Fonction de localisation Ă©lectronique
La fonction de localisation Ă©lectronique dĂ©signĂ©e par son acronyme anglais ELF (Electron Localisation Function) est une fonction locale utilisĂ©e en chimie quantique et en physique du solide pour interprĂ©ter les rĂ©sultats de calculs de fonctions dâonde Ă lâaide de concepts simples comme ceux de couche atomique, de liaison chimique ou de paire libre. La mesure de la localisation proposĂ©e est la probabilitĂ© de prĂ©sence dâun Ă©lectron Ă lâintĂ©rieur dâun petit volume sphĂ©rique, V, centrĂ© en r position occupĂ©e par lâĂ©lectron de rĂ©fĂ©rence de mĂȘme spin.Cette fonction a Ă©tĂ© introduite en 1990 par Axel Becke et Kenneth Edgecombe en 1990[1], afin d'identifier des groupes d'Ă©lectrons localisĂ©s au sein des atomes et des molĂ©cules. Au 15 mars 2021 le Web of Science indique que cet article a Ă©tĂ© citĂ© 3 825 fois.
La fonction ELF
La dĂ©rivation originale faite par A. Becke et K. Edgecombe considĂšre comme critĂšre de localisation la probabilitĂ© de prĂ©sence dâun Ă©lectron de spin Ă lâintĂ©rieur dâun petit volume sphĂ©rique, V, centrĂ© en r position occupĂ©e par lâ Ă©lectron de rĂ©fĂ©rence de mĂȘme spin. Cette quantitĂ© est obtenue en intĂ©grant la probabilitĂ© conditionnelle, sur le volume :
Dans l'expression de la probabilitĂ© conditionnelle est la probabilitĂ© de paire, celle de trouver deux Ă©lectrons de mĂȘme spin en et et la probabilitĂ© de trouver un Ă©lectron de spin en . Les valeurs de sont trĂšs faibles dans les rĂ©gions dominĂ©es par la prĂ©sence dâun seul Ă©lectron du spin considĂ©rĂ© et deviennent plus importantes dĂšs lors quâun second Ă©lectron de mĂȘme spin est susceptible de se trouver au voisinage de lâĂ©lectron de rĂ©fĂ©rence. Ce comportement est illustrĂ© par la figure reprĂ©sentant le long du segment joignant deux noyaux d'hĂ©lium dans lâĂ©tat fondamental .
Becke et Edgecombe ont utilisĂ© une expression approchĂ©e de obtenue en considĂ©rant le premier terme non nul du dĂ©veloppement de Taylor de la probabilitĂ© conditionnelle dans lâapproximation Hartree-Fock. Le volume de la sphĂšre Ă©tant arbitraire, lâexpression approchĂ©e de est divisĂ©e par son Ă©quivalent calculĂ© pour un systĂšme de rĂ©fĂ©rence, le gaz homogĂšne dâĂ©lectron de mĂȘme densitĂ©, . Le rapport ainsi obtenu est finalement rĂ©Ă©crit sous une forme lorentzienne :
Les valeurs de ELF sont comprise entre 0 et 1, les valeurs Ă©levĂ©es de ELF correspondant aux rĂ©gions de «forte localisation». La formule de Becke et Edgecombe a inspirĂ© de nombreuses interprĂ©tations parmi lesquelles celle proposĂ©e par AndrĂ©as Savin et al.[2] oĂč est assimilĂ© Ă l'excĂšs local d'Ă©nergie cinĂ©tique dĂ» Ă la rĂ©pulsion de Pauli. Cette reformulation gĂ©nĂ©ralise la formule de Becke et Edgecombe Ă la thĂ©orie de la fonctionnelle de la densitĂ© (DFT). Il existe d'autres gĂ©nĂ©ralisations permettant de calculer ELF Ă partir de densitĂ©s «expĂ©rimentales»[3], de fonctions d'onde corrĂ©lĂ©es[4], de la DFT quasi-relativiste (SODFT)[5] ainsi qu'une expression de ELF dĂ©pendant du temps[6].
