche abbaye et une belle charge, mais je les regrette bien moins que la dissipation qui se va faire des bons livres et des beaux meubles qu’il avait assemblĂ©s avec tant de dĂ©pense et de soin. [
] En effet, que nous sert de tant travailler, de tant veiller et de tant savoir, si notre nom n’est su Ă  peine de ceux qui viennent aprĂšs nous, et si mĂȘme bien souvent il s’évanouit tout Ă  fait avec le son des cloches qui marquent l’heure de nos funĂ©railles ? Â»

Au cours des deux années suivantes, Roland Le Vayer de Boutigny fait paraßtre un long roman familial à l'antique, intitulé Tarsis et Zélie, dans lequel le défunt et son pÚre occupent une place importante sous les noms d'Ergaste et Ariobarzane. Dans l'épßtre dédicatoire que l'auteur adresse à Zélie (sa femme, Marguerite Sévin), il écrit:

« J’ai Ă©tĂ© bien aise de tracer Ă  la postĂ©ritĂ© [
] un lĂ©ger crayon de l’esprit et des mƓurs de notre incomparable Ergaste, de laisser aprĂšs sa mort un monument Ă©ternel de la belle amitiĂ© qui nous avait unis pendant sa vie, et, me servant de l’enchaĂźnement qui se rencontre dans vos aventures pour parler des siennes, de publier ce talent admirable qui le rendait si cher Ă  ses amis, et cette divine science de l’amitiĂ© qu’il a si parfaitement possĂ©dĂ©e[30]. Â»

Cette mort fait également l'objet d'un sonnet de condoléance adressé par MoliÚre au pÚre du défunt[31] :

«Aux larmes, Le Vayer, laisse tes yeux ouverts ;
Ton deuil est raisonnable, encor qu'il soit extrĂȘme;
Et lorsque pour toujours on perd ce que tu perds,
La Sagesse, crois-moi, peut pleurer elle-mĂȘme.
On se propose à tort cent préceptes divers
Pour vouloir d'un Ɠil sec voir mourir ce qu'on aime;
L'effort en est barbare aux yeux de l'univers,
Et c'est brutalitĂ© plus que vertu suprĂȘme.
On sait bien que les pleurs ne ramĂšneront pas
Ce cher fils que t'enlÚve un imprévu trépas ;
Mais la perte par lĂ  n'en est pas moins cruelle.
Ses vertus de chacun le faisaient révérer ;
Il avait le cƓur grand, l'esprit beau, l'ñme belle,
Et ce sont des sujets à toujours le pleurer.»

Le vieux philosophe Ă©voquera cette perte, un an plus tard, dans sa 14e « Homilie acadĂ©mique Â» intitulĂ©e « Des PĂšres et des enfants Â»[32] :

« À propos du fils unique de Solon, c’est l’ordinaire de plaindre davantage les pĂšres qui perdent le seul appui qu’ils avaient de leur vieillesse, et vous pouvez tous vous souvenir de m’avoir, il n’y a pas longtemps, consolĂ© selon cette rĂšgle, sur un accident semblable qui m’avait rendu presque inconsolable. C’est pourquoi la louange que donne CicĂ©ron au fils de Servius Sulpicius est fort bien prise, d’avoir regrettĂ© son pĂšre mort avec la mĂȘme douleur qu’on ressent ordinairement dans la mort d’un fils unique [
] Cependant, outre que les enfants reprĂ©sentent tous Ă©galement le pĂšre, comme chaque piĂšce d’un miroir fait voir une mĂȘme et semblable image, il n’arrive pas toujours que ces enfants uniques soient les plus Ă  regretter, parce qu’il semble qu’ils aient plus de pente Ă  dĂ©gĂ©nĂ©rer, par leur Ă©ducation trop molle ou autrement, que des puĂźnĂ©s ou des cadets. »

