Facteur d'intensité des contraintes
Le facteur d'intensité des contraintes[note 1], généralement noté , est utilisé en mécanique de la rupture pour décrire l'état des contraintes à l'extrémité d'une fissure[1]. Ce concept est généralement utilisé avec l'hypothèse que le matériau est homogène, et dans un régime élastique linéaire isotrope. Il est notamment utilisé en tolérance aux dommages pour fournir des critères de rupture. Le facteur d'intensité des contraintes peut également être étendu aux matériaux qui présentent une plasticité confinée en pointe de fissure.
La valeur de dépend de la géométrie de l'éprouvette, de la taille et de la position de la fissure (ou de l'entaille), et est proportionnelle au niveau de chargement (charge appliquée et contraintes résiduelles)[1]. Dans sa formulation générique, le facteur d'intensité des contraintes s'écrit[2] - [3] :
où est la contrainte appliquée, et où (parfois noté Y ou ) est fonction de la géométrie de l'éprouvette, et du ratio entre la longueur de fissure, , et la largeur de l'échantillon, .
En élasticité linéaire, la distribution des contraintes à proximité de la pointe de fissure s'exprime en coordonnées polaires[note 2] sous la forme[4] :
où est le facteur d'intensité des contraintes (habituellement exprimé en MPa√m) et est une quantité sans dimension qui varie avec la géométrie. Théoriquement, quand tend vers 0, la contrainte tend vers , ce qui créerait une singularité de contrainte[5]. En pratique, cette singularité n'est pas obtenue, car de la plasticité apparaît dès que la contrainte dépasse la limite d'élasticité du matériau. Si la zone plastique en pointe de fissure est petite par rapport à la longueur de la fissure, la formule reste applicable asymptotiquement.
Le facteur d'intensité des contraintes ne doit pas être confondu avec la notion de concentration de contrainte.
Facteurs d'intensité des contraintes en modes I, II et III
En 1957, George Irwin a découvert que les contraintes autour d'une fissure pouvaient être exprimées proportionnellement à un paramètre appelé facteur d'intensité des contraintes. Il a également noté qu'une fissure soumise à un chargement quelconque pouvait être décomposée en trois types de modes de fissuration linéairement indépendants[6], appelés « mode I », « mode II » et « mode III ». Le mode I est un mode d'ouverture (traction) où les surfaces de la fissure s'écartent. Le mode II est un mode de glissement (cisaillement dans le plan) où les surfaces opposées de la fissure glissent l'une sur l'autre dans une direction perpendiculaire au front de fissure. Le mode III est un mode de déchirement (cisaillement antiplan) où les surfaces opposées de la fissure se déplacent l'une par rapport à l'autre parallèlement au front de fissure. Le mode I est le type de chargement le plus couramment rencontré.
Le facteur d'intensité des contraintes pour les modes I, II et III sont désignés respectivement , et . Ces facteurs sont formellement définis par les formules suivantes[7] :
Équations des champs de contrainte et de déplacement |
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En mode I, le champ de contraintes exprimé en fonction de s'écrit[6] :
et en coordonnées polaires :
Les déplacements s'écrivent : où, en conditions de contraintes planes
et en déformations planes
La composante du mode II s'écrit : et
La composante du mode III donne avec .
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Taux de restitution d'énergie (G) et intégrale J
En contraintes planes, le taux de restitution d'énergie () d'une fissure chargée en mode I pur, ou en mode II pur est relié au facteur d'intensité des contraintes par[8] :
où est le module de Young et est le coefficient de Poisson du matériau. Cette relation suppose que le matériau est homogène, a un comportement élastique linéaire isotrope, et que la fissure propage dans la direction de la fissure initiale.
En déformations planes, la relation est légèrement différente[8] :
Pour un chargement en mode III pur,
où est le module de cisaillement.
En contraintes planes comme en déformations planes, le taux de restitution d'énergie total est la combinaison linéaire des trois contributions[8] :
En élasticité linéaire, les relations ci-dessus peuvent également être utilisées pour relier l'intégrale J au facteur d'intensité des contraintes, car on a alors :
Ténacité
On appelle communément « ténacité » le facteur d'intensité des contraintes critique au-delà duquel la rupture se produit. Les valeurs de ténacité peuvent être déterminées expérimentalement à l'aide d'éprouvettes préfissurées.
