FĂȘte galante
La fĂȘte galante dĂ©signe les rĂ©unions ludiques en plein air organisĂ©es par les riches aristocrates Ă partir de 1715 jusquâaux annĂ©es 1770. Lâexpression est surtout utilisĂ©e Ă propos de scĂšnes picturales reprĂ©sentant ces rĂ©unions, caractĂ©ristiques d'un genre de la peinture rococo.
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AprĂšs la mort de Louis XIV en 1715, lâaristocratie française dĂ©laisse les splendeurs de la cour de Versailles pour les folies et les maisons de ville plus intimes de Paris oĂč ses membres, Ă©lĂ©gamment vĂȘtus, peuvent sâadonner Ă jouer, se courtiser et se mettre en scĂšne dâaprĂšs la commedia dellâarte italienne[1]. La fĂȘte galante est Ă©troitement liĂ©e Ă la fĂȘte champĂȘtre, dont elle peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un type.
DĂ©nomination
Le terme de « fĂȘte galante » dĂ©signe, en peinture, un genre spĂ©cialement crĂ©Ă© en 1717 par l'AcadĂ©mie royale de peinture et de sculpture pour dĂ©crire les variations d'Antoine Watteau sur le thĂšme de la fĂȘte champĂȘtre reprĂ©sentant des personnages costumĂ©s ou en robe de bal qui s'Ă©battent dans des parcs ou des clairiĂšres. En l'absence de catĂ©gorie correspondant aux Ćuvres de Watteau, lorsqu'il demanda l'agrĂ©ment de l'AcadĂ©mie en 1717, celle-ci prĂ©fĂ©ra crĂ©er ce genre intermĂ©diaire entre la peinture d'histoire et le portrait dans la hiĂ©rarchie des genres, plutĂŽt que de rĂ©cuser Watteau[2].
Création par Watteau
Le style de la fĂȘte galante est nĂ© de la conjonction des deux impĂ©ratifs auxquels Ă©tait soumis Antoine Watteau : il s'agissait pour lui tout Ă la fois de mĂ©riter la considĂ©ration de l'AcadĂ©mie royale de peinture et de sculpture qui classait les scĂšnes et portraits de la vie quotidienne comme moralement infĂ©rieurs aux sujets historiques et mythologiques, tout en s'attirant le soutien financier des particuliers qu'il devait reprĂ©senter. Le choix de la fĂȘte galante comme mode de reprĂ©sentation du particulier, dĂ©peint dans un luxuriant cadre extĂ©rieur empruntĂ© Ă des Ćuvres antĂ©rieures, comme celles de lâĂ©cole vĂ©nitienne du XVIe siĂšcle ou de l'Ă©cole hollandaise du XVIIe siĂšcle, qui rappelle la terre mythique d'Arcadie, et oĂč l'homme Ă©tait censĂ© avoir vĂ©cu en harmonie avec la nature, reprĂ©sente un compromis qui a permis Ă Watteau de glorifier ses mĂ©cĂšnes tout en satisfaisant aux impĂ©ratifs moraux requis par l'AcadĂ©mie pour l'obtention du statut privilĂ©giĂ© de « peinture d'histoire » pour ses Ćuvres. En ce sens, les fĂȘtes galantes ne sont pas un genre pictural nĂ© ab nihilo. MĂȘme s'il nâa pas remis en cause la hiĂ©rarchie acadĂ©mique en tant que telle, il n'en a pas moins jouĂ© un rĂŽle substantiel dans l'art rococo, dans la mesure oĂč il a vu le jour Ă une Ă©poque oĂč les arts europĂ©ens ont commencĂ© Ă se dĂ©sintĂ©resser du goĂ»t pour l'ordre de grandeur normĂ© et hiĂ©rarchisĂ© de l'Ăglise et de la cour, pour se dĂ©placer vers l'apprĂ©ciation des plaisirs intimes et personnels.