ELF est une fonction totalement symĂ©trique et, dans le cas de fonctions d'ondes approchĂ©es exprimĂ©es Ă l'aide d'orbitales, ELF est invariant par rapport Ă toute transformation unitaire de ces derniĂšres. En pratique la fonction ELF est exprimĂ©e sous une forme analytique dans la mesure oĂč elle est Ă©valuĂ©e Ă partir de fonctions d'onde approchĂ©es utilisant des orbitales ayant elles-mĂȘmes une expression analytique. ELF est une grandeur sans dimension qui doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un indicateur de localisation plutĂŽt que comme une mesure de la localisation, qui elle impliquerait l'existence d'un opĂ©rateur spĂ©cifique.
Applications en chimie
Les premiĂšres applications en chimie quantique, essentiellement qualitatives, ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sur des atomes, de petites molĂ©cules et des systĂšmes cristallins simples. Les diverses techniques de visualisation mettent clairement en Ă©vidence les rĂ©gions de lâespace oĂč sont attendues les couches atomiques, les liaisons chimiques covalentes et les paires libres. Les reprĂ©sentations proposĂ©es par ELF sont cohĂ©rentes avec la thĂ©orie de la valence de Lewis et avec le modĂšle VSEPR. De surcroit la fonction ELF s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre l'une des rares mĂ©thodes capables de distinguer la couche de valence des atomes au-delĂ de la troisiĂšme pĂ©riode.
La partition de lâespace molĂ©culaire et les bassins de ELF
La partition de lâespace molĂ©culaire est rĂ©alisĂ©e en considĂ©rant les bassins des attracteurs du systĂšme dynamique gradient de la fonction ELF. Les attracteurs sont les maxima locaux et les bassins des volumes sĂ©parĂ©s par des surfaces de flux nul (. Cette stratĂ©gie est inspirĂ©e de la thĂ©orie quantique des atomes dans les molĂ©cules (QTAIM) de Richard Bader. Les bassins de ELF ont une signification chimique claire en fonction de leur position par rapport aux noyaux: les bassins de cĆur sont situĂ©s autour des noyaux de numĂ©ro atomique supĂ©rieurs Ă 2 tandis que le reste de lâespace est occupĂ© par les bassins de valence. Dans lâapproche ELF un atome dans une molĂ©cule est constituĂ© du noyau, des bassins de cĆur correspondant aux couches internes et des bassins de valence entourant la derniĂšre couche de cĆur. Dans la pratique les couches de cĆur dâun mĂȘme atome A sont regroupĂ©es en un super bassin notĂ© C(A). Un mĂȘme bassin de valence peut appartenir aux couches de valence de plusieurs atomes, lâordre synaptique dâun bassin est le nombre de couches de valence auquel il appartient, il existe ainsi des bassins monosynaptiques V(A) pour les paires libres, des bassins disynaptiques V(A,B) pour les liaisons bicentriques covalentes ou datives A-B et des bassins polysynaptiques pour les liaisons multicentriques. Comme QTAIM, lâapproche ELF distingue deux types principaux dâinteractions, celles avec partage de densitĂ© Ă©lectronique (liaison covalente, mĂ©tallique et datives) et celles sans partage (liaison ioniques, liaison hydrogĂšne, etc.))[7]. Lâintroduction des domaines de localisation (volumes limitĂ©s par une isosurface) permet une reprĂ©sentation graphique claire comme le montre la figure reprĂ©sentant la molĂ©cule de furane.
D'un point de vue quantitatif, lâintĂ©gration sur les bassins des densitĂ©s de probabilitĂ© permet de calculer les populations de bassin : Ă©lectroniques de spin et et totales, de paires Ă©lectroniques de mĂȘme spin, de spins opposĂ©s et totales, ainsi la matrice des covariances des populations de bassin qui mesure les fluctuations de la densitĂ© Ă©lectronique des bassins et leur corrĂ©lation. Les populations calculĂ©es par cette mĂ©thode sont le plus souvent en trĂšs bon accord avec les valeurs prĂ©vues par le modĂšle de Lewis Ă lâexception des systĂšmes qui, comme le benzĂšne, ne pouvant ĂȘtre dĂ©crit par une structure unique, nĂ©cessitent lâintroduction de formes mĂ©somĂšres.