En mode I, pour le cas des déformations planes, la ténacité se note (généralement exprimée en MPa√m). Le est un paramètre qui peut être utilisé en conception lorsque la tolérance aux dommages fait partie du cahier des charges (ponts, bâtiments, aéronautique, etc.).
La notion se généralise (« critère en G ») en reliant la ténacité aux facteurs d'intensité des contraintes pour les trois modes :
où est la ténacité, en déformations planes et en contraintes planes. La notation est souvent utilisée pour décrire le facteur d'intensité des contraintes critique en contraintes planes.
Exemples
Plaque infinie
Dans une plaque dont l'épaisseur et la longueur de fissure sont très petits devant la largeur et la hauteur, il est possible de calculer les facteurs d'intensité des contraintes en faisant l'hypothèse d'une plaque infinie.
Différentes formules peuvent être utilisées suivant que l'application de la force est uniaxiale ou biaxiale, ponctuelle ou uniforme, perpendiculaire ou oblique par rapport à la fissure.
Plaque infinie : contrainte uniaxiale uniforme | |
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Le facteur d'intensité des contraintes pour une fissure rectiligne de longueur perpendiculaire à la direction de chargement, insérée dans un plan infini, ayant un champ de contrainte uniforme est [5] - [7] :
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Fissure dans une plaque infinie sous un chargement en mode I. |
Plaque infinie : fissure oblique dans un champ de contraintes biaxial | |
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Pour une fissure oblique de longueur dans un champ de contrainte biaxial, avec une contrainte dans la direction et dans la direction , les facteurs d'intensité des contraintes sont [7] :
où est l'angle que fait la fissure avec la direction . |
Une fissure oblique dans une plaque mince sous chargement biaxial. |
Plaque infinie : fissure dans une plaque soumise à une force ponctuelle dans le plan | |
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Considérons une plaque de dimensions contenant une fissure de longueur , à laquelle une force ponctuelle de composantes et est appliquée au point ().
Dans le cas où la plaque est grande par rapport à la taille de la fissure et l'emplacement de la force est relativement proche de la fissure, c'est-à-dire, , , , , la plaque peut être considérée comme infinie. Dans ce cas, les facteurs d'intensité des contraintes pour en pointe de fissure B () sont : où avec , , en déformations planes, en contraintes planes, et est le coefficient de Poisson. Les facteurs d'intensité des contraintes pour à la pointe B sont Les facteurs d'intensité des contraintes à la pointe A ( ) peuvent être déterminés à partir des relations ci-dessus. Pour la charge à l'emplacement , De même pour la charge , |
Une fissure dans une plaque sous l'action d'une force ponctuelle de composantes et . |
Plaque infinie : force appliquée sur la fissure | |
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Si la fissure est chargée par une force ponctuelle située à et , les facteurs d'intensité des contraintes au point B sont[7] :
Si la force est répartie uniformément entre , alors le facteur d'intensité des contraintes à la pointe B est |
Une fissure chargée dans une plaque. |
Plaque finie
Dans les cas où l'hypothèse d'une plaque infinie n'est pas applicable, il est nécessaire de recourir à d'autres formules, qui sont généralement plus complexes, et qui dépendent de la position de la fissure (centrale, débouchante, décalée, etc.).
