Fragilisation par l'hydrogène
La fragilisation par l'hydrogène est un phénomène de fissuration de certains métaux au contact de l'hydrogène. Le rôle de l'hydrogène dissous dans un métal est connu depuis la fin du XIXe siècle, mais encore incomplètement compris.
Histoire scientifique et technique
Dès 1983, Airey et Van Rooyen démontrent qu'une présence d'hydrogène dissous dans le milieu environnant d'un métal peut aggraver le risque de corrosion, notamment de corrosion sous contrainte[1].
Depuis, les effets de l’hydrogène sur les métaux continuent à être étudiés par de nombreux laboratoires et chercheurs, car il s'agit d'un enjeu industriel, économique et de sécurité important, par exemple dans le domaine du transport et du stockage de l'hydrogène et dans celui de l'industrie nucléaire[2] - [3] - [4] - [5] - [6]. On s'intéresse aussi aux effets des produits et sous-produits de la corrosion dispersés par l'eau dans l'installation [7].
L'hydrogène peut se mettre en solution :
- au cours de l'élaboration du métal (hydrogène endogène) (réduction du minerai, coulée du lingot ou coulée continue), d'où l'importance du dégazage du métal en fusion et de la maîtrise de l'humidité. On a montré par des dosages d’hydrogène dans les microstructures du métal que le laminage a un effet important sur la teneur du métal en hydrogène, très probablement en raison du fait qu'il multiplie le nombre des défauts susceptibles de constituer des pièges à hydrogène[8] ;
- au cours d'une réaction chimique volontaire, comme l'électrozingage et de manière générale les réactions électrolytiques ;
- lors du soudage ;
- lors de la corrosion ;
- dans certaines conditions telles que les hautes températures (280 °C à 360 °C) et hautes pressions, sous irradiation intense et en présence d'acide borique et de lithine (composé du lithium utilisé dans le circuit primaire de centrales nucléaires de type REP pour tamponner le pH de l'au modifié par l'acide borique)[8]. De l'hydrogène peut alors se former dans le métal par réaction cathodique[8].
MĂ©canismes de fragilisation
L'hydrogène fragilise le métal, au moins dans les contextes physico-chimiques suivants[9] :
- pression interne d'hydrogène : de l'hydrogène dissous peut se recombiner dans une cavité (pore) pour former une « bulle » ; si sa pression devient importante, typiquement 105 Pa, une fissure peut apparaître. Une telle situation nécessite une fugacité importante, que l'on rencontre en cas de réaction d'oxydo-réduction en milieu aqueux, mais pas en atmosphère d'hydrogène ;
- affaiblissement des liaisons inter-atomiques : les atomes d'hydrogène, en se glissant dans les sites interstitiels entre les atomes de métal, diminueraient la résistance à la rupture du métal. Ce phénomène nécessite une concentration importante d'hydrogène, que l'on peut rencontrer en fond de fissure (l'état de contrainte triaxial distord le cristal et augmente la solubilité de l'hydrogène). On soupçonne ce mécanisme essentiellement pour les alliages à haute résistance ;
- diminution de la ductilité : les atomes d'hydrogène peuvent interagir avec les dislocations et donc modifier la capacité à la déformation plastique, selon deux mécanismes antagonistes mais tous deux fragilisants :
- diminution de la plasticité, donc de l'énergie de rupture en fond de fissure,
- augmentation de la plasticité, donc concentration locale de déformation plastique ;
- formation de phases fragiles, comme des hydrures ou de la martensite (l'hydrogène jouant le rôle du carbone).
Pour certains alliages du cœur d'un réacteur nucléaire étudiés en laboratoire : en phase d'amorçage puis de propagation de micro fissures dues à la corrosion sous contrainte, la sensibilité au phénomène de fissuration semble corrélée au taux d'hydrogène dissous dans le milieu (par exemple, Cassage et Gelpi considèrent que l’Alliage 600 est fragilisé dès qu’il contient 10 ppm d’hydrogène (massique)[10]. Plus précisément :
- en phase d'amorçage des fissures par corrosion sous contrainte[10] - [3] - [6] - [11] - [12]), une sensibilité maximale est notée pour une pression partielle de 35 kPa [6] et entre 10 et 100 kPa[10]. Cette gamme de concentration en hydrogène est proche du potentiel d’équilibre thermodynamique Ni/NiO[8] ;
- ensuite, en phase de propagation, les essais de traction lente à 350°C en milieu primaire, et pour une surpression de 100 kPa, une vitesse de fissuration plus faible qu’à 5kPa a été observée par Totsuka[13] - [14] (le premier à étudier cette propagation en fonction du taux d'hydrogène). Puis Rios, Abadie, Soustelle, Cassagne et Caron[10] - [15] - [16] - [17] - [11] - [18] ont montré ou confirmé que la vitesse de fissuration atteignait un maximum pour une teneur en hydrogène de 20 à 40 kPa proche du potentiel d’équilibre thermodynamique du couple Ni/NiO et sur la vitesse de propagation des fissures[10] - [17] - [16] - [11].
Quand le métal est expérimentalement exposé à une forte polarisation cathodique, sa sensibilité à la corrosion sous contrainte liée à l'hydrogène dissous ne diminue pas comme c'est le cas pour de fortes pressions partielles d’hydrogène[19], et il faisait remarquer que Vaillant (1997) ne note pas de diminution de vitesse de fissuration pour les faibles teneurs en hydrogène[18].
Notes et références
- (en) G.P Airey, Optimization of metallurgical variables to improve corrosion resistance of Inconel alloy 600. Final report. [PWR], Westinghouse Electric Corp., Pittsburgh, PA (USA), (lire en ligne), chap. EPRI-NP-3051.