Notes et références

  1. S'appuyant sur la lettre de Gui Patin qui lui donne trente-cinq ans au moment de sa mort, et nĂ©gligeant le tĂ©moignage d'Henry Le Bret reproduit ci-dessous, les historiens et les auteurs de dictionnaires donnent gĂ©nĂ©ralement la date de 1629. Celle de 1627 se dĂ©duit de l’épĂźtre dĂ©dicatoire du premier volume de la seconde partie du roman Mitridate [achevĂ©e d'imprimer le 28 aoĂ»t 1648], dans laquelle l’auteur, Roland Le Vayer de Boutigny, Ă©crit Ă  son cousin et dĂ©dicataire : « C’est ici notre amitiĂ© que j’ai voulu portraire pour te la faire reconnaĂźtre. Celle de Mithridate et de Spartacus me semble nĂ©anmoins en porter assez de marques. [
] Tu verras en eux la mĂȘme conformitĂ© que la nature a mise entre nous pour l'Ăąge et pour la taille, et les mĂȘmes degrĂ©s de parentĂ© par lesquels elle nous a joints. » Or, on peut sans trop se hasarder, conjecturer que le personnage-titre est la projection de l’auteur plutĂŽt que celle de son cousin, et on lit, Ă  la page 250 : « Ce n’est pas qu’il n’y eĂ»t de la conformitĂ© entre eux, car leur taille Ă©tait toute semblable. Leur Ăąge ne l’était guĂšre moins, Spartacus n’ayant que sept mois plus que Mithridate. » La naissance de Le Vayer de Boutigny, fixĂ©e par le dictionnaire de MorĂ©ri, puis par l'abbĂ© Goujet, dans les derniers mois de 1627 « Dictionnaire », sur Gallica, est suggĂ©rĂ©e par Boutigny dans la mĂȘme Ă©pĂźtre dĂ©dicatoire : « Je veux croire avec toi qu’à l’ñge de vingt-et-un ans, je ne puis pas avoir assez acquis [de rĂ©putation] pour en apprĂ©hender la perte comme un grand mal
 »
  2. C'est ce que suggÚre une lettre de son pÚre de septembre 1636 « Revue critique d'histoire et de littérature », sur Gallica. C'est également au collÚge de Lisieux, selon toute vraisemblance, et non au collÚge de Beauvais, comme on l'a longtemps cru, que Cyrano de Bergerac fit ses études secondaires.
  3. « Bulletin de la Société de statistiques », sur Gallica
  4. « Le Grand Sélim », sur Gallica
  5. Dans son Ă©dition des ƒuvres libertines de Cyrano de Bergerac, Paris, HonorĂ© Champion, 1921 « Les ƒuvres libertines », sur Internet Archive, tome premier, p. XLVIII-XLXIX, FrĂ©dĂ©ric LachĂšvre attribue le rondeau Ă  l'auteur du PĂ©dant jouĂ©, composĂ© vers le mĂȘme temps, et ce parce que, « bien qu'anonyme, il porte sa griffe Â».
  6. « Le Triomphe des Dames », sur Gallica
  7. Le Triomphe des dames a valu Ă  son auteur une extraordinaire lettre de Cyrano de Bergerac « Les ƒuvres diverses », sur Gallica.
  8. « Le Virgile travesty », sur Gallica
  9. « Le Jugement de Pùris », sur Google Livres
  10. « Hortus epitaphiorum », sur Google Livres
  11. Une Ă©pitaphe en vers français signĂ©e « François de La Mothe Le Vayer, fils de François de La Mothe Le Vayer Â» sera publiĂ©e la mĂȘme annĂ©e dans Les Éloges et les vies des reynes, des princesses et des dames illustres en piĂ©tĂ©, en courage et en doctrine, qui ont fleury de notre temps et du temps de nos pĂšres [
] tome second, par F. Hilarion de Coste, religieux de l'ordre des Minimes de saint François de Paule, p. 670-671 « Les Eloges et les vies », sur Google Livres.
  12. Dans lequel figurent une dizaine de piÚces signées de Jean Royer de Prade.
  13. Le Trophée d'armes héraldiques, ou la science du blason, avec les figures en taille douce. Paris, 1650, p. 5-6 « Le Trophée d'armes », sur Google Livres.
  14. « Le Parasite Mormon », sur Gallica
