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Expédition britannique au Cho Oyu de 1952

L'expĂ©dition britannique au Cho Oyu de 1952 est organisĂ©e par le Joint Himalayan Committee. Après l'expĂ©dition de reconnaissance de 1951, les Britanniques espèrent pouvoir tenter l'ascension de l'Everest dès l'annĂ©e suivante. Mais les autoritĂ©s du NĂ©pal avaient dĂ©jĂ  donnĂ© leur accord Ă  une expĂ©dition suisse, valable pour toute l'annĂ©e 1952. ForcĂ©s de patienter jusqu'en 1953, les Britanniques dĂ©cident d'organiser – en 1952 – une expĂ©dition au Cho Oyu (8 188 m), surnommĂ©e la DĂ©esse turquoise. Eric Shipton est dĂ©signĂ© pour conduire cette expĂ©dition, et Griffith Pugh est chargĂ© de tester les Ă©quipements d'approvisionnement en oxygène et de superviser la prĂ©paration des membres en vue de 1953. L'expĂ©dition est un Ă©chec du point de vue de ces deux objectifs ; la mauvaise planification de Shipton entraĂ®ne son remplacement Ă  la tĂŞte de l'expĂ©dition de 1953[1].

Vue aérienne du Cho Oyu.

L'expédition est composée des Britanniques Eric Shipton (chef d'expédition), Charles Evans, Tom Bourdillon, Ray Colledge, Alfred Gregory et Griffith Pugh ; des Néo-Zélandais Edmund Hillary, George Lowe et Earle Riddiford ; et du Canadien Campbell Secord. Les membres de l'expédition quittent Southampton le ; à l'exception de Shipton, Pugh et Secord qui les rejoignent plus tard[2].

Le club alpin de Nouvelle-Zélande apporte un soutien financier à l'expédition, ainsi que le journal The Times qui s'assure l'exclusivité sur la couverture, étendue jusqu'à un mois après la fin de l'expédition[3]. Des tensions surviennent entre certains membres. Le Néo-Zélandais Riddiford mange et fait tente commune avec Britanniques en raison d'un différend l'ayant opposé à Lowe à Ranikhet (en) lorsqu'il est sélectionné en vue de expédition de reconnaissance de 1951, à la place de Lowe (qui n'a pas d'argent pour payer sa part des frais)[4].

Objectifs et préparation de l'expédition

Les objectifs de cette expĂ©dition sont de gravir le sommet du Cho Oyu, de former un groupe de grimpeurs capables de bien s'acclimater Ă  7 400 m ou plus, et de perfectionner le recours aux appareils Ă  oxygène[5] - [6].

Dans sa première dépêche au Times, Shipton déclare que son objectif est de vaincre le Cho Oyu[1].

Eric Shipton passe une journĂ©e Ă  dresser la liste du matĂ©riel, mais c'est Ă  Earle Riddiford (vĂ©tĂ©ran de l'expĂ©dition de 1951 avec Michael Ward, et qui est dĂ©sormais hĂ©bergĂ© Ă  Londres par Norman et Enid Hardie) que revient la tâche d'effectuer les commandes, l'emballage et l'expĂ©dition du matĂ©riel, Shipton Ă©tant systĂ©matiquement absent[7]. La quantitĂ© de nourriture prĂ©vue pour les membres britanniques est deux fois infĂ©rieure Ă  celles emportĂ©e par les NĂ©o-ZĂ©landais. Shipton a prĂ©vu peu de sucre, de beurre, de confiture, de porridge ou encore de lait. Riddiford dĂ©crira la nourriture comme Ă©tant « immonde Â», et dira que de jeunes grimpeurs comme Bourdillion Ă©taient « Ă  moitiĂ© affamĂ©s Â». Les stocks alimentaires des Britanniques sont donc complĂ©tĂ©s par les approvisionnements des NĂ©o-zĂ©landais[8].

L'expédition

Le camp de base est Ă©tabli le Ă  Lunak sous le col de Nangpa La (5 700 m). Lors de la marche vers le camp de base, Shipton s'acclimate rapidement, mais il fait avancer Ă  marche forcĂ©e ceux qui s'acclimatent moins rapidement[9].