Réactivité et mécanismes de réaction
La valeur dâ ELF aux points selles entre bassins adjacents a Ă©tĂ© utilisĂ© comme indice de rĂ©activitĂ© pour la substitution Ă©lectrophile aromatique[8]. Les mĂ©canismes de rĂ©actions sont Ă©tudiĂ©s en considĂ©rant lâĂ©volution de la fonction ELF le long dâun chemin de rĂ©action dĂ©crite dans le formalisme de la thĂ©orie des catastrophes[9]. Il est ensuite possible de visualiser par des animations les ruptures et les formations de liaison.
- Réaction de transfert intramoléculaire du proton dans la molécule de malonaldéhyde : le mécanisme de réaction correspond à la rupture de la liaison covalente O-H suivie par la formation d'une nouvelle liaison covalente O-H avec l'atome d'oxygÚne de la fonction aldéhyde. AprÚs la rupture de la liaison O-H, le bassin autour du proton conserve une densité intégrée de l'ordre de 0,5 e. Domaines de localisation définis par l'isosurface . Le code couleur indiquant l'ordre synaptique est celui adopté pour la représentation de la molécule de furane.
- cycloaddition 1,3-dipolaire: . L'animation montre l'évolution des domaines de localisation définis par l'isosurface le long du chemin de réaction. Le code couleur indiquant l'ordre synaptique est celui adopté pour la représentation de la molécule de furane.
Notes et références
- (en) A. D. Becke et K. E. Edgecombe, « A simple measure of electron localization in atomic and molecular systems », J. Chem. Phys., vol. 92,â , p. 5397â5403 (DOI 10.1063/1.458517)
- (en) A. Savin, Jepsen, O.; Flad, J.; Andersen, O. K.; Preuss, H.; von Schnering, H. G., « Electron localization in solid-state structures of the elements â the diamond structure », Angewandte Chemie-International Edition in English, vol. 31,â , p. 187â188 (DOI 10.1002/anie.199201871)
- (en) V. Tsirelson et A. Stash, « Determination of the electron localization function from electron density », Chem. Phys. Letters, vol. 351,â , p. 142-148
- (en) E. Matito, B. Silvi, M. Duran et Miquel SolĂ , « Electron localization function at the correlated level », J. Chem. Phys., vol. 125,â , p. 024301
- (en) J. PilmĂ©, E. Renault, T. Ayed, Tahra, G. Montavon et N. Galland, « Introducing the 'ELF' Topological Analysis in the Field of Quasirelativistic Quantum Calculations », J. Chem. Theory Comput., vol. 8,â , p. 2985-2990 (DOI 10.1021/ct300558k)
- (en) Burnus, T., Marques, M. A. L., et Gross, E. K. U., « Time-dependent electron localization function », Phys. Rev. A, vol. 71,â , p. 010501
- (en) Silvi B. et Savin A.., « Classification of chemical bonds based on topological analysisof electron localization function », Nature, vol. 371,â , p. 683--686
- (en) Fuster F., Sevin A. et Silvi B., « Topological Analysis of the Electron Localization Function (ELF) applied to the Electrophilic Aromatic Substitution », J. Phys. Chem. A, vol. 104,â , p. 852â858
- (en) Krokidis X., Noury S. et Silvi B., « Characterization of Elementary Chemical Processes by Catastrophe Theory », J. Phys. Chem. A, vol. 101,â , p. 7277-7282
Liens externes
- (en) Frank R. Wagner (ed.) Electron localizability: chemical bonding analysis in direct and momentum space. Max-Planck-Institut fĂŒr Chemische Physik fester Stoffe, 2002. (accĂ©dĂ© le ).
- (fr) « Regards d'ELFe », film scientifique sur les fonctions ELF.