Ennéasyllabe
Usage
Apparu au Moyen Âge où il est plutôt utilisé en hétérométrie, l'ennéasyllabe est dans un premier temps limité aux genres légers[1]. Au XVIIe siècle, Malherbe l'emploie dans une chanson[2] :
- « [...] L'air est plein d'une haleine de roses,
- Tous les vents tiennent leurs bouches closes, [...] »
En prosodie classique il reste peu usité[3], jusqu'à la moitié du XIXe siècle[4], à l'exception de quelques autres emplois épars en déclamation musicale, dans des chansons ou des opéras, chez Meyerbeer et son librettiste Scribe en particulier[5].
Il a longtemps été considéré comme déséquilibré. Ainsi, dans Les Djinns, Victor Hugo, qui utilise successivement tous les mètres classiques, néglige l'ennéasyllabe et passe de l'octosyllabe au décasyllabe[6].
Verlaine, en revanche, le prisait, et l'a rendu célèbre en l'employant dans son Art poétique[6] :
- « De la musique avant toute chose,
- Et pour cela préfère l'Impair
- Plus vague et plus soluble dans l'air,
- Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »
Structure
Une grande diversité structurelle caractérise sa coupe[5].
Ternaire, en 3+3+3[4] :
- Chère main // aux longs doigts // délicats
- Nous versant // l'or du sang // des muscats.
- (Jean Moréas, « Parmi les marronniers... »)
Binaire, asymétrique, en 4+5[1] :
- Tournez, tournez, // bons chevaux de bois,
- Tournez cent tours // tournez mille tours.
- (Verlaine, Romances sans paroles, « Bruxelles. Chevaux de bois »)
Ou son miroir, en 5+4[4] :
- Viens, ô Dame en deuil, // par les vallons
- De joie et de paix ; // allons ensemble,
- Cueillir aux jardins // des Avallons
- La fleur en exil // qui te ressemble.
- (Éphraïm Mikhaël, « La dame en deuil »)
En 3+6[5] :
- Je devine, // à travers un murmure,
- [...]
- Amour pâle, // une aurore future !
- (Verlaine, Ariettes oubliées, II)
Multiple ( « isonumérisme » sans isométrie)[1] :
- Fin comme une grande jeune fille
- Brillant, vif et fort, telle une aiguille,
- La souplesse, l'élan d'une anguille.
- (Verlaine, Amour, X)
Richepin l'a également utilisé[7]. Plus récemment, on trouve des exemples d'ennéasyllabes dans les chansons jazzy, comme Le Soleil et la Lune de Charles Trenet.
Les paroles de la chanson Comment te dire adieu, élaborées par Serge Gainsbourg[8], sont également des vers ennéasyllabiques (5+4), avec césure après « ex » :
- Sous aucun prétex- // te je ne veux
- Avoir de réflex- // es malheureux,
- Il faut que tu m'ex- // pliqu' un peu mieux
- Comment te dire adieu.
- [...]
Notes et références
- Frédéric Turiel, Précis de versification, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-27703-1, lire en ligne)
- Poésies de François Malherbe, avec un commentaire inédit par André Chénier, précédées d'une Notice sur la vie de Malherbe [par Tenant de Latour] et d'une lettre sur le Commentaire. Seule édition complète publiée par MM. de Latour, (lire en ligne), p. 208
- Gustave Weigand, Traité de versification française, (lire en ligne)
- Louis Cayotte, Dictionnaire des rimes, classées d'après l'ordre alphabétique inversé, et précédé d'un traité de versification française. 2e édition, (lire en ligne)
- Michel Gribenski, « Vers impairs, ennéasyllabe et musique : variations sur un air (mé)connu », sur revel.unice.fr (consulté le )
- Brigitte Buffard-Moret et Daniel Bergez, Introduction à la versification, FeniXX réédition numérique, (ISBN 978-2-402-01049-8, lire en ligne)
- Clair Tisseur, Modestes observations sur l'art de versifier, (lire en ligne), p. 116-122
- « Morceau Classique : "Comment Te Dire Adieu" de Françoise Hardy (1968) », sur Les Inrockuptibles, (consulté le )