Inquiet d'ĂŞtre repĂ©rĂ© par les troupes chinoises Ă  travers la frontière, Shipton n'est pas disposĂ© Ă  organiser une tentative sĂ©rieuse depuis le Tibet oĂą l'escalade semble pourtant plus facile ni Ă  Ă©tablir un camp de base (ni mĂŞme un camp intermĂ©diaire) du cĂ´tĂ© tibĂ©tain (comme cela est proposĂ© par Hillary, Lowe, Riddiford et Secord). Shipton a Ă©tĂ© consul britannique Ă  Kashgar puis Ă  Kunming, en Chine, avant d'ĂŞtre expulsĂ© par le nouveau gouvernement chinois, et il souhaite Ă©viter tout affrontement avec les troupes chinoises du cĂ´tĂ© tibĂ©tain afin de ne pas ĂŞtre pris pour des espions, ce qui risquerait de compromettre l'expĂ©dition prĂ©vue en 1953. En 2006, une fusillade impliquant des troupes chinoises a lieu près du Nangpa La. Mais après un après-midi « dĂ©moralisant Â» passĂ© Ă  argumenter contre le fait d'Ă©tablir un camp du cĂ´tĂ© tibĂ©tain, Shipton finit par accepter qu'un camp soit dressĂ© juste Ă  cĂ´tĂ© du Nangpa La, et d'envoyer une Ă©quipe pour tenter la première traversĂ©e du col de Nup La Ă  l'est du Cho Oyu, camp qui pourrait ĂŞtre rapidement dĂ©montĂ© si des soldats chinois Ă©taient aperçus[10]. L'Ă©quipe chargĂ©e de la reconnaissance est conduite par Edmund Hillary, mais elle est stoppĂ©e par un dangereux mar de glace et une chaĂ®ne d'approvisionnement tendue ; elle est contrainte de faire demi-tour Ă  6 800 m. Hillary dĂ©clarera plus tard qu'il ressentait « presque un sentiment de honte que nous nous soyons permis d'admettre la dĂ©faite si facilement Â»[11] - [12].

Hillary, Lowe accompagnĂ©s de trois Sherpas (Ang Puta, Tashi Puta et Angye) « très nerveux Â» franchissent le col de Nup La, rĂ©alisant la première traversĂ©e des trois cols entre la vallĂ©e du Khumbu et la vallĂ©e du Barun (en). « Nous avons tentĂ© [de franchir] la partie supĂ©rieur, fortement crevassĂ©e, du glacier de Ngojumba et avons forcĂ© un chemin dans l'Ă©troit col de Nup La ». Hillary et Lowe s'enfonce profondĂ©ment en territoire chinois « comme deux mauvais garçons Â», descendent le glacier du Rongbuk et contourne l'ancien camp III, utilisĂ© par les expĂ©ditions des annĂ©es 1920, sous le col Nord[13]. Il leur faut six jours pour traverser les cascades de glace et parcourir 6,5 km mais Lowe dĂ©clare que c'Ă©tait « l'alpinisme le plus excitant, exigeant et satisfaisant que nous ayons entrepris » rĂ©alisĂ© « avec moins [de matĂ©riel] que je n'en aurait eu pour une sortie un week-end en Nouvelle-ZĂ©lande Â». Ils atteignent le glacier du Barun entre l'Everest et le Makalu et aperçoivent le Tibet depuis la partie supĂ©rieure du glacier, complĂ©tant ainsi leur circuit autour de l'Everest par ses plus hauts cols[14].

À la fin de l'expédition, en juin, Shipton part avec Evans, Hillary et Lowe à travers les jungles du Népal et parvient jusqu'à la frontière indienne le long des rives de la rivière Arun. Ils font l'ascension de onze sommets dans la vallée du Barun, à l'ouest du Nangpa La[15]. Hillary et Lowe redescendent la rivière Arun sur deux matelas gonflables attachés entre eux ; évitant de justesse un tourbillon et une importante cataracte en s'accrochant à un rocher, puis à une corde envoyée par Shipton[16].

Enseignements

Griffith Pugh, le physiologiste de l'expĂ©dition, devait prĂ©parer l'expĂ©dition de 1953. Ses recommandations formelles Ă  l'Himalayan Committee sont les suivantes : « forme physique et esprit d'Ă©quipe essentiels ; Ă©quipement en oxygène nĂ©cessaire au-dessus du col Sud ; système en circuit fermĂ© Ă  privilĂ©gier ; vĂŞtements Ă  faire sur-mesure ; hygiène gĂ©nĂ©rale et alimentaire importante ; les grimpeurs doivent s'acclimater au-dessus 15 000 pieds (4 572 m) pendant au moins 36 jours ; une mauvaise acclimatation ne doit pas conduire Ă  Ă©carter [un grimpeur], le mal pouvant ĂŞtre temporaire Â»[17]. Mais ses expĂ©riences sont « bloquĂ©es Â» car personne n'atteint les 24 000 pieds (7 315 m)[1].