- D. Caron, « Influence de l’hydrogène sur la vitesse de propagation des fissures de corrosion sous contrainte dans l’alliage 600 en milieu primaire des réacteurs nucléaires à eau sous pression », thèse, Institut national des sciences appliquées de Lyon, 2000.
- (en) Norring, K., Rosborg, B., Engstroem, J. et Svenson, J., Influence of LiOH and H2 on primary side IGSCC of alloy 600 steam generator tubes, (lire en ligne).
- (en) T. Cassage, « An update on the influence of hydrogen on the PWSCC of nickel base alloys in high temperature water », Proc. 8th Int. Symp. on Environmental Degradation of Metals in Nuclear Power Systems-Water Reactors, Amelia Island, ANS, 1997, vol. 1, p. 307.
- F. Fort, Mécanismes de la CSC de l’Alliage 600 monocristallin et polycristallin en milieu primaire rôle de l’hydrogène dans le fer et les aciers, thèse, École des Mines de Saint-Étienne, 1999.
- G. Economy, R.J. Jacko et F.W. Pement, « IGSCC Behavior of Alloy 600 Steam Generator Tubing in Water or Steam Tests Above 360 C », Corrosion, vol. 43, no 12,‎ , p. 727–734 (ISSN 0010-9312 et 1938-159X, DOI 10.5006/1.3583859).
- F. Carette, Relâchement des produits de corrosion des tubes en alliage 690 de générateur de vapeur du circuit primaire des réacteurs à eau pressurisée, thèse, Institut national polytechnique de Toulouse, 2002
- Laghoutaris 2009.
- Philibert et al. 2002, p. 1100-1103.
- T. Cassagne et A. Gelpi, « Cinétiques de propagation des fissures de corrosion contrainte dans l’alliage 600 en milieu neutre à haute température », Revue de Métallurgie, vol. 90, no 9,‎ , p. 1155–1155 (ISSN 0035-1563 et 1156-3141, DOI 10.1051/metal/199390091155, lire en ligne, consulté le )
- (en) C. Soustelle, P. Combrade, M. Foucault, A. Gelpi et T. Magnin, A parametric study of PWSCC of alloy 600, Eurocorr 98 : Solutions to corrosion problems, Utrecht (Pays Bas), 1998.
- Laghoutaris 2009, figure 3.9 (a).
- (en) N. Totsuka, E. Lunarska, G. Cragnolino et Z. Szklarska-Smialowska, « A sensitive technique for evaluating susceptibility to IGSCC of alloy 600 in high temperature water », Scr. Metall.; (United States), vol. 20:7,‎ (DOI 10.1016/0036-9748(86)90431-X, lire en ligne, consulté le )
- Totsuka N., Z. Skzlarska-smialowska « Hydrogen induced IGSCC of Ni-containing FCC alloys in high temperature water » 3rd Int. Symposium on environmental degradation of materials in nuclear power system-water reactors, Traverse City, p 691, 30 aout-3 septembre 1987
- Marc Foucault, « Corrosion sous contrainte des alliages à base nickel en milieu primaire des réacteurs à eau pressurisée. Maîtrise de la surface des composants », Annales de Chimie Science des Matériaux, vol. 29, no 3,‎ , p. 95–104 (ISSN 0947-3580, DOI 10.3166/acsm.29.3.95-104, lire en ligne, consulté le )
- Cassagne T, Combrade P, Foucault M.A et Gelpi A (1992) « Crack growth rate measurments on alloy 600 steam generators tubing in primary water and hydrogenated AVT water”, Proc. Of the 12th Scandinavian corrosion congress and Eurocorr’92, Vol. 2, Espoo, Finland, pp.55-67
- Pascale Abadie, Fissuration par corrosion sous contrainte de l'alliage 600 dans l'eau à haute température : contribution d'une approche phénoménologique à la compréhension des mécanismes, ENSMP, (lire en ligne)
- F. Vaillant et S. Lehong, « Évaluation des vitesses de propagation en milieu primaire de matériaux traverses de cuve en alliage 600 et de métaux déposés en alliage 182 », note EDF HT- 44/96/024/A, 2 avril 1997.
- Laghoutaris 2009, figure 3.10.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (en) W. H. Johnson, « On some remarkable changes produced in iron and steel by the action of hydrogen and acids », Proceedings of the Royal Society of London, no 23,‎ , p. 168–179 (DOI 10.1098/rspl.1874.0024, lire en ligne [PDF]) première tentative significative d'explication et publication classique sur la découverte de la fragilisation du fer et des aciers par l'hydrogène. Cité par Lynch S.P., 2007.
- Pierre Laghoutaris, « Corrosion sous contrainte de l'alliage 600 en milieu primaire des réacteurs à eau sous pression : apport à la compréhension des mécanismes », non publié, École nationale supérieure des mines de Paris,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- S. P. Lynch « Progress towards understanding mechanisms of hydrogen embrittlement and stress corrosion cracking » () (lire en ligne, consulté le )
—Corrosion 2007 - Jean Philibert, Alain Vignes, Yves Bréchet et Pierre Combrade, Métallurgie, du minerai au matériau, Dunod, , 1177 p. (ISBN 978-2-10-006313-0), p. 897-900, 1079-1080, 1094, 1100-1103
Normes
- ASTM F519 - 12a Standard Test Method for Mechanical Hydrogen Embrittlement Evaluation of Plating/Coating Processes and Service Environments
- ASTM G142-98(2004) Standard Test Method for Determination of Susceptibility of Metals to Embrittlement in Hydrogen Containing Environments at High Pressure, High Temperature, or Both