  15. Ainsi, dans sa thĂšse sur La Vie et les Ɠuvres de Charles Sorel, Paris, 1891, p. 423, Émile Roy fait-il entrer le Parasite Mormon dans la "Bibliographie des Ɠuvres pouvant ĂȘtre attribuĂ©es Ă  Charles Sorel". Un siĂšcle plus tard, Jean Serroy fera de mĂȘme dans Roman et rĂ©alitĂ©, les histoires comiques au XVIIe siĂšcle, Paris, Minard, 1981, p. 406 : « Comme le dit l'Avertissement au lecteur, l'Ɠuvre est collective. Son principal responsable en est cependant connu : il s'agit de l'abbĂ© de La Mothe Le Vayer, le fils du philosophe libertin, qui dut sans doute rĂ©diger une partie de l'ouvrage et, aprĂšs avoir fait appel autour de lui Ă  ses amis les plus proches, jouer le rĂŽle de coordonnateur de l'ensemble. Le jeune La Mothe Le Vayer se trouve, en effet, dans les annĂ©es 1645-1650, au cƓur d'une sorte de cĂ©nacle littĂ©raire — non une Ă©cole, mais plutĂŽt un cercle amical, uni par des idĂ©es et des haines connunes, et se soutenant vigoureusement quand il s'agit de dĂ©fendre, Ă  travers l'Ɠuvre de tel ou tel d'entre eux, les idĂ©es partagĂ©es par l'ensemble du groupe. On trouve lĂ , Ă  cĂŽtĂ© du maĂźtre d'Ɠuvre du Parasite Mormon, ceux parmi lesquels il dut, Ă  coup sĂ»r, recruter ses collaborateurs : D'Assoucy, Tristan, Chapelle, Cyrano, Scarron et aussi Sorel, lequel, quoique rĂ©putĂ© solitaire, n'hĂ©site pas Ă  intervenir dans une Ɠuvre collective pour soutenir ceux qui luttent pour faire triompher les mĂȘmes conceptions que lui. »
  16. Lettre du 5 fĂ©vrier 1655, dans Lettres de Guy Patin Ă  Charles Spon : janvier 1649-fĂ©vrier 1655, Paris, HonorĂ© Champion, 2006, p. 1342. Consultable en ligne.
  17. Voir ce que Gabriel NaudĂ© en Ă©crivait dĂšs le 3 juin 1651 Ă  Mazarin alors en exil (ConsidĂ©rations politiques sur la Fronde. La Correspondance entre Gabriel NaudĂ© et le cardinal Mazarin, Biblio 17, 1991, p. 14) : « La rĂ©signation de l’archevĂȘque de Rouen Ă  l'abbĂ© de Chanvallon ayant Ă©tĂ© admise, la Reine proprio motu a pris dessus une pension de trois mille livres pour le fils de Monsieur de La Motte (sic). Â»
  18. « Les ƒuvres diverses », sur Gallica
  19. Le premier document imprimĂ© oĂč se trouve mentionnĂ©e sa qualitĂ© d'abbĂ© est l'Apologie de Mr Costar Ă  Monsieur MĂ©nage, achevĂ©e d'imprimer en dĂ©cembre 1656 « Apologie », sur Google Livres. Il y est question, p. 162, de « la belle, fidĂšle et savante version [de Florus par] Monsieur l'abbĂ© de La Mothe Le Vayer Â».
  20. « Epitomé de l'histoire romaine », sur Google Livres
  21. Archives nationales, Y 193, folio 129, citĂ© par Émile Magne dans Une amie inconnue de MoliĂšre, Paris, Émile-Paul, 1922, p. 122, note 53, consultable sur Internet Archive.
  22. Un ArrĂȘt du Grand Conseil datĂ© du 22 dĂ©cembre 1662 et conservĂ© Ă  la rĂ©serve de la BibliothĂšque Sainte-GeneviĂšve de Paris (cote 4 E 2218 INV 1398 RES, p. 16) concerne une requĂȘte dĂ©posĂ©e par « notre bien amĂ© Messire François de la Mothe le Vahier (sic), conseiller en nos conseils, aumĂŽnier ordinaire de madame la duchesse d'OrlĂ©ans ; et M. Jean Reverend, prĂȘtre bachelier en thĂ©ologie en la facultĂ© de Paris, conseiller et aumĂŽnier de notre trĂšs cher frĂšre le duc d'OrlĂ©ans, pensionnaires chacun de deux mille livres de pension par chacun an Ă  prendre sur les fruits et revenus de l'abbaye Notre Dame de Conlombe (sic, pour Coulombs), diocĂšse de Chartres Â».
  23. Voir Gallia Christiana, Paris, 1715, t. 1, colonne 1026 « Gallia Christiana », sur Google Livres.
  24. MoliĂšre n'en obtiendra pas plus.
  25. « Remerciement au Roy », sur Gallica
  26. « Satires du sieur D*** », sur Gallica
  27. Les Satires de Boileau commentĂ©es par lui-mĂȘme et publiĂ©es avec des notes de FrĂ©dĂ©ric LachĂšvre, reproduction du commentaire inĂ©dit de Pierre Le Verrier avec des corrections autographes de DesprĂ©aux. Le VĂ©sinet/CourmĂ©nil, 1906 « Les Satires de Boileau », sur Internet Archive, p. 41.
  28. « Lettres de Gui Patin, III », sur Gallica.
  29. Henry Le Bret, Lettres diverses, p. 50-53.
  30. « Tarsis et Zélie », sur Gallica
  31. Seconde partie du Recueil de pieces galantes en proise et en vers de Madame la comtesse de La Suze, Paris, 1668, p. 72.
  32. ƒuvres de François de La Mothe Le Vayer, Dresde, 1756, III, 2, p. 215.

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