Enlèvements turcs en Islande
Les « enlèvements turcs »[1] en Islande (en islandais : TyrkjarániĂ° ) sont une sĂ©rie de raids esclavagistes menĂ©s en Islande par une flotte de quatre bateaux comprenant des pirates salĂ©tins ainsi qu'algĂ©rois[2] entre le et le , dans les villages de GrindavĂk sur la cĂ´te sud-ouest et de BerufjörĂ°ur et Breiddalur dans les fjords de l’est et les Ă®les Vestmann au large de la cĂ´te sud. Ils feront de 400 Ă 900 prisonniers (la population de l’Islande Ă©tait Ă l’époque estimĂ©e Ă environ 60 000). Cet Ă©pisode est exceptionnel Ă la fois parce qu'il s'agit de la seule attaque sur l'Islande ayant fait des morts et au regard du nombre de tĂ©moignages l'ayant relatĂ© a posteriori.
Les raids
À l', quatre navires de pirates et corsaires barbaresques arrivent en Islande. Au XXe siècle, localement, cet événement est connu sous le nom de « Tyrkjaránið » ou « raid turc » parce que certains corsaires venaient d'Alger, alors sous domination de l'Empire ottoman[3], ce qui n'était pas le cas pour Salé, sur la côte atlantique du Maroc.
Le raid sur GrindavĂk
Le , l'Ă©quipage d'un bateau en provenance de SalĂ© opère un raid sur le village de pĂŞche de GrindavĂk. Selon le roman national islandais, il est dirigĂ© par le renĂ©gat hollandais Jan Janszoon, alias Mourad RaĂŻs le Jeune. Il capture entre 12 et 15 Islandais[4].
Ils se dirigent ensuite sur Bessastaðir, résidence du gouverneur danois de l’Islande, pour la piller mais sont empêchés de débarquer par le feu des canons des fortifications locales (Bessastaðaskans) et par un groupe de lanciers de la péninsule sud rapidement assemblé[5].
Mourad Raïs décide alors de changer de cap pour retourner au port de Salé, où il arrive à la mi-juillet et où les captifs sont vendus sur le marché aux esclaves.
Le raid sur les ĂŽles Vestmann
Selon un compte rendu détaillé du raid par l’un des ministres, Ólafur Egilsson, qui fut d’abord réduit en esclavage par les pirates et emmené à Alger, avant d’être renvoyé pour demander des fonds au roi du Danemark pour racheter ses sujets islandais encore à Alger[6], les vieillards et les infirmes furent tués sans pitié, de même que tous ceux qui tentaient de résister[7]. Le , les navires quittèrent les Îles Vestmann pour faire voile vers Alger.
Le sort des captifs
Les personnes capturées furent vendues comme esclaves sur la côte des Barbaresques. Emmanuel d'Aranda, Brugeois emmené comme esclave à Alger de 1640 à 1641, écrit dans son ouvrage Relation de la captivité et liberté du sieur Emmanuel d'Aranda (1665), à propos de son temps comme esclave du pirate barbaresque Ali Bitchin, qu’un compagnon de captivité islandais à Alger lui avait dit que 800 personnes au total avaient été réduites en esclavage[8]. Cependant, ce nombre ne correspond à aucune des sources islandaises qui placent toutes le nombre de captifs au-dessous de 400[9].
Quelques lettres écrites par des captifs atteignirent l’Islande et, avec d’autres comptes rendus, indiquent que les captifs furent traités très différemment par leurs maîtres. Un captif de la région de l’est, Guttormur Hallsson, a déclaré dans une lettre écrite en Barbarie en 1631 : « Il y a une grande différence ici entre les maîtres. Certains esclaves ont des maîtres corrects et bienveillants, ou entre les deux, mais certains infortunés se retrouvent avec des tyrans sauvages, cruels au cœur dur, qui ne cessent jamais de les maltraiter, qui les forcent au travail et à la peine insuffisamment vêtus et nourris, et dans les fers du matin au soir[10]. »
Notes et références
- Le terme d'« enlèvements turcs » semble traditionnel en Islande, mais est en réalité improprement utilisé, puisque les pirates en cause venaient de la République de Salé et que leur chef était le Hollandais Jan Janszoon, originaire de Haarlem, donc sans rapport avec les « Turcs ».
