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Elminius modestus

Elminius modestus est une espĂšce de balanes (crustacĂ©s, cirripĂšdes) originaire de Nouvelle-ZĂ©lande et d’Australie[1] qui s’est largement implantĂ©e sur les estrans europĂ©ens.

Historique

E. modestus a Ă©tĂ© observĂ© pour la premiĂšre fois en 1945 dans le port de Chichester[2]. Il est probable que son introduction est quelque peu antĂ©rieure Ă  cette date et on suppose qu’il a Ă©tĂ© apportĂ© en Angleterre par les convois de bateaux provenant de Nouvelle-ZĂ©lande ou d’Australie durant la seconde guerre mondiale. Il est possible d’ailleurs que l’espĂšce ait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e antĂ©rieurement de Nouvelle-ZĂ©lande Ă  l’Australie par la mĂȘme voie[3].

Elminius s’est ensuite rapidement propagĂ© en Europe, vers le nord et le nord-est pour atteindre les Ăźles HĂ©brides et le Danemark et vers le sud jusqu’aux cĂŽtes mĂ©ridionales du Portugal, du fait de la dispersion de ses larves planctoniques (vitesse de la progression estimĂ©e Ă  35 km par an[4]) et de son transport, fixĂ© Ă  la coque des bateaux, d’un port Ă  l’autre.

On suppose que Elminius a Ă©tĂ© introduit en France lors des opĂ©rations de DĂ©barquement des AlliĂ©s en 1944. En 1957 il est bien reprĂ©sentĂ© du cap de la Hague Ă  la frontiĂšre belge, rare ou absent du Cotentin au Jaudy (TrĂ©guier), trĂšs abondant dans les estuaires Ă  l’ouest de TrĂ©guier et jusqu’en rade de Brest. Au sud de Brest seuls quelques individus isolĂ©s sont prĂ©sents, dans les estuaires, et ce jusqu’à Saint Jean de Luz[5]. En 1959 il est signalĂ© en Baie de Quiberon[6]. En 1955 Elminius est prĂ©sent Ă  Heligoland[3].

Description

Elminius modestus est une petite balane de couleur gris-bleutĂ© qui peut atteindre 10 mm, (voire 15 mm[7]) de longueur (base du rostre Ă  la base de la carĂšne)[8].

Sa muraille est constituée de quatre plaques de taille à peu prÚs égale, ce qui rend son identification relativement aisée. On considÚre que la plaque antérieure (« rostre ») provient de la fusion du rostre proprement dit et des deux plaques rostro-latérales, les deux plaques carino-latérales auraient disparu, la carÚne et les deux latérales gardant leur individualité[8].

Elminius modestus. Nom des plaques de la muraille et de l'opercule. Individu en "croix de Malte"

Huit dĂ©pressions joignant le sommet Ă  la base, quatre Ă  la jonction des plaques et quatre au milieu de chacune d’entre elles donnent frĂ©quemment aux individus jeunes et isolĂ©s la forme d’une croix de Malte.

Les scutum prĂ©sentent une lĂ©gĂšre dĂ©pression longitudinale marquĂ©e d’une coloration plus foncĂ©e qui dessine un V ouvert en direction du rostre.

Les languettes tergo-scutales sont, pour l’essentiel, blanches marquĂ©es de trois taches, une mĂ©diane, brune et deux situĂ©es cĂŽtĂ© rostral, noires.

La base est membraneuse et transparente ce qui a rendu possible l’étude directe du cycle reproducteur sur des animaux fixĂ©s sur des plaques de verre[9].

Reproduction

"Elminius" est hermaphrodite mais la fécondation croisée est nécessaire. Elle est possible lorsque les individus ne sont pas séparés par une distance supérieure à 3 à cm[7].

La fĂ©condation a lieu dans la cavitĂ© pallĂ©ale oĂč les Ɠufs, regroupĂ©s en deux masses compactes, une de chaque cĂŽtĂ© du corps, accomplissent leur dĂ©veloppement jusqu’à l’éclosion qui libĂšre une larve nauplius. Le dĂ©veloppement embryonnaire dure environ 10 jours en Ă©tĂ©, de 60 Ă  80 jours en hiver[9].

Elminius modestus. Masses d'Ɠufs gauche et droite. Le point noir dans chaque Ɠuf est l'Ɠil nauplien de la larve

Le nauplius I ne s’alimente pas et ne dure que quelques heures, il est suivi de cinq autres stades nauplius (NII Ă  NVI) au cours desquels le poids (poids sec) est multipliĂ© par 11 Ă  14 selon la tempĂ©rature (12−24 °C)[3]. La durĂ©e totale de la phase nauplius est d’environ 12 jours Ă  18 °C et Ă  la salinitĂ© de 30 pour mille[10].