Pugh critique la mauvaise hygiène autour des camps et la consommation d'eau contaminée, qui rend malade plusieurs membres de l'expédition lors de la marche d'approche[18].

Selon Pugh et Wood en 1953, les principaux enseignements des expĂ©riences menĂ©es en 1952 sur le Menlung La Ă  20 000 pieds (6 096 m) sont :

  • plus la quantitĂ© d'oxygène respirĂ© est importante, plus le bĂ©nĂ©fice subjectif est grand ;
  • le poids supplĂ©mentaire induit a, dans une grande mesure, limitĂ© le gain en performance ;
  • le dĂ©bit minimum requis est de 4 litres/minute ; alors qu'avant la Seconde Guerre mondiale, des dĂ©bits de 1, 2 ou 2,25 litres/minute avaient Ă©tĂ© testĂ©s ;
  • l'oxygène permet une grande rĂ©duction de la ventilation pulmonaire ;
  • l'oxygène permet un grand soulagement dans la sensation de lourdeur et de fatigue dans les jambes (ils ne testent pas si l'oxygène permet d'amĂ©liorer l'endurance). Bourdillon dĂ©cide que la meilleure combinaison est un appareil en circuit fermĂ© avec un apport en oxygène pur pour l'ascension et un appareil en circuit ouvert avec une concentration en oxygène plus faible pour dormir. Avec son père, Robert Bourdillon, il dĂ©veloppe un appareille en circuit fermĂ© utilisĂ© par Charles Evans et lui-mĂŞme lors de leur première ascension du sommet sud de l'Everest le [19].

Développements ultérieurs

L'expĂ©dition n'atteint aucun de ses objectifs, la rĂ©putation de Shipton est « publiquement rĂ©duite en morceaux Â» au Royaume-Uni, et l'expĂ©dition est qualifiĂ©e par McKinnon de « l'une des pages noires de l'histoire de l'alpinisme d'après-guerre Â»[20].

Shipton ne se rend devant le Comité à Londres que le .

Shipton et Hillary ne mentionnent que brièvement cette expédition dans leurs Mémoires respectives. Pugh, Riddiford, Secord... plusieurs membres en viennent à douter des compétences de Shipton à conduire une grande expédition[21] ; Hillary partage également cet avis dans ses notes personnelles bien qu'il se garde de faire des critiques en public[22]. Shipton sera remplacé par John Hunt en tant que chef d'expédition en 1953[23].

Notes et références

  1. McKinnon 2016, p. 147.
  2. McKinnon 2016, p. 309.
  3. McKinnon 2016, p. 122.
  4. McKinnon 2016, p. 145.
  5. McKinnon 2016, p. 137.
  6. Hunt 1953, p. 22.
  7. McKinnon 2016, p. 138.
  8. McKinnon 2016, p. 123-147.
  9. McKinnon 2016, p. 141.
  10. McKinnon 2016, p. 142,143.
  11. Isserman et Weaver (2008), p. 267–268.
  12. Lowe et Lewis-Jones 2013, p. 59.
  13. Lowe et Lewis-Jones 2013, p. 23, 65, 212.
  14. Lowe et Lewis-Jones 2013, p. 59, 65-67.
  15. McKinnon 2016, p. 146-147, 151, 164.
  16. Lowe et Lewis-Jones 2013, p. 164,212.
  17. Unsworth (1981), p. 297–298.
  18. McKinnon 2016, p. 138, 141.
  19. Hunt 1953, p. 257-262,277.
  20. McKinnon 2016, p. 137-149.
  21. McKinnon 2016, p. 133, 143, 149.
  22. McKinnon 2016, p. 150, 154.
  23. McKinnon 2016, p. 151.

Voir aussi

Articles connexes

Sources et bibliographie

  • (en) John Hunt, The Ascent of Everest, Londres, Hodder & Stoughton, (lire en ligne)
  • (en) Maurice Isserman et Stewart Weaver, Fallen Giants : A History of Himalayan Mountaineering from the Age of Empire to the Age of Extremes, New Haven, Yale University Press, (ISBN 9780300115017, lire en ligne)
  • (en) George Lowe et Huw Lewis-Jones, The Conquest of Everest : Original Photographs from the Legendary First Ascent, Londres, Thames and Hudson, (ISBN 978-0-500-54423-5)
  • (en) Lyn McKinnon, Only Two for Everest, Dunedin, Otago University Press, (ISBN 978-1-972322-40-6, otago623039.html)
  • (en) Walt Unsworth, Everest, Londres, Allen Lane, (ISBN 0713911085)
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