Adoption et développement
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Parmi les peintres Ă avoir pratiquĂ©, Ă la suite de Watteau, les fĂȘtes galantes comme style pictural, on compte Pater, son Ă©lĂšve, Lancret, de Troy, Fragonard, Norblin de La Gourdaine, Quillard. Au nombre des Ćuvres reprĂ©sentatives de ce genre, on peut citer, chez Watteau, Le PĂšlerinage Ă l'Ăźle de CythĂšre, tableau de 1717 souvent considĂ©rĂ© comme le prototype de la fĂȘte galante[3] oĂč sont dĂ©peints des aristocrates magnifiquement vĂȘtus venus visiter, en prĂ©sence de chĂ©rubins, une Ăźle censĂ©e ĂȘtre dĂ©diĂ©e Ă CythĂšre, la dĂ©esse antique de l'amour. Dans Les Deux Cousines de 1717-1718, un jeune galant offre une cape rouge Ă deux femmes en robes de satin blanc. Comme dans les autres fĂȘtes galantes, les statues grĂ©co-romaines le long du lac aident Ă Ă©lever cette scĂšne de genre au statut de peinture d'histoire. Les Bergers, peints par Watteau vers 1716, jouent sur une longue tradition d'aristocrates se faisant passer pour des bergers ruraux, tradition qui a prospĂ©rĂ© au XVIIIe siĂšcle, et dont la plus cĂ©lĂšbre est surement le hameau de la Reine Marie-Antoinette. Dans les FĂȘtes vĂ©nitiennes (1718-1719), un couple, oĂč l'homme porte un habit oriental, danse pour une foule de badauds minaudant devant une statue de VĂ©nus. Le cornemuseur est peut-ĂȘtre un autoportrait. Dans L'Accord parfait, une charmante jeune femme tient la musique pour un vieil homme qui joue de la flute, tandis que passent d'autres personnes des classes oisives. Enfin, quoique son Mezzetin de 1718-1720 ne soit pas, stricto sensu, une fĂȘte galante, ce tableau reprĂ©sente une figure touchante de la commedia dell'arte donnant la sĂ©rĂ©nade Ă une statue ignorante. Dans la Danse dans le parc de Lancret, oĂč des courtisans richement vĂȘtus dansent devant la statue d'un nu hĂ©roĂŻque masculin, la prĂ©sence de cette statue est clairement destinĂ©e Ă Ă©lever, comme dans les toiles de Watteau, les danseurs au statut de sujets de « peinture d'histoire », les nus masculins Ă©tant un sujet de prĂ©dilection des peintures d'histoire. Dans La Collation, des nobles batifolent et cueillent des fleurs devant une femme nue couchĂ©e sur un monticule en forme de coquillage, qui reprĂ©sente probablement la dĂ©esse VĂ©nus. Dans Une dame dans un jardin prenant un cafĂ©, peint vers 1742, une femme assise Ă cĂŽtĂ© dâune fontaine dans un jardin somptueux donne du cafĂ© Ă ses enfants tandis que deux hommes, probablement son mari et un serviteur, regardent. Dans la Vue prise dans les jardins de la villa dâEste, Ă Tivoli de Fragonard, c'est lâarchitecture classique qui sert de contexte Ă un repas en plein air et Ă des jeux. Le mĂȘme motif intervient Ă©galement dans La DĂ©claration d'amour (1731) de Jean-François de Troy dont le style est pourtant beaucoup plus rĂ©aliste que la plupart des autres.
RĂ©alisme
Dubois de Saint-Gelais[4] a soulignĂ©, dans sa Description des tableaux du Palais-Royal, le caractĂšre rĂ©aliste des fĂȘtes galantes de Watteau en Ă©crivant qu'« il a parfaitement bien reprĂ©sentĂ© les concerts, les danses et les autres amusements de la vie civile, mettant la scĂšne dans des jardins, dans des bois et dans d'autres lieux champĂȘtres dont le paysage est peint avec beaucoup d'art. Son dessin est correct, son coloris est tendre, les expressions sont piquantes, ses airs de tĂȘtes ont une grĂące merveilleuse, ses figures dansantes sont admirables pour la lĂ©gĂšretĂ©, pour la justesse des mouvements, et pour la beautĂ© des attitudes. Il s'est attachĂ© aux habillements vrais, en sorte que ses tableaux peuvent ĂȘtre regardĂ©s comme l'histoire des modes de son temps[5]. »
Galerie
- Jean-François de Troy, Assemblée dans un parc, ou La Déclaration d'amour
- Antoine Watteau, FĂȘtes vĂ©nitiennes
- Nicolas Lancret, La Terre
- Nicolas Lancret, Le Moulinet
- Jean-Baptiste Pater, Repos dans le parc
- Jean-Honoré Fragonard, Les Jardins de la Villa d'Este à Tivoli
- Jean-Pierre Norblin de La Gourdaine, FĂȘte galante
- Pierre-Antoine Quillard, Les Quatre Saisons
- Nicolas Lancret, Le Jeu des quatre-coins
- Antoine Watteau, Les Deux Cousines
Notes et références
- Robert Tomlinson , « La FĂȘte galante : Watteau et Marivaux », Histoire des idĂ©es et critique littĂ©raire, no 194, GenĂšve, Droz, 1977, 878 p. (ISBN 978-2-60003-582-8), p. 157.
- François Moureau, Le Théùtre des voyages : une scénographie de l'ùge classique, Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2005, 584 p. (ISBN 978-2-84050-367-5), p. 399.
- Myriam Escard-Bugat, « Watteau et la fĂȘte galante », L'Objet dâart, HS no 94, dĂ©cembre 2015, p. 14-16.
- Nommé secrétaire perpétuel de l'Académie de peinture, il travaillait à l'histoire de cette compagnie lorsqu'il mourut.
- Description des tableaux du Palais-Royal, avec la vie des peintres Ă la tĂȘte de leurs ouvrages, Paris, Laurent d'Houry, 1727, XIV-504 p. in-12 lire en ligne
Bibliographie
- Robert Tomlinson, La FĂȘte galante : Watteau et Marivaux, GenĂšve, Droz, 1981, 196 p.
- Charles Blanc, Les Peintres des fĂȘtes galantes : Watteau, Lancret, Pater, Boucher, Paris, Jules Renouard, 1854, 96 p.
- François Moureau et Margaret Morgan Grasselli (dir.), Antoine Watteau (1684-1721) ; le peintre, son temps et sa légende. Paris-GenÚve, Champion-Slatkine, 1987.
- François Moureau, « La fĂȘte galante ou les retraites libertines », Watteau et la fĂȘte galante. MusĂ©e des Beaux-Arts de Valenciennes, -, Paris, Ăditions de la RĂ©union des MusĂ©es nationaux, 2004, p. 68-79, 8 ill.