Le nauplius VI se transforme en cypris qui ne s’alimente pas et cherche un support pour se fixer. La durĂ©e totale de la vie larvaire planctonique serait de 4 semaines environ

Les individus fixĂ©s sont susceptibles de se reproduire au bout de huit semaines seulement en Ă©tĂ©, les gĂ©niteurs ayant alors 4 Ă  mm de longueur[9]. La croissance est, initialement trĂšs rapide (cas gĂ©nĂ©ral chez les balanes) puis ralentit Ă  partir de la maturitĂ© sexuelle (longueur 5-mm). Ce ralentissement est plus marquĂ© chez les individus reproducteurs que chez ceux qui se trouvent dans l'impossibilitĂ© d'ĂȘtre fĂ©condĂ©s (distance Ă  une autre balane supĂ©rieure Ă  cm) du fait de l'investissement qu'ils font dans la production d'Ɠufs[7].

Des pontes sont produites toute l’annĂ©e (Ă  des tempĂ©ratures comprises entre 6 et 20 °C, et plus probablement) elles ont lieu aussitĂŽt aprĂšs l’émission des larves en Ă©tĂ© mais aprĂšs un certain laps de temps en hiver car le dĂ©veloppement de l’ovaire est ralenti, faute de nourriture suffisante[9].

Pour trois saisons de reproduction (durĂ©e de vie effectivement observĂ©e), Ă  raison de 500 Ɠufs en moyenne par portĂ©e et 12 pontes par saison, un individu arrive Ă  produire environ 20000 Ɠufs[7].

Écologie

Sur les cĂŽtes ouvertes les populations d’Elminius sont peu abondantes et Ă©phĂ©mĂšres ; par contre, l’espĂšce est trĂšs bien reprĂ©sentĂ©e et de façon permanente dans les baies abritĂ©es et les zones estuariennes. Elle entre en compĂ©tition avec d’autres balanes : Semibalanus balanoides dans les baies et la partie basse des estuaires, Amphibalanus (=Balanus) improvisus dans la partie haute des estuaires, Balanus crenatus dans l’infra-littoral. Elle s’est installĂ©e dans des zones Ă  faible salinitĂ© exemptes de balanes auparavant[8].

Il s’agit donc d’une espĂšce euryhaline dont les adultes sont actifs Ă  des salinitĂ©s comprises entre 19 et 40 pour mille. Les larves ont des tolĂ©rances du mĂȘme ordre : elles peuvent ĂȘtre Ă©levĂ©es jusqu’au stade cypris entre 10 et 50 pour mille mais sont incapables de se mĂ©tamorphoser en juvĂ©niles aux deux salinitĂ©s extrĂȘmes. Cette mĂ©tamorphose est possible entre 20 et 40 pour mille[3].

Sur l’estran, Elminius se fixe jusqu’au bas de l’étage supra-littoral, au-dessus du niveau des pleines mers de mortes eaux et se mĂȘle Ă  Chthamalus montagui. Il est susceptible d’adhĂ©rer aux supports les plus divers : rochers, coquilles, crustacĂ©s, algues, structures artificielles, etc.[11].

Elminius a un rythme de battement des cirres beaucoup plus rapide que les balanes natives (18-22 battements en 10 secondes selon saison) contre un maximum de 6.2 pour Semibalanus balanoides. Il reste actif à des températures plus élevées que les espÚces natives nordiques et à des températures plus basses que les natives méridionales. Caractéristiques qui, ajoutées à sa prolificité expliquent la réussite de son implantation[12].

Hemioniscus balani, Isopode parasite de plusieurs espĂšces de balanes autochtones, s’installe aussi chez Elminius, provoquant une rĂ©gression de l’ovaire et la stĂ©rilitĂ©[9].

IntĂ©rĂȘt Ă©cologique et Ă©conomique

De par sa reproduction pratiquement continue et de son excellente adaptation aux conditions de vie des baies et estuaires Elminius intervient de maniÚre significative dans le fonctionnement de ces écosystÚmes cÎtiers et interfÚre avec de nombreuses activités humaines.

C’est un redoutable agent de salissure des coques de navires et de toutes sortes de structures immergĂ©es notamment dans les zones portuaires et les sites d’aquaculture.