Plaque finie : contrainte uniaxiale uniforme | |
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Si la fissure est située au centre d'une plaque finie de largeur et de hauteur , le facteur d'intensité des contraintes peut être approché par la formule[7] :
Si la fissure n'est pas située au centre de la largeur, c'est-à-dire, , le facteur d'intensité des contraintes à l'emplacement A peut être approximé par le développement en série[7] - [9] : où les facteurs peuvent être trouvés à partir des ajustements aux courbes d'intensité de contrainte [7]:6 pour différentes valeurs de . Une expression similaire (mais pas identique) peut être trouvée pour la pointe B de la fissure. Des expressions alternatives pour les facteurs d'intensité de contrainte en A et B sont [10] où avec Dans les expressions ci-dessus est la distance entre le centre de la fissure et la limite la plus proche du point A. Notez que lorsque les expressions ci-dessus ne se simplifient pas en l'expression approchée d'une fissure centrée. |
Fissure dans une plaque finie soumise à un chargement en mode I. |
Plaque finie : fissure débouchante sous chargement unixial | |
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Pour une plaque de dimensions contenant une fissure débouchante de longueur , si les dimensions de la plaque sont telles que et , le facteur d'intensité des contraintes en pointe de fissure sous un chargement uniaxial est[5] :
Dans le cas où et , le facteur d'intensité des contraintes peut être approximé par |
Fissure débouchante dans une plaque finie sous chargement uniaxial. |
Volume infini
Le cas du volume infinie est l'équivalent en trois dimensions de la plaque infinie. Elle correspond à des cas où une fissure amorce sur un défaut à l'intérieur d'un matériau.
Volume infini : fissure circulaire | |
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Le facteur d'intensité des contraintes en pointe d'une fissure circulaire de rayon dans un volume infini sous chargement uniaxial est[1] :
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Fissure circulaire dans un volume infini sous chargement uniaxial. |
Éprouvettes
Plusieurs éprouvettes normalisées existent pour caractériser la ténacité des matériaux. Des formules tabulées de facteurs d'intensité des contraintes ont été développées pour faciliter le dépouillement des résultats d'essais. L'éprouvette C(T) est l'une des éprouvettes de ténacité les plus répandues.
Éprouvette : C(T) | |
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Le facteur d'intensité des contraintes en pointe de fissure d'une éprouvette C(T) est [11] :
où est la charge appliquée, est l'épaisseur de l'éprouvette, est la longueur de fissure, et est la distance entre l'axe des trous et le bord opposé. |
Éprouvette C(T), pouvant être utilisée pour les essais de ténacité. |
Éprouvette : flexion trois points (SENB) | |
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Le facteur d'intensité des contraintes en pointe de fissure d'une éprouvette de flexion trois points (en anglais Single edge notch bending - SENB) est[11] :
où est la charge appliquée, est l'épaisseur de l'éprouvette, est la longueur de fissure, et est la largeur de l'échantillon. |
Éprouvette de flexion trois points (SENB). |
Voir aussi
Notes et références
Notes
- Les formes au singulier facteur d'intensité de contrainte ou facteur d'intensité de contraintes sont également utilisées dans la littérature franophone.
- L'origine des coordonnées polaires () est prise au niveau du front de fissure.
Références
- T. L. Anderson, Fracture mechanics: fundamentals and applications, CRC Press,
- W. O. Soboyejo, Mechanical properties of engineered materials, Marcel Dekker, (ISBN 0-8247-8900-8, OCLC 300921090, lire en ligne), « 11.6.2 Crack Driving Force and Concept of Similitude »
- M. (Michael) Janssen, Fracture mechanics, London, 2nd, , 41 p. (ISBN 0-203-59686-2, OCLC 57491375, lire en ligne)
- Hiroshi Tada, P. C. Paris et George R. Irwin, The Stress Analysis of Cracks Handbook, 3rd,
- Liu et al., « An improved semi-analytical solution for stress at round-tip notches », Engineering Fracture Mechanics, vol. 149, , p. 134–143 (lire en ligne)
- S. Suresh, Fatigue of Materials, Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-57046-6)
- D. P. Rooke et D. J. Cartwright, Compendium of stress intensity factors, HMSO Ministry of Defence. Procurement Executive,
- Ecole des mines de Paris, « Mécanique de la rupture », sur mms2.ensmp.fr (consulté le )
- Isida, M., 1966, Stress intensity factors for the tension of an eccentrically cracked strip, Transactions of the ASME Applied Mechanics Section, v. 88, p.94.
- K. Kathiresan, T. R. Brussat et T. M. Hsu, Advanced life analysis methods. Crack Growth Analysis Methods for Attachment Lugs, p.175, Flight Dynamics Laboratory, Air Force Wright Aeronautical Laboratories, AFSC W-P Air Force Base, Ohio (no AFWAL-TR-84-3080),
- Bower, A. F., Applied mechanics of solids, CRC Press.,
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Stress intensity factor » (voir la liste des auteurs).