- LeĂŻla Maziane 2007, p. 173.
- Vilhjálmur Ăž. GĂslason, BessastaĂ°ir: Þættir Ăşr sögu höfuĂ°bĂłls. Akureyri. 1947
- Helgason 2018, p. 56-60.
- (is) Vilhjálmur Ăž. GĂslason, BessastaĂ°ir : Þættir Ăşr sögu höfuĂ°bĂłls, Akureyri, BĂłkaĂştgáfan Nordri, 1947.
- Ă“lafur Egilsson, ReisubĂłk SĂ©ra Ă“lafs Egilssonar, ReykjavĂk, Almenna BĂłkafĂ©lagiĂ°, 1969.
- (en) Danish slaves in Barbary. Peter Madsen, Islam in European literature.
- Emmanuel d'Aranda, Relation de la captivité du sieur Emanuel d’Aranda, où sont descriptes les misères, les ruses et les finesses des esclaves et des corsaires d’Alger. Ensemble les conquestes de Barberousse dans l’Afrique et plusieurs autres particularités, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1665.
- (en) Peter Lamborn Wilson, Pirate utopias : Moorish corsairs & European renegadoes, Brooklyn, Autonomedia, , 219 p. (ISBN 978-1-57027-158-8, lire en ligne), p. 100.
- Lettre Ă©crite par Guttormur Hallsson
Bibliographie
- (en) Þorsteinn Helgason, The Corsairs’ Longest Voyage: The Turkish Raid in Iceland 1627, BRILL, (ISBN 978-90-04-36370-0, lire en ligne)
TĂ©moignages
- Emmanuel d'Aranda, Relation de la captivité du sieur Emanuel d’Aranda, où sont descriptes les misères, les ruses et les finesses des esclaves et des corsaires d’Alger. Ensemble les conquestes de Barberousse dans l’Afrique et plusieurs autres particularités, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1665.
- (is) Ă“lafur Egilsson, ReisubĂłk SĂ©ra Ă“lafs Egilssonar, ReykjavĂk, Almenna BĂłkafĂ©lagiĂ°, 1969.
- (en) Ólafur Egilsson, Karl Smári Hreinsson et Adam Nichols, The Travels of Reverend Ólafur Egilsson: The Story of the Barbary Corsair Raid on Iceland in 1627, Catholic University of America Press + ORM, (ISBN 978-0-8132-2870-9, lire en ligne)
- (is) Vilhjálmur Ăž. GĂslason, BessastaĂ°ir : Þættir Ăşr sögu höfuĂ°bĂłls, Akureyri, BĂłkaĂştgáfan Nordri, 1947.
Romans
- Steinunn Johannesdottir (trad. de l'islandais), L'esclave islandaise : Roman inspiré de sources historiques, Montfort-en-Chalosse, Gaïa, , 393 p. (ISBN 978-2-84720-765-1).
Sur les corsaires
- Leïla Maziane, Salé et ses corsaires, 1666-1727 : un port de course marocain au XVIIe siècle, Rouen ; Caen, Publication Pôle Universitaire Normand, , 362 p. (ISBN 978-2-84133-282-3, lire en ligne).
- (en) Peter Lamborn Wilson, Pirate utopias : Moorish corsairs & European Renegadoes, Brooklyn, Autonomedia, , 219 p. (ISBN 978-1-57027-158-8, lire en ligne).
Articles connexes
- GuĂ°rĂĂ°ur SĂmonardĂłttir
- Traite orientale, Traite des esclaves de Barbarie, Devchirmé
- République du Bouregreg (1627-1668, ou de Salé), Régence d'Alger (1515-1830)