La densitĂ© de ses populations adultes et larvaires fait qu’il intervient dans le cycle de la matiĂšre vivante en tant que consommateur de plancton et de dĂ©tritus en suspension (adultes et larves) et en tant que proie (larves surtout).

La consommation de phytoplancton d’une seule larve nauplius est estimĂ©e de 41 000 Ă  105 000 cellules par jour selon le stade et la tempĂ©rature (valeurs calculĂ©es en Ă©levage avec l’algue Skeletonema costatum et Ă©videmment variable selon la taille et la forme des cellules disponibles dans la nature)[10].

Dans le Bassin d’Arcachon on a estimĂ© la production d’Ɠufs d’Elminius modestus Ă  971 tonnes par an et les larves qui en rĂ©sultent consommeraient 15 500 tonnes de matiĂšre organique (phytoplancton essentiellement). La production de matiĂšre organique des adultes serait de 26 tonnes par an[13]. Ces chiffres permettent d’imaginer que la prĂ©sence d’Elminius n’est pas neutre dans cette baie vouĂ©e Ă  l’ostrĂ©iculture c'est-Ă -dire Ă  l’élevage de mollusques qui s’alimentent essentiellement de plancton animal et vĂ©gĂ©tal.

Parmi les espĂšces marines introduites dans les eaux europĂ©ennes Elminius est l’une de celles qui ont eu la meilleure rĂ©ussite et qui ont profondĂ©ment modifiĂ© les conditions Ă©cologiques des milieux abritĂ©s et estuariens.

RĂ©partition en Europe

Elminius est prĂ©sent depuis les Ăźles Shetland, au nord de l’Écosse[14] jusqu’au sud du Portugal avec quelques implantations en Irlande. Il colonise Ă©galement de maniĂšre discontinue, en mer du Nord, la cĂŽte est du Royaume-Uni, les cĂŽtes de Belgique, des Pays-Bas, de l’Allemagne jusqu’au Danemark[8].

Liens externes

Références

  1. Gruvel, A. 1905. Monographie des CirripÚdes ou Thécostracés. 472 p. Masson et Cie éd., Paris.
  2. Bishop, 1947. Establishment of an immigrant in British coastal waters. Nature, Lond. 159: 501.
  3. Harms, J. 1986. Effects of temperature and salinity on larval development of Elminius modestus (Crustacea, Cirripedia) from Helgoland (North-Sea) and New Zealand. HelgolÀnder Meeresunters. 40: 355-376.
  4. Crisp, D. J. 1958. The spread of Elminius modestus in north-west Europes. J. mar. Biol. Ass. U.K. 37: 483-520
  5. Bishop, M.W.H. & Crisp, D.J. 1958. The distribution of the barnacle Elminius modestus Darwin in France. Proceedings of the zoological Society of London, 131 : 109-134.
  6. Marteil, L. Et coll. 1976. La conchyliculture française. 2e partie : Biologie de l’huütre et de la moule. Publication ISTPM, 319 p.
  7. (en) D. J. Crisp et Bhupendra Patel, « The interaction between breeding and growth in the barnacle Elminius modestus Darwin », Limnology and Oceanography, vol. 6, no 2,‎ , p. 105-115 (DOI 10.4319/lo.1961.6.2.0105)
  8. Southward, A.J. 2008. Barnacles. Keys and notes for the identification of British species. Synopses of the British Fauna no 57. 140 p, 4 planches
  9. Crisp, D.J. & Davies, P.A. 1955. Observation in vivo on the breeding of Elminius modestus grown on glass slides. Jour. mar. biol. Ass. U.K., 34: 357-380.
  10. Harms, J. 1987. Energy budget for the larval development of Elminius modestus (Crustacea : Cirripedia). HelgolÀnder Meeresunters. 41: 45-67
  11. Hayward, P.J. & Ryland, J.S. 1995. Handbook of the marine fauna of north-west Europe. 800p. Oxford University Press
  12. Southward, A. J.1955. On the behaviour of barnacles. I.The relation of cirral and other activities to temperature. J. mar. biol. Ass. U.K. 34 : 403-422
  13. Barnes, H. 2003. Organic production by Elminius modestus Darwin in an enclosed basin. Jour. Exp. Mar. Biol. Ecol. http:// www.Sciencedirect.com/science/article/pii/00220981719900505
  14. Hiscock, K., Hiscock. S. and J. M. Baker. (1978), The occurrence of the barnacle Elminius modestus in Shetland. Journal of the Marine Biological Association of the United Kingdom 58: